Les invités de Tout public du vendredi 2 mai 2025 sont Enzo Lesourt et Anne Koriagina.
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00:00Et venons-en donc, Frédéric, à cette forme de succès du cinéma français dont on a du mal à se réjouir.
00:10Bah oui, c'est comme si la guerre en Ukraine n'avait rien changé, ou presque.
00:13La Russie, en 2024, est, après l'Allemagne, le deuxième marché pour les films français dans le monde.
00:18Et ça, on l'apprend dans une passionnante enquête de nos confrères du journal Le Monde.
00:22Et comme en France, c'est ce film-là qui a le mieux marché.
00:27Qui êtes-vous ?
00:30Je suis le comte de Montecristo.
00:34Nous prendrons tout le temps qu'il faut pour être prêts.
00:38On va faire quoi ?
00:39Le comte de Montecristo, numéro 2, l'année 2024, en France, numéro 1.
00:43En Russie, 1,2 million entrées.
00:45Bonjour Anna Korya-Guinin.
00:46Bonjour Frédéric.
00:47Ces chiffres, cette réalité, c'est vous qui nous la racontez.
00:50D'abord, il faut peut-être le dire, la Russie, c'est un marché traditionnel pour les films français.
00:55Tout à fait.
00:55Depuis des années, depuis l'époque de l'Union soviétique, c'était un des plus grands marchés.
01:00Il y avait des dizaines de millions d'entrées.
01:02C'était toujours un grand marché pour le cinéma français.
01:05À la télé aussi.
01:07Angélique, les gendarmes.
01:09Tout ça, en Russie, ils l'ont bien vu.
01:12Et si on regarde depuis le début de la guerre à Nuprenne, et c'est dans votre papier du journal Le Monde,
01:172024, un peu moins qu'en 2023, où c'était carrément le premier marché d'exportation de la Russie,
01:22est-ce que cette baisse a un petit sens ou pas du tout ?
01:25Ou c'est un hasard ?
01:26Est-ce que ça veut dire que certains n'y vont plus quand même ?
01:28Je pense que c'était d'ailleurs étonnant, en 2023, le premier marché.
01:33En effet, puisque les films américains sont partis, vu les sanctions américaines,
01:38donc il fallait bien remplir les écrans, et les films européens étaient plus que bienvenus en Russie.
01:44Donc je pense que, d'après mes interlocuteurs, c'est plutôt logique qu'il y a une baisse depuis 2023,
01:51mais depuis 2023, c'était un vrai succès.
01:54Alors, on est au cœur du sujet avec ce que vous dites, les films américains, les sanctions.
01:57Ce qu'il faut peut-être dire dès le début, c'est qu'il n'y a pas de problème légal directement,
02:05puisque le cinéma n'est pas dans les sanctions européennes et dans les sanctions françaises vis-à-vis de la Russie.
02:10Oui, voilà. Au premier jour de l'invasion, les Etats-Unis ont lancé les sanctions très très strictes,
02:17et les grands studios américains ont quitté la Russie au jour de lundi.
02:20C'est-à-dire aucun film américain qui sort ?
02:21Oui, littéralement.
02:22Et il y avait même, je crois, c'était Batman qui était déjà téléchargé sur les serveurs russes partout en Russie,
02:29et ils ont retiré ça malgré les contrats qui ont été bien signés.
02:33Par contre, quelques jours plus tard, la Commission européenne a annoncé les sanctions européennes,
02:38et en effet, les biens culturels ont été exclus.
02:42Est-ce qu'il y a, on voit qu'on est dans quelque chose de moral plus que de légal,
02:47on va dire, le cinéma russe, un lien direct, global, avec l'origine de Vladimir Poutine ou pas ?
02:54Comment dire, est-ce que cet argent-là, on peut dire, il va terminer dans des poches,
02:58on ne voudrait pas qu'elles arrivent ?
02:59C'est une question assez complexe, puisque, par exemple, il y a les exportateurs français
03:05qui vendent les films aux distributeurs russes,
03:07en disant que les distributeurs russes sont bien évidemment contre Poutine,
03:12ils sont pro-ukrainiens, ils sont contre le régime du Kremlin.
03:15Mais après, si on regarde un peu plus, on voit que, par exemple,
03:20le distributeur qui distribue le compte Montecristo, dans son line-up,
03:24il a au moins un film de propagande de guerre qu'il est sorti l'année dernière,
03:29et qu'il a annoncé, pour cette année-là, une sortie d'une bande dessinée
03:33financée directement par Gazprom, qui est sous sanction.
03:36Donc on sait avec qui on travaille, entre guillemets.
03:38Donc voilà, d'une main, ces distributeurs, ils peuvent acheter des films français
03:42en disant qu'ils sont contre Poutine et tout, mais en même temps,
03:46ils travaillent avec les films qui parlent de la guerre,
03:52qui sont des films de propagande, souvent.
03:54Quand on lit votre article, j'encourage les auditeurs à le faire,
03:56et évidemment, il est trouvable sur les réseaux sociaux, sur l'application du monde,
04:01on se rend compte que tout le monde ne parle pas très facilement de cela,
04:05bien évidemment, et qu'il y a des crans, des degrés.
04:08Il y a, mais ils sont très peu nombreux,
04:11des gens qui revendiquent d'une certaine manière,
04:12comme Gérard Depardieu, avant la guerre, proximité avec Poutine,
04:16qui revendiquent, on y va, c'est la Russie, Gaspard Noé, par exemple.
04:19C'est un cas assez rare, mais lui, il y est, et pas de problème.
04:23Oui, voilà, après, c'est plutôt une exception.
04:26Il y a quand même, donc il y a les films qui sont distribués,
04:29et il y a des gens qui y vont, et Gaspard Noé,
04:32mais il s'est rendu en Russie, il y a une seule fois,
04:35c'était en août 2024.
04:38Voilà, il a présenté son film Vortex public à Moscou,
04:41en se disant être très heureux.
04:44Et par ailleurs, il était là aussi pour fêter l'anniversaire
04:48d'une propagandiste du Kremlin.
04:50Et les distributeurs qui vous répondent,
04:52parce que ce n'est pas le cas de tous,
04:54que vous disent-ils ?
04:55Ils disent que c'est du business comme un autre ?
04:58Qu'est-ce qu'ils vous disent ?
04:59Déjà, il y avait une certaine gêne.
05:01J'avoue qu'il n'y avait pas tout le monde qui me répondait,
05:04à un moment que j'ai contacté,
05:05parce que je sentais que, voilà,
05:08il y a une certaine gêne à répondre à des questions.
05:11Mais il y avait plusieurs arguments.
05:13Il y a les gens qui disaient qu'il est important
05:15de montrer les films français et aux russes
05:17pour leur montrer une autre chose,
05:19pour leur montrer que l'Occident n'est pas fermé
05:21vis-à-vis de la Russie.
05:23Et c'était les arguments que j'entendais beaucoup.
05:26Est-ce qu'il y en a qui vous disent
05:27qu'on a décidé de ne plus distribuer nos films en Russie ?
05:30Ou est-ce que personne ne va jusque-là aujourd'hui ?
05:32Disons qu'au départ, au début de l'invasion,
05:36il y avait les exportateurs français
05:38qui se sont dit qu'on ne va pas vendre en Russie.
05:42C'était plutôt les boîtes moyennes,
05:45les petites boîtes aussi.
05:47Il y avait aussi des restrictions au niveau de grands groupes,
05:49mais aussi parce qu'il y avait cette impression
05:51que la guerre ne va pas durer longtemps.
05:53Mais au bout de quelques mois,
05:55on a compris que la guerre va durer longtemps.
05:57Et ils ont commencé à se vendre.
06:02Et aujourd'hui, en fait, je dirais que la grosse majorité
06:05des exportateurs européens,
06:07non pas seulement français, ils vendent.
06:10Mais il faut aussi savoir qu'il y a beaucoup de films
06:13qui ne passent pas à la censure du Kremlin.
06:15Par exemple, l'Emilia Pérez,
06:17donc les Césars et tout,
06:19ça ne passe pas à la censure.
06:21Donc il y a une sorte de sélection
06:23pré-décisionnelle avant de vendre les films.
06:25Je voudrais qu'on écoute ensemble un réalisateur français.
06:28La question n'est pas de dire
06:29il y a les bons, il y a les mauvais, il y a les méchants,
06:30il y a les gentils.
06:31Mais Michel Azanavissus, lui, va souvent en Ukraine.
06:34Il était venu nous en parler sur le plateau de Tout Public
06:36il y a quelques semaines.
06:37Il est dans une association qui réalise des levées de fonds.
06:40Il écrit un livre, ce carnet d'Ukraine.
06:43Voilà ce qu'il nous disait.
06:44Quand j'y ai été, j'ai eu vraiment le sentiment
06:46qu'on pouvait, nous,
06:49se retrouver exactement dans leur situation.
06:52Les premières fois où j'allais à Kif,
06:52je me disais que c'est nous en guerre.
06:54Voilà, c'est exactement ça.
06:57Et quand j'ai été leur parler, là, pour le bouquin,
07:01ça s'est même un peu complexifié.
07:03C'est que quand ils me parlaient de l'avant-guerre,
07:06et bien eux, avant-guerre, c'est nous maintenant.
07:08Pour le dire autrement, au début,
07:10j'ai eu l'impression de faire un voyage dans le passé
07:12parce que la guerre, pour moi, c'était le passé.
07:15Et en fait, le truc s'est un peu renversé.
07:18Puis à un moment donné, je me suis demandé
07:19si ce n'était pas un voyage dans le futur
07:20que j'étais en train de faire.
07:21la possibilité d'une guerre,
07:24soudain, quand vous voyez ces gens-là
07:25qui sont tellement comme nous
07:27et tellement dans la même situation que nous,
07:28je parle du pays, de l'organisation,
07:30je ne parle pas physiquement,
07:31oui, vous vous dites soudain que c'est possible.
07:33Tout ce qui vous accompagne,
07:35donc cette association United 24,
07:39pour laquelle vous avez déjà réalisé...
07:40C'était la seule chose qu'il fallait écouter.
07:43En l'occurrence, c'est rare de montage.
07:44C'est la mienne.
07:45Donc, je la prends,
07:46mais vous avez écouté l'essentiel du discours
07:48de Michel Azanavissus.
07:49Il faut préciser que vous êtes ukrainienne,
07:52vous-même, Anna Koryagina.
07:54Est-ce qu'à votre connaissance,
07:55le cinéma français est beaucoup distribué
07:57depuis le début de la guerre en Ukraine ?
07:58Est-ce que des cinéastes français sont vus ?
08:01Est-ce que ça fait du bien au peuple ukrainien aussi ?
08:03Ah oui, tout à fait.
08:05Vous savez, depuis le début de la guerre,
08:06les cinémas ukrainiens,
08:08dans les villes loin du front,
08:10ils ne sont presque jamais arrêtés de fonctionner.
08:12Donc, il y a toujours les festivals de cinéma,
08:15il y a toujours les sorties de films français.
08:17À Cannes, par exemple,
08:18vous voyez plusieurs distributeurs ukrainiens
08:20qui achètent les films
08:22pour aller distribuer en Ukraine.
08:24Il y a les cinéastes qui viennent.
08:26Il y a aussi...
08:27J'ai vu qu'il y a un festival de films documentaires
08:29en juin en Ukraine, à Kiev.
08:33Et donc, dans le jury,
08:34il y a plusieurs professionnels français.
08:36Donc, les programmateurs de festivals,
08:38les distributeurs, etc.
08:39Donc, on sent en Ukraine une vraie solidarité
08:43de la part des professionnels du cinéma français.
08:46Et pour en venir à la Russie,
08:47ça va se négocier à Cannes,
08:48puisqu'il y a le marché du film qui arrive.
08:50Des distributeurs russes peuvent être en France,
08:53peuvent venir à Cannes ?
08:53Oui, c'est parfaitement possible, ça ?
08:54Oui, voilà, c'est ça.
08:56En 2022, en mai 2022,
08:58le festival de Cannes a mis certaines limitations
09:01sur la phase de l'accréditation.
09:04Ils ont vérifié si les gens travaillent ou pas
09:07pour les médias de propagande et tout.
09:10Mais d'après plusieurs retours,
09:11à partir de 2023,
09:13on a l'impression que les Russes viennent à Cannes
09:17comme avant.
09:19pour le marché du film,
09:20qui est un aspect essentiel de ce festival.
09:22Merci beaucoup, Anna Korya, Guina.
09:24Je précise qu'un réalisateur russe dissident aussi,
09:26Kirill Srebrennikov,
09:27sera à Cannes,
09:28comme souvent cette année aussi.
09:30Je renvoie votre passion d'enquête
09:32dans les colonnes du journal Le Monde.
09:33Et je remercie également,
09:35j'ai oublié de le faire tout à l'heure,
09:37ici, Brézizel,
09:38ex-réseau France Bleu,
09:40qui a accueilli notre interlocuteur,
09:41Enzo Luxour,
09:42sur son livre,
09:43son roman sur la Nouvelle Calédonie.
09:44Et vous, c'est Frédéric Carbone,
09:46c'est tout au public,
09:46et on le réécoute sur franceinfo.fr
09:48ou en podcast sur l'appli de Radio France.
09:51A demain.