Thibault Hénocque reçoit Christophe Bentz, député Rassemblement national de la Haute-Marne.
Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.
Le débat sur la fin de vie dépasse les clivages politiques traditionnels car il concerne à la fois l'intime et l'universel, l'individu et la civilisation. Alors, quand la politique se penche sur des notions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité, comment faire la loi ? Faut-il autoriser l'aide à mourir ?
A l'occasion de l'examen de la loi sur l'aide à mourir qui s'ouvre à l'Assemblée nationale le 27 mai prochain, La politique et moi donne la parole dans 10 émissions spéciales, présentées par Clément Méric et Thibault Hénocque, à 10 députés qui ont décidé de défendre leurs convictions sur ce sujet.
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00:00 Quand la politique se penche sur des questions aussi fondamentales que la vie et la mort, la souffrance et la dignité,
00:06 comment faire la loi dans le cadre des débats sur la fin de vie et l'instauration d'une aide à mourir ?
00:11 Nous recevons les députés en première ligne sur ce sujet.
00:14 Aujourd'hui, Christophe Bens, député Rassemblement National de la Haute-Marne.
00:19 (Générique)
00:34 Bonjour Christophe Bens.
00:36 Alors nous allons tenter de comprendre votre position politique sur cette question.
00:40 Vous êtes opposé à l'aide à mourir, que cela soit sous la forme de l'euthanasie ou du suicide assisté.
00:45 Vous êtes en revanche partisan du développement des soins palliatifs.
00:48 Il y a quelques semaines, en commençant les débats, vous avez qualifié le projet de loi du gouvernement, je vous cite,
00:54 de « sinistre, glauque et dangereux ». Pourquoi ces mots ?
00:58 Vous savez, on est sur un sujet fondamental, en réalité un sujet qui touche à l'intime, qui touche aux convictions personnelles.
01:08 Ce n'est pas n'importe quelle question, n'importe quel débat aujourd'hui que l'on pose dans la société.
01:13 Bien au contraire, et effectivement j'ai cette opposition à ce texte qui vise à ouvrir, notamment, on reparlera des soins palliatifs j'imagine,
01:21 à l'euthanasie et au suicide assisté.
01:23 D'ailleurs merci à vous d'avoir dit les vrais termes, puisque dans le texte, ils ne sont pas présents.
01:29 On parle d'aide à mourir, qui à mon sens n'est pas...
01:32 Qui englobe les deux possibilités qui sont offertes par la loi.
01:35 Mais sans jamais les nommer malheureusement.
01:36 C'est un problème pour vous ?
01:37 Oui c'est un problème, parce que quand on pose un débat dans la société, on a le droit de le poser ce débat.
01:42 Il faut poser les bons termes sur des réalités, ne serait-ce que pour que le débat se fasse en vérité, pour ainsi dire.
01:49 Et je pense que d'avoir édulcoré, aseptisé le langage, n'aide pas les Français à comprendre les vrais enjeux qui se situent dans ce texte.
01:58 Justement, je faisais référence à vos mots sinistres, glauques et dangereux.
02:01 Vous êtes dans une volonté, vous, de ne pas édulcorer le langage, d'être dans une posture peut-être plus incisive là,
02:06 où certains disent que sur ces textes là, il faut disons une forme de consensus et une manière d'être plus dans la retenue.
02:13 De consensus, je ne sais pas.
02:16 Il faut un contexte de débat qui soit apaisé, qui soit serein.
02:22 Par parenthèse, le fait d'avoir mis ce texte dans un contexte de campagne électorale n'y aide pas, malheureusement.
02:28 Et ça aussi, on le conteste au niveau du groupe Rassemblement National,
02:32 parce qu'on a besoin sur le temps long d'avoir des débats qui se situent dans un contexte adapté à un débat aussi profond, anthropologique,
02:41 un sujet presque de civilisation, qui questionne tout de même, c'est pas rien, le rapport à la vie et à la mort.
02:48 On va y revenir. Alors vous vous définissez, Christophe Benz, comme un conservateur social.
02:52 Conservateur, on comprend, social, il faut nous expliquer en quoi l'aide à mourir met-elle en cause la société.
03:00 Oui, dimension sociale, parce que je considère qu'aujourd'hui, le rôle, la mission de l'État, c'est d'aider, au vrai sens du terme,
03:09 l'aide, le soulagement, le secours, d'aider ses concitoyens, de les accompagner,
03:15 et les accompagner jusqu'à la fin de leur vie en les soignant.
03:21 C'est pour ça que je conteste le fait que le suicide assisté ou l'euthanasie soient un soin.
03:26 Et ce n'est pas du tout du registre du soin, mais la vocation de la médecine, c'est de soigner.
03:32 La vocation d'un État, c'est d'accompagner avec le soin vers la fin de la vie.
03:36 Alors en préparant cet entretien, je vous ai demandé quelle figure politique avait compté pour vous sur ces questions.
03:41 Vous m'avez répondu Jean-Frédéric Poisson, un ancien député, aujourd'hui président de VIA, anciennement Parti Chrétien Démocrate.
03:49 Il est aussi philosophe de formation, très attentif aux questions éthiques.
03:53 C'est un opposant de longue date à l'euthanasie. Je vous propose d'écouter ce qu'il disait en 2015, c'était ici même dans ce studio.
03:59 On présuppose que la mort n'est qu'une affaire individuelle, ce que je ne crois pas.
04:04 Il y a une dimension collective dans la mort de chacun.
04:07 La mort de chacun et chacune d'entre nous nous remet en face d'un destin collectif, en face de la nature que nous partageons,
04:13 en face de ce à quoi sert la culture, qui est le meilleur intermédiaire en réalité entre chacun d'entre nous, et puis de notre propre finitude.
04:19 Enfin, tout ça existe. C'est bien sûr philosophique, mais qu'est-ce que la culture si ça n'est pas de la philosophie ?
04:23 Alors, neuf ans plus tard, Christophe Ben, c'est vous qui êtes sur ce plateau.
04:26 En quoi Jean-Frédéric Poisson a-t-il été une source d'inspiration pour vous sur ces questions ?
04:30 D'abord parce que j'ai travaillé pour lui pendant plusieurs années. J'ai été son délégué général.
04:35 On a beaucoup discuté de ces sujets-là parce qu'il a beaucoup lui-même travaillé sur ces sujets-là.
04:39 Il a même écrit plusieurs ouvrages sur les sujets des soins palliatifs.
04:43 Ce qu'il relève là est important.
04:46 C'est le sujet qu'on a eu d'ailleurs à plusieurs reprises en débat, en audition à l'Assemblée nationale.
04:51 C'est, au-delà du désir de mort, le choix individuel de demander l'euthanasie ou le suicide assisté.
05:00 Est-ce seulement un choix individuel ?
05:02 Oui, il y a une dimension philosophique et humaine là-dedans.
05:06 Et je réponds que pas seulement.
05:09 Parce que, que ce soit l'euthanasie ou le suicide assisté, qui par parenthèse, en fait, est la même démarche.
05:15 La différence, c'est la main qui va administrer la substance létale.
05:18 Est-ce que c'est la personne elle-même ou est-ce que c'est un tiers, ou un médecin, ou un infirmier, etc.
05:24 Mais en fait, ce choix, il va impliquer beaucoup de monde.
05:27 Il va impliquer les médecins, les soignants, la communauté des soignants, très globalement sur la question de l'euthanasie.
05:34 Il va impliquer ce qu'on appelle les tiers de confiance, les proches, les membres d'une famille,
05:39 qui seraient amenés demain à administrer pour le patient la substance létale.
05:44 Et j'ajoute que plus largement, ça questionne la preuve.
05:48 Ça questionne notre société entière, et preuve en est même notre civilisation entière,
05:52 puisqu'on a des voisins, la Belgique, les Pays-Bas, ou l'Espagne plus récemment,
05:56 qui ont légalisé l'euthanasie.
05:58 Et donc forcément, il nous pose aussi à nous, Français, la question.
06:01 La preuve, c'est qu'un débat arrive dans notre pays aujourd'hui, une vingtaine d'années après le cas de la Belgique, par exemple.
06:06 Donc c'est vraiment un sujet de société très global, qui englobe beaucoup de monde.
06:10 Ça ne peut pas être que un choix individuel.
06:12 - Avant d'être au Rassemblement national, vous avez vous-même été membre du Parti chrétien-démocrate.
06:17 Votre foi chrétienne est revendiquée, c'est la raison pour laquelle je me permets de la mentionner.
06:21 Quelle place a cette dimension religieuse dans votre réflexion sur ce sujet ?
06:25 - Ayant été délégué général du Parti chrétien-démocrate, le terme étant dans l'intitulé, et je l'assume parfaitement,
06:30 naturellement, c'est ma sensibilité.
06:32 Et les sensibilités spirituelles de chacun doivent compter, bien sûr, qu'à la fois personnelles.
06:38 Mais il peut y avoir aussi l'expérience de la vie.
06:41 L'expérience, par exemple, d'un proche qui a été en fin de vie et que vous auriez accompagné.
06:49 Donc tout ça sont un ensemble de paramètres qui permet de vous forger, au fond de vous-même, une réelle conviction.
06:54 - Alors les propos de Jean-Frédéric Poisson, qu'on entendait il y a quelques instants, intervenaient dans le cadre du débat sur la loi Claes.
06:59 Léon Nettie, en 2015, avait voté contre, réticent notamment sur la mesure phare de la loi,
07:04 la sédation profonde et continue maintenue jusqu'au décès.
07:07 Aujourd'hui, vous vous estimez que cette loi est une bonne loi et que son application permettrait de répondre à l'ensemble des cas de souffrance en fin de vie ?
07:14 - La loi Claes-Léonettie, à mon sens, de 2016, elle est une loi d'équilibre.
07:19 Elle est une loi de consensus, général, on va dire.
07:24 Et c'est là ce que l'on demande précisément, et ce qu'est notre conviction.
07:29 Là, pour le coup, j'englobe l'ensemble des députés du Rassemblement national.
07:32 C'est que cette loi soit connue, mieux connue, ne l'est pas assez.
07:36 Qu'elle soit appliquée, ce qui serait quand même le minimum, depuis huit ans qu'elle existe.
07:40 Et évidemment, qu'on y mette les moyens.
07:42 Parce qu'évidemment, il y a une dimension financière.
07:44 Ça coûte de l'argent d'accompagner jusqu'au bout, mais je pense que c'est notre humanité.
07:48 - D'ailleurs, vous faites partie de ceux qui lèvent un peu à tabou sur cette question.
07:51 Vous dites que, évidemment, les soins palliatifs, ça coûte beaucoup plus cher que l'aide à mourir.
07:54 Vous craignez qu'il y ait un arbitrage budgétaire qui ne dise pas son nom derrière ces débats ?
07:58 - Je le crains.
07:59 Je pense qu'aujourd'hui, il ne doit pas y avoir de calcul financier là-dessus.
08:03 Au contraire, à partir du moment où on a acté une loi, elle a été votée, cette loi, en 2016.
08:08 Eh bien, il faut l'appliquer.
08:09 Il faut y mettre les moyens.
08:10 Parce que, je me permets de rappeler un chiffre très important,
08:14 chaque jour en France, 500 personnes, 500 Français meurent sans avoir pu avoir accès aux soins palliatifs.
08:22 - Vous craignez que l'aide à mourir supplante dans les faits le développement des soins palliatifs ?
08:26 - C'est ce qui est à craindre, oui.
08:29 Et malheureusement, le recul que nous avons sur l'exemple belge, qui a 22 ans maintenant,
08:35 nous prouve que cette euthanasie, là-bas, en Belgique, s'est faite au détriment du développement des soins palliatifs.
08:42 C'est ce que l'on craint, alors que nous, on demande précisément ce développement.
08:45 Il est honnêtement extrêmement urgent.
08:47 Je vous parle des 500 personnes par jour qui meurent en souffrance, dans la douleur,
08:52 alors qu'on a des outils juridiques et médicaux et d'accompagnement social et humain
08:56 pour ce qui est la problématique centrale de ce texte.
09:00 C'est comment la société, comment l'État prend en compte la douleur,
09:05 prend en compte la souffrance et y répond.
09:07 - Alors, vous parliez effectivement des soins palliatifs.
09:10 Il y a une figure qui compte pour vous sur cette question.
09:12 C'est le médecin Claire Fourcade, président de la Société française d'accompagnement des soins palliatifs.
09:17 Elle est opposée à l'euthanasie. Je vous propose d'écouter ce qu'elle dit.
09:21 Voyez autour de moi tous ceux qui, au nom de toute la société, font face à la mort tous les jours,
09:28 avec courage et humilité. Ils construisent au quotidien la fraternité avec les plus fragiles d'entre nous.
09:34 Voyez autour de moi tous ceux qui se tiennent assis au bord du lit de ceux qui meurent,
09:40 pour leur dire qu'ils comptent pour nous tous et qu'ils vont manquer à notre communauté humaine.
09:46 Voyez autour de moi tous ceux qui refusent d'avoir le pouvoir de faire mourir quand ils n'ont pas celui de guérir.
09:52 Tous ceux qui veulent soulager jusqu'à la mort plutôt que donner la mort.
09:56 - Qu'est-ce qui retient votre attention dans ces propos ?
09:58 Je crois d'ailleurs que vous avez reçu Claire Fourcade dans le cadre du groupe du Rassemblement national.
10:02 - Oui, tout à fait. Je me souviens très très bien de cette intervention de Claire Fourcade
10:07 parce que j'ai été très ému par son propos liminaire qui a duré une dizaine de minutes
10:12 où elle explique avec le cœur, ça se sent,
10:15 elle a ce que j'ai appelé d'ailleurs à l'époque ce cri du cœur.
10:19 Elle est là dans un débat sur la question de l'euthanasie
10:22 et elle depuis des décennies elle accompagne des patients qui sont dans la souffrance
10:28 et sa mission c'est d'y répondre.
10:31 Sa mission, j'y reviens, mais c'est le cœur même du débat.
10:36 Elle se bat tous les jours, elle et l'ensemble de la communauté palliative, pour la vie finalement.
10:43 Parce que des demandes de mort, elles doivent être entendues.
10:49 Quand on souffre trop, quand on a trop mal, c'est peut-être légitime de demander ça.
10:54 Et l'ensemble de la communauté palliative que j'ai rencontré, enfin l'ensemble parmi ceux-là,
10:57 me disent "mais tous ceux qui viennent dans nos services de soins palliatifs en fin de vie,
11:04 avec un diagnostic qui peut être plus ou moins à court ou moyen terme,
11:07 et qui nous demandent la mort, dans l'écrasante majorité des cas,
11:12 dès qu'ils ont accès aux soins palliatifs, effectivement, dès qu'ils sont soulagés,
11:17 alors ils renoncent à cette demande de mort.
11:19 C'est là où c'est un peu rageant, si vous me permettez le terme,
11:22 c'est qu'on a, encore une fois je le répète, on a les moyens humains et médicaux,
11:27 on a la loi qui existe, la loi de 2016, pour répondre à cette problématique et forcément...
11:31 La loi de 2016, pour terminer, qu'est-ce qui distingue vraiment la sédation profonde et continue
11:36 qui peut être maintenue jusqu'au décès, qui prévoit éventuellement l'arrêt de la nutrition,
11:40 l'arrêt de l'hydratation, et donc qui précipite la mort ?
11:43 Qu'est-ce qui la distingue vraiment de l'euthanasie ?
11:45 Ce qui la distingue déjà, c'est l'intentionnalité.
11:48 C'est ça la grosse différence.
11:50 Et c'est là où il y aurait, je parle encore au conditionnel, une rupture.
11:54 Une rupture entre ce qui est la sédation, qui n'est pas une forme de provocation de la mort,
12:00 ce n'est pas une substance létale.
12:03 Donc non, ce n'est pas la même chose.
12:06 D'abord, il faut savoir que la sédation profonde et continue, c'est le dernier recours dans les protocoles de soins palliatifs.
12:12 Il y a toute une palette de soins palliatifs.
12:14 On offre aux patients, et c'est ça qui est merveilleux, quand on voit qu'on arrive à soulager la douleur des patients,
12:21 plein de protocoles qui soient médicamenteux, bien sûr, mais qui sont aussi non-médicamenteux.
12:26 Sur l'accompagnement, je disais humain, mais aussi, je vois, quand on en a parlé avec le médecin en soins palliatifs à Sens,
12:32 sur l'hypnose, sur les massages, sur la prise en charge psychologique, c'est très important aussi.
12:39 Parce que quand il y a une souffrance physique, naturellement, il y a une souffrance psychologique.
12:44 Donc ça, ce sont aussi, les soins palliatifs, c'est un accompagnement global de la personne.
12:49 C'est comme ça qu'il faut le comprendre.
12:51 Merci Christophe Benz d'avoir été notre invité.
12:53 Merci à vous.
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