Robe d'avocat et signes distinctifs avec Julie Couturier, présidente du CNB.
Catégorie
🗞
NewsTranscription
00:00Musique
00:00On commence tout de suite ce Lex Insight, on va parler de l'interdiction de port de signes distinctifs avec la robe d'avocat
00:17pendant l'audience avec mon invité Julie Couturier, présidente du Conseil National des barreaux.
00:23Julie Couturier, bonjour.
00:24Bonjour Arnaud.
00:25Alors par une décision du 7 septembre 2023, le Conseil National des barreaux a modifié le règlement intérieur national de la profession d'avocat
00:34afin d'exclure le port de tous signes distinctifs avec la robe d'avocat pendant l'audience.
00:42Pourquoi le CNB a-t-il pris cette décision ?
00:45Alors le CNB a pris cette décision à l'issue, on va le dire, d'un processus et dans une chronologie qui mérite peut-être d'être rappelée.
00:53D'abord pour expliquer et rappeler que le Conseil National des barreaux est l'institution qui en France représente les avocats
00:59et notamment à l'égard des pouvoirs publics et qui dispose depuis 2004 d'un pouvoir normatif
01:04qui est notamment destiné à unifier les déontologies.
01:07Vous savez qu'on a 164 barreaux en France, autant de règlements intérieurs
01:10et que donc il est apparu à un moment nécessaire d'unifier ces déontologies
01:14et c'est ce à quoi s'emploie le CNB par sa commission Règles et Usages
01:19qui dessine depuis quelques années maintenant notre règlement intérieur national.
01:24Alors sur ce sujet particulier, c'est vrai qu'on a assisté à quelques incidents à partir des années 2010-2015
01:32qui ont fait que certains ordres se sont emparés du sujet de façon un peu dispersée.
01:38Ça a été notamment le cas du barreau de Paris qui s'en est emparé dès 2015
01:42en introduisant dans son règlement intérieur une disposition interdisant le port de signes avec la robe
01:51manifestant ostensiblement une appartenance religieuse, politique ou communautaire.
01:56Je ne sais pas si je le dis dans le bon ordre mais c'est ça à peu près.
01:59D'autres ordres se sont emparés aussi du sujet.
02:02On a Bordeaux, on a Lyon plus récemment en 2023, les Hauts-de-Seine et puis effectivement le barreau de Lille
02:08qui avait pris il y a quelques années une résolution un peu du même acabit
02:13et ça a donné lieu à un contentieux qui est monté à la cour d'appel de Douai
02:16et qui est monté encore plus haut si je puis dire à la cour de cassation.
02:19On a un premier arrêt qui a été rendu le 2 mars 2022 qui est un arrêt assez important
02:25parce que d'abord il valide la possibilité pour un ordre de réglementer cette question
02:29mais entre les lignes cet arrêt de la cour de cassation a invité quand même le CNB
02:34à prendre ses responsabilités et à unifier cette réglementation.
02:41Oui parce que du coup on avait des ordres qui prenaient un certain nombre de décisions
02:45et il fallait que le CNB du coup s'empare de cette question
02:49et donc vous avez pris cette décision et le syndicat des avocats de France
02:55a contesté cette décision par un recours pour excès de pouvoir
03:00et le Conseil d'État finalement a validé votre décision.
03:06Que dit-il ? Quelle est la portée de cette décision ?
03:09Alors en réalité l'enseignement est en réalité double.
03:14Le premier enseignement de cet arrêt c'est que le Conseil d'État a voulu marquer
03:19d'abord l'indépendance de la profession d'avocat et le fait que ce qui devait primer
03:24et c'est l'explication aussi de la robe, c'est d'une certaine façon
03:28l'effacement de l'individualité de l'avocat derrière son client.
03:33L'intérêt du client doit rester la préoccupation principale de l'avocat
03:37et à partir du moment où on lui demande de porter un costume si je puis dire uniforme
03:43c'est parce qu'il porte effectivement la voix de son client.
03:48Le deuxième élément et le deuxième point de motivation de cet arrêt du Conseil d'État
03:53c'est en réalité l'égalité des avocats et là encore à travers l'égalité des avocats
04:00l'égalité des justiciables.
04:02Donc il ne faut pas d'apparence des préférences personnelles
04:06pouvoir aussi le costume c'est un moyen d'identifier l'avocat
04:11et au travers de l'égalité des avocats c'est aussi l'égalité des citoyens
04:16c'est ça que rappelle le Conseil d'État.
04:17Oui absolument il se trouve que l'actualité me conduit à essayer de faire un peu de pédagogie
04:24pour expliquer ce qu'est l'État de droit dont beaucoup de gens parlent mais peu savent ce que c'est
04:29et dans les trois grands piliers de l'État de droit il y a évidemment l'égalité devant la loi
04:35et donc d'une certaine façon je pense que le Conseil d'État avait aussi ça en filigrane de sa réflexion
04:44c'est cette égalité devant la loi et cette égalité des citoyens et des justiciables devant la loi
04:48qui doit se traduire par l'égalité des avocats qui sont leurs mandataires et leurs représentants.
04:55Alors certains avocats ont dénoncé cette décision en disant que c'était une atteinte à leur liberté d'expression ou religieuse.
05:03Comment vous répondez à ces critiques ?
05:05Alors là encore je pense qu'on est sur un modèle d'un socle républicain qui fait qu'en réalité
05:13tout ce qui relève notamment du fait religieux parce qu'effectivement c'est quand même un peu de ça dont il s'agit
05:19doit rester entre guillemets dans la sphère de l'intime.
05:22Et on passe les uns et les autres si je puis dire notre vie à essayer d'équilibrer la liberté
05:30et en même temps la proportionnalité des éventuelles restrictions à cette liberté
05:36et là le Conseil d'État a considéré que le but était indiscutablement proportionnel et légitime et proportionné
05:43raison pour laquelle effectivement cette décision a été rendue dans le respect des attributions du CNB
05:49et ça j'y tiens aussi puisqu'en réalité nous avons tout à fait respecté la sphère d'intervention qui est la nôtre
05:59c'est-à-dire en réalité de préciser ce que nous dit la loi.
06:02La loi en réalité c'est l'article 3 de la loi de 1971 qui régit la profession d'avocat
06:06et qui nous dit que l'avocat revêt dans ses fonctions judiciaires le costume de sa profession.
06:12Donc par notre décision à caractère normatif de septembre 2023
06:15nous n'avons fait que préciser les termes de la loi
06:19et tout ça à l'issue d'un processus qui a été tout à fait vertueux
06:23sous l'égide de mon prédécesseur Jérôme Gavaudan
06:26auquel je souhaite rendre hommage parce que c'était un sujet sensible
06:30et il a su s'en emparer et trouver une méthode la plus consensuelle possible.
06:36Aujourd'hui il n'y a plus d'incidents sur cette question de la robe d'avocat
06:39et du port de signes distinctifs ?
06:42Alors il y a un certain nombre de sujets qui peuvent se poser
06:44parce que cette décision ne règle pas tout.
06:46Elle ne règle pas par exemple la question de la prestation de serment des élèves avocats.
06:52Elle ne règle pas la question du port des signes distinctifs par exemple en garde à vue.
06:57Là ce que règle cette décision c'est essentiellement l'exercice de la profession
07:02dans le cadre juridictionnel mais à ce stade pas au-delà.
07:08Donc peut-être que le CNB sera amené à rendre des avis sur d'autres sphères.
07:13Nous verrons cela.
07:13Est-ce qu'il faut aller plus loin dans l'ouverture
07:17ou garder justement ces valeurs qui sont celles des avocats
07:21ou est-ce que vous autorisez quelques modifications dans le futur ?
07:28Encore une fois ça va dépendre des questions qui nous sont posées.
07:32Donc il faut évidemment rester dans le cadre de nos attributions
07:34et répondre aux questions qui nous sont posées.
07:37Je crois qu'il y a un certain nombre de questions assez concrètes
07:39sur lesquelles les avocats sont susceptibles de nous interroger.
07:42Il faudra bien que nous puissions leur donner, si je puis dire,
07:45à tout le moins des guides de bonne pratique.
07:47Pour finir, comme vous avez évoqué tout à l'heure, l'état de droit.
07:49Comment vous jugez aujourd'hui cette question de l'état de droit ?
07:54Vous êtes inquiète par rapport à tout ce qui se passe,
07:56le contexte international, le contexte politique ?
07:59Oui je suis très inquiète.
08:00Je suis très inquiète. Après je reste évidemment combative
08:03et heureusement à la tête de la profession d'avocat
08:06parce que si nous n'expliquons pas ce qu'est l'état de droit
08:08et si nous ne dénonçons pas les atteintes qui sont portées en ce moment
08:11à l'institution judiciaire, j'ai envie de vous dire qui le fera.
08:15Mais oui je pense qu'il faut faire beaucoup de pédagogie,
08:18expliquer que les règles procédurales sont des garanties pour chacun.
08:23Le problème c'est que les citoyens et notamment les citoyens lorsqu'ils sont politiques
08:27ne s'en rendent compte que lorsqu'ils y sont personnellement confrontés.
08:31Mais je pense que c'est effectivement très important d'expliquer que l'institution judiciaire
08:37est une troisième autorité si je puis dire à côté du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif
08:45et qu'on doit la respecter et lui réserver vraiment toute sa place.
08:51Et en tout cas on peut toujours critiquer une décision de justice
08:54mais certainement pas s'attaquer au juge à titre personnel.
08:57On va conclure là-dessus. Merci d'être venue sur notre plateau Julie Couturier.
09:01Je rappelle que vous êtes présidente du Conseil national des barreaux.
09:04Merci beaucoup Arnaud.
09:05Tout de suite l'émission continue. On va parler des infractions en droit de la presse.