Les énergies renouvelables peinent à s’imposer en France. L’éolien et la méthanisation suscitent souvent des résistances locales. Béatrice Delpech, d’Enercoop, et Carine Sebi, de Grenoble École de Management, nous expliquent comment surmonter ces obstacles pour une transition énergétique plus acceptable.
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00:00Générique
00:00L'acceptabilité des énergies renouvelables, c'est le thème de notre débat avec Béatrice Delpech. Bonjour.
00:11Bonjour.
00:11Bienvenue, vous êtes la directrice générale adjointe d'Enercop et on est également en duplex avec Karine Sébi,
00:18coordinatrice de la chaire Energy for Society, professeure assistante en économie à l'école de management de Grenoble.
00:25Bonjour et bienvenue à vous. On commence par une présentation d'Enercop. En quelques mots, elle a été créée il y a une vingtaine d'années, c'est ça ?
00:3320 ans, ça fera 20 ans au mois de juillet absolument.
00:35C'est quoi Enercop ?
00:36Enercop, c'est aujourd'hui un réseau de 11 coopératives d'intérêts collectifs et qui sont des coopératives d'énergie renouvelable.
00:43On a été créé il y a 20 ans par des hommes et des femmes qui avaient la conviction farouche que l'énergie est un bien commun
00:48et que c'est rarement une bonne idée de confier un bien commun à des intérêts privés.
00:51Donc ça c'est vraiment la genèse de la création. Et on développe trois activités.
00:57Historiquement, la première activité c'est qu'on est un fournisseur d'électricité renouvelable.
01:01On a inventé un modèle assez original à l'époque puisqu'on achète un réseau de producteurs d'énergie renouvelable en France,
01:07leurs électrons et les garanties d'origine associées.
01:10La deuxième activité c'est qu'on est producteur d'énergie renouvelable.
01:13Alors on l'a fait longtemps, petitement et depuis quelques années on le fait beaucoup plus massivement.
01:18Donc on développe nous-mêmes des projets d'énergie renouvelable, essentiellement photovoltaïque et éolien.
01:24Et puis la troisième activité, c'est une activité qu'on mène depuis 20 ans également.
01:28On accompagne des particuliers, des professionnels et des collectivités pour les aider à la maîtrise de leurs usages,
01:34que ça aille de la réduction de leur consommation jusqu'à la solarisation des toits des collectivités par exemple, ce genre de choses.
01:40Puisque en fait toute notre activité est entièrement tournée vers le scénario esquissé par l'association Negawatt,
01:47qui est un scénario qui repose sur une énergie 100% renouvelable, de la sobriété et de l'efficacité énergétique.
01:53Et on va parler évidemment ensemble de l'acceptabilité de ces énergies renouvelables.
01:59Karine Séby, vous avez publié le rapport d'activité de la chaire Energy for Society.
02:03Et vous avez choisi deux énergies renouvelables, l'éolien et la méthanisation.
02:08Pourquoi ces deux-là ? Est-ce qu'ils suscitent ou pas d'ailleurs un plus de rejet, de réticence que les autres énergies renouvelables ?
02:17Alors pourquoi l'éolien ? Tout simplement parce qu'aujourd'hui une éolienne, elle est dans l'imaginaire de tous les citoyens.
02:24Et qu'en plus on voit bien qu'il y a de plus en plus de contestations.
02:29Donc on a voulu en effet valider si jamais il y avait ces oppositions qui étaient en montance.
02:37Et le problème aussi de la méthanisation, c'est que c'est une énergie qui est prévue par plusieurs programmes,
02:43notamment la PPE, avec des objectifs qui sont annoncés à 2050 d'avoir un gaz 100% renouvelable.
02:49Et qu'aujourd'hui, donc, c'est une consommation qui est plutôt anecdotique avec uniquement 2 à 3%.
02:54Donc il va y avoir une montée en puissance de la méthanisation qui aujourd'hui déjà suscite des oppositions.
03:01Donc l'intérêt, c'était de voir quel est l'état, on va dire, des préférences sur l'éolien.
03:08Et au niveau de la méthanisation, qui sont des projets énergétiques qui sont quand même un peu moins connus,
03:15comment justement on peut accompagner à la fois les politiques publiques et les développeurs de projets
03:18pour les insérer dans des territoires, parce que chaque projet de méthanisation est propre dans un ancrage territorial.
03:26Donc là, l'idée, c'était de voir quels sont les leviers qui permettraient de passer ce cap.
03:31On va reparler de méthanisation, mais je voudrais qu'on se concentre d'abord sur l'éolien.
03:36Béatrice Delpech, le cadre que vous proposez, ce cadre coopératif, est-ce qu'il gomme forcément les réticences ou pas ?
03:44Forcément, je ne sais pas, mais en tout cas, c'est sûr que ça facilite beaucoup les choses,
03:48puisque nous, le modèle qu'on privilégie, c'est le modèle de la gouvernance citoyenne.
03:53Ça veut dire qu'on n'appelle pas seulement les citoyens au capitaux de nos projets,
03:56on les appelle à rentrer dans la gouvernance.
03:57Ça veut dire quoi ? Très concrètement, ça veut dire qu'autour de la table,
04:00on va mettre des collectivités territoriales, des entreprises, des habitants, des habitantes,
04:04qui ensemble vont réfléchir et se réapproprier tous les enjeux liés à la production d'électricité.
04:10De se dire de quoi on a besoin, pour quoi faire.
04:12Si on produit sur notre territoire, on veut que ça alimente, par exemple, les services publics,
04:16on veut le revendre, dans quelles conditions, à quel opérateur, qu'est-ce qu'on veut faire.
04:20Et donc, c'est un projet de territoire, en réalité.
04:22Donc ça, ça facilite évidemment grandement l'acceptabilité des projets.
04:26Et puis, il y a une deuxième chose qui, je pense, est intéressante,
04:29c'est qu'il y a une étude qui a été menée par Énergie Partagée il y a quelques années,
04:33qui montre que les projets à gouvernance citoyenne
04:35ont de meilleures retombées économiques locales pour les territoires.
04:38Mais de manière conséquente, j'ai envie de dire,
04:42puisque pour 1 euro investi, il y a 2,50 euros de retombées locales dans le territoire
04:46quand le projet est à gouvernance citoyenne, ce qui n'est pas le cas.
04:49Pourquoi ? Parce qu'il y a moins d'intermédiaires ?
04:50Il y a moins d'intérêt traditionnel d'une entreprise privée ?
04:54C'est quoi la logique ?
04:55Je dirais qu'il y a deux facteurs majeurs.
04:57Le premier facteur, c'est que les locaux qui sont autour de la table
05:01vont privilégier des entreprises locales pour faire les travaux.
05:04Déjà en premier lieu, ça facilite, ça booste l'emploi local.
05:07Il y a un deuxième facteur très important,
05:09c'est que du coup, le projet ne va pas être vendu une fois qu'il sera réalisé.
05:13Donc ça veut dire que les bénéfices vont pouvoir s'ancrer
05:16sur la durée d'exploitation du parc
05:18et donc pas sur les 5, 6, 8 ans de construction,
05:21mais sur les 30 ans d'exploitation.
05:23Donc ça fait des revenus très conséquents.
05:25Karine Séby, vous avez donc analysé les raisons
05:29de ce qu'on pourrait appeler une forme de rejet français de l'éolien
05:32parce que ce n'est pas tout à fait la même chose dans d'autres pays d'Europe.
05:36Comment vous l'expliquez ?
05:37Il y a une part d'intérêt politique, évidemment,
05:41parce qu'il y a des partis politiques qui se sont emparés de ce thème.
05:44Comment vous expliquez ce rejet ?
05:46Alors effectivement, ce rejet, on a essayé de l'expliquer
05:49en faisant des croisements avec des données sociodémographiques.
05:52Et le constat, c'est qu'il y a un bon tiers de la population, en fait,
05:55qui sont fortement opposés à l'éolien.
05:57Et on se rend compte que ces opposants, ils ont plutôt une affinité,
06:02une affiliation aux parties d'extrême droite en particulier.
06:05Et on retrouve aussi des citoyens qui ne se prononcent pas au cours des votes.
06:09Donc ce sont des abstentionnistes.
06:12Et ce rejet envers l'éolien, il est renforcé par une moindre confiance envers l'État.
06:18Donc on voit, ou des institutions publiques,
06:21donc on voit le rôle et la légitimité des politiques publiques a actuellement
06:26pour porter des messages qui sont, on va dire, fédérateurs,
06:29qui vont englober cette population,
06:32puisque aujourd'hui, on se rend compte que des messages qui,
06:34historiquement, on va développer des énergies renouvelables
06:37pour lutter contre le dérèglement climatique, etc.,
06:40ne sont des messages qui vont avoir parfois des conséquences, on va dire,
06:46inversées à ce qu'on pourrait espérer.
06:49Et il faut trouver des messages qui sont plus englobants,
06:53parler de sécurité énergétique, de souveraineté énergétique,
06:58de création d'emplois.
06:59Mais le constat aussi qu'on fait, c'est qu'au-delà de ces 30% de réfractaires,
07:04l'adhésion sociale, finalement, elle est plutôt bonne
07:08et elle peut être consolidée, notamment par ce que vient de dire Béatrice
07:12sur la mise en place d'une gouvernance partagée,
07:17le fait qu'on mette en place aussi des messages et des politiques publiques
07:21pour faire valoir tous les avantages des ENR,
07:23pour lutter aussi contre la désinformation qui est massive actuellement,
07:26parce qu'on voit bien aussi que les sujets énergétiques cristallisent
07:29et polarisent aussi les discours et les attentions dans les médias.
07:36Et donc, il faut absolument que toute cette création de valeur,
07:39elle se fasse valoir et qu'elle soit beaucoup plus visible.
07:41Et il faut donc adapter les narratifs.
07:43Mais Karine Séby, il y a effectivement des parties de droite ou d'extrême droite,
07:47mais il y a aussi des associations qui se battent,
07:50notamment pour la défense d'un certain nombre d'espèces protégées,
07:53qui sont mises en péril par les éoliennes.
07:55Donc, ce sont des projets qui peuvent être pris en étau d'une certaine façon.
08:00Tout à fait. Après, il ne faut pas nier, bien évidemment,
08:02les impacts sur la biodiversité, que ce soit l'éolien
08:05ou n'importe quel autre projet.
08:06Le problème, c'est que tout est une question de code d'opportunité.
08:10Est-ce qu'on s'interdit d'avoir accès à une énergie décarbonée
08:15et qu'on continue à importer des énergies qui sont donc carbonées ?
08:19Aujourd'hui, 60% de notre mix énergétique est importé
08:22et provient donc d'énergies carbonées.
08:24Ou, effectivement, on prend en compte des mesures
08:27qui vont nous permettre de faire un arbitrage
08:29entre des problèmes de biodiversité
08:32avec une adaptation, une compensation par ailleurs ?
08:36Béatrice Elpech, le modèle Enercop, il est duplicable,
08:40mais ça dépend de qui.
08:41Est-ce que c'est forcément des citoyens qui sont à l'origine ?
08:44Ou est-ce que ça vient plutôt d'une collectivité locale, par exemple ?
08:47Alors, certains de nos projets, on les a initiés nous-mêmes,
08:49et puis d'autres, ce sont des collectivités
08:51qui sont venues nous chercher.
08:53Par exemple, j'ai envie de parler d'un projet
08:55à Andi-les-Marais, en Charente-Maritime.
08:57C'est un projet de petits parcs éoliens.
09:00Alors, je dis petits parce qu'il n'y a que trois éoliennes,
09:02mais ce sont de très grandes éoliennes,
09:03parce que figurez-vous que ce sont les éoliennes
09:04qui ont les plus longues pales de France.
09:0680 mètres de long, autant vous dire qu'on les voit de loin.
09:09Donc, ça fait beaucoup de riverains potentiellement hostiles,
09:13d'une certaine façon.
09:13Oui, alors du coup, j'ai envie de vous poser une question.
09:15Sauriez-vous me dire combien de recours
09:16il y a eu contre ce projet ?
09:19Non, je ne saurais pas, mais j'imagine pas beaucoup.
09:21Zéro.
09:21Zéro.
09:22Alors, comment vous l'expliquez ?
09:23Gouvernance partagée, projet citoyen, projet de territoire.
09:27Et là, c'est la collectivité qui est venue nous chercher,
09:30parce qu'en fait, il faut bien voir qu'il y a certains développeurs
09:32qui arrivent comme des cow-boys dans les territoires.
09:34Ils arrivent avec des projets massifs,
09:35ils arrivent avec des effets sur la spéculation foncière
09:38qui sont très importants.
09:39Et du coup, les collectivités n'ont pas du tout envie de ça.
09:43Donc là, en voyant que des développeurs
09:47avaient identifié un couloir de vent favorable
09:48et que ça commençait à faire des petits sujets,
09:52notamment sur la spéculation foncière, la collectivité...
09:54Ça veut dire qu'ils étaient en train de démarcher
09:55des propriétaires, des agriculteurs ou autres
09:58pour leur dire vendez-nous terrain.
10:00D'accord.
10:01Et donc, du coup, ils ont fait un appel à manifestation d'intérêt
10:03en insistant sur le fait qu'ils voulaient
10:05une dimension citoyenne dans le projet.
10:07Donc, du coup, nous, on a répondu,
10:08en l'occurrence, notamment notre Enercop en Nouvelle-Aquitaine
10:11a répondu à ce projet-là.
10:13Et nous, on a mis en place un véritable projet à gouvernance locale.
10:16Et aujourd'hui, c'est un des plus puissants parcs
10:19qui va alimenter 11 000 foyers.
10:21et aucun recours, zéro.
10:24Vous en avez eu des recours sur certains d'autres de vos projets ?
10:27Bien sûr.
10:27Et comment vous répondez justement aux inquiétudes des uns et des autres ?
10:31On voyait que ça pouvait venir de différentes familles politiques.
10:35Beaucoup de communication, beaucoup d'échanges,
10:37beaucoup de réunions publiques.
10:39Donc, ça prend du temps.
10:40Il faut anticiper.
10:41Oui, ça prend du temps.
10:42De toute manière, un projet de production d'énergie renouvelable,
10:44ça prend du temps, entre 8 et 10 ans, souvent,
10:47pour faire sortir de terre un projet.
10:48Mais il faut intégrer ce moment de la concertation,
10:51de l'explication, du bilan co-avantage.
10:54Ce qui est intéressant avec les projets à gouvernance partagée,
10:56c'est que parfois, nous, on identifie avec nos géomaticiens
10:58un terrain favorable.
10:59Et puis, les gens, localement, vont nous dire
11:01en fait, nous, on ne veut pas que ce soit exactement là
11:05ou on ne veut pas que ce soit exactement cette surface.
11:06Parfois, ils vont nous amener sur des terrains
11:08qu'on n'avait pas identifiés de nous.
11:09D'autres fois, ils vont réaménager.
11:11On va discuter ensemble de comment est-ce qu'on peut installer des haies vives.
11:15Comment est-ce qu'on peut...
11:16Donc, on discute beaucoup, notamment,
11:17avec les associations de protection de la nature.
11:19Et donc, ça vous permet d'éviter un certain nombre de recours.
11:24Peut-être un mot sur la méthanisation.
11:26Vous n'en faites pas du tout, une méthanisation ?
11:28Pas du tout, on ne fait que de l'électricité.
11:29Pourquoi ?
11:30C'est déjà assez compliqué, l'électricité.
11:31Vous savez, on est un petit opérateur.
11:34Je me demande si on n'est pas le seul
11:35à avoir été créé il y a 20 ans
11:37et être encore là.
11:39Le marché de l'électricité, c'est très compliqué.
11:42Donc, vous ne rajoutez pas le gaz.
11:43Voilà.
11:44On y a réfléchi, mais pour l'instant, c'est complexe.
11:46Merci beaucoup.
11:47Merci à toutes les deux, ici en plateau
11:49et en duplex depuis Grenoble.
11:51A bientôt sur Bsmart for Change.
11:54On passe tout de suite à notre rubrique start-up.