• il y a 7 mois
Thibault Hénocque reçoit Charles de Courson, député "Libertés, Indépendants, Outre-mer et Territoires" de la Marne sur le projet de loi "fin de vie".

Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.

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Transcription
00:00 Quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort,
00:04 la souffrance et la dignité, comment faire la loi ?
00:07 Dans le cadre des débats sur la fin de vie et l'instauration d'une aide à mourir,
00:11 nous recevons les députés en première ligne sur ce sujet.
00:14 Aujourd'hui, Charles de Courson, député de la Marne.
00:17 (Générique)
00:32 Bonjour Charles de Courson.
00:33 Bonjour.
00:34 Alors nous allons tenter de comprendre votre position sur cette question.
00:37 Vous êtes opposé à l'aide à mourir, que ce soit sous la forme du suicide assisté ou de l'euthanasie.
00:42 Vous plaidez en revanche pour un développement des soins palliatifs face aux souffrances de fin de vie.
00:47 Votre visage est évidemment connu puisque vous êtes député depuis plus de 30 ans ici à l'Assemblée,
00:51 mais on vous connaît plus sur les questions budgétaires, sur ces questions de société.
00:55 On vous avait moins entendu jusqu'ici.
00:57 Pourquoi cette fois intégrer la commission spéciale et monter, si l'on peut dire, en première ligne sur cette question ?
01:03 J'ai toujours été intéressé par les questions de bioéthique,
01:06 parce qu'à travers les questions de bioéthique se posent des questions fondamentales sur la vie,
01:12 du son commencement jusqu'à sa fin.
01:15 Et donc je suis le seul député à avoir participé aux quatre lois sur la bioéthique dans lesquelles je me suis impliqué.
01:25 Et y compris la loi en supplément Claes Leonetti.
01:32 Moi, j'ai toujours appuyé...
01:34 On va aller voir, vous êtes député depuis 1993, donc vous avez suivi à la fois la loi de 1999
01:40 qui ouvre l'accès aux soins palliatifs, la loi Kouchner de 2002 qui autorise le refus de traitement,
01:46 la loi Leonetti de 2005 qui interdit l'acharnement thérapeutique et qui introduit les directives anticipées,
01:51 et enfin la loi Claes Leonetti de 2016 qui ouvre la possibilité d'une sédation profonde et continue.
01:56 Je voudrais avoir votre regard sur cette évolution.
01:59 Le point commun, c'est la volonté de soulager la douleur, mais ça nous a emmenés chaque fois un petit peu plus loin.
02:04 Je ne dirais pas plus loin, je dirais appliquer une idée simple et très humaniste de la vie.
02:14 C'est d'accompagner la vie et d'aider nos concitoyens en difficulté,
02:20 mais en respectant la volonté de nos concitoyens.
02:27 Moi, je suis un libéral, donc j'ai toujours défendu les libertés sur toutes leurs formes.
02:33 Et de trouver le juste équilibre.
02:37 Les progrès que vous situez, ils sont à plusieurs niveaux.
02:41 Il y a tout d'abord l'idée que la vie appartient à celui qui la porte, et pas à des tiers qui décident pour lui.
02:53 La loi Kouchner, de ce point de vue-là, a été un progrès.
02:58 Et d'avoir une approche humaine et équilibrée dans le respect de la dignité humaine, de la dignité de l'être humain.
03:09 Et puis aussi, l'un des trois principes de la République dont on parle peu, qui est le principe de fraternité.
03:14 - Qu'est-ce que vous mettez derrière ce mot ? Parce qu'il est utilisé par ceux qui défendent aussi l'aide à mourir.
03:18 - Pour moi, la fraternité, c'est que ceux qui sont les plus fragiles et les plus en difficulté, on se doit de les aider.
03:26 Et les aider, ce n'est pas simplement un problème médical, c'est aussi de les entourer, de les accompagner.
03:32 Parce que la vie et la fin de vie, ce n'est pas la même chose de la vivre tout seul ou de la vivre accompagnée par les membres de sa famille, ses amis.
03:42 - Qu'est-ce qui, pour vous, dans l'aide à mourir, qui pourrait être instaurée par ce texte, marque une rupture par rapport à cette filiation des lois d'éthique ?
03:49 - Vous savez, dans le droit français, chacun est libre de mettre fin à sa vie.
03:56 Là, on demande un tiers et on demande un cadre légal pour cet acte, c'est que vous aidez à mourir, si vous voulez.
04:10 Et donc, il faut articuler, si vous voulez, les droits du malade et de toute personne humaine,
04:16 avec aussi la conciliation avec ceux qui s'occupent des malades, c'est-à-dire les médecins, les infirmières,
04:25 ceux dont on parle moins, les ASH, et de tout le personnel de santé.
04:30 - Alors, vous défendez l'idée de la loi Claes-Leonetti. En disant cela, vous aviez voté pour en 2016.
04:36 Je voudrais qu'on écoute ce que disait Jean Leonetti à l'époque pour s'opposer à l'euthanasie à ce moment-là.
04:42 - Malheureux disait que toute civilisation est hantée par ce qu'elle pense de la mort.
04:46 Elle peut aussi être jugée à la façon dont elle traite ses membres les plus vulnérables et en particulier ceux qui vont mourir.
04:54 Il faut soulager la souffrance de cela sans les abandonner, en continuant à les considérer vivants jusqu'au dernier instant.
05:01 - Vous êtes d'accord à ce que l'on vient d'entendre ? C'est la sensibilité dans laquelle vous vous situez ?
05:04 - Absolument. Moi, ma thèse, c'est de dire la première chose à faire, c'est d'appliquer la loi Claes-Leonetti.
05:11 Je suis frappé parce que récemment, des médecins m'ont demandé de faire un exposé sur le droit existant et les discussions,
05:18 puisque je faisais partie du groupe des parlementaires qui, avec la ministre de l'époque, Mme Firmin-Lebaudot,
05:23 qui est l'actuelle d'ailleurs présidente de la commission, des discussions de ce qu'il fallait faire.
05:29 Et tout le monde est d'accord sur le premier volet de la loi, qui est de mettre vraiment en place la loi Claes-Leonetti.
05:38 Quand vous pensez qu'actuellement, il n'y a qu'à peu près 40 % de nos compatriotes qui auraient besoin de soins palliatifs
05:48 qui bénéficient de la loi Claes-Leonetti, de la méconnaissance, y compris d'une partie du personnel de santé, de cette loi ?
05:56 - Actuellement, la Cour des comptes estime que 50 % des besoins de soins palliatifs ne sont pas pourvus en France.
06:01 Le gouvernement promet un plan sur 10 ans. Vous qui connaissez bien les questions budgétaires, est-ce que ça vous semble crédible ?
06:07 - Oui, je trouve que le plan qu'a exposé Catherine Vautrin, l'actuelle ministre de la Santé, c'est l'ordre de grandeur.
06:18 Actuellement, on dépense 1,6 ou 1,7 milliard sur les soins palliatifs, d'augmenter de 100 millions par an pour arriver à peu près à 1 milliard supplémentaire,
06:28 de façon à pouvoir couvrir la France d'unités de soins palliatifs. Vous savez qu'il y a encore une vingtaine de départements où il n'y a aucune unité de soins palliatifs.
06:36 Ils n'ont que des équipes mobiles de soins palliatifs, mais pas d'unités de soins palliatifs.
06:42 La formation, ça me paraît quelque chose d'essentiel dans la formation des médecins, des infirmiers et des ASH,
06:50 mais aussi du personnel des structures médico-sociales et en particulier des EHPAD.
06:55 - Alors, je vous interromps, on parlait de Jean Leonetti. Quand je vous ai demandé en préparant cet entretien s'il y avait une figure politique
07:01 qui vous avait marqué dans votre construction, vous m'avez répondu non. Votre conviction sur le sujet, m'avez-vous dit,
07:07 s'est faite dans une construction plus intime, avec des expériences de vie ? Est-ce que vous pouvez nous en parler ?
07:14 Comment s'est fait votre avis sur cette question ? - Oui, comme tout le monde, si vous voulez. Moi, je n'ai plus mes parents.
07:21 Mon père est mort il y a déjà très, très longtemps, il y a maintenant 30... peu de 35 ans. Voilà. Mon père a eu un cancer.
07:32 Mon père était très particulier, puisqu'il ne voulait pas soigner. Et quand il a fini par accepter de passer à l'hôpital,
07:39 il a été très bien soigné. Et le chef de service nous a dit, puisque nous sommes six frères et soeurs, voilà, il est perdu et il n'en a plus que pour quelques jours.
07:51 Et moi, j'ai demandé à un ami cancérologue, pour le nommer puisqu'il est maintenant mort, qui était célèbre, c'était le professeur Schwarzenberg,
08:03 est-ce que vous accepteriez de venir dans son hôpital pour examiner mon père et nous dire qu'est-ce que vous en pensez ?
08:09 Est-ce qu'il y a encore quelque chose à faire ou pas ? Et le docteur Schwarzenberg a accepté, parce qu'on s'était connu,
08:16 puisque j'ai été trésorier de la Ligue contre le cancer, enfin bon. Et donc c'est comme ça qu'on s'était connu.
08:21 Il a examiné mon père, nous a dit on peut tenter une chose et s'il ne réagit pas sous deux jours, il faut arrêter.
08:30 Et je lui dis mais est-ce que ça fera souffrir mon père ? Il m'a dit non. On a essayé, il n'a pas réagi.
08:38 Et donc tous les enfants ont dit dans ces conditions, eh bien laissez notre père mourir de sa mort naturelle.
08:47 C'est d'ailleurs ce qu'il aurait souhaité.
08:49 Est-ce que ça veut dire pour vous qu'à ce moment-là, l'hypothèse de la mort ne peut survenir que lorsque tout a été tenté ?
08:55 C'est ça l'expérience que vous avez faite ?
08:56 Je pense que c'est la fonction des médecins. Et la médecine n'est pas une science exacte, vous voyez.
09:03 On en parlera peut-être tout à l'heure sur les critères d'éligibilité au nouveau dispositif proposé.
09:10 Et moi ma mère est morte de sa mort naturelle chez elle, comme elle le souhaitait, si vous voulez.
09:16 Elle s'est endormie.
09:17 Et elle souhaitait mourir ?
09:20 Elle était atteinte d'une maladie neurodégénérative, comme beaucoup de personnes très âgées, puisqu'elle avait presque 95 ans.
09:29 Et elle me disait, tant qu'elle avait encore sa conscience, tu sais, pourquoi je suis encore sur Terre ?
09:35 Je suis une charge pour vous.
09:37 Et je lui disais, mais maman, nous avons été une charge pour vous.
09:42 Donc enfin, voilà, vous avez la chance d'avoir tous vos enfants autour de vous, vos petits-enfants.
09:49 Voilà. Et donc, c'est pas un problème. Vous n'êtes pas une charge. Vous voyez.
09:55 C'est le rôle de l'entourage aussi qui joue beaucoup dans l'expérience que vous avez de ces questions ?
10:00 Bien sûr. L'entourage, de la famille, mais aussi des gens qui s'occupent de soigner ces personnes, d'avoir de l'humanité.
10:09 Voilà. De l'humanité. Et c'est pour moi une forme de l'un des trois principes de la République française, la fraternité, dont on parle peu en France.
10:18 Vous parliez il y a quelques minutes du professeur Léon Schwarzenberg. Il était l'un des partisans de l'euthanasie, l'un des premiers en France.
10:24 Je vous propose d'écouter ce qu'il disait en 1984.
10:28 Vous savez, quand vous êtes confronté à ce problème, de toute façon, la réponse est mauvaise.
10:34 Si vous n'accordez pas la disparition de l'existence, impossible, vous êtes sauvage, vous êtes cruel.
10:43 Puis si vous l'accordez, vous n'êtes pas en accord avec votre métier. Alors vous répondez le moins mal possible.
10:49 Certains répondent que le moins mal possible, c'est de laisser la vie avec une majuscule se poursuivre malgré tout.
10:55 Certains d'autres, dont je ferai partie, pensent qu'au contraire, il faut respecter jusqu'au bout la vie et le désir de liberté de la malade ou du malade
11:03 et lui permettre de décider lui-même avant que la mort qui avait déjà rongé ce malheureux visage fasse son œuvre.
11:12 Comment vous réagissez à ces propos ?
11:15 Mais je trouve que ce sont des propos pleins d'humanité.
11:19 Tout le monde sait que beaucoup de médecins, ils vous le disent, pratiquent des aides à mourir, de fait.
11:30 Mais de là, si vous voulez en faire un texte de loi, je pense que ça n'est pas la bonne solution.
11:41 Pour moi, il fallait aller jusqu'au bout de la loi Claes-Leonetti, c'est-à-dire la mettre vraiment en œuvre.
11:48 Dans le plan Vautrin, il y en a pour 10 ans. Après, on fait le point et on voit, est-ce qu'il faut faire évoluer ?
11:56 Léon Schwarzenberg estimait que, tout en étant favorable à l'éthanasie, effectivement, il ne voulait pas de loi sur le sujet.
12:02 Il disait que c'est un problème entre deux consciences qui ne peut se régler qu'à ce niveau.
12:05 Il y a un risque à courir pour les médecins, mais il faut savoir le courir.
12:09 Vous seriez tenté de dire que c'est un des rares domaines où la loi devrait fermer les yeux ?
12:15 Dans les faits, c'est ce qui se passe actuellement.
12:21 Ma grande crainte, si vous voulez, c'est d'ouvrir la voie.
12:28 Quand on regarde les expériences étrangères, on voit bien qu'une fois qu'on a mis le doigt là-dedans,
12:36 la grande tentation, et c'est ce qu'on voit dans beaucoup de pays, on élargit, on élargit, on élargit.
12:42 Merci, Charles de Courson, d'avoir été notre invité.
12:47 [Musique]
13:08 [SILENCE]

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