Voici l’une des personnes les plus étonnantes qu’il m’ait été donné de rencontrer. Très tôt surdoué, solidement enraciné dans sa terre du Trégor, sa "bretonne bretonnante", issu d’une famille nombreuse, catholique, cultivée, et énergique dont émergent de fortes figures qui déterminent son tempérament combattif et son indépendance d’esprit, il fait des études d’ingénieur, passe une année à parcourir les Etats-Unis d’où il revient avec la conviction que la bataille scientifique et industrielle sera décisive pour l’avenir de la France. Formé dans les années 1970 par les plus grands noms de l’escouade industrialiste qui luttera, entreprise après entreprise, contre une désindustrialisation de la France qu’accentuent l’irréalisme des technocrates des "grand corps" et le manque de capitaux, il manque de devenir, ministre de l’Industrie de Mitterrand, qui lui confie la direction de quatre des plus grandes entreprises françaises : Rhone-Poulenc, puis Elf, dont il double la production, Gaz de France puis la SNCF. Chaque fois, les succès de ce capitaine d’industrie, anti-bureaucrate et anti-conformiste sont fulgurants. Mais l’intrépide Astérix qui a la France chevillée au corps fait plus que défendre son village breton, il contre-attaque et marche sur les pieds, de l’Empire états-unien, qui sait le rôle central que joue l’énergie "abondante, bon marché et souveraine" dans l’activité économique d’un grand pays et veut en garder le monopole mondial : le retour de bâton sera féroce...
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00:00:24 Bonjour Loïc, le vlog prigent. Je suis ravi, intimidé, impressionné. Pour la
00:00:34 première fois j'ai un peu le trac. J'ai l'impression d'être... - Moi pas vraiment.
00:00:39 - Non mais j'ai aucune raison de l'avoir. Nous allons parler de vous. Je voulais faire une
00:00:43 émission, on va en faire deux. J'espère qu'on va pas déborder sur une troisième.
00:00:47 J'ai l'impression d'être au pied d'une montagne et il faut que je l'escalade
00:00:51 jusqu'au bout, ça va pas être commun. Alors, tout le monde vous connaît, c'est pas
00:00:56 la peine que je vous le présente. Vous avez dirigé quatre des plus grandes
00:00:59 sociétés françaises sous l'air miterrand dont vous fûtes un ami qui
00:01:04 s'est pas toujours bien comporté avec vous. Mais enfin, on verra, vous avez connu
00:01:09 toute la nomenclature socialiste. Surtout vous avez chevillé au corps, comme
00:01:13 beaucoup de bretons au fond, l'intérêt national, la résistance d'une certaine
00:01:18 façon à un ordre mondial que la France doit déranger, notamment parce que vous
00:01:23 avez été plusieurs années patron de ELF, qui était la seule société pétrolière
00:01:26 non américaine en fait. Et ça explique bien des choses.
00:01:32 Vous avez eu ensuite des déboires que l'on verra dans une deuxième émission.
00:01:36 Madame Jolie et quelques juges se sont beaucoup acharnés contre vous. Vous avez
00:01:42 été "Le mouton noir", c'est le titre de votre... titre donné par Mitterrand d'ailleurs.
00:01:46 De vos mémoires, que je vais suivre un peu comme un fil. Et vous êtes
00:01:52 surtout, surtout, je finis par là, extrêmement dévoué à deux passions,
00:01:57 c'est-à-dire l'industrie, notamment l'énergie. Et l'énergie et l'industrie
00:02:03 comprises comme devant entrer dans l'intérêt de la France et concourir à
00:02:09 faire que la France reste une nation indépendante, ce qui n'est pas gagné.
00:02:13 Il est clair, pour moi, depuis très longtemps, on prendra la date du jour
00:02:20 venu, l'énergie abondante et bon marché, souveraine, est indispensable à la
00:02:28 prospérité industrielle. Prospérité industrielle qui va avec la
00:02:32 prospérité tout court d'un pays. Voilà, donc c'est ma ligne de force,
00:02:37 c'est la ligne que j'ai suivie depuis l'origine mais qui s'est approfondie
00:02:43 de façon définitive au moment du choc pétrolier 73.
00:02:48 À laquelle la France a bien répondu.
00:02:50 À laquelle la France a bien répondu.
00:02:52 Avec des cartes qu'elle gâche aujourd'hui.
00:02:54 Voilà, avec des cartes qu'elle a gâchées tout au long de l'année suivante.
00:02:57 Mais c'est profondément, il n'y a pas de civilisation qui ait résisté
00:03:03 sans une production, production agricole, alimentaire, mais cette production est liée
00:03:14 à une énergie abondante, bon marché et souveraine.
00:03:18 C'est un peu une obsession chez vous ça.
00:03:20 A chaque fois que quelqu'un a voulu s'évader en disant que finalement ce n'est pas si grave que ça,
00:03:28 et bien il a planté ces civilisations.
00:03:31 C'est clair, c'est comme ça.
00:03:33 Et vous avez été assez tenace, gros travailleur, intelligence extraordinairement rapide.
00:03:42 On essaye.
00:03:44 Vous allez très très très vite, vous êtes devenu ingénieur comme ça
00:03:50 et vous êtes arrivé à la tête de HELF, le plus grand groupe pétrolier européen,
00:03:55 du plus grand mondiaux, au grand nom des américains je le rappelle.
00:03:59 Ensuite vous avez dirigé Gazdefrance, SNCF, courtement mais avec beaucoup d'ambition pour la SNCF.
00:04:10 C'est à dire que là il y avait un chantier extraordinaire,
00:04:14 chantier qui a été gâché complètement par la suite et qui continue à être gâché,
00:04:18 simplement parce que les gens qui veulent le gérer ne sont pas compétents.
00:04:26 C'est d'abord un dossier technique.
00:04:29 C'est à dire qu'il y a des trains qui circulent sur des voies,
00:04:33 ces voies sont uniques, par conséquent il y a un monopole structurel.
00:04:37 Comment gérer un monopole structurel ? C'est intéressant.
00:04:41 Personne n'a envie de le voir et un monopole structurel avec des voies et des trains,
00:04:49 ça se gère avec de la maintenance.
00:04:52 Quand on essaie de nourrir les gens d'aujourd'hui en parlant de maintenance,
00:04:58 ils vous disent "mais qu'est-ce que c'est que la maintenance ?"
00:05:01 La maintenance c'est avoir des voies sur lesquelles on peut circuler,
00:05:04 avec des trains qui peuvent circuler, c'est simple.
00:05:07 C'est très compliqué.
00:05:10 C'est simple.
00:05:13 C'était un chantier absolument admirable.
00:05:16 J'ai été arrêté en plein vol, si je puis dire.
00:05:21 Par une juge norvégienne.
00:05:23 Oui, par aussi beaucoup de gens.
00:05:28 Vous étiez un peu le breton noir, vous provincial, breton, très breton,
00:05:34 j'aimerais qu'on parle de votre enfance, parce qu'elle est très touchante,
00:05:38 mais tout votre personnage est touchant, je trouve.
00:05:41 Au milieu des narques d'administratifs qui ne comprennent pas l'industrie,
00:05:48 ça a été un de vos draps.
00:05:50 Finalement, assez boubou parisien, globalement.
00:05:56 Mais très enfermé.
00:05:58 C'est un petit milieu qui se connaît,
00:06:02 et puis les uns sont de gauche parce qu'ils ont envie d'être de gauche,
00:06:05 les autres de droite parce qu'ils ont envie d'être de droite.
00:06:07 C'est pour ça qu'à la fin d'un processus mental compliqué,
00:06:11 on a dit "évidemment, tout ça, ça se vaut".
00:06:14 Et puis, ça fait les mêmes choses, ça a les mêmes défauts,
00:06:18 et ça conduit au même cataclysme.
00:06:21 Vous avez achevé de me dégoûter le dénat,
00:06:25 que j'ai adoré quand je l'ai fait.
00:06:27 Je trouve ça formidable, cette école, j'étais content d'en être,
00:06:30 je suis un fils de l'État, etc.
00:06:32 Et maintenant, je la déteste parce qu'elle produit.
00:06:35 Elle en produira plus, ça risque d'être pire après.
00:06:39 Elle produit des clones, ça c'est jamais bon,
00:06:44 mais surtout qui n'ont pas l'amour du réel.
00:06:48 Or, pour moi, le réel est toujours quelque chose auquel je m'accroche.
00:06:55 Je m'accroche à ma Bretagne et à ce qu'elle fait,
00:06:59 parce que c'est ça mon sol, c'est ça ma nature.
00:07:02 - Et votre sol, c'est du granite.
00:07:04 - Quoi ? - C'est du granite, vous êtes très granitique.
00:07:06 - C'est du granite, je suis sur le granite.
00:07:07 - Vous avez écrit un roman d'ailleurs qui s'appelle "Granitros",
00:07:09 c'est pas pour rien.
00:07:11 - Mon premier roman.
00:07:12 Mais, si vous voulez, c'est fondamental de se dire
00:07:15 "Est-ce que je suis dans le réel ? Est-ce que j'observe bien ?
00:07:19 Est-ce que j'ai bien noté tout ce qui est ?"
00:07:21 Alors ça, c'est mon passé aussi de chercheur.
00:07:24 Si jamais il véhicule l'idée que sa théorie est bonne,
00:07:31 il va essayer de voir ce qui permet à la théorie d'être bonne,
00:07:39 et à ce moment-là, c'est plus un chercheur.
00:07:41 Le chercheur, c'est celui qui doute, qui essaie de voir.
00:07:44 C'est ça que je pense, mais tiens, il y a des signaux faibles
00:07:50 qui disent que je vais aller regarder les signaux faibles.
00:07:53 Et donc, c'est celui qui regarde les signaux faibles.
00:07:55 - Doublez chez vous d'une très bonne connaissance du monde,
00:07:57 parce que vous avez un côté baroudeur, aventurier,
00:08:00 vous allez peut-être pas être content si je dis ça.
00:08:02 - Hélas aventurier ! Parce que j'ai eu beaucoup d'aventuriers.
00:08:06 - Vous êtes ce type d'homme qui se retrouve à Brazzaville
00:08:09 après une semaine très pénible sur un nouveau site de forage au Congo,
00:08:14 veut rentrer, n'a pas dormi, veut rentrer à Paris,
00:08:18 et qu'un ami, enfin un ami, on verra qui c'est,
00:08:20 qui n'est pas vraiment un ami, appelle depuis Dubaï,
00:08:23 ou je crois Bahreïn, en disant "écoute, avant de rentrer à Paris,
00:08:26 fais un crochet par Bahreïn, et vous voilà parti à Bahreïn en 2 ou 3 mouvements,
00:08:30 et puis à Bahreïn on apprend que vous avez un appartement,
00:08:33 et vous faites une bêtise à Bahreïn, vous en faites beaucoup en plus !
00:08:38 Mais c'est le côté aventurier, quoi, et bouffeur de monde,
00:08:42 parce que vraiment, notamment l'Afrique dont on parle...
00:08:45 - C'est pas Bahreïn, c'est Dubaï, mais disons, tout ça,
00:08:48 mais bon, j'ai adoré pouvoir faire tout ce que j'ai fait.
00:08:55 Vous allez essayer tout au long de la matinée de me plaindre,
00:09:00 mais je ne me plainge jamais ! - Ah mais je ne vous plainge pas !
00:09:02 - J'ai eu une vie fantastique, j'ai eu une vie fantastique,
00:09:05 j'ai eu une vie fantastique, et vraiment,
00:09:08 si jamais on me disait "tu reprends ta vie",
00:09:13 alors je dis "oui, je signe de nouveau".
00:09:16 - Je signe de nouveau ! - En maniant beaucoup d'argent,
00:09:19 en menant grand train, et finalement en n'en ayant pas,
00:09:22 parce que vous êtes très endetté, vous vous foutez de compte !
00:09:25 - Mais c'est-à-dire que... - Mais vous vous en foutez, vous vous en foutez !
00:09:28 - Vous avez envie que je revienne sur mon enfance ?
00:09:31 - On y va ! - Dans mon enfance, un sou est un sou,
00:09:34 et on en dépense pas. Bon, alors après, si jamais les gens ont envie
00:09:37 d'en dépenser pour vous, ils en dépensent pour vous, mais bon,
00:09:40 on n'amasse pas, chez moi on n'amasse pas, parce que c'est mal.
00:09:43 - Famille catholique, donc, l'interdit sur l'argent.
00:09:47 - Oui, complètement, l'argent est périphérique,
00:09:52 et si on en a trop, c'est mal.
00:09:55 - C'est très catholique, ça !
00:09:59 - Et donc, lorsque certains de mes proches amassent
00:10:02 et essaient de trouver de l'argent, etc.,
00:10:05 je les regarde avec... - Compassion.
00:10:08 - Avec tristesse. - Compassion.
00:10:10 - Oui, même compassion, c'est-à-dire, et donc,
00:10:13 eux, ils comprennent pas ce que je fais, et moi, je comprends très bien
00:10:16 ce que je fais, mais voilà, moi, je suis en train de bâtir
00:10:20 des choses, j'ai bâti un certain nombre
00:10:25 de cathédrales, je suis finalement un enfant des cathédrales,
00:10:29 je bâti des cathédrales, et puis les cathédrales, ça sert à quoi ?
00:10:32 Ça sert à rien, on a une cathédrale, c'est le jeu.
00:10:35 - Famille très catholique, vous prenez ce que vous voulez
00:10:38 dans le catholicisme, et vous laissez le reste, si j'ai bien compris.
00:10:41 - Bah oui, parce que je crois pas grand-chose, je crois,
00:10:44 enfin, je crois très rapidement, je me dis, bon,
00:10:47 cette espèce de Dieu qui...
00:10:51 - Ah, ça, vous n'êtes pas métaphysicien, physicien, mais pas métaphysicien.
00:10:54 - Non, pas du tout, pas du tout, pas du tout.
00:10:57 - Pas du tout. C'est peut-être ce qui vous manque, l'esprit spéculatif, simplement.
00:11:01 - Je le vois mal, pas terriblement. Et donc,
00:11:05 vous savez, quand ma mère meurt dans mes bras,
00:11:10 à 99 ans, il y a... - Récemment.
00:11:13 - Récemment, les derniers jours,
00:11:17 elle est une catholique fervente, alors elle prie,
00:11:21 elle dit, écoute, j'espère te retrouver,
00:11:24 je sens que je baisse, etc.
00:11:27 Et puis, arrive un ou deux événements
00:11:31 qu'elle entend à la télé,
00:11:34 et puis elle me dit, tu sais,
00:11:37 si Dieu existait, est-ce qu'il permettrait ça, quand même, c'est pas possible.
00:11:41 - C'est le contraire de la métaphysique, ça.
00:11:44 - Voilà. - C'est une fausse croyance.
00:11:47 - On est sur le sol, on est sur le sol, oui.
00:11:50 - Elle prend très mal les choses, madame Votre-Mère.
00:11:54 Feu, madame Votre-Mère. Bon, alors, Loïc Le Floch-Prigent,
00:11:57 ça commence mal, votre vie,
00:12:01 bien que dans un milieu très aimant et assez aisé,
00:12:04 de Bretagne, pas n'importe quelle Bretagne,
00:12:07 je vais parler du Granit, c'est le Trégor,
00:12:10 c'est-à-dire Guingamp en grande partie, un peu la côte Tréburden,
00:12:13 - C'est ce qu'on appelle la Bretagne bretonnante,
00:12:17 c'est-à-dire c'est la partie de la Bretagne
00:12:20 qui parle breton dans mon enfance,
00:12:23 et français, le breton première langue, français deuxième langue.
00:12:26 - Trégor, Tréguet, Guingamp, Paimpol, Lagnon.
00:12:29 - Après Châtellaudras, c'est-à-dire sur la route de Saint-Brieuc,
00:12:32 après Châtellaudras, on est dans ce qu'on appelle le Pays Gallo,
00:12:35 - Oui, c'est une autre chose. - Où on a un langage
00:12:40 qui est alors d'un patois,
00:12:43 qui est peut-être prestigieux, mais c'est un patois.
00:12:46 - Qui n'est pas le breton. - Et donc, c'est pas le breton.
00:12:49 Donc, effectivement, on est au Trégor
00:12:52 avec comme évêché Tréguet,
00:12:55 et de l'autre côté,
00:12:58 les évêchés Saint-Brieuc, et puis soudain, on dit mais
00:13:01 on prend un évêque pour les deux, parce qu'il n'y a qu'un département,
00:13:04 et c'est l'évêque de Saint-Brieuc et Tréguet.
00:13:07 Mais il reste deux évêchés, donc
00:13:10 les évêchés, c'est l'organisation réelle de la Bretagne,
00:13:13 c'est l'évêché du Trégor, de Tréguet,
00:13:16 à côté il y a l'évêché de Saint-Paul-de-Léon,
00:13:19 à côté il y a l'évêché au sud du Finistère,
00:13:22 de Cap-Hertre. Donc ce sont les évêchés
00:13:25 qui forment la Bretagne, et c'est trois éléments
00:13:28 constitutifs de la Bretagne profonde.
00:13:31 - Bon, alors, je disais que ça commençait mal votre vie de ce jour,
00:13:34 vous ne voyez pas à quoi je fais allusion, une petite anecdote qui m'a amusé,
00:13:37 que vous relatez dans le Mouton Noir, vous naissez en 43,
00:13:40 votre père et votre grand-père vont déclarer votre naissance,
00:13:43 et voilà qu'arrive un bombardement allié,
00:13:46 britannique apparemment ? - Allié, oui, bien sûr, les sous-marins,
00:13:49 les sous-marins allemands, oui.
00:13:52 - Le Brest ?
00:13:55 - Ah oui, c'est à Brest.
00:13:58 - Ah, c'est à Brest même ?
00:14:01 - Ah oui, c'est vrai que vous êtes né à Brest.
00:14:04 - Ah, la pyrénée de Brest.
00:14:07 - L'abandonnement de Brest, c'était pas rien.
00:14:10 On comprend mal ce que dit votre grand-père, donc Loïc,
00:14:13 il étiez avec un casque, vous le découvrez plus tard,
00:14:16 - En principe, le cas n'est jamais la dernière lettre en breton.
00:14:19 - Oui, bien sûr, et puis le floc qui était votre nom,
00:14:24 votre nom de famille devient le floc prigent,
00:14:27 parce que votre grand-père tout à coup invoque une paternité prigent.
00:14:30 Et donc votre état civil, vous le découvrez un peu plus tard,
00:14:33 quand vous découvrez que vous vous appelez,
00:14:36 - Très tard, après le baccalauréat,
00:14:39 c'est-à-dire quand je demande mon extrait de naissance,
00:14:42 pour rentrer dans les écoles d'ingénieurs,
00:14:45 je m'aperçois que je suis un peu plus jeune,
00:14:48 je m'aperçois que Loïc avec un C, le floc, n'existe pas,
00:14:52 par contre il y a un Loïc, le floc prigent,
00:14:54 qui est né la même année que moi, au même endroit,
00:14:57 et qui a l'air de me ressembler.
00:14:59 Et donc, soudain, il faut que je change.
00:15:02 Alors, je change, c'est-à-dire que j'ai passé mon bac comme Loïc,
00:15:05 avec un C, le floc, et je dois aller dans l'école d'ingénieurs,
00:15:08 avec Loïc, le floc prigent, et est-ce que c'est le même ?
00:15:11 Donc je rentre dans l'école d'ingénieurs, sous réserve que c'est bien moi qui suis moi.
00:15:15 - Bon, une anecdote administrative.
00:15:18 Mais alors, dans votre enfance, séjournons un peu dans votre enfance.
00:15:21 - C'est très important, parce que ça me permet d'avoir une idée de ce que c'est la bureaucratie.
00:15:25 - Oui, c'est ça, c'est l'administration.
00:15:27 - Et je suis, comme vous allez le voir, tout au long de ma vie, anti-bureaucratique.
00:15:31 - C'est moi qui en pitié.
00:15:33 - Et à l'intérieur des sociétés que j'ai dirigées, anti-ce que j'appelle siège,
00:15:37 l'effet siège, c'est-à-dire l'effet des gens qui se sentent importants dans les bureaux des rois,
00:15:42 et puis pour moi, la réalité de l'entreprise, c'est le sol, c'est le terrain,
00:15:46 c'est là, comme dans l'agriculture, c'est pas celui qui contrôle,
00:15:51 c'est pas le gendarme de l'environnement qui est important, c'est l'agriculteur.
00:15:55 - Oui, enfin, les paysans sont obligés d'être des bureaucrates, maintenant, vous le savez, c'est un problème.
00:15:59 Un des problèmes. Alors, dites-moi, votre enfance est marquée par trois personnages
00:16:04 que vous décrivez à merveille, parce que vous avez bonne plume,
00:16:07 j'ai oublié de dire que vous avez écrit une quinzaine de livres, en plus.
00:16:10 J'ai l'impression que vous écrivez vite et très bien.
00:16:13 Vos mémoires sont parfaitement passionnantes, alottantes, alottantes,
00:16:18 et je conseille à ceux qui nous regardent de lire vos mémoires, "Le mouton noir",
00:16:23 chez Pygmalion, c'est un livre absolument passionnant.
00:16:28 Votre grand-mère joue un grand rôle, elle s'appelle Henriette, je me souviens plus, non ?
00:16:34 Henriette, c'est ça ?
00:16:36 - Une femme incroyable qui perd son mari tôt.
00:16:40 - Antoinette.
00:16:41 - Antoinette, pardon, j'ai oublié le prénom.
00:16:43 - Avec comme mari, Henri.
00:16:45 - Henri. Henri meurt tôt.
00:16:47 - Henri meurt tôt, c'est-à-dire juste après la guerre et après ma naissance,
00:16:53 j'ai une image de mon grand-père en train de m'engueuler parce que je fais le con.
00:17:03 J'avais une image où on sent qu'en 1946 il va mal et puis il meurt à ce moment-là.
00:17:13 - D'origine paysanne, mais il a une intuition...
00:17:15 - D'origine commerçante.
00:17:17 - Il a une intuition en tous les cas, il achète sur la place de Guingamp,
00:17:21 qui est le siège de la famille, on fait le siège, un grand immeuble...
00:17:27 - Un grand terroir, une grande bâtisse avec derrière...
00:17:30 - Un grand magasin, on vend des vêtements.
00:17:33 - Voilà.
00:17:34 - Et qui fait marcher la famille avec votre grand-mère à la tête de six enfants, je crois.
00:17:40 - Alors elle a...
00:17:42 - Parce qu'elle les a pas tous gardés.
00:17:43 - Elle a fait neuf enfants et elle en perd un juste après la guerre aussi,
00:17:48 c'est-à-dire son mari meurt et juste après que l'un de ses enfants meurt,
00:17:55 l'armistice est signé, la fin de la guerre, mon oncle est en Allemagne
00:18:08 et il doit rentrer dans les jours qui suivent,
00:18:12 j'attends une semaine avant d'être démobilisé, s'il était soldat,
00:18:16 et il est dans un des faubourgs d'une des villes allemandes,
00:18:25 et il saute sur une bombe qui était là.
00:18:29 - Au moment de rentrer.
00:18:30 - Alors qu'il y a eu huit enfants et elle se retrouve avec une ribambelle d'enfants,
00:18:42 un magasin où elle n'a jamais été, puisqu'elle avait eu neuf enfants,
00:18:46 donc huit qu'elle a élevés, et toute la famille lui dit
00:18:50 "ben voilà, maintenant il faut vendre le magasin".
00:18:51 - Pas du tout.
00:18:52 - Pas du tout, c'est moi qui tiens le magasin,
00:18:55 elle n'a jamais tenu un magasin de sa vie.
00:18:57 - Et jusqu'à sa mort, elle tiendra la caisse dites-vous.
00:18:59 - Et jusqu'à sa mort, elle tiendra la caisse, elle sera à la caisse,
00:19:02 et les derniers jours, elle est continue à la caisse.
00:19:05 Alors on la surveille un peu, parce qu'elle peut faire des bêtises,
00:19:09 donc il y a toujours quelqu'un qui est là.
00:19:10 - Elle est autoritaire, on ne doit pas facilement la reprendre.
00:19:13 - Elle est particulièrement autoritaire.
00:19:17 - Ah oui, c'est ça.
00:19:18 - C'est-à-dire que tous les gens, c'est quand même le personnage fondamental,
00:19:25 clé, qu'elle ordonne.
00:19:28 - Elle a la clé des maisons qu'elle fait construire pour ses enfants,
00:19:32 mais elle est chez elle partout,
00:19:34 le belle-fille m'enverrait un peu, mais elle ne m'ouvre pas devant elle.
00:19:38 - Elle n'aime pas les belles-filles, qui ont pris les larves.
00:19:43 Et il faut bien dire aussi qu'elle n'aime pas trop ses filles,
00:19:49 ces filles sont des esclaves.
00:19:52 - Elle a un chouchou, c'est vous.
00:19:53 - Elles sont des esclaves.
00:19:54 - Elle a un chouchou, c'est vous.
00:19:56 - Voilà.
00:19:58 - À 90 ans, elle réunit la famille, vous êtes à sa droite ou à sa gauche,
00:20:02 vous êtes le chouchou, il doit y avoir une ribambelle de gens autour de la table.
00:20:05 - Je suis l'aîné.
00:20:06 - Oui, mais un peu plus que ça.
00:20:09 - Non, il y a une...
00:20:12 - Et vous êtes capable de vous moquer d'elle, ce qui est rare d'ailleurs, elle accepte.
00:20:15 - Je suis le seul à me foutre de sa gueule, c'est clair.
00:20:19 Et ça commence très tôt, parce que j'ai une passion du jeu très tôt.
00:20:28 Et j'ai un petit oncle qui a deux ans de plus que moi.
00:20:31 Alors, déjà, il faut que je...
00:20:34 - Qui est presque votre frère.
00:20:36 - J'ai presque la même chose que lui.
00:20:38 Donc je lis très tôt.
00:20:39 Je lis à...
00:20:41 Il va en cours réparatoire et il commence à lire, et par conséquent, j'apprends à lire avec lui.
00:20:49 Et donc, je prends le journal tous les matins et je lis le journal.
00:20:53 - C'est comme ça que vous lisez.
00:20:54 - Le journal arrive.
00:20:55 Et donc, ma grand-mère considère qu'il faut que je fasse un certain nombre de choses.
00:21:05 Et que lui, mon petit oncle, doit faire d'autres choses pour ne pas qu'il y ait de réalités.
00:21:11 Alors, mon petit oncle part dans la musique.
00:21:14 Donc, on me dit que je ne suis pas doué pour la musique, qui est pas conséquent.
00:21:17 Je fais autre chose.
00:21:18 Et là, par contre, je suis doué pour les jeux.
00:21:20 Alors, on joue.
00:21:21 Et alors, elle joue avec moi.
00:21:22 - Vous êtes doué pour les jeux.
00:21:23 Et alors là, vous gagnez de l'argent.
00:21:25 Vous jouez beaucoup.
00:21:26 - Après, après.
00:21:27 - Avec le bridge.
00:21:28 Je ne savais pas qu'on pouvait gagner de l'argent avec le bridge.
00:21:29 - Bien sûr que oui.
00:21:30 Je gagnais de l'argent.
00:21:31 - Quand vous avez besoin d'argent, vous faites du bridge, vous gagnez.
00:21:34 - Oui, c'est ça.
00:21:35 - Signes quand même.
00:21:36 - Je me fais payer comme partenaire.
00:21:38 C'est pas très glorieux.
00:21:39 - Des neurones bien accrochés.
00:21:41 Pour gagner au bridge, il faut s'accrocher.
00:21:43 Ça fonctionne.
00:21:44 - Et donc, je joue avec elle au BASIC.
00:21:46 Le BASIC, c'était un jeu complètement idiot de cartes.
00:21:49 Et elle est furieuse parce que très rapidement, je gagne.
00:21:53 Alors, pour gagner, j'ai envie de gagner, elle triche.
00:21:56 Et alors, je regarde et je dis, vous avez triché.
00:22:04 - Ah, vous la, vous voyez ?
00:22:05 - Absolument.
00:22:06 Oui, elle vous voit, ses enfants, on vous voit.
00:22:08 Non, c'est la bourgeoisie...
00:22:11 - De province.
00:22:12 - Vous voyante.
00:22:13 - Mais vous voyante.
00:22:14 Alors, tout le monde se vous voit dans la famille.
00:22:16 En tous les cas, on tutoie les enfants, mais les enfants vous voient, les adultes.
00:22:20 C'est très vieille France catholique.
00:22:23 - C'est ça.
00:22:24 - Et votre grand-mère tire son énergie.
00:22:26 Parce que le maître mot de cette femme, c'est l'énergie.
00:22:29 Elle est incroyablement énergique.
00:22:30 D'ailleurs, toute la famille est énergique.
00:22:32 Je sais pas si c'est le granit qui donne de l'énergie.
00:22:34 Comme à New York, vous savez, le granit entretient l'énergie.
00:22:37 Elle va à la messe tous les matins, avant d'ouvrir la boutique.
00:22:42 Formidable.
00:22:43 Et votre mère, la digne fille de sa mère, elle aussi très énergique.
00:22:49 Un petit côté boy scout.
00:22:51 D'ailleurs, elle aime le camping.
00:22:55 Elle adore parcourir la France avec un camping-car, des tentes.
00:23:01 Elle aime un peu tout.
00:23:02 Elle aime la musique, elle aime la peinture.
00:23:04 Elle travaille au magasin.
00:23:06 - Et elle aime le jardinage.
00:23:08 - Et elle jardine.
00:23:09 - Et la littérature.
00:23:11 - Elle est littératrice.
00:23:13 L'essentiel, c'est quand même le jardin, c'est les roses, c'est les fleurs.
00:23:17 Et c'est depuis l'origine, c'est l'idée que...
00:23:23 Et c'est là où on retrouve Dieu.
00:23:26 Dieu a quand même fait des roses, des iris, parce qu'elle adore les iris,
00:23:31 qui sont absolument magnifiques.
00:23:33 Il fallait vraiment qu'il ait une imagination extraordinaire
00:23:37 pour arriver à faire des choses aussi belles que l'homme n'arrive pas à faire.
00:23:40 C'est-à-dire que pour elle, la nature fait des choses que l'homme n'arrive pas à faire.
00:23:48 Et alors, ça, c'est marrant, parce que quand on va jusqu'à la fin de mon histoire,
00:23:54 excusez-moi, quand je parle de l'énergie et qu'on me dit, voilà, le soleil va faire ci, le...
00:24:02 Est-ce que vous vous rendez compte que l'herbe, la mauvaise herbe, n'importe quelle herbe,
00:24:09 a une facilité de captation du soleil que nous n'avons pas à faire, nous.
00:24:19 L'herbe est plus intelligente que nous. Est-ce que vous vous rendez compte de ça ?
00:24:23 Et ça, ça vient vraiment de ma mère qui n'arrête pas de me répéter ça.
00:24:30 C'est-à-dire que, oui, mais tu vois quand même, il y a quelque chose de fabuleux.
00:24:36 C'est que, comment peux-tu imaginer, comment peux-tu imaginer...
00:24:40 Regarde cette iris, regarde cette orchide, regarde...
00:24:44 Tu te rends compte un peu ce que...
00:24:47 La carité de l'énergie, une énergie fantastique...
00:24:50 - Encore le mot énergie.
00:24:52 - Nous sommes toujours dans la frégalité, la frégalité.
00:24:59 C'est-à-dire qu'on ne fait pas n'importe quoi.
00:25:02 L'argent, si jamais on en a beaucoup, on le donne aux pauvres.
00:25:06 Et par conséquent, frégalité et par conséquent camping, par conséquent matelas en varek.
00:25:15 - En varek ? C'est dur.
00:25:17 - On allait prendre le varek, on faisait sécher le varek, on faisait des matelas en varek.
00:25:22 J'ai dormi sur un matelas en varek au bord de mer pendant 10-15 ans.
00:25:29 - Oui.
00:25:30 - La frégalité, camping...
00:25:32 - Vous retrouvez la frégalité longtemps plus tard, mais vous êtes entrainé à l'omée.
00:25:37 Vous dormez aussi sur un gaïta pendant 6 mois.
00:25:41 - Mais tout le monde me charrie toujours sur...
00:25:44 "Tu peux dormir n'importe où."
00:25:46 "Oui, je peux dormir n'importe où."
00:25:48 "Ce devait être difficile."
00:25:50 C'est le problème.
00:25:52 Le problème n'a jamais été pour moi les conditions de vie, les conditions matérielles de vie.
00:25:57 Le problème a été, à un certain moment de ma vie, l'absence de liberté.
00:26:02 La liberté, c'est quelque chose de fondamental.
00:26:04 - Vous avez fait 5 fois de la prison, je crois.
00:26:07 En total, près de 3 ans.
00:26:09 - Cette liberté, c'est ma grand-mère et ma mère.
00:26:15 Ma mère est une femme d'une liberté totale.
00:26:18 Elle fait ce qu'elle veut, là où elle veut, quand elle veut.
00:26:21 C'est fantastique.
00:26:23 - J'ai envie de vous dire quelque chose.
00:26:25 Faites penser à la phrase de saint Augustin, qui est une clé pour le catholicisme.
00:26:29 "Aime et fais ce que tu veux."
00:26:31 Votre mère est tout à fait là-dedans.
00:26:33 Et sa foi, c'est la meilleure voie de la foi.
00:26:37 C'est la contemplation, c'est l'admiration.
00:26:39 C'est l'admiration devant la création, en réalité.
00:26:43 Et si vous n'êtes pas catholique, n'allez pas chercher des constructions métaphysiques.
00:26:47 Admirez le monde, admirez les fleurs, admirez la nature.
00:26:50 C'est une louange, c'est une laude aux créateurs.
00:26:54 C'est déjà une voie de catholicité très sûre.
00:26:57 - Le catholicisme dans lequel j'ai été élevé est le catholicisme de saint Augustin.
00:27:01 - C'est ça. On voit bien.
00:27:03 - Ce n'est pas le catholicisme de saint Paul.
00:27:05 - Non.
00:27:06 - C'est saint Augustin.
00:27:08 - Ce n'est pas normatif.
00:27:09 - D'ailleurs, c'est celui qui ressort au bout d'un certain temps.
00:27:13 C'est marrant parce que des gens comme Michel Onfray aujourd'hui ont redécouvert saint Augustin.
00:27:20 - Par la contemplation.
00:27:22 - C'est marrant.
00:27:23 - Par la nature et la contemplation.
00:27:25 - Après avoir écrit des livres sur l'athéisme, ce que je ne ferai pas parce que je ne sais rien.
00:27:29 Ce n'est pas le sujet pour moi.
00:27:32 - Vous avez 80 ans, vous n'avez pas abandonné votre chemin spirituel.
00:27:37 - Sûrement pas. Il n'y a pas de raison.
00:27:40 Mais disons que ce n'est pas une préoccupation centrale pour moi.
00:27:50 - Ça ne deviendra.
00:27:52 - Peut-être. Vous n'avez pas le temps.
00:27:54 - Vous n'avez le temps.
00:27:55 Alors, il y a un troisième personnage qui est votre père.
00:27:57 Moi, j'aimerais rester en Bretagne longtemps, mais il y a tellement de choses dans votre vie qu'il faut avancer.
00:28:02 Mais parlons de votre père.
00:28:03 Lui, plus secret, un trésor de bonté, d'imagination, médecin, très dévoué à ses malades.
00:28:12 Une anecdote poignante.
00:28:14 - Jusqu'à la mort.
00:28:15 - Oui. D'ailleurs, il est mort à partir du moment où vous ne pouvez plus tellement s'occuper de ses malades.
00:28:20 C'était sa vie.
00:28:21 - Il s'est occupé de lui et à ce moment-là, il s'est senti malade.
00:28:24 Beaucoup plus qu'il ne l'était.
00:28:27 - Un être très bon.
00:28:30 - Absolument fabuleux.
00:28:32 - Imaginatif, grand lecteur, mélomane.
00:28:38 - Amoureux des chapelles romanes jusqu'au point d'avoir passé les dernières années de sa vie, lorsqu'il n'est plus médecin,
00:28:46 à refaire une petite chapelle à côté de Guingamp, ou dans Guingamp, à côté, je ne sais plus où, il y a des rumeurs.
00:28:57 Il avait l'air d'Océma. Il faisait le ciment.
00:29:03 Cette chapelle de Saint-Léonard était pour lui quelque chose qui ne pouvait pas tomber.
00:29:10 Donc, il a mis une partie de l'argent qu'il avait gagné dans la chapelle.
00:29:15 Et il avait la truelle.
00:29:18 - Quelle énergie.
00:29:19 - Et alors, il était manuel.
00:29:22 Il avait des doigts de fille. Il était capable de tout faire avec ses mains, ce que son fils était incapable de faire.
00:29:31 Donc, à chaque fois que je voulais faire quelque chose, il me disait "toi tu vas te blesser".
00:29:36 Il enlevait le marteau, la lime, etc.
00:29:39 Après, les gens de mon entourage considéraient qu'effectivement, j'étais pas très manuel.
00:29:46 J'ai dit "mais j'ai pas pu, on m'enlevait les enseignements déjà".
00:29:51 - Il y a un fil rouge dans votre vie, c'est le mot énergie.
00:29:54 Parce que votre père avait autant d'énergie que votre mère et votre grand-mère.
00:29:57 Ça sent l'énergie tout ça.
00:29:59 Et pas étonnant que vous vous occupiez en ce moment.
00:30:01 - Oui, parce que c'est la chose qui me tient.
00:30:03 - C'est la vie. Il y a une vitalité extraordinaire chez vous.
00:30:06 - Et faire des choses.
00:30:07 C'est-à-dire ne pas rester comme...
00:30:09 - Contemplatif.
00:30:11 - A rien faire, tout en ayant des moments de contemplation
00:30:16 sur quelque chose d'absolument éblouissant.
00:30:19 - Vous vous rendez compte la chance que vous avez eue avec une famille pareille ?
00:30:23 - C'est extraordinaire.
00:30:24 - Et l'amour que vous avez reçu.
00:30:25 - Oui.
00:30:26 - Et que donc vous pouvez donner.
00:30:27 - Absolument. J'espère.
00:30:30 - Et, à l'étonnement général, parce que ça se fait pas trop dans la famille Le Floch,
00:30:35 vous voulez être ingénieur.
00:30:37 Et vous réussissez à...
00:30:40 Alors allons vite, c'est dommage, parce qu'il y a beaucoup de choses à dire.
00:30:43 Vous partez à Paris, avec un pincement au cœur, dans votre famille surtout.
00:30:47 Des cousins, parce que vous avez des cousins partout, évidemment.
00:30:51 Des cousins sont près de Versailles.
00:30:53 - Oui, tu as 9 enfants, pas famille.
00:30:55 C'est curieux.
00:30:57 - On découvrira plus tard que vous êtes lointainement parents d'Eva Jolie.
00:31:01 Je dis qu'on vous croiserait la route.
00:31:03 - Du mari.
00:31:05 - Oui, c'est plus vraisemblable, puisqu'elle est norvégienne.
00:31:09 Bref, vous êtes au lycée Hoch à Versailles.
00:31:15 Ce ne sont pas des belles années pour vous.
00:31:17 Vous avez 16, 17, 18 ans.
00:31:19 - C'est l'enfer.
00:31:20 - Ah bon ?
00:31:21 - C'est l'enfer.
00:31:22 - Mais vous travaillez beaucoup quand même.
00:31:24 Au point de demander l'aide pensionnaire.
00:31:26 - Absolument.
00:31:27 - Pour travailler tout le temps.
00:31:28 - Parce que ne pas être pensionnaire était insupportable.
00:31:31 Donc au bout de 3 mois, je me suis dit,
00:31:33 s'il faut que je travaille, il faut que je travaille.
00:31:35 - Plutôt que d'aller chez vos cousins de Viroflé.
00:31:37 - Voilà, exactement.
00:31:38 - Pourquoi travailler ?
00:31:39 Parce que vous avez un amour de la connaissance inépuisable.
00:31:42 - Parce qu'il faut travailler.
00:31:44 Je considère être très doué en mathématiques.
00:31:52 Je considère être assez médiocre en sciences physiques.
00:31:58 - En théologie, c'est améliorable.
00:32:01 - Je peux dire que si jamais je ne travaille pas plus,
00:32:06 je ne réussirai pas.
00:32:08 Il y a des gens autour de moi qui sont brillantissimes,
00:32:13 qui réussissent tout.
00:32:16 Moi, c'est laborieux.
00:32:18 La mathématiques, c'est rapide.
00:32:20 Et la science physique, c'est laborieux.
00:32:22 Donc si je ne travaille pas, je ne vais pas m'en sortir.
00:32:24 Et effectivement, je mets 3 ans à réussir les concours d'ingénieurs.
00:32:30 - Vous n'arrivez pas aux grandes écoles.
00:32:34 - Je n'arrive pas aux très grandes écoles.
00:32:36 - Vous auriez aimé les mines polytechniques.
00:32:41 - Oui, mais je n'avais pas envie d'aller aux polytechniques
00:32:44 parce que je n'avais pas envie d'aller à une école militaire.
00:32:46 - Pas d'armée.
00:32:47 - Je n'avais pas envie.
00:32:48 Et puisqu'on avait voulu que je fasse naval,
00:32:51 donc j'avais dit non.
00:32:52 - Comme une partie de la famille.
00:32:54 - Comme une partie de la famille, donc j'avais dit non.
00:32:56 Donc je n'avais pas envie de faire polytechnique.
00:32:58 Ils m'ont dit, il faut rentrer dans le naval.
00:33:02 Et donc j'ai loupé Central,
00:33:08 et par conséquent je suis parti à Grenoble.
00:33:10 - Qui est une bonne école, une très bonne école d'ingénieurs.
00:33:14 - Et alors là, les souvenirs sont excellents.
00:33:16 - Et alors là par contre, Grenoble, c'est magnifique.
00:33:20 - Vous jouez.
00:33:22 - Je joue beaucoup au rugby.
00:33:24 - Vous en vivez presque.
00:33:27 - Après quand j'ai envie.
00:33:29 - Quand j'ai envie de faire du brige,
00:33:31 et vous allez tellement vite dans votre petite tête,
00:33:35 que ça marche toujours.
00:33:36 - Je vois les cartes.
00:33:37 - Comment ça vous voyez les cartes ?
00:33:38 - Je vois les cartes.
00:33:39 Les cartes s'impriment dans mon cerveau.
00:33:41 Les cartes qu'on joue, les cartes qu'on est dans,
00:33:43 elles s'impriment.
00:33:44 - C'est un don extraordinaire ça.
00:33:46 - Oui.
00:33:47 - Bah oui.
00:33:48 - Et alors tous mes partenaires ont été de grands joueurs,
00:33:51 la plupart, et certains champions du monde.
00:33:54 - Vous n'en avez pas battu quand même, non ?
00:33:56 - Vous n'en avez pas battu quand même,
00:33:58 des futurs champions du monde.
00:33:59 Vous êtes arrivé à les battre quelques fois ?
00:34:02 - Oui, je joue avec eux.
00:34:05 - Bien.
00:34:06 - Non mais c'est un don, j'y suis pour rien.
00:34:11 - Ah oui.
00:34:12 - C'est pour rien que ça s'imprimait.
00:34:14 - Vous avez des dons.
00:34:15 - Et alors je passais quand même,
00:34:17 je faisais quand même 45 heures de brige intensive par semaine.
00:34:20 C'était des semaines bien chargées quand même.
00:34:24 Pour les études...
00:34:26 - Ça entretient le cerveau.
00:34:28 Alors quand même vous faites des études,
00:34:30 vous commencez à vous passionner pour des sujets
00:34:33 qui ne sont même pas au programme.
00:34:36 Vous furetez comme ça dans des domaines que je n'ai pas retenus
00:34:40 parce que pour moi c'est de l'archi-chinois.
00:34:42 Et au lieu de commencer tout de suite,
00:34:46 une fois diplômé, à travailler quelque part,
00:34:50 vous partez aux États-Unis.
00:34:52 - Oui.
00:34:53 - Parce que vous voulez être journaliste professionnel.
00:34:56 - Journaliste scientifique.
00:34:58 C'est-à-dire que je considère à l'époque,
00:35:00 je considère toujours après toutes ces années,
00:35:04 je considère que j'avais raison,
00:35:06 que si jamais on n'arrive pas à faire comprendre
00:35:11 la science et la technique au plus grand nombre,
00:35:14 on va avoir des problèmes de société.
00:35:18 - On les a.
00:35:19 - On nous y sommes.
00:35:20 - On les a.
00:35:21 - Donc il faut arriver à vulgariser.
00:35:23 Et vulgariser c'est compliqué
00:35:25 parce qu'il faut à la fois ne pas tromper
00:35:30 et rester dans la vérité.
00:35:32 C'est très compliqué parce que la vérité
00:35:34 devient de plus en plus complexe.
00:35:36 - Oui.
00:35:37 - Et la science devient de plus en plus complexe.
00:35:40 - Mais c'est un sacerdoce.
00:35:42 - C'est un sacerdoce.
00:35:43 A l'époque, c'est ça que j'ai envie de faire,
00:35:46 de dire attention.
00:35:47 - Alors, est-ce que quand je pars là-bas,
00:35:49 je m'en apprends, vous dégotez une université
00:35:52 dans le Missouri,
00:35:53 c'est-à-dire en plein centre des États-Unis.
00:35:55 - Il y a une école de journalisme scientifique,
00:35:57 aux États-Unis, il n'y en a qu'une,
00:35:59 qui est dans le Missouri à Columbia.
00:36:01 - Et vous voilà parti à Columbia.
00:36:02 - Oui, je suis parti à Columbia
00:36:03 avec mon sac à dos, si je puis dire, quasiment.
00:36:06 - C'est votre côté aventurier,
00:36:08 tout le monde ne fait pas ça.
00:36:09 - Et donc...
00:36:10 - Et là, vous passez une année,
00:36:11 on a l'impression que cette année est multiple
00:36:13 parce que vous faites tellement de choses,
00:36:15 vous avez une bagnole.
00:36:16 - C'est complètement fou.
00:36:17 C'est une année folle où je...
00:36:19 - Vous avez une voiture.
00:36:20 - Quand je me remémore, je me dis,
00:36:23 mais comment est-ce que j'ai pu faire ça
00:36:25 en plus d'un an, un an et demi ?
00:36:28 Comment j'ai pu faire...
00:36:29 - On a l'impression que c'est 10 ans, quoi.
00:36:31 - Incroyable, parce que j'ai été,
00:36:33 j'ai été par hasard
00:36:37 passer 15 jours à Nouvelle-Orléans.
00:36:39 Je me suis retrouvé avec un orchestre de jazz,
00:36:44 de jeunes Anglais qui connaissaient
00:36:47 les vedettes du jazz Nouvelle-Orléans
00:36:51 et qui m'ont amené dans un truc
00:36:53 qui s'appelait Preservation Hall,
00:36:55 où les gens qui jouaient étaient des gens
00:36:58 qui étaient mes idoles de jazz,
00:37:00 en particulier le clarinettiste Bernie Bigard,
00:37:03 et qui m'ont pris avec eux,
00:37:07 parce que j'ai...
00:37:08 - Vous avez joué aussi un peu ?
00:37:10 - Non, non, non, on peut pas dire ça.
00:37:12 - Vous dites que vous tutoyez un peu.
00:37:14 - C'était mon petit-oncle qui était musicien,
00:37:17 c'était pas moi.
00:37:18 Moi, j'étais mauvais, j'étais mauvais.
00:37:20 - Vous, c'est plutôt la musique classique,
00:37:21 d'ailleurs, vous parlez de musique.
00:37:22 On découvre que vous aimez les opéras,
00:37:24 que vous êtes mélomane à fond, là, pour le coup.
00:37:26 - Ah oui, oui.
00:37:27 Ma mère était soprano léger
00:37:30 et chantait en chorale jusqu'à 95 ans.
00:37:33 - C'est incroyable, c'est incroyable.
00:37:36 C'est incroyable.
00:37:37 - À un moment, la voix baissait,
00:37:39 elle arrivait à chanter quand elle était en roue.
00:37:42 C'était du personnage, c'était...
00:37:44 - Mais alors, vous avez une vieille bagnole
00:37:45 et vous parcourez les États-Unis.
00:37:47 - Oui, et alors je pars...
00:37:48 - Vous allez en Californie,
00:37:49 vous allez à l'Orient, vous allez un peu partout.
00:37:51 - Jacob Bronowski,
00:37:52 qui est l'ancien directeur des Charbonnages,
00:37:54 a été recueilli,
00:37:56 donc, juif polonais,
00:37:58 parti en Angleterre,
00:38:00 a été recueilli par Jonas Salk,
00:38:02 qui est à l'époque
00:38:05 l'inventeur du vaccin contre la poliobélite,
00:38:08 mais qui est devenu milliardaire,
00:38:09 et qui a fait un centre de recherche
00:38:11 à San Diego, en Californie.
00:38:13 Et j'encontre Jacob Bronowski dans le Missouri,
00:38:15 et qui me dit,
00:38:16 "Bon, si tu n'as rien à faire,
00:38:19 puisque tu as un mois entre les deux cours,
00:38:22 tu peux venir en Californie."
00:38:24 Moi, je dis, "Pourquoi pas ?"
00:38:25 Il me donne un billet d'avion,
00:38:27 je dis, "Je n'ai pas besoin d'un billet d'avion,
00:38:29 j'ai l'argent de la voiture."
00:38:30 - Vous avez la voiture.
00:38:32 - Complètement idiot,
00:38:33 je dis, "Bon, alors, il me donne de l'argent,
00:38:35 et je m'en vais en Californie,
00:38:36 donc je vais du Missouri en Californie en voiture."
00:38:40 Alors, j'en profite pour aller voir les anciens,
00:38:44 puisque je suis un amoureux du western,
00:38:46 donc je vais voir les...
00:38:47 - Ah, les canyons.
00:38:50 - Les Indiens,
00:38:51 donc on peut dire que je suis un peu déçu par les Indiens,
00:38:53 mais bon, je passe,
00:38:54 je traverse le Colorado,
00:38:56 et j'arrive là-bas en Californie, à San Diego,
00:38:58 et là, je reste un mois.
00:39:00 Et je reste un mois,
00:39:01 et je rencontre, alors, vraiment,
00:39:02 le gratin de la biologie mondiale.
00:39:06 C'est-à-dire, j'ai...
00:39:07 Il y a Watson et Kruk qui viennent de faire le livre
00:39:11 qui s'appelle "La double hélice",
00:39:12 qui est la découverte de l'ADN.
00:39:14 J'ai Jacques Mouneau
00:39:16 qui vient de rentrer au Collège de France.
00:39:18 - Qui va jouer un rôle.
00:39:19 - J'ai un type absolument génial,
00:39:21 il s'appelle Dulbecco,
00:39:22 qui n'a pas eu le prix Nobel,
00:39:23 vu qu'il était...
00:39:24 Et donc, je baigne pendant un mois
00:39:28 dans la biologie fondamentale,
00:39:31 n'en croyant pas mes yeux,
00:39:33 travaillant 27 heures par jour,
00:39:35 n'ayant le temps de rien,
00:39:38 avant de rentrer.
00:39:40 - Vous arrivez à peu dormir,
00:39:41 j'ai l'impression, non ?
00:39:42 - Oui, oui.
00:39:43 - Vos jours sont difficiles.
00:39:45 - Ça s'est aggravé avec le temps.
00:39:47 - C'est comme ça que vous continuez
00:39:48 à diriger des sociétés,
00:39:49 et à votre âge,
00:39:50 vous pouvez faire autre chose.
00:39:52 - Oui, bon...
00:39:53 - Vos mémoires, encore...
00:39:54 - On ne va pas s'arrêter.
00:39:55 J'ai déjà écrit mes mémoires, là.
00:39:57 - Ah, tiens, vous avez un très bon réflexe.
00:39:58 Servez-vous de thé,
00:39:59 et donnez-moi un peu,
00:40:01 si je peux vous donner des inventions.
00:40:03 - Je sentais que vous alliez avoir envie de faire...
00:40:06 - Très loin de mon rôle,
00:40:07 mais je vous remercie beaucoup.
00:40:08 C'est peut-être le moment
00:40:09 d'entrer dans le gras, cette fois.
00:40:11 Vous, rentrez en France,
00:40:13 et peut-être sous l'angle de la résistance,
00:40:18 si vous voulez,
00:40:19 à l'hégémonie américaine
00:40:22 sur l'industrie française,
00:40:23 la science et la recherche.
00:40:25 - Je perçois, quand je vais aux États-Unis,
00:40:26 puisqu'on essaie de me faire rester aux États-Unis,
00:40:28 et je perçois la distance.
00:40:30 - Vous avez eu envie ?
00:40:31 - Bien sûr, parce que Jonas Salk et Warnowski
00:40:35 me demandent, après mes études,
00:40:37 de venir au Salk, au l'Institut.
00:40:40 Ils me demandent, en proposant un salaire,
00:40:44 que je n'aurais pas tout au long de ma vie.
00:40:47 Ils me proposent un salaire important.
00:40:49 Je n'ai jamais eu ce salaire-là.
00:40:51 - Mais enfin, vous en foutez,
00:40:53 c'est l'argent qui vient après.
00:40:55 - Encore une fois,
00:40:56 je suis dans la frégalité depuis le départ.
00:40:59 Travailler pour de l'argent
00:41:04 est quelque chose qui n'est pas dans mes gestes.
00:41:08 - Vous êtes comme votre mère,
00:41:09 vous préférez camper.
00:41:11 - Je ne peux pas m'y résoudre.
00:41:14 J'ai toujours quelque chose qui m'intéresse.
00:41:18 Il se trouve qu'il faut gagner de l'argent pour vivre.
00:41:21 Une fois qu'on a fait gagner de l'argent pour vivre,
00:41:23 ça suffit.
00:41:24 Comme je dis souvent,
00:41:26 on n'a qu'une voiture derrière.
00:41:30 C'est tout.
00:41:32 Ce n'est pas la peine d'en avoir 45.
00:41:34 Ça ne sert à rien.
00:41:36 Mais c'est l'éducation.
00:41:38 Je reviens parce que je me dis,
00:41:43 je ne peux pas rester aux Etats-Unis.
00:41:44 Ces gens-là n'arrêtent pas de parler de fric.
00:41:46 Je suis, je vaux tant.
00:41:50 On serre la main.
00:41:52 - Ça vous a choqué.
00:41:53 - On serre la main.
00:41:55 - On dit son salaire.
00:41:56 - Voilà quel est mon salaire.
00:41:58 Je ne peux pas vivre avec ces gens-là.
00:42:02 - On est loin de vos parents du Très Grand.
00:42:05 - On me demande de rester à San Diego.
00:42:08 Plutôt que de me dire,
00:42:09 tu vas faire ci, tu vas faire ça.
00:42:11 On me dit, comment tu vas gagner ?
00:42:14 Oui, mais qu'est-ce que je vais faire ?
00:42:17 C'est hors de ma vue.
00:42:20 Ce n'est pas possible.
00:42:22 - Vous rentrez à Paris
00:42:23 avec tout de suite un côté missionnaire.
00:42:25 Vous avez cité le nom de Jacques Monod
00:42:27 qui joue un rôle
00:42:29 et qui a la bonne idée,
00:42:30 à mon avis c'est providentiel,
00:42:32 de vous faire entrer
00:42:33 dans un des cœurs de l'État
00:42:37 avec lequel j'ai travaillé moi
00:42:40 et dont je connais l'importance,
00:42:41 mal connu de nos contemporains,
00:42:43 la DGRST, Direction Générale de la Recherche
00:42:46 Scientifique et Technique.
00:42:48 Énorme machine.
00:42:50 - Pas grosse,
00:42:52 mais avec des gens très compétents.
00:42:54 - Très très peu de gens.
00:42:55 - Et animée par un esprit national,
00:42:58 on peut dire,
00:42:59 une obsession,
00:43:00 la France perd son industrie.
00:43:02 C'était aussi l'obsession à ce moment-là,
00:43:04 vous y arrivez en 70-71,
00:43:05 du président Pompidou.
00:43:06 Ça consonne avec Pompidou.
00:43:09 - J'arrive au moment de Pompidou,
00:43:11 il y a beaucoup de gens qui disent
00:43:14 je connais De Gaulle,
00:43:15 moi je n'ai pas connu De Gaulle.
00:43:16 Je connais Pompidou,
00:43:17 mais pas De Gaulle.
00:43:18 - Vous l'avez connu personnellement, Pompidou ?
00:43:21 - Bien sûr.
00:43:22 Et donc, grâce à Bernard Heisenberg,
00:43:25 qui était le conseiller...
00:43:28 - Qui était le Loïc Le Floch-Prigent
00:43:30 des années 70.
00:43:32 - Si vous voulez.
00:43:33 - Un grand capitaine d'industrie,
00:43:35 obsédé par l'industrie française.
00:43:39 - Et obsédé par le fait qu'il fallait
00:43:42 que la France reste dans la course.
00:43:44 - Souverain, indépendant, souverain,
00:43:46 mais maître de notre destin.
00:43:48 Et donc ça, c'est quelque chose qui était
00:43:52 dans mon idée de départ en allant aux Etats-Unis
00:43:57 pour faire de l'industrie scientifique.
00:43:59 Et lorsque je suis rentré avec Jacques Monod
00:44:02 et qu'on m'a mis en contact avec des gens
00:44:06 qui vont me faire suivre une direction
00:44:13 qui est totalement celle que j'ai envie de suivre,
00:44:16 c'est-à-dire Pierre Aigrin, Hubert Curien
00:44:19 et Bernard Grégory.
00:44:21 - Des très grands...
00:44:23 - Des personnages absolument exceptionnels.
00:44:27 Et ça va confirmer ce que je peux faire.
00:44:30 Et ils vont me confirmer,
00:44:34 parce que je suis dans le doute,
00:44:36 comme je l'ai dit depuis le départ,
00:44:38 que je peux être utile dans la matière.
00:44:40 - Vous y restez 12 ans.
00:44:41 - 12 ans.
00:44:42 - Vous êtes un informateur.
00:44:43 - Et à chaque fois, on me dit "tu vas partir"
00:44:47 et à chaque fois, on m'attrape.
00:44:50 - Et alors là, vous connaissez les ministres,
00:44:52 vous connaissez le président de la République,
00:44:54 vous connaissez Chaban
00:44:56 et vous fréquentez Pierre Nora, je crois.
00:44:59 - Jacques Delors.
00:45:00 - Delors, que vous rencontrez à l'époque
00:45:02 où il était un des plus proches conseillers
00:45:04 de Chaban, Delmas.
00:45:06 Tout le monde est animé par un grand esprit de...
00:45:10 - L'époque pompidolienne, c'était une époque
00:45:13 pour moi, la plus exceptionnelle de ce pays.
00:45:19 Et c'est d'ailleurs lorsqu'il meurt en 1974,
00:45:24 on a bâti beaucoup de choses.
00:45:26 Et on a bâti ensemble.
00:45:30 Et moi, j'ai été jeune,
00:45:33 et j'étais plutôt scribe que concepteur.
00:45:37 Mais j'ai rencontré à ce moment-là
00:45:40 Guillaumat, André Giraud...
00:45:43 - André Giraud, grand personnage aussi.
00:45:45 Et ça, c'était sous barre.
00:45:46 - Marcel Boiteux.
00:45:48 Et puis, là déjà, la scène a permis
00:45:50 de rencontrer d'autres gens qui vont...
00:45:53 Pierre Dreyfus, donc, qui va être important...
00:45:56 - Votre mentor politique.
00:45:58 - François Michelin, qui va être important
00:46:00 également pour moi, et voilà.
00:46:02 Et des personnages que je rencontre de façon...
00:46:05 C'est-à-dire que...
00:46:08 De façon très facile.
00:46:11 Ce sont des génies...
00:46:13 - Parce qu'il y a des dossiers, tout simplement.
00:46:15 - Ce sont des génies.
00:46:16 Et donc, ils sont là, et ils me disent
00:46:19 "Vous avez fait ça ?"
00:46:21 Je dis "Oui", et puis j'explique ce que je fais,
00:46:24 pourquoi j'ai envie de le faire.
00:46:26 Par exemple, ma rencontre avec Pierre Dreyfus
00:46:32 se fait à travers le directeur des recherches de Renault,
00:46:38 qui s'appelle Georges.
00:46:40 Et je dis à Georges
00:46:42 "Puisque nous semblons avoir eu un problème en 73
00:46:47 avec le pétrole,
00:46:50 et que le pétrole va rester quand même
00:46:52 un élément constitutif de l'énergie,
00:46:55 pourquoi ne pas imaginer un moteur hybride ?
00:47:02 C'est-à-dire un moteur qui charge une batterie,
00:47:05 la batterie elle-même...
00:47:07 Donc on résout pas de pollution...
00:47:09 - C'est vous qui avez inventé la voiture hybride ?
00:47:12 - Je n'ai pas inventé...
00:47:13 - Oui, en fait, il a proposé.
00:47:15 - J'ai dit "J'ai proposé ça à la régie Renault
00:47:18 et à Peugeot dans mes fonctions
00:47:22 de responsable de mécanique,
00:47:25 et par conséquent de l'automobile,
00:47:27 à la tâche de la développement."
00:47:29 Et là, Dreyfus devient fou.
00:47:31 Il dit "Vous vous rendez compte,
00:47:32 vous êtes en train de massacrer l'industrie automobile,
00:47:34 vous voulez qu'on mette...
00:47:38 Un investissement dans l'industrie automobile,
00:47:40 c'est 7 ans,
00:47:42 donc on imagine un véhicule,
00:47:44 7 ans après il sort,
00:47:46 on a fait des investissements considérables
00:47:48 pour arriver à rentabiliser,
00:47:50 il faut encore une dizaine d'années,
00:47:52 vous n'allez pas foutre en l'air de votre automobile
00:47:54 avec votre idée de moteur hybride."
00:47:56 Je dis...
00:47:58 Ils téléphonent partout,
00:47:59 ils disent "Ce type est un fou, etc."
00:48:01 Alors, genre, je me fais rencontrer Dreyfus,
00:48:03 c'est comme ça que je rencontre Dreyfus.
00:48:05 Moi je regarde simplement
00:48:08 le fait que...
00:48:11 André Girault,
00:48:14 qui me dit...
00:48:16 - Qui sera ministre de barre ensuite.
00:48:18 - Qui est ministre,
00:48:20 mais avant qu'il soit ministre,
00:48:22 dit "Il faudrait essayer de trouver des solutions
00:48:24 pour dépenser moins d'essence."
00:48:30 Une solution c'est d'être sur ce système double.
00:48:34 Et...
00:48:36 "Vous vous rendez compte de ce que vous faites ?"
00:48:38 Je dis "On parle de quoi ?"
00:48:40 - Il y a tout de même...
00:48:42 - Il y a un fond de...
00:48:44 "Voilà ce que dit la science."
00:48:46 Au début, j'ai dit
00:48:48 "Il faut qu'on soit toujours
00:48:50 proche de la science et des réalités."
00:48:52 Et là, je suis près des réalités.
00:48:54 Je dis "Ce n'est pas ce que vous voulez."
00:48:56 Si vous voulez continuer à faire des voitures
00:48:58 qui font 10, 12 litres au 100,
00:49:00 vous pouvez continuer.
00:49:02 On essaye, avec le programme Girault,
00:49:05 qui est devenu ministre à l'époque,
00:49:07 de faire 1 litre au 100.
00:49:09 Le programme 1 litre au 100.
00:49:11 C'est une manière de faire.
00:49:13 On peut aussi rester sur quelques litres au 100,
00:49:15 mais avec un moteur hybride.
00:49:17 On charge une batterie.
00:49:19 Je suis toujours dans cette relation
00:49:21 avec les gens.
00:49:23 De la même façon que Michelin vient me voir
00:49:25 en me disant "Il paraît que vous pensez
00:49:27 que si on met de la silice,
00:49:29 c'est-à-dire du sable,
00:49:31 dans les pneus,
00:49:33 on va diminuer l'ésure."
00:49:35 Je dis "Oui, c'est évident."
00:49:37 "Et alors c'est compatible ?"
00:49:39 "Il y a des travaux de recherche."
00:49:41 Il est dans mon bureau, en tête à tête.
00:49:43 "Vous rendre à tout le monde
00:49:45 par ce que vous avez dit."
00:49:47 "A priori, oui."
00:49:49 "Allez voir les chercheurs."
00:49:51 "Vous allez voir si je dis la vérité."
00:49:53 "Vous êtes quand même gonflé."
00:49:55 "Je ne suis pas gonflé."
00:49:57 "Il y a une certaine logique."
00:49:59 "Et les chercheurs confirment votre intuition ?"
00:50:01 "Les chercheurs l'avaient travaillé."
00:50:03 "Il y avait une publication que j'avais vulgarisée."
00:50:05 "François Michelin me dit
00:50:07 "Vous avez dit ça,
00:50:09 est-ce que vous vous rendez compte de ce que vous dites ?"
00:50:11 "Je ne sais pas."
00:50:13 "Vous voyez, les rencontres se font comme ça."
00:50:15 "Et c'est absolument génial."
00:50:17 "Oui, ce n'est pas de la mondanité."
00:50:19 "C'est du travail en commun."
00:50:21 "Parce que vous avez des dossiers communs."
00:50:23 "Je ne suis jamais de la mondanité."
00:50:25 "Non, pas du tout."
00:50:27 "Je prends rarement du thé."
00:50:29 "Enlevant le petit doigt."
00:50:31 "Aussi exceptionnel."
00:50:33 "Mais ça m'intéresse pas."
00:50:39 "Mais les réalités sont là."
00:50:41 "Dans cette direction générale des relations scientifiques et techniques,
00:50:43 "je vous redis le nom parce qu'elle joue un rôle au service de la nation."
00:50:45 "Elle a déjà resté."
00:50:47 "C'est formidable."
00:50:49 "Il y a le moteur militaire aussi."
00:50:51 "Vous n'en parlez pas."
00:50:53 "Non."
00:50:55 "De Gaulle mise beaucoup sur
00:50:57 l'indépendance de l'armement."
00:50:59 "Mais il sait aussi
00:51:01 "que ça a un effet d'entraînement
00:51:03 "sur l'ensemble de l'énergie."
00:51:05 "Absolument."
00:51:07 "Nous avons des relations avec l'autre direction
00:51:09 "qui est la DRME."
00:51:11 "Qui est un célébilitaire
00:51:13 "qui a son...
00:51:15 "Direction de recherche."
00:51:17 "Les inspecteurs généraux de l'armement."
00:51:19 "Et on est en conversation
00:51:21 "avec eux. Moi, je suis le civil."
00:51:23 "Vraiment, je suis le civil."
00:51:25 "Nous avons un grand article
00:51:27 "là-dessus dans le Nouveau Conservateur."
00:51:29 "Pardon, mais je poursuis nos conversations habituellement
00:51:31 "dans la bonne publicité."
00:51:33 "Jacques Perget, vous avez connu peut-être
00:51:35 "un inspecteur général de l'armement
00:51:37 "qui est écrit dans le Nouveau Conservateur
00:51:39 "et qui était moi."
00:51:41 "Un garçon absolument exceptionnel."
00:51:43 "Un dévouement à la France."
00:51:45 "A la France, extraordinaire."
00:51:47 "Et c'était ça."
00:51:49 "L'ADGRSC, c'était ça."
00:51:51 "Il y avait un dévouement à la France."
00:51:53 "La France était au-dessus
00:51:55 "de nos personnes, de ce qu'on faisait."
00:51:57 "C'est ça."
00:51:59 "Vous l'avez gardé tout le temps, ça."
00:52:01 "Et pourquoi est-ce qu'à certains moments
00:52:03 "je rencontre Raymond Barre ?"
00:52:05 "Alors, Raymond Barre était
00:52:07 "le président
00:52:09 "d'un des comités
00:52:11 "de l'ADGRSC,
00:52:13 "des Socioséconomiques et des Développements."
00:52:15 "Et, pour conséquence,
00:52:17 "j'avais rencontré Raymond Barre
00:52:19 "à cette occasion."
00:52:21 "Et Raymond Barre,
00:52:23 "Premier ministre,
00:52:25 "tombe sur quelques dossiers
00:52:27 "où j'ai un certain nombre de connaissances."
00:52:29 "Il y a, à son cabinet,
00:52:31 "à l'époque,
00:52:33 "Jean-Claude Cazanovas,
00:52:35 "avec lequel je n'ai pas tellement de relations."
00:52:37 "Mais surtout,
00:52:39 "Albert Costat-Bourgard,
00:52:41 "qui est au Conseil des Techniques
00:52:43 "au cabinet État."
00:52:45 "Albert Costat-Bourgard dit à Raymond Barre..."
00:52:47 "À Matignon."
00:52:49 "À Robert Costat-Bourgard, il dit,
00:52:51 "il y a quand même un type qui est là,
00:52:53 "qui dit un certain nombre de choses."
00:52:55 "Et donc, je parle de ces synergies,
00:52:57 "et je dis, il est inéluctable,
00:52:59 "que nous allons,
00:53:01 "d'une certaine façon,
00:53:03 "nationaliser la chirurgie."
00:53:05 "Vous n'y pensez pas."
00:53:07 "Il n'y a pas d'autre solution."
00:53:09 "Vous êtes obligé de le faire."
00:53:11 "Vous êtes obligé de le faire."
00:53:13 "Bon, alors, en fait, c'est Raymond Barre
00:53:15 "qui a nationalisé la chirurgie."
00:53:17 -Tout Raymond Barre qu'il était.
00:53:19 -Tout Raymond Barre qu'il était.
00:53:21 "Et un autre dossier apparaît,
00:53:23 "et ce dossier est intéressant aujourd'hui
00:53:25 "à signaler,
00:53:27 "il montre bien
00:53:29 "le problème que nous avons eu
00:53:31 "après Pompidou,
00:53:33 "et ce problème n'est pas
00:53:35 "celui
00:53:37 "de Mitterrand,
00:53:39 "sur lequel on va revenir,
00:53:41 "mais celui de l'état profond
00:53:43 "et de l'état profond
00:53:45 "qui a commencé
00:53:47 "à pointer son nez
00:53:49 "avec l'hiscar."
00:53:51 "Et c'est le dossier Pauclin."
00:53:53 "Pauclin est un dossier
00:53:55 "absolument exceptionnel."
00:53:57 -Pas vraiment s'habiller, il vient qu'on les épargne.
00:53:59 -C'est-à-dire que Pauclin est un dossier
00:54:01 exceptionnel, c'est-à-dire que c'est l'inventeur
00:54:03 de la paix hydraulique.
00:54:05 Je suis ingénieur hydrolytien par...
00:54:07 -Grenoble.
00:54:09 -Grenoble, et par conséquent, je connais
00:54:11 tous les gens qui sont chez Pauclin, qui font
00:54:13 Népel, etc., et c'est un dossier
00:54:15 que j'ai aidé en tant que
00:54:17 chargé
00:54:19 à la DGRST
00:54:21 de l'avenir, parce que j'ai aidé
00:54:23 aussi Pauclin, au moins, à voir bien.
00:54:25 Très innovatif, très... Et Pauclin,
00:54:27 euh...
00:54:29 M. Bataille, a le sentiment
00:54:31 qu'il peut se développer
00:54:33 de façon importante, il rachète
00:54:35 une autre société qui s'appelle POTA,
00:54:37 qui a non pas des
00:54:39 paix hydrauliques, mais des grues,
00:54:41 et s'endette de façon
00:54:43 importante. Et...
00:54:45 euh...
00:54:47 arrivent des éléments
00:54:49 toujours, des crises,
00:54:51 je ne peux pas vous dire quelle crise
00:54:53 on a eu, mais enfin, il y a eu une crise,
00:54:55 et Pauclin est en difficulté.
00:54:57 Et là,
00:54:59 je dis à Raymond Barre,
00:55:01 il faut résoudre le problème. -C'est-à-dire mettre
00:55:03 de l'argent, en gros. -Il faut mettre de l'argent.
00:55:05 -Parce qu'il y a de bonnes dettes.
00:55:07 -Les dettes sont bonnes. -Il y a des mauvaises dettes
00:55:09 et des bonnes dettes. -Et
00:55:11 il n'y est pas arrivé. Il n'y est pas arrivé
00:55:13 parce que l'État
00:55:15 profond
00:55:17 considérait, à l'époque, que
00:55:19 la solution de
00:55:21 Pauclin, c'était "Monsieur
00:55:23 Bataille avait mal géré puisqu'il s'était endetté
00:55:25 trop". Et
00:55:27 donc, il fallait qu'il
00:55:29 s'appuie sur quelque chose
00:55:31 d'important, et c'est, comme les
00:55:33 Américains avaient commencé à mettre
00:55:35 de l'argent, il fallait céder
00:55:37 Pauclin aux Américains. Et
00:55:39 Raymond Barre n'a rien pu faire.
00:55:41 Il n'a pas réussi...
00:55:43 -Mais à cause des finances, à cause du ministère de l'économie
00:55:45 et des finances. L'État profond, disons ce que c'est.
00:55:47 -C'est le ministère de l'économie et des finances.
00:55:49 -Il n'a jamais voulu...
00:55:51 Et je vois encore Raymond Barre
00:55:53 en me disant "Mais vous n'allez pas nationaliser Pauclin ?"
00:55:55 Je dis "Je ne vous dis pas ça. Il faut trouver
00:55:57 une solution pour garder Pauclin."
00:55:59 Complaintes, une pépite. Il faut garder
00:56:01 Pauclin. -Et on l'a perdu.
00:56:03 -Et on l'a perdu. -Au bénéfice
00:56:05 des États-Unis. -Oui.
00:56:07 -Et l'autre chose à vous dire, qui éclaire
00:56:09 un peu cet engagement socialiste,
00:56:11 c'est une phrase de Mitterrand
00:56:15 qui explique bien des choses pour la suite
00:56:17 de votre parcours.
00:56:19 Tellement que lorsque vous êtes venu au Cercle
00:56:21 Eleuteria, qui est une excroissance
00:56:23 du nouveau conservateur, dirigée par notre
00:56:25 ami Martin,
00:56:27 vous avez commencé votre
00:56:33 intervention par citer
00:56:35 une phrase de Mitterrand
00:56:37 et ça m'a beaucoup frappé. C'est une phrase
00:56:39 qui est connue. Enfin, c'est plus qu'une phrase,
00:56:41 c'est une citation que je vais faire
00:56:43 parce que je voudrais qu'on inscrive en lettres
00:56:45 d'or partout cette phrase.
00:56:47 Et je suis content que vous l'ayez pointée.
00:56:49 Mitterrand dit, alors au soir de sa vie,
00:56:51 il le confie à George
00:56:53 Mark Benhamou, en qui il a entièrement confiance.
00:56:55 Il est à quelques mois de sa mort.
00:56:57 Benhamou l'écrira dans
00:56:59 "Le dernier Mitterrand", publié en 1997.
00:57:01 L'écrira.
00:57:03 "Le voici. La voici.
00:57:05 Oui, dit Mitterrand, ils sont
00:57:07 durs, les Américains. Ils sont
00:57:09 voraces. Ils veulent du pouvoir
00:57:11 sans partage sur le monde.
00:57:13 Et c'est une guerre
00:57:15 permanente, inconnue,
00:57:17 - parce qu'on s'en rend pas compte -
00:57:19 sans mort, virgule,
00:57:21 apparemment.
00:57:23 Et pourtant une guerre à mort.
00:57:25 Et il dira
00:57:27 un peu plus tard, mais vous savez, avec les
00:57:29 États-Unis, c'est une guerre permanente,
00:57:31 une guerre vitale.
00:57:33 Leur propagande,
00:57:35 leur manipulation, leur mensonge.
00:57:37 Ça,
00:57:39 c'est une nouvelle étape de votre vie,
00:57:41 qui va être longue, que nous abordons.
00:57:43 Et je voulais qu'on garde cette
00:57:45 - cette phrase en tête. - C'est aussi
00:57:47 la raison fondamentale
00:57:49 de mon
00:57:51 retour en France
00:57:53 - des États-Unis -
00:57:55 des États-Unis, et le
00:57:57 fait que, certes,
00:57:59 je suis fasciné, certes, je vais
00:58:01 continuer à avoir des rapports avec les Américains,
00:58:03 avec énormément de...
00:58:07 - D'aprôté.
00:58:09 - Mais,
00:58:11 au cours
00:58:13 de ma vie, par exemple,
00:58:15 je vais avoir des relations
00:58:17 très suivies avec
00:58:19 Félix Croatine,
00:58:21 qui est à la fois chez la ZAV,
00:58:23 à la fois ambassadeur des États-Unis
00:58:25 en France, etc., qui est
00:58:27 un proche de
00:58:29 Dreyfus,
00:58:31 et je n'ai jamais été...
00:58:33 - Dreyfus, ministre de l'Industrie de Mitterrand,
00:58:35 le premier. - Je n'ai jamais,
00:58:37 je n'ai jamais
00:58:39 oublié
00:58:43 mon passage aux États-Unis,
00:58:45 cette phrase de Mitterrand,
00:58:47 qui est
00:58:49 celle que je cite, enfin, que j'ai entendue
00:58:51 de nombreuses fois, compte tenu de...
00:58:53 - C'était pas la première fois, il le disait.
00:58:55 - C'était pas la première fois, dans le loin de là,
00:58:57 et je suis toujours
00:58:59 en vigilance, et je continue
00:59:01 à être en vigilance. - Est-ce que
00:59:03 cette vigilance...
00:59:05 - Je ne leur fais pas
00:59:07 confiance
00:59:09 dans ce qu'ils font. Dans toute ma vie
00:59:11 en Afrique,
00:59:13 après, quand je suis président d'ELF,
00:59:15 dans toute ma vie, lorsque
00:59:17 lorsque
00:59:19 je sais
00:59:21 que je déplais
00:59:23 dans ma vision
00:59:25 de ce que va être
00:59:27 la société ELF,
00:59:29 et que
00:59:31 j'apprends que
00:59:33 des gens
00:59:35 ont mis sur ma route
00:59:37 un...
00:59:41 - Allez-y. - Un cabinet qui s'appelle le cabinet Kroll.
00:59:43 - Dites-le, dites-le. - Le cabinet Kroll.
00:59:45 Je sais que je déplais
00:59:47 et que les Américains...
00:59:49 - Est-ce qu'ils sont
00:59:51 en partie... Est-ce qu'ils ont
00:59:53 un rôle dans les déboires que vous venez de dire plus tard ?
00:59:55 - Ah oui, bien sûr, c'est clair. - Il faut le dire, je crois.
00:59:57 C'est pour ça que je mets la question sur le tapis. - Non, non, mais il n'y a pas de problème.
00:59:59 - C'est tout, pour moi. - Il n'y a pas de problème.
01:00:01 Je pense que je déplais,
01:00:03 j'ai des plus profondes
01:00:05 défauts aux Américains. - Vous savez, vous connaissez.
01:00:07 - Mais ma vigilance
01:00:09 vient de ma connaissance
01:00:11 des États-Unis
01:00:13 et de mon...
01:00:15 de la confirmation
01:00:17 de la nécessité
01:00:19 de cette vigilance, tout au long
01:00:21 de ma vie, en particulier
01:00:23 de ma vie
01:00:25 avec Mitterrand,
01:00:27 en particulier
01:00:29 et toujours, dans tout ce qui concerne
01:00:31 le Moyen-Orient, où... - Où l'Afrique.
01:00:33 - Où j'ai été, où j'ai baigné
01:00:35 dans tout ce
01:00:37 qui a eu lieu au Moyen-Orient
01:00:39 et où
01:00:41 j'ai
01:00:43 considéré que
01:00:45 l'attitude
01:00:47 des États-Unis
01:00:49 dans
01:00:51 la guerre en Irak,
01:00:53 alors que
01:00:55 tout était clair
01:00:57 sur ce que l'Irak
01:00:59 faisait
01:01:01 ou ne faisait pas,
01:01:03 montre que
01:01:05 ce que disait
01:01:07 Mitterrand... - Féroce, vorace.
01:01:09 - ...était
01:01:11 allant jusqu'au mensonge.
01:01:13 - Les manipulations, dit-il,
01:01:15 les mensonges et la propagande, en alétroie.
01:01:17 Alors, là, je vous coupe de nouveau.
01:01:19 Pardonnez-moi. - Vous n'en faites pas.
01:01:21 - Vous aimez les livres
01:01:23 et vous dites au détour de vos mémoires que vous aimez
01:01:25 les banques dessinées. - Oui. - Astérix.
01:01:27 - Hm ? - Astérix. - Ah oui, oui.
01:01:29 Pas seulement. - Mais Astérix
01:01:31 et le petit village gaulois.
01:01:33 - Oui. - Vous savez
01:01:35 que c'est guingamp ? - C'est-à-dire
01:01:37 que mon oncle... - Vous savez que le petit village
01:01:39 gaulois, il est dans le Trégor ? - Bah, forcément.
01:01:41 - Comment ça, forcément ?
01:01:43 - Bah, forcément. - C'est la première image
01:01:45 de chaque Astérix avec lui.
01:01:47 Un petit village résiste.
01:01:49 C'est toujours. - Oui, oui.
01:01:51 - La géographie parle d'elle-même, là.
01:01:53 - Absolument. C'est ce que disait mon oncle curé.
01:01:55 - Ah, je ne suis pas le premier.
01:01:57 - Mon oncle curé lisait Astérix.
01:01:59 - C'est chez nous.
01:02:01 - Bien que ce soit en français,
01:02:03 il disait "C'est chez nous". - C'est merveilleux.
01:02:05 - Oui. - Mais ça vous expose
01:02:07 à quelques déboires
01:02:09 que nous allons voir. - Oui.
01:02:11 - Mais alors là, vous faites... - Ne parlons pas de déboires.
01:02:13 Disons des circonstances de la vie
01:02:15 ont voulu que mes ennemis
01:02:17 arrivent à se réunir
01:02:19 pour me faire flancher
01:02:21 sur... - Bon, ça s'appelle
01:02:23 des déboires. Est-ce que c'est bon ?
01:02:25 - Voilà. - Mais très bien.
01:02:27 - Et que s'ils pouvaient
01:02:29 continuer, ils seraient contents.
01:02:31 - Mais vous avez un côté salamande,
01:02:33 vous passez à travers le feu, de toute façon.
01:02:35 - Pas tout seul. C'est-à-dire que
01:02:37 si jamais je n'avais pas eu
01:02:39 ma mère et ma femme,
01:02:41 je pense que je ne serais pas là.
01:02:43 - Les femmes. - Voilà.
01:02:45 Ma grand-mère... Ma grand-mère n'était plus là,
01:02:47 mais dans le souvenir. - Elle était dans votre tête.
01:02:49 Et vous en avez vraiment le sang.
01:02:51 - Voilà. Les femmes sont solides.
01:02:53 - Écoutez... - Enfin, les femmes
01:02:55 qui m'ont entouré, n'ont que vous.
01:02:57 - Et ma question, après avoir
01:02:59 fait un détour par ce combat
01:03:01 avec les États-Unis,
01:03:03 qui se joue sur l'économie, sur l'industrie,
01:03:05 sur l'agriculture aussi, mais spécialement sur l'industrie,
01:03:07 parce qu'ils ont gagné la partie.
01:03:09 On l'a perdue ?
01:03:11 Pardon de vous le dire, mais en grande partie.
01:03:13 Comment se fait-il... - Mais ils ont commis
01:03:15 des erreurs aussi, parce que si jamais
01:03:17 aujourd'hui, il faut
01:03:19 qu'ils fassent un effort considérable,
01:03:21 qu'ils vont faire.
01:03:23 C'est parce qu'eux, ils se sont faits
01:03:25 des illusions. - Je crois pas qu'ils vont le faire.
01:03:27 Ils sont plus capables. Bref, ils sont plus
01:03:29 capables, je crois. - Peut-être.
01:03:31 - Ils vont payer très cher leur victoire. - Si ils ont envie
01:03:33 de faire un effort considérable,
01:03:35 c'est qu'ils ont perdu pour partie.
01:03:37 - Ils n'y arriveront plus.
01:03:39 C'est le thèse de Todd. Lisez
01:03:41 le dernier ouvrage de Todd, "La défaite
01:03:43 de l'Occident". - Je ne lis pas dans le nord de café.
01:03:45 - Bon. Ah, ah.
01:03:47 Si, quelquefois, oui, oui. Arrêtez.
01:03:49 Alors, d'où ma question,
01:03:51 la seconde, pourquoi le Parti socialiste ?
01:03:53 Pourquoi n'êtes-vous pas devenu gaulliste ?
01:03:55 Enfin, à l'époque,
01:03:57 pour vous, c'est plutôt l'RPR, ce qui est quand même
01:03:59 autre chose. Mais,
01:04:01 pourquoi avoir adhéré en
01:04:03 70-71,
01:04:05 à la mort du général de Gaulle,
01:04:07 au Parti socialiste ?
01:04:09 Le motif, c'est quoi ?
01:04:11 - Parce que je
01:04:13 considère que
01:04:15 ...
01:04:17 à l'époque,
01:04:19 on ...
01:04:21 ...
01:04:23 c'est
01:04:25 Chirac,
01:04:27 qui est en train de monter à l'intérieur
01:04:29 du dispositif.
01:04:31 - Oui. À partir
01:04:33 de 74, oui.
01:04:35 Mais pas avant. - Et que
01:04:37 Chirac est quelqu'un
01:04:39 que j'ai vu, et
01:04:41 ...
01:04:43 Chirac,
01:04:45 je l'ai connu comme
01:04:47 ...
01:04:49 comme subatométaux au budget.
01:04:51 - Eh oui.
01:04:53 C'était pas grand-chose. - C'est tôt.
01:04:55 - Oui. À fin des années 60, oui.
01:04:57 - Ben non. - Non, sous
01:04:59 Pompidou. - Après. - Sous Pompidou, oui.
01:05:01 - Et je
01:05:03 traitais un ...
01:05:05 je traitais un dossier
01:05:07 ... compliqué.
01:05:09 Et j'ai trouvé
01:05:11 ...
01:05:13 le personnage
01:05:15 agité ...
01:05:17 ...
01:05:19 et ...
01:05:21 et n'allant pas au fond des choses.
01:05:25 Voilà.
01:05:27 Je me suis dit, je n'ai pas
01:05:29 envie ...
01:05:31 Déjà, j'ai du mal
01:05:33 avec ce que j'appelle un "légiscardisme",
01:05:35 où on est
01:05:37 inspection des finances,
01:05:39 ... - C'est pas votre genre. - ... et technos,
01:05:41 hein. Et là,
01:05:43 je ne sens pas
01:05:45 ... dans ce personnage
01:05:47 quelqu'un qui peut aller au fond des choses.
01:05:49 Et ...
01:05:51 Et ça m'a déplu.
01:05:53 - C'est de l'intuition, ça. - Oui.
01:05:55 C'est tout. - D'homme à homme.
01:05:57 D'homme à homme, vous ne le sentez pas. - Ah, d'homme à homme.
01:05:59 C'est une question d'homme.
01:06:01 Par contre ... - De la rentrée au PS ...
01:06:03 - Par contre, lorsque
01:06:05 avec
01:06:07 Dreyfus,
01:06:09 j'ai commencé à
01:06:11 aller au-delà de la
01:06:13 simple ...
01:06:15 du simple travail, puisqu'on avait un dossier en commun,
01:06:17 Giscard avait posé
01:06:19 une question à Dreyfus, et donc
01:06:21 Dreyfus m'avait ... - Une grande enquête.
01:06:23 - ... une enquête sur
01:06:25 l'automatisation en France.
01:06:27 Lorsque j'ai
01:06:29 rencontré Mitterrand,
01:06:31 j'ai ...
01:06:33 j'ai ...
01:06:35 j'ai vu un homme
01:06:37 qui avait du fond,
01:06:39 et qui avait envie,
01:06:41 qui savait que sur les sujets
01:06:43 que je traitais, il n'était pas bon,
01:06:45 qu'il admettait,
01:06:47 et qui était
01:06:49 susceptible
01:06:51 d'aller au fond des choses,
01:06:53 mais qui avait ...
01:06:55 qui avait des objectifs
01:06:57 dans la vie,
01:06:59 qui étaient au-dessus
01:07:01 et au-delà de ...
01:07:03 - Vous sentiez le granit.
01:07:05 - Je sentis le granit, et ...
01:07:07 - Que vous ne sentez pas, c'est chéchérable.
01:07:09 - Et une fois que je suis rentré dans le personnage, si je puis dire,
01:07:11 j'ai trouvé quelqu'un qui avait
01:07:13 eu la même éducation que moi,
01:07:15 la même question
01:07:17 que moi,
01:07:19 et
01:07:21 la même ...
01:07:23 la même faculté
01:07:25 à l'évitement
01:07:27 lorsque c'est nécessaire.
01:07:29 Et qui ...
01:07:31 - Oui, mais attendez, vous trichez un peu là, pardon,
01:07:33 parce que Mitterrand ...
01:07:35 - Pourquoi je triche ?
01:07:37 - Non, sur les dates, parce que vous entrez ...
01:07:39 - Non, non, non, ma grand-mère trichait, mais moi,
01:07:41 pas vraiment.
01:07:43 Mais je peux tricher aussi, si vous voulez.
01:07:45 - Elle le faisait de façon inconsciente.
01:07:47 Attendez, sur les dates, parce que Mitterrand,
01:07:49 vous le rencontrez plus tard, Dreyfus, vous le rencontrez plus tard,
01:07:51 mais vous entrez dans une section
01:07:53 du PS dans le 15e arrondissement,
01:07:55 dans le 71.
01:07:57 - Oui, mais j'ai rencontré ...
01:07:59 - Mitterrand c'est plus tard.
01:08:01 - Quoi ? - Et Dreyfus c'est plus tard.
01:08:03 - J'ai rencontré Chirac.
01:08:05 - C'est une raison suffisante
01:08:07 pour entrer au PS.
01:08:09 - Il fallait ...
01:08:11 J'avais envie de faire quelque chose
01:08:13 pour le pays. - Il était en pleine montée de sève,
01:08:15 il faut dire, c'est le congrès du PNE.
01:08:17 - Je me suis dit,
01:08:19 j'étais parfaitement clair
01:08:21 dans mon esprit que c'était pas Giscard
01:08:23 qui allait
01:08:25 sauver, que c'était pas,
01:08:27 que contrairement à
01:08:29 ce que pensait
01:08:31 Deleur, de leur pensée que Chaban
01:08:33 allait
01:08:35 succéder à Pompidou.
01:08:37 - Vous auriez suivi là ?
01:08:39 - Et je ...
01:08:41 - Vous ne croyez pas ? - Je ne croyais pas
01:08:43 en Chaban.
01:08:45 Alors nous étions,
01:08:47 un lien familial,
01:08:49 je ne vais pas y revenir, parce qu'il y a trop de liens familials dans tout ça,
01:08:51 avec quelqu'un qui était proche de Chaban.
01:08:53 Mais,
01:08:55 je ne croyais pas en Chaban.
01:08:57 Alors que j'ai ...
01:08:59 - Vous savez que De Gaulle disait
01:09:01 c'est un joueur de tennis.
01:09:03 - Oui, je crois.
01:09:05 - Vous humez les gens comme ça,
01:09:07 vous les percevez de façon un peu ...
01:09:09 - Je n'y peux rien.
01:09:11 C'est un peu comme les cartes, ça se grave dans le cerveau.
01:09:13 Je n'y peux rien.
01:09:15 Je n'y peux rien.
01:09:17 - Et alors là, vous rencontrez un personnage qui en effet va jouer un grand rôle,
01:09:19 qui tombe un peu en extase devant vous,
01:09:21 ancien patron de Renault,
01:09:23 Pierre Dreyfus.
01:09:25 Personnage âgé,
01:09:27 fragile.
01:09:29 - Ayant quitté Renault,
01:09:31 ayant un petit bureau
01:09:33 sur les Champs-Elysées,
01:09:35 dans l'immeuble Renault.
01:09:37 - Il vous reçoit dans la pénombre.
01:09:39 - Il s'occupe un peu de Renault Finances.
01:09:41 Et qui ...
01:09:43 - Et là deux ou trois heures de conversation,
01:09:45 et vous tombez en extase l'un devant l'autre.
01:09:47 - Oui.
01:09:49 - C'est un coup de foudre.
01:09:51 - C'est un vrai coup de foudre.
01:09:53 - Ah oui. Dans la pénombre en plus,
01:09:55 on imagine l'atmosphère.
01:09:57 Ce vieux monsieur qui reçoit un jeune homme.
01:09:59 Et qui est ...
01:10:01 fasciné par son intelligence.
01:10:03 - Et que j'avais vu,
01:10:05 quand il était président de Renault, sur le moteur,
01:10:07 et puis je le retrouve.
01:10:09 Je le retrouve.
01:10:11 Alors bon,
01:10:13 je lui dis, qu'est-ce qu'on va faire ?
01:10:15 Faire ce rapport avec moi ?
01:10:17 J'ai prévenu,
01:10:19 le cabinet de Giscard,
01:10:21 que c'est avec vous qu'il faudrait le faire.
01:10:23 Il me dit, oui tout à fait, je reviens.
01:10:25 Avec vous, oui, au bout de deux heures.
01:10:27 Bon, mais alors voilà comment on va faire.
01:10:29 - Deux heures qui comptent beaucoup.
01:10:31 Puisque ...
01:10:33 - C'est deux heures qui ont compté finalement,
01:10:35 le plus dans ma vie.
01:10:37 Puisque après, je suis dans ...
01:10:39 - Alors Mitterrand arrive, Avançon est là,
01:10:41 c'est là, chaque année devrait être
01:10:43 une conversation. Enfin passons.
01:10:45 Parce que,
01:10:47 quand on lit vos mémoires, j'y renvoie,
01:10:49 "Le mouton noir", on découvre que
01:10:51 ça parle dans tous les sens.
01:10:53 Il y a des choses fructueuses dans tous les sens.
01:10:55 Vous entrez
01:10:59 dans la politique preste par Dreyfus,
01:11:03 qui, Mitterrand élu en 1981,
01:11:05 devient ministre de l'industrie,
01:11:07 et vous exige, comme directeur de cabinet,
01:11:09 alors tout le monde lui déconseille.
01:11:11 Pourquoi ? Parce que vous êtes trop jeune ?
01:11:13 Vous n'êtes pas si jeune, vous avez 40 ans.
01:11:15 - Non, je ne suis pas politicien à l'Énarc.
01:11:17 - Et oui, vous venez de Bretagne.
01:11:19 - Et donc Robert Lyon,
01:11:21 qui était à l'époque directeur de cabinet,
01:11:23 - Vous n'êtes pas dans le bocal.
01:11:25 - Directeur de cabinet de Mauroy,
01:11:27 Robert Lyon,
01:11:29 me dit, "C'est pas possible,
01:11:31 c'est pas possible, il le connaît,
01:11:33 on se connaît bien, Robert Lyon et moi."
01:11:35 Il dit, "Non, celui-là, non, celui-là, non."
01:11:37 - Pourquoi ? Parce que ce n'est pas les grandes écoles,
01:11:39 c'est pas la Bretagne.
01:11:41 - Il n'est pas à l'Énarc, il n'est pas à l'Asile, etc.
01:11:43 C'est une cabale contre moi énorme.
01:11:45 - C'est féroce.
01:11:47 - Une cabale féroce contre moi.
01:11:49 - Mais Dreyfus tient bon.
01:11:51 - Ah, Dreyfus, il a dit,
01:11:53 "Non, c'est lui qui est là, c'est tout."
01:11:55 Mais l'histoire dit que c'était,
01:12:03 Dreyfus dit à Mitterrand,
01:12:07 "Plutôt que moi qui ai 73 ans,
01:12:09 il vaut mieux nommer le Floc,
01:12:11 le HIC."
01:12:13 - Comme ministre ?
01:12:15 - Quoi ? - Comme ministre ?
01:12:17 - Oui. - Vous n'alliez plus devenir ministre dès 1981.
01:12:19 - Oui. Et donc Mitterrand dit,
01:12:21 "Non, écoutez, je n'ai jamais fait de politique,
01:12:23 et puis d'ailleurs,
01:12:25 il n'a pas voulu être député." Ce qui est vrai.
01:12:27 C'est-à-dire que
01:12:29 dans l'élection...
01:12:31 - 78.
01:12:33 - De 78,
01:12:35 je suis...
01:12:37 On me demande d'être député de Gagnant,
01:12:39 et je dis, "Non, j'ai pas envie de faire de politique."
01:12:41 - C'était perdre du temps pour vous.
01:12:43 - Voilà, exactement.
01:12:45 - J'ai bien compris.
01:12:47 Alors, on avance.
01:12:49 C'est très bien. Vous êtes au cœur du système.
01:12:51 Pierre Dreyfus, ministre de l'Industrie.
01:12:53 Ministre de la Recherche, Jean-Pierre Chevènement.
01:12:55 - Oui.
01:12:57 - Vous avez côtoyé Chevènement
01:12:59 au CRS. - Beaucoup.
01:13:01 Je suis rentré
01:13:03 au Parti Socialiste
01:13:05 en...
01:13:07 demandé par Mauroy
01:13:09 ce qu'il appelait le CEDEP,
01:13:11 où siégeait
01:13:13 Jean-Pierre Levanne.
01:13:15 Je suis rentré par là,
01:13:17 en dehors du 15e arrondissement,
01:13:19 et...
01:13:21 je suis attiré par Chevènement
01:13:23 à cause de son côté national.
01:13:25 Donc, je travaille...
01:13:27 - Mais vous n'êtes pas si tendre
01:13:29 que ça avec lui. Vous n'avez pas plus d'attente
01:13:31 que... - Je ne suis pas tendu du tout.
01:13:33 Non, je pense qu'il a...
01:13:35 - Pourquoi ?
01:13:37 - Parce que...
01:13:39 il est... il est dans une façon
01:13:41 très idéologue,
01:13:43 et l'idéologue, c'est celui
01:13:45 qui, lorsque il y a
01:13:47 un signal faible qui montre
01:13:49 qu'il a tort, il garde le signal
01:13:51 faible et dit "je continue".
01:13:53 Et donc, il a...
01:13:55 il a fait des erreurs. - Et vous avez rencontré
01:13:57 pas mal de gens au CRS,
01:13:59 Motshan et tout ça.
01:14:01 - Mais je m'étais avec
01:14:03 Motshan, surtout
01:14:05 à Paris,
01:14:07 avec Jacques Guyard,
01:14:09 qui était le premier secrétaire
01:14:11 d'organisation de l'UNIS. - Georges Sarr.
01:14:13 - Guy Denis. - Guy Denis.
01:14:15 - Jusqu'au moment où je dis
01:14:17 à Chevènement, là, tu...
01:14:19 là, tu es en train
01:14:21 de dérailler. Je considère que...
01:14:23 - Comme ministre de la Recherche, il a déraillé ?
01:14:25 - Oui, je considère, oui.
01:14:27 Il déraille, c'est-à-dire que...
01:14:29 C'est-à-dire que...
01:14:31 Alors, ça va être
01:14:33 un point capital
01:14:35 fondamental. C'est-à-dire que moi,
01:14:37 je considère que je suis
01:14:39 défusien, je ne sais pas Chevènementiste,
01:14:41 en ce qui concerne la politique industrielle.
01:14:43 Un, on a des orientations
01:14:45 générales, on veut la direction
01:14:47 de la France,
01:14:49 et on peut
01:14:51 nationaliser les entreprises
01:14:53 sous réserve, qu'après, on les remet
01:14:55 au service public.
01:14:57 Le problème de l'industrie,
01:14:59 ce ne sont pas
01:15:01 les dirigeants
01:15:03 de l'époque,
01:15:05 mais c'est forcément les fonds propres.
01:15:07 Et quand on fait
01:15:09 beaucoup d'endettements,
01:15:11 qu'on est esclave
01:15:13 de l'État,
01:15:15 on est esclave de l'institution des finances,
01:15:17 et par conséquent, on met des financiers
01:15:19 à la tête des entreprises.
01:15:21 Ce qu'a commencé à faire, par exemple...
01:15:23 Ben justement,
01:15:25 c'est la nomenclature...
01:15:27 Le disquaire...
01:15:29 Chez Peugeot, on met Calvet
01:15:31 quand il parle.
01:15:33 Calvet, c'est l'institution des finances.
01:15:35 On met de l'institution des finances...
01:15:37 Les socialistes feront ça beaucoup aussi.
01:15:39 Et les sociétés font pareil.
01:15:41 Et ce sont les sociétés qui font pareil sous la coupe,
01:15:43 et sous la dictée
01:15:45 d'un certain nombre de gens qui sont énarques,
01:15:47 dont Chevènement.
01:15:49 Et donc je dis, non, ce n'est pas possible.
01:15:51 Il faut, un,
01:15:53 qu'ils ne soient pas
01:15:55 sur les financements, etc.
01:15:57 Et deux,
01:15:59 qu'il y ait une autonomie de gestion,
01:16:01 parce qu'à un moment, ils vont retourner
01:16:03 dans le secteur privé.
01:16:05 C'est ça ma façon de voir les choses.
01:16:07 On les prend de façon
01:16:09 momentanée
01:16:11 jusqu'au moment où ils doivent...
01:16:13 Il y avait quand même un certain volontarisme,
01:16:15 c'est Pierre Cassel...
01:16:17 Le volontarisme n'est pas forcément l'idée
01:16:19 qu'une société se fait avec des valets.
01:16:21 L'industrie ne se fait pas avec des valets.
01:16:23 Chevènement a le sentiment que les gens doivent lui obéir
01:16:25 parce qu'il est ministre. Ce n'est pas vrai.
01:16:27 On ne doit pas obéir au ministre.
01:16:29 Il faut être désobéissant au ministre.
01:16:31 Et c'est ce que j'ai dit après,
01:16:33 que lorsque
01:16:35 mon collaborateur Farandou
01:16:37 est nommé à la tête de la SNCF,
01:16:39 on me dit, est-ce que ça va être bien ?
01:16:41 Je lui ai dit, Farandou, c'est un type qui a été bien
01:16:43 et qui a fait de bonnes choses.
01:16:45 Et quel est le conseil que vous lui donnez ?
01:16:47 Il dit, désobéir.
01:16:49 Il n'a pas désobéi, donc il y a des problèmes.
01:16:51 Il s'est fouillé dans le moule.
01:16:53 Il faut désobéir, c'est-à-dire qu'il faut être autonome.
01:16:55 Tout le monde n'est pas un meilleur comme vous.
01:16:57 Il faut être autonome.
01:16:59 Et c'est l'autonomie de gestion
01:17:01 qui permet de retourner au secteur privé
01:17:03 et sous réserve, qu'on ait résolu le problème
01:17:05 des fonds propres, qu'on n'a pas résolu
01:17:07 parce que toute l'institution des finances
01:17:09 aime bien faire
01:17:11 des prêts,
01:17:13 comme on l'a vu au moment du Covid,
01:17:15 des prêts garantis par l'État.
01:17:17 Et par conséquent,
01:17:19 on a la tutelle des gens.
01:17:21 J'ai les prêts. Et vous voyez le nombre
01:17:23 d'aides et de subventions qui fleurissent
01:17:25 aujourd'hui, qui sont dans l'esprit...
01:17:27 Qui ont commencé à fleurir dans les années 80.
01:17:29 Absolument. Les socialistes n'ont pas tellement
01:17:31 dressé la barre sur l'industrie.
01:17:33 C'est clair.
01:17:35 Et c'est à cause de gens comme Jean-Benoît de Mans
01:17:37 que la barre va être fermée.
01:17:39 Vous êtes en train de me poser la question.
01:17:41 Je suis content de vous poser la question.
01:17:43 Je vais me poser la question.
01:17:45 Votre dissension avec Mitterrand
01:17:47 et avec Chevenement.
01:17:49 Après que
01:17:51 j'ai gardé
01:17:53 des relations
01:17:55 avec Mitterrand, malgré
01:17:57 un certain nombre de choses qu'il faisait
01:17:59 en essayant de veiller au grain,
01:18:01 quand j'ai veillé au grain et quand j'ai pas
01:18:03 veillé au grain, parce que je suis maison de verre
01:18:05 à la manière,
01:18:07 Mitterrand comprenait
01:18:09 ce que je disais, quand même.
01:18:11 Et vis-à-vis de moi, il a compris.
01:18:13 Lorsque Jacques Delors
01:18:15 veut me virer de Rompoulenc,
01:18:17 puisqu'il veut me virer de Rompoulenc
01:18:19 quasiment six mois après
01:18:21 de se poser de Rompoulenc,
01:18:23 Mitterrand me pose la question
01:18:25 de savoir si...
01:18:27 Il est dans les mains
01:18:29 des technocrates. C'est un technocrate.
01:18:31 C'est l'inverse
01:18:33 de moi. C'est l'inverse de moi.
01:18:35 Sur l'Europe, c'est l'inverse
01:18:37 de ce que je pense.
01:18:39 Il y a aussi la question européenne.
01:18:41 Je suis européen,
01:18:43 mais je ne suis pas Delorsiste.
01:18:45 Donc, c'est l'inverse.
01:18:47 Il essaie de me virer. Il va voir le président
01:18:49 en disant qu'il y a un type absolument...
01:18:51 Vous avez nommé, vous avez eu tort,
01:18:53 il ne connaît rien, etc. C'est abominable.
01:18:55 À ce moment-là, Mitterrand
01:18:57 me téléphone en me disant
01:18:59 "Je viens de voir Jacques Delors,
01:19:01 parce qu'il paraît que vous utilisez
01:19:03 les dotations
01:19:05 au capital pour investir,
01:19:07 alors qu'une fois, vous vous êtes endetté."
01:19:09 Je lui dis "Oui, bien sûr que je fais ça,
01:19:11 j'ai raison." "Vous êtes sûr que vous avez
01:19:13 raison ?" Je lui dis "Oui, à moi ça va."
01:19:15 Il raccroche et il dit.
01:19:17 Je suis à la tête de Rod Polak.
01:19:19 Vous avez une relation de confiance parfaite avec Mitterrand,
01:19:21 qui se doue au fil du temps.
01:19:23 Il ne faut pas confondre la relation
01:19:25 de confiance, d'amitié profonde
01:19:27 et de respect profond
01:19:29 que j'ai pour Mitterrand, encore aujourd'hui,
01:19:31 avec le fait que je sois
01:19:33 Mitterrand de l'âde et que tout ce qu'il a fait, c'est bien.
01:19:35 Il ne faut pas
01:19:37 confondre les choses.
01:19:39 L'industrie, il n'a pas eu autant d'acharnement
01:19:41 qu'on Pidou.
01:19:43 Mitterrand n'a pas eu autant d'acharnement
01:19:45 à défendre l'industrie française que Pompidou l'avait eu.
01:19:47 Mais il avait le sentiment
01:19:49 que lorsqu'on lui résistait,
01:19:51 ça marchait.
01:19:53 Et lorsque j'ai résisté sur Alpha Kitten,
01:19:55 il m'a laissé faire,
01:19:57 contrairement à ce qui s'est passé
01:19:59 par la suite.
01:20:01 Et par la suite, c'est M. Chirac,
01:20:03 et pas moi.
01:20:05 Et M. Baladur.
01:20:07 Baladur est de la même trempe
01:20:09 que Cheminement.
01:20:11 C'est-à-dire que ce sont des gens qui considèrent
01:20:13 qu'effectivement,
01:20:15 on peut commander parce qu'on a été élu.
01:20:17 Non ! L'industrie, c'est pas ça.
01:20:19 Et c'est pour ça que j'ai fait mon dernier livre,
01:20:21 "Capitaine de l'industrie",
01:20:23 où j'explique que les gens
01:20:25 qui font de l'industrie et qui réussissent,
01:20:27 sont des gens qui ont envie de faire quelque chose
01:20:29 et qui, contre vents et marées,
01:20:31 disent "c'est moi qui ai raison, c'est pas eux".
01:20:33 C'est pas eux parce qu'ils ne savent pas de quoi ils parlent.
01:20:35 - Vous avez fait plusieurs livres
01:20:37 sur l'industrie,
01:20:39 la façon dont redresse
01:20:41 l'industrie, c'est votre grande passion.
01:20:43 Et c'est pour ça que Mitterrand,
01:20:45 parce que c'est lui, vous nomme
01:20:47 en 85 ou 86
01:20:49 président-directeur général de Rode-Poulenc,
01:20:51 très grande entreprise française,
01:20:53 une des plus grandes entreprises françaises,
01:20:55 qui est un peu en difficulté,
01:20:57 il faut dire. - Complètement.
01:20:59 - Elle fait moins un milliard
01:21:01 de résultats et elle continue
01:21:03 à verser un dividende
01:21:05 aux actionnaires.
01:21:07 Voilà.
01:21:09 Et le président-directeur général
01:21:11 est un ingénieur des ponts,
01:21:13 par conséquent polytechnicien,
01:21:15 donc c'est un génie.
01:21:17 - Alors vous renversez la vapeur.
01:21:19 - Voilà.
01:21:21 Je redresse.
01:21:23 - Et ça se redresse.
01:21:25 - Je fais plus 4 milliards à la sortie.
01:21:27 - Et vous la prenez en mauvais état.
01:21:29 - Et donc, tout le monde me regarde.
01:21:31 Et donc ce qui arrive,
01:21:33 c'est qu'on dit
01:21:35 "il a eu de la chance".
01:21:37 - Ah !
01:21:39 - Alors...
01:21:41 Et ça, ça traîne dans les rédactions
01:21:43 de journaux. Il a eu de la chance,
01:21:45 il est nul, mais il a de la chance.
01:21:47 - C'est ce que Perfit appellera le mal français.
01:21:49 - Et alors il se trouve que je fais
01:21:51 ma conférence de presse un peu
01:21:53 au même moment que
01:21:55 mon collègue Georges Bes,
01:21:57 qui est à Péchinay.
01:21:59 Et Georges Bes
01:22:01 est un de mes meilleurs amis.
01:22:03 - Vous avez de l'admiration pour lui.
01:22:05 Il est mort dans des conditions affreuses.
01:22:07 - Un personnage absolument exceptionnel.
01:22:09 - Assassiné par des terroristes
01:22:11 de la gauche.
01:22:13 - Exceptionnel.
01:22:15 Quand je vois que l'assassin
01:22:17 de Georges Bes est reçu par l'université
01:22:19 d'Artampion,
01:22:21 où est-ce qu'on est ?
01:22:23 - C'est l'action directe.
01:22:25 - Pour prolétaires.
01:22:27 C'est affreux.
01:22:29 Et Georges Bes,
01:22:31 les gens m'ont dit
01:22:33 "Votre collègue
01:22:35 à Puy-Jean,
01:22:37 à Rond-Poulenc,
01:22:39 il fait des résultats
01:22:41 meilleurs que les vôtres."
01:22:43 C'est vrai.
01:22:45 J'ai adressé Rond-Poulenc plus vite
01:22:47 que Georges Bes.
01:22:49 Ce n'était pas de la faute de Georges.
01:22:51 Il avait affaire
01:22:53 à une situation difficile.
01:22:55 Plus difficile que moi, sans doute.
01:22:57 Georges Bes me répond
01:22:59 "Vous pouvez dire tout ce que vous voulez,
01:23:01 mais si on n'a pas de chance
01:23:03 dans ce métier, on change de métier."
01:23:05 Et le journaliste
01:23:07 est resté comme nous, en flambe.
01:23:09 - Très bon résultat à Rond-Poulenc.
01:23:11 Vous sauvez des emplois, d'ailleurs,
01:23:13 parce que ça aurait pu très mal tourner.
01:23:15 - J'en tue beaucoup.
01:23:17 Je sauve des emplois parce que j'en tue beaucoup.
01:23:19 - C'est ça.
01:23:21 - C'est aussi ça.
01:23:23 Je fais réfléchir
01:23:25 les indicats là-dessus.
01:23:27 En particulier,
01:23:29 quelqu'un que j'ai connu
01:23:31 à la période où j'étais directeur de cabinet
01:23:33 de Dreyfus,
01:23:35 et qui est devenu un de mes amis,
01:23:37 qui est Henri Krasucki.
01:23:39 Je sauve Rond-Poulenc, certes,
01:23:41 grâce aux décisions
01:23:43 que je prends,
01:23:45 mais grâce à Henri.
01:23:47 Je dis à Henri,
01:23:49 "Je fais ça,
01:23:51 mais je tue,
01:23:53 mais je sauve."
01:23:55 C'est comme ça la vie.
01:23:57 - C'est comme ça la vie.
01:23:59 - Effectivement.
01:24:01 - La vie que les technocrates
01:24:03 n'admettent pas.
01:24:05 - Mais c'était...
01:24:07 Henri Krasucki
01:24:09 était un personnage fabuleux.
01:24:11 Vraiment fabuleux.
01:24:13 - Il a rendu beaucoup de service à la révolte.
01:24:15 - Une culture exceptionnelle.
01:24:17 Il a rendu une service à la république énorme.
01:24:19 - Déjà en 68 d'ailleurs.
01:24:21 - Oui.
01:24:23 - On n'a pas parlé de 68, vous passez par là-dessus.
01:24:25 - Je suis en Aux Etats-Unis.
01:24:27 - C'est vrai, vous êtes aux Etats-Unis.
01:24:29 Tant mieux pour vous.
01:24:31 Alors, arrive
01:24:33 ce gros morceau,
01:24:35 réussite à Rond-Poulenc,
01:24:37 Mitterrand vous nomme
01:24:39 patron de la plus grande entreprise française,
01:24:41 ELF.
01:24:43 89. Vous avez 45 ans.
01:24:45 C'est assez jeune quand même.
01:24:47 Pour la première entreprise française.
01:24:49 J'ai pris des chiffres,
01:24:51 je ne sais pas si je vais les retrouver,
01:24:53 vous les avez en tête.
01:24:55 Je crois qu'il y avait 76 000
01:24:57 employés. C'est énorme.
01:24:59 Je crois que c'est le premier contributeur
01:25:01 fiscal.
01:25:03 - C'est le premier
01:25:05 entreprise française.
01:25:07 - C'est le premier contributeur au budget de l'Etat.
01:25:09 - Absolument.
01:25:11 - Il y a un million de bénéfices des Bonnes Années.
01:25:13 D'ailleurs, vous faites gripper ce chiffre
01:25:15 par un esprit d'entreprise
01:25:17 fou,
01:25:21 inconsidéré, trop ambitieux.
01:25:23 - Non, pas du tout.
01:25:25 - Très raciste.
01:25:27 - Si jamais aujourd'hui, mes successeurs
01:25:29 font des bénéfices, c'est en partie
01:25:31 sur les contrats que j'ai fait signer.
01:25:33 - Alors qu'ils vous demandent
01:25:35 de l'argent, si j'ai bien compris.
01:25:37 - Voilà.
01:25:39 - On fait ce qu'il faut.
01:25:41 Là, on est...
01:25:43 Il faut bien voir
01:25:45 qu'on est sur
01:25:47 ce qui est aujourd'hui
01:25:49 total, n'est-ce pas ?
01:25:51 On est sur ce qui est aujourd'hui Arkema.
01:25:53 Arkema, c'est la chimie.
01:25:55 Et on est sur
01:25:57 Sanofi, la première boîte.
01:25:59 On a quand même
01:26:01 un panel
01:26:03 absolument exceptionnel
01:26:05 avec des gens exceptionnels
01:26:07 à la tête.
01:26:09 Et je dis, non, il faut
01:26:11 aller de l'avant.
01:26:13 Il faut, effectivement...
01:26:15 L'objectif que je me fixe
01:26:17 et que, par conséquent,
01:26:19 le président de la République
01:26:21 me fixe, c'est comment on peut
01:26:23 être autosuffisant en pétrole
01:26:25 et en gaz demain, si jamais...
01:26:27 - Et surtout survivre dans un univers
01:26:29 anglo-saxon, exclusivement anglo-saxon.
01:26:31 Les Seven Sisters, ça existe.
01:26:33 Il y a d'autres grandes entreprises
01:26:35 pétrolières au monde qui ne soient pas
01:26:37 américaines, non, c'est ELF.
01:26:39 - Les entreprises Shell
01:26:41 et BP sont des entreprises
01:26:43 qui sont
01:26:45 britanniques
01:26:47 et néerlandaises, mais qui sont
01:26:49 très américanisées.
01:26:51 Donc la seule non-américanisée,
01:26:53 c'est ELF, et puis un peu
01:26:55 les Nile et les...
01:26:57 - Les italiennes.
01:26:59 - Je fais flèche de tout bois
01:27:01 et je fonce.
01:27:03 - Vous avez un côté Matteo.
01:27:05 - Oui, enfin,
01:27:07 Matteo,
01:27:09 j'ai pas eu le même
01:27:11 traitement que lui, pas loin.
01:27:13 - Il a été assassiné, mais
01:27:15 dans des conditions... Vous êtes penché sur l'affaire,
01:27:17 Matteo, il faut dire, c'est
01:27:19 le patron de l'Ini, italienne, qui dans
01:27:21 les années 60 s'était émancipé
01:27:23 des américains. - Je pense qu'il déplaisait
01:27:25 aux américains. - Et qu'ils l'ont
01:27:27 assassiné. - Autant que moi.
01:27:29 - Et qu'ils l'ont assassiné.
01:27:31 - Et moi j'ai déplié aux américains, par conséquent
01:27:33 j'ai eu crôle.
01:27:35 - C'est ça.
01:27:37 Qui est crôle ? Dites-le pour Grosjean.
01:27:39 - C'est un cabinet qui
01:27:41 essaie d'anciens
01:27:43 de la CIA,
01:27:45 ou d'officiers de la CIA
01:27:47 comme on veut, qui essaie de déstabiliser
01:27:49 un certain nombre de
01:27:51 entreprises européennes,
01:27:53 et qui a fait la même chose sur moi
01:27:55 qu'ils ont fait avec Simas, qu'ils ont fait
01:27:57 avec Volkswagen, qu'ils ont fait
01:27:59 avec les Égyptiens, etc.
01:28:01 Et qui feront à chaque moment, si jamais,
01:28:03 et qui sont en liaison
01:28:05 avec les
01:28:07 les journalistes
01:28:09 un peu marrons de la planète
01:28:11 en France, comme en Allemagne,
01:28:13 comme dans toute l'Europe.
01:28:15 - Alors, Elf. - La façon
01:28:17 dont Elf s'est développée,
01:28:19 si vous reprenez
01:28:21 mon histoire, toujours,
01:28:23 c'est
01:28:25 lorsque, au moment des choix pétroliers,
01:28:27 il y a des
01:28:29 gisements de gaz
01:28:31 en profondeur
01:28:33 dans la mer du Nord,
01:28:35 et André Giraud
01:28:37 prend le risque de dire
01:28:39 qu'il faut absolument que l'on y aille.
01:28:41 C'est-à-dire qu'il faut qu'on soit
01:28:43 autonome par rapport au Moyen-Orient.
01:28:45 Donc l'idée, c'est que je dois être
01:28:47 autonome, et je dois être
01:28:49 maître de mon jeu, et au Moyen-Orient, on n'est jamais
01:28:51 autonome. - On est féopathe. - Donc il faut être
01:28:53 hors de l'ordre. Donc qu'est-ce qu'on va faire ?
01:28:55 On va être en mer du Nord, en Afrique.
01:28:57 C'est ça l'idée. - Et Ovidésuela ?
01:28:59 - C'est l'idée de Guillaumard. C'est l'idée de Guillaumard.
01:29:01 C'est Total plus que moi.
01:29:03 C'est Total plus qu'Elf. Et c'est moi
01:29:05 qui vais retourner aux Vésinées du Nord.
01:29:07 - Vous avez trouvé un correspondant ?
01:29:09 - C'est ça. - Ovidésuela.
01:29:11 - Oui. - Dont on peut dire le grand. - J'ai trouvé
01:29:13 la fille Yarkorse. - En régal fille, oui.
01:29:15 - Mais peu importe.
01:29:17 L'idée générale, c'est
01:29:19 - l'indépendance. - C'est l'indépendance.
01:29:21 Et donc, en 73,
01:29:23 on va forer profond,
01:29:25 très profond,
01:29:27 dans la mer déchaînée de temps en temps,
01:29:29 et on va prendre des risques insensés en 73.
01:29:31 Les risques qui ont été pris
01:29:33 par Elf en 73,
01:29:35 je ne suis pas patron d'Elf. - Oui, c'était 15 ans avant.
01:29:37 - On va prendre
01:29:39 des risques extrêmes. - C'est Guillaumard.
01:29:41 - Extrêmes. Guillaumard,
01:29:43 Giraud, toute la bande.
01:29:45 - C'est le capitaine d'industrie qui avance.
01:29:47 - C'est vrai.
01:29:49 Tout le monde y était.
01:29:51 Tout le monde a participé à ça.
01:29:53 J'ai participé modestement
01:29:55 en allant faire des cours
01:29:57 de pétrole
01:29:59 en Norvège,
01:30:01 à Oslo, Stavanger.
01:30:03 Donc j'ai vécu cette période.
01:30:05 Et
01:30:07 on prend des risques.
01:30:09 Et parce que,
01:30:11 techniquement, les gens d'Elf
01:30:13 sont au point de la technique.
01:30:15 Et on se retrouve
01:30:17 avec,
01:30:19 quand je reviens à Elf,
01:30:21 on est toujours à la pointe de la technique.
01:30:23 On a fait quand même,
01:30:25 les gens qui ont été
01:30:27 dans le forêt horizontale,
01:30:29 qui sert maintenant
01:30:31 au gaz de schiste,
01:30:33 les inventeurs du forêt horizontale,
01:30:35 c'est Elf. Et on se retrouve
01:30:37 à la pointe de la technique.
01:30:39 Et à l'époque,
01:30:41 on trouve en Angola
01:30:43 des gisements très profonds
01:30:45 dans une mer qui n'est pas déchaînée.
01:30:47 Qui n'est pas déchaînée, mais c'est très profond.
01:30:49 Et
01:30:51 à l'époque, le baril
01:30:53 qui a monté
01:30:55 en 1973 est redescendu
01:30:57 au point d'oublier un peu tout le reste.
01:30:59 Et
01:31:01 je suis limite
01:31:03 sur
01:31:05 le prix
01:31:07 indiqué compte tenu
01:31:09 des dégâts en cause.
01:31:11 Et je prends le risque.
01:31:13 Des investissements énormes pour forer profond.
01:31:15 Au large d'Angola.
01:31:17 Vous refaites ce que les Frenchies
01:31:19 des années 70 ont fait dans le Nord.
01:31:21 Et je refais ça.
01:31:23 Ce qui me conduit
01:31:25 à pouvoir le faire en Nigeria,
01:31:27 qui me conduit
01:31:29 à investir fortement en Nigeria,
01:31:31 qui est une source de revenus considérable
01:31:33 aujourd'hui pour Elf, mais qui
01:31:35 c'est des contrats que je négocie.
01:31:37 Pour Total.
01:31:39 Qui rachètera Elf, je vous le dis.
01:31:41 Et qui sont la richesse
01:31:43 d'Elf, l'Angola.
01:31:45 L'Angola et le Nigeria sont la richesse d'Elf.
01:31:47 - Vous dites toujours
01:31:49 Elf, mais c'est Total ?
01:31:51 - La richesse d'Elf.
01:31:53 C'est Elf qui...
01:31:55 Elf...
01:31:57 Aujourd'hui, le patron de Total,
01:31:59 il est un ex-Elf. Et c'est Elf
01:32:01 qui est la société technique.
01:32:03 Et moi je suis technicien,
01:32:05 je ne suis pas financier.
01:32:07 Total, c'est des financiers qui ont acheté.
01:32:09 Très bien.
01:32:11 - Et grâce à ça, les Frenchies continuent à résister.
01:32:13 Grâce à Total. Les Frenchies
01:32:15 tiennent le coup sur l'énergie.
01:32:17 Le pétrole.
01:32:19 C'est ça qui agace les Américains. On tient le coup
01:32:21 sur l'énergie. Sur l'énergie atomique.
01:32:23 Le pétrole, l'agriculture,
01:32:25 l'aéronautique.
01:32:27 Ça les agace.
01:32:29 - Ils nous coissent quand même sur les fonds propres.
01:32:31 Nous ne générons pas de fonds propres.
01:32:33 Par conséquent, à chaque fois qu'on se développe,
01:32:35 il faut qu'on aille chercher
01:32:37 les actionnaires. Et c'est les actionnaires
01:32:39 qui rentrent
01:32:41 dans le capital des sociétés
01:32:43 qui, de temps en temps, les réorientent
01:32:45 selon des indications
01:32:47 de l'actionnaire
01:32:49 parfaitement neutre,
01:32:51 comme d'habitude. Mais quand il est Américain,
01:32:53 il est moins neutre que les autres.
01:32:55 Et c'est ça.
01:32:57 - L'impérialisme pursuit.
01:32:59 - Le verre dans le fruit.
01:33:01 C'est quand même l'actionnaire Américain
01:33:03 qui dit
01:33:05 "Bon, écoutez, là, il faut faire ci,
01:33:07 il faut faire ça, là."
01:33:09 Même s'il a 15%,
01:33:11 ces 15% sont importants pour y arriver.
01:33:13 Et là, les actionnaires Américains
01:33:15 dans les sociétés du CAC 40
01:33:17 sont trop importants
01:33:19 à mon gré.
01:33:21 - Par membres fonds propres.
01:33:23 Par membres de capitaux.
01:33:25 Ou par aides du capitalisme.
01:33:27 - J'ai lutté toute ma vie.
01:33:29 Ma lutte a été perdue.
01:33:31 Ma lutte en particulier
01:33:33 lorsque j'ai indiqué
01:33:35 sur les retraites, le sujet
01:33:37 des retraites, c'était les fonds de pension.
01:33:39 Mais c'était pas...
01:33:41 Et cette lutte a été abandonnée
01:33:43 alors vraiment par l'ensemble
01:33:45 des politiques,
01:33:47 par l'ensemble de la presse,
01:33:49 par l'ensemble des économistes.
01:33:51 - Et des syndicats.
01:33:53 - Tout le monde avait cette lutte
01:33:55 alors que le problème, c'était
01:33:57 les fonds de pension. Fonds de pension qui
01:33:59 nous rachètent de temps en temps,
01:34:01 qui rachètent des actions dans les boîtes
01:34:03 et qui finissent par réorienter
01:34:05 les sociétés françaises
01:34:07 vers autre chose que le bien commun
01:34:09 français qui est
01:34:11 le phare
01:34:13 dans mon existence.
01:34:15 - Je suis content que vous utilisiez le mot "bien commun"
01:34:17 qui est un mot phare justement pour le nouveau conservateur.
01:34:19 Vous observez, Loïc Lefocq-Prigent,
01:34:21 que nos bougies
01:34:23 sont prêts de s'éteindre.
01:34:25 Ce qui signifie peut-être que notre conversation
01:34:27 dure. Je suis content
01:34:29 qu'elle ait été longue. On est
01:34:31 à la moitié de votre vie. Vous êtes
01:34:33 à Elf. Les choses vont un peu se gâter
01:34:35 dans les années 90.
01:34:37 Et si vous voulez bien, on va poursuivre cette conversation
01:34:39 une prochaine fois.
01:34:41 Je vous remercie
01:34:43 en tous les cas d'avoir dit tant de choses
01:34:45 et avec cette simplicité
01:34:47 solide qui vous caractérise.
01:34:49 Merci beaucoup
01:34:51 et à très vite.
01:34:53 [Générique]