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00:01France Info Soir, l'invité, Agathe Lambret.
00:05Vous êtes ancien ambassadeur de France en Russie, directeur de recherche à Luris, spécialiste des questions russes.
00:12La Russie qui commémorait aujourd'hui les 80 ans de la défaite de l'Allemagne nazie.
00:17Vladimir Poutine a organisé une cérémonie grandiose avec une grande parade militaire.
00:21Vous allez nous le dire, le 9 mai c'est une fête toujours fêtée en Russie, très importante.
00:26Mais cette cérémonie aujourd'hui était d'une ampleur inédite.
00:31Pourquoi aujourd'hui et est-ce que Vladimir Poutine instrumentalise la seconde guerre mondiale dans un contexte de guerre en Ukraine ?
00:37Alors qu'il l'instrumentalise sans aucun doute.
00:40La fête elle-même a toujours, surtout sous le régime de Poutine, pris une grande importance nationale.
00:47C'est la vraie fête nationale russe.
00:49Aucun des Russes ne connaît ou très peu connaissent le 12 juin qui est théoriquement la fête nationale.
00:54C'est la déclaration de souveraineté de la République fédérative.
00:57Rien que vous racontez ça, on voit que ça n'a aucune importance.
01:00Le 9 mai c'est la fête la plus importante.
01:02C'est la fête la plus importante, c'est la vraie fête nationale.
01:05C'est une fête d'unité, c'est une fête qui célèbre le courage, les morts.
01:11Et donc c'est une fête qui n'est contestée par personne, ni par l'opposition du système, ni par l'opposition hors système.
01:18Donc c'est une unanimité.
01:20Et évidemment le président russe cherche à mobiliser cette unanimité dans le contexte de ce qu'il appelle l'opération militaire spéciale qui a été citée très rapidement dans son discours.
01:32Traditionnellement le discours du président russe au moment du défilé du 9 mai est très très bref.
01:39C'est juste la célébration de l'unité nationale.
01:41Il y a très peu de... il n'y a même pratiquement aucune allusion à la situation politique interne ou externe.
01:48Sauf cette fois-ci il a dit un mot.
01:49Alors pourquoi cette fois-ci ? Est-ce que cette démonstration de force vis-à-vis du monde extérieur, on va en parler,
01:54mais est-ce qu'il avait aussi besoin de rassurer une opinion après des années de guerre ?
01:59Est-ce qu'il avait besoin de se justifier, de rassurer les russes ?
02:02Alors oui, parce qu'il y a un vrai débat actuellement à Moscou.
02:07Dans les cercles dirigeants là on en sait peu de choses.
02:09Mais on le voit, ça transparaît dans la presse, il y a un vrai débat entre ceux qui disent
02:14c'est une occasion historique, il faut accepter les propositions de Trump,
02:18elles sont favorables à la Russie et donc c'est le moment et puis l'Europe suivra.
02:24Et puis d'autres qui disent mais Trump il est là pour 4 ans, il n'est pas très fiable,
02:28l'état profond russe, américain pardon, est plutôt anti-russe, plutôt pro-ukrainien.
02:34Donc on va faire des concessions et ça servira à quoi ?
02:37Et évidemment à l'appui de ça vous avez la technostructure militaire qui murmure à l'oreille du président
02:44qu'on est proche d'enfoncer le front alors ça ne sert à rien de faire des concessions.
02:51Mais visiblement le président russe hésite, il n'a pas encore tranché.
02:59Et on va en reparler de ça, d'un potentiel à cesser le feu, de ce qui pourrait aboutir ou pas,
03:03mais juste d'un mot sur ce 9 mai russe, Vladimir Poutine que certains peuvent considérer comme un paria du point de vue occidental
03:12était aujourd'hui très entouré, une vingtaine de chefs d'état invités à ses côtés, ça aussi il voulait le mettre en scène.
03:19Poutine il n'est pas si isolé.
03:22Il ne l'a jamais été en fait.
03:24Pour l'ensemble de ce qu'on a appelé le sud global, d'ailleurs c'est un terme qui a émergé récemment, qui est assez vague,
03:32mais en gros le sud global ça représente les pays qui refusent d'appliquer les sanctions anti-russes mises par le monde occidental.
03:38Et ce sud global il a toujours été, il a toujours penché plutôt du côté russe.
03:43Il considère que la guerre en Ukraine c'est une guerre de blancs, c'est une guerre où, d'ailleurs Lula le président brésilien le dit,
03:51c'est une guerre où les responsabilités sont partagées, donc on, comment dirais-je, on camoufle un peu l'agression en tant que telle,
04:01pour dire, bah oui, ce sont les accidents qui ont mené les russes à ce point-là.
04:06Donc en fait, ça fait très longtemps que la Russie n'est pas isolée et que les trois quarts de la population du monde et la moitié du PIB sont plutôt pour lui.
04:14Alors cette fois-ci, ça se manifeste quand même officiellement à la tribune du défilé de la place rôle.
04:20Exactement, c'était aussi le but de cette démonstration de force en présence du président chinois.
04:25L'axe russo-chinois, est-ce que ça pèse ça face aux Etats-Unis dans un contexte de guerre en Ukraine alors que la Chine est l'ennemi numéro un de Donald Trump ?
04:34Alors, ça pèse très lourd sur le plan économique, sur le plan technologique, parce que les Chinois envoient leurs microprocesseurs
04:46et essayent de substituer sur le marché russe, d'ailleurs, aux firmes américaines et aux firmes européennes surtout qui sont parties.
04:56Sur le plan militaire, la Chine prétend qu'elle ne livre pas d'armement à la Russie.
05:02Et la Chine dit clairement, et d'ailleurs sur ce plan les Russes ne les contestent pas, qu'il n'y a pas d'alliance.
05:11La Chine dit qu'il n'y a pas d'alliance avec la Russie, c'est ce qu'a dit le président chinois.
05:14C'est le mot, une amitié sans limite, une amitié indéfectible.
05:18Mais il n'y a pas d'alliance.
05:20Et dans le corpus idéologique du Sud global, le refus des alliances est un point important,
05:28parce que les alliances c'est quoi ? En fait, pour eux, c'est l'OTAN.
05:31Donc quand ils disent qu'on ne veut pas d'alliance, on ne veut pas refaire une OTAN différente.
05:37On va revenir sur ce 9 mai, mais c'est dans un contexte de guerre en Ukraine,
05:42où Donald Trump a appelé hier un cessez-le-feu inconditionnel de 30 jours.
05:47Volodymyr Zelensky a accepté, Vladimir Poutine n'a toujours pas répondu.
05:51Vous disiez qu'il y avait un débat en Russie en ce moment entre poursuivre ou arrêter la guerre.
05:55Que cherche Vladimir Poutine ?
05:58Il veut continuer jusqu'où ?
06:00Alors, Poutine, il veut neutraliser l'Ukraine.
06:04Voilà. Je crois que c'est son objectif.
06:06Il a compris qu'il ne pourrait pas l'envahir, parce qu'il n'est pas assez fort militairement.
06:11Et puis ensuite, le pays est uni dans sa lutte contre l'envahisseur russe.
06:15Il a d'ailleurs contribué à resserrer les rangs, à créer de l'Ukraine, à faire de l'Ukraine un vrai pays.
06:21Donc il a compris qu'il ne pourrait pas l'envahir.
06:23En revanche, il espère pouvoir encore la mettre un peu sous tutelle.
06:27C'est-à-dire la neutraliser.
06:29Et ça, soit il veut l'atteindre par la paix.
06:33C'est pour ça que ce n'est pas joué.
06:34Peut-être qu'il va accepter les propositions de Trump.
06:38Vous pensez qu'il n'est pas en train de mener les Américains par le bout du nez ?
06:41Parce qu'on a d'un côté Volodymyr Zelensky et Donald Trump qui trouvent un accord sur les minerais.
06:46Et Zelensky qui se dit prêt à travailler à cette trêve.
06:49Et de l'autre, on a l'impression que ça patine avec Vladimir Poutine qui fait ce qu'il veut, malgré les pressions.
06:55Moi, je ne dirais pas qu'il les mène par le bout du nez.
06:57Parce qu'ils ne sont pas idiots quand même, les Américains.
06:59Même si Trump était un peu rapide.
07:01Donald Trump avait prétendu qu'il allait régler la guerre en quelques jours.
07:04Et finalement, il voit que c'est plus compliqué que ça.
07:06C'était un thème électoral.
07:08Il a largement, il l'a dit lui-même, sous-estimé les difficultés.
07:12Ça, c'est clair.
07:12Puis il a dit 24 heures, puis ensuite 100 jours.
07:16Et puis ensuite, maintenant, il dit ça va être dur.
07:17Mais la proposition de peut-être 30 jours, elle avait été faite dès la rencontre de Jeddah à la mi-avril.
07:27Et puis ensuite, on l'avait mise sous le boisseau.
07:29Même maintenant, d'ailleurs, il y a une légère contradiction entre les déclarations de J.D. Vance, le vice-président,
07:36et les déclarations de Trump.
07:38J'imagine que ça a été accordé assez rapidement quand même.
07:41Mais J.D. Vance, il y a deux jours, disait, ouais, la trêve de 30 jours, c'est peut-être pas forcément...
07:50Si on n'arrive pas à l'avoir, il faudra traiter directement la question des problèmes de fond, de la paix, etc.
07:55Si Trump parle à nouveau de la trêve des 30 jours, c'est qu'en fait, il a été sensible aux arguments européens.
08:03Puisque les Européens, quand ils sont réunis à Paris, et puis peut-être demain, quand ils se réuniront à Kiev...
08:09Parce que demain, il y a un sommet en Ukraine avec...
08:11Et les Européens, notamment.
08:14Eh bien, ils diront, il faut un préalable, il faut d'abord la trêve de 30 jours.
08:19Alors, les Russes n'ont pas dit non, a priori, mais ils ont posé des conditions telles que, en fait, cette trêve est inacceptable.
08:24Ça revient à dire non.
08:25Mais vous dites que la trêve proposée par Donald Trump, finalement, elle est plutôt avantageuse pour Vladimir Poutine ?
08:31Il garderait les territoires annexés pendant la guerre ?
08:32Non, c'est pas sûr. Non, justement, c'est pour ça que les Russes hésitent beaucoup à l'accepter, et qu'ils ne l'accepteront sans doute pas, et qu'ils ont mis des conditions telles que, en fait, ça devient, à ce moment-là, trop avantageux pour eux.
08:45Non, les Russes, en fait, ils ont l'avantage sur le terrain, et une trêve rognerait les dents à toute cette pression militaire, ces offensives permanentes que les Russes exercent sur 1200 km de front.
09:00En tout cas, ce soir, la diplomatie française a annoncé que les Américains et les Européens travaillaient ensemble à cette proposition de trêve de 30 jours, une proposition qui pourrait être présentée dans les prochains jours.
09:11Les Européens, la France, sont revenus dans le jeu des négociations aujourd'hui ?
09:15Je crois qu'on peut le dire. Je crois qu'on peut le dire. Pas au premier rang, mais en tout cas, le fait que Trump reprend la proposition des 30 jours, qu'il accepte d'en discuter avec les Européens,
09:26ça montre évidemment que les Européens sont à nouveau dans le jeu, et ça, c'est en partie dû à la diplomatie très active de la France.
09:36Du président français. Et quand Emmanuel Macron, sur X, met la pression sur Vladimir Poutine, tout à l'heure, il a posté un message dans lequel il dit que ça fait déjà deux mois
09:45que l'Ukraine a accepté le principe d'un cessez-le-feu. Il dit « J'attends désormais que la Russie fasse de même. À défaut, nous serons prêts à agir fermement avec tous les Européens
09:54et en étroite concertation avec les États-Unis ». Qu'est-ce que cela signifie ?
09:58En fait, il l'a dit depuis le début. Depuis le début, Trump a dit « La paix par la force, on fera pression sur les Ukrainiens ». Là, il a les moyens.
10:09Sur la Russie, il en a un peu moins, à part les sanctions. Donc, en fait, il réactive une partie ancienne de son discours
10:16pour essayer de forcer, en fait, les Russes à accepter la proposition de trêve.
10:22Et Donald Trump, est-ce qu'il pourrait se lasser ? Il a déjà menacé de quitter la table des négociations si ça continuait à traîner.
10:29Est-ce que c'est le risque aujourd'hui de lâchage des États-Unis ?
10:32Tout à fait. Je crois. D'ailleurs, Vance, le vice-président, l'a dit. Rubio l'a répété à plusieurs reprises.
10:38Si ça ne marche pas, ils se retireront. Et là, ils ne se retireront pas. Ils ne prendront pas leurs clics et leurs claques.
10:45Ils ne rapatrieront pas les quelques cent mille soldats qu'ils ont en Europe.
10:49Ça sera plus progressif. Mais ils vont laisser la responsabilité de la gestion du conflit aux Européens. Ça, c'est évident.
10:55Un dernier mot sur l'opinion russe, parce que c'est un pays qui est extrêmement verrouillé.
11:01Est-ce qu'on sait ce qu'en pensent vraiment les Russes ? On ne sait même pas précisément combien de soldats russes ont été tués.
11:07L'Ukraine dit 800 000. Donald Trump disait des centaines de milliers de morts. Est-ce qu'on sait quel est l'état d'esprit de la population ?
11:15Alors, oui. Tout le monde veut la paix. Le problème, c'est de savoir ce qu'on met dedans.
11:23Ils veulent la paix, mais la moitié de ceux qui veulent la paix disent aux conditions russes, bien entendu.
11:29C'est-à-dire la paix par la victoire. Donc, ça n'a pas une grande signification.
11:33Moi, je sens à travers les coups de téléphone, les amis ou des gens qu'il y a une lassitude de la guerre.
11:40Ça, c'est clair. Donc, ça, c'est très important.
11:42Mais ça n'implique pas que la popularité de Poutine baisse. Elle reste à peu près constante.
11:47Il y a une très, très légère baisse.
11:48Parce que Vladimir Poutine commande énormément de sondages, mais il publie ceux qui vont dans son sens.
11:53Il y a quand même un ou deux instituts. Un, surtout, qui s'appelle le Vada, qui est qualifié d'ailleurs d'agent de l'étranger en Russie.
12:02Et qui est un institut considéré généralement comme honnête.
12:06Et comment vous expliquez cette popularité de Poutine, malgré cette guerre en Ukraine qui dure ?
12:10Parce que, alors, il y a un élément de fond et un élément conjoncturel.
12:15L'élément de fond, c'est que les Russes ont gardé un souvenir épouvantable de la période dite démocratique,
12:21qui était la période des gangs, des raids, comme on appelle ça.
12:24C'est rentré dans le vocabulaire, c'est-à-dire on vous confisquait votre boutique, votre pizzeria, etc. du jour au lendemain.
12:31Violence, mort, police corrompue.
12:33C'est dans les années 90 et c'est à ce moment-là que la figure de Poutine.
12:35C'est 2000, avant l'arrivée de Poutine.
12:37Donc ça c'est vraiment dans l'inconscient de tout le monde.
12:41Encore que les jeunes générations qui arrivent maintenant, qui ont 25 ans, n'ont pas connu ça.
12:46Donc ça va changer, etc.
12:48Mais sur le fond, il y a cette idée.
12:49Et puis, conjoncturellement, paradoxalement, après une longue période de stagnation,
12:55la guerre a fait monter le revenu réel des Russes.
12:59Malgré les sanctions, malgré une forte inflation, le revenu des Russes a augmenté.
13:03Oui, 5-6% par an.
13:07Alors, ça va encore changer parce qu'on rentre dans un cycle de prix du pétrole bas.
13:12Et là, la Russie risque d'avoir une période économiquement difficile dans les mois qui viennent.
13:18Merci beaucoup Jean-Douguinetti, ancien ambassadeur de France en Russie, d'avoir répondu aux questions de France Info.
13:23Et merci Agathe Lambret.
13:24Retour de l'invité politique lundi à 18h30.
13:27Merci.
13:28Merci.
13:29Merci.

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