Dans ce nouveau numéro de ZED, Valérie Brochard et les équipes de LCP ont posé leurs caméras dans une classe de 1ère du lycée Paul Langevin à Sainte-Geneviève-des Bois, dans l'Essonne.
Après le visionnage du documentaire : « Les sentinelles de l'oubli», les élèves ont échangé avec le réalisateur Jérôme Prieur, et Guilhem Jean, producteur sur YouTube « D'histoires en Histoire ». Que nous disent ces monuments aux morts, qui peuplent jusqu'aux plus petits de nos villages ? Comment faire en sorte que la Grande guerre, et son cortège d'atrocités, restent dans la mémoire des jeunes générations ?
Un partage de réflexions et d'expériences... parce qu'il n'y a pas d'âge pour questionner le monde et ses images.
Pour donner la parole aux jeunes, pour les confronter aux enjeux du monde et les aider à décortiquer le travail journalistique, la Chaîne parlementaire apporte ses films et pose ses caméras dans un établissement scolaire.
Une classe visionne et étudie un documentaire avec l'un de ses professeurs et échange ensuite avec l'auteur ou le réalisateur lors d'un débat animé par Valérie Brochard, parce qu'il n'y a pas d'âge pour questionner le monde et ses images.
Après le visionnage du documentaire : « Les sentinelles de l'oubli», les élèves ont échangé avec le réalisateur Jérôme Prieur, et Guilhem Jean, producteur sur YouTube « D'histoires en Histoire ». Que nous disent ces monuments aux morts, qui peuplent jusqu'aux plus petits de nos villages ? Comment faire en sorte que la Grande guerre, et son cortège d'atrocités, restent dans la mémoire des jeunes générations ?
Un partage de réflexions et d'expériences... parce qu'il n'y a pas d'âge pour questionner le monde et ses images.
Pour donner la parole aux jeunes, pour les confronter aux enjeux du monde et les aider à décortiquer le travail journalistique, la Chaîne parlementaire apporte ses films et pose ses caméras dans un établissement scolaire.
Une classe visionne et étudie un documentaire avec l'un de ses professeurs et échange ensuite avec l'auteur ou le réalisateur lors d'un débat animé par Valérie Brochard, parce qu'il n'y a pas d'âge pour questionner le monde et ses images.
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NewsTranscription
00:00:00...
00:00:22Bienvenue dans Zèle, la zone éducation documentaire.
00:00:25Pour vous donner la parole et vous aider à décortiquer
00:00:28le travail journalistique, LCP apporte ses films
00:00:31et pose ses caméras dans un établissement scolaire.
00:00:33Mais on est où, là ?
00:00:34Au lycée Paul-Angevin.
00:00:35À Sainte-Geneviève-des-Bois.
00:00:36Et vous avez regardé quel documentaire ?
00:00:38Les Sentinelles de l'Oubli.
00:00:39Alors, vous savez quoi ? On va laisser les téléspectateurs
00:00:41le regarder eux aussi et on se retrouve tous ensemble
00:00:43avec nos invités dans votre CDI juste après.
00:00:46C'est parti !
00:01:17...
00:01:37On ne fait plus attention à eux,
00:01:40pas plus qu'aux panneaux de signalisation
00:01:42ou aux poteaux électriques.
00:01:43...
00:01:47Ils ornent les places de villages.
00:01:50Ils sont aux pieds de la mairie.
00:01:52Ils décorent le chevet des églises.
00:01:54...
00:01:58Ces sentinelles, c'est comme un musée invisible,
00:02:02ouvert à tout vent.
00:02:03...
00:02:06Deux ou trois fois l'an, on vient y déposer des gerbes de fleurs.
00:02:09...
00:02:14Les monuments aux morts de la Grande Guerre
00:02:16ont fini par se mélanger au paysage.
00:02:19...
00:02:22À ceux de 14, on a ajouté d'autres plaques.
00:02:27Les morts de 40,
00:02:28les résistants, les déportés,
00:02:31tous se confondent.
00:02:33Et puis ceux d'Indochine,
00:02:35d'Algérie,
00:02:37d'ailleurs.
00:02:38...
00:02:40Il reste encore un peu de place,
00:02:43au cas où.
00:02:44...
00:02:53Les pauvres soldats de l'armée morte ont donné leur vie.
00:02:57Qu'au moins, on vénère leur nom.
00:02:59...
00:03:08Pour la première fois, c'est systématique.
00:03:11Les guerriers inconnus ont le droit d'être nommés,
00:03:15et pas seulement les chefs de guerre.
00:03:17...
00:03:25Les simples soldats, les sous-officiers
00:03:27et les officiers sont logés à la même enseigne.
00:03:30Les paysans, les ouvriers,
00:03:32les citadins, les pauvres et les riches.
00:03:35Tous les contingents d'hommes envoyés au feu.
00:03:38...
00:03:46Noms inoubliables dont on ne se souvient pas.
00:03:49Les mêmes souvent, jusqu'à six ou sept fois.
00:03:53Les frères, les fils, les pères,
00:03:56les oncles, les cousins.
00:03:58...
00:04:03La pierre est gorgée de sang.
00:04:05...
00:04:20Danière à Salon-de-Provence,
00:04:22de Verdun à Pessac,
00:04:24de Nîmes à Amiens.
00:04:27Les héros ordinaires méritent maintenant d'entrer dans un panthéon
00:04:31qui doit se répandre partout à travers la France.
00:04:34...
00:04:37C'est de la frénésie.
00:04:39Chacune des 36 000 communes veut son monument.
00:04:43Sauf que la France est exsangue.
00:04:45...
00:04:51Le quotidien, l'humanité,
00:04:53se désolera en voyant que l'Allemagne
00:04:55rechigne à payer ses dommages de guerre.
00:04:59Nous n'avons ni pierre, ni mortier, ni argent, ni maçon
00:05:02pour construire des choses propres à abriter les vivants.
00:05:06Mais nous érigeons dans toutes les localités de France et de Navarre
00:05:10tant de monuments qu'on pourrait bâtir une ville
00:05:13avec ces matériaux gaspillés.
00:05:15...
00:05:21Élève-t-on des monuments à la lèpre ?
00:05:24Se désespèrent certains camarades de tranchée,
00:05:27effrayés qu'on puisse glorifier la guerre et les grandes batailles.
00:05:30...
00:05:45Pourtant, la majorité des associations d'anciens combattants
00:05:48poussent à la roue.
00:05:49...
00:05:52Les poilus, démobilisés, demandent que l'on honore les morts,
00:05:56mais aussi les vivants, qui s'entraident
00:05:59et qui veulent être récompensés pour ce qu'ils ont fait.
00:06:02...
00:06:04Qu'on ne les oublie pas.
00:06:06...
00:06:16Il est vrai que les anciens combattants
00:06:18sont une force avec laquelle il faut compter.
00:06:22C'est près de la moitié du corps électoral.
00:06:55...
00:07:02Seuls, les grands monuments érigés sur les champs de bataille
00:07:05le sont à l'initiative de l'Etat.
00:07:07...
00:07:14Au contraire, la charge de la construction
00:07:17de tous les autres monuments aux morts
00:07:19revient aux municipalités.
00:07:22L'Etat se contente d'accorder une petite subvention.
00:07:25Elle est calculée en fonction du nombre de soldats morts
00:07:29par rapport au nombre d'habitants de la commune.
00:07:32...
00:07:47C'est insuffisant.
00:07:48On organise des balles payantes,
00:07:50des séances de cinématographes, des concerts,
00:07:54des ventes de charité, une corrida,
00:07:56même la quête dans certaines paroisses.
00:07:59...
00:08:06Il n'est pas rare que la presse locale
00:08:08publie le nom des bienfaiteurs
00:08:11et le montant de leurs dons.
00:08:13C'est un encouragement certain.
00:08:15...
00:08:19...
00:08:33Un comité est constitué spécialement dans chaque commune
00:08:36pour suivre les étapes du projet.
00:08:40Le maire doit négocier,
00:08:42défendre les droits des habitants,
00:08:44défendre ses préférences,
00:08:46mais aussi obtenir l'assentiment du plus grand nombre,
00:08:49celui des familles.
00:08:51Les familles des morts pour la France,
00:08:54comme celles des démobilisés,
00:08:56dont il faut éviter les jalousies.
00:08:58...
00:09:02On est invité à aller voir les plans ou la maquette
00:09:04à la mairie ou chez l'épicier pour donner son avis.
00:09:08Car l'oeuvre à créer doit être l'oeuvre de tous,
00:09:12selon l'expression du maire de Châteauneuf-la-Forêt.
00:09:15...
00:09:26...
00:09:33Le chantier qui s'annonce offre du travail.
00:09:36Il incite les différents corps de métier
00:09:39et les petits artisans, sans parler des intermédiaires,
00:09:42à se disputer le marché auprès des municipalités.
00:09:45...
00:09:49Terrassiers, maçons, carriers,
00:09:52fondeurs, ferronniers, tailleurs de pierres,
00:09:55et même architectes et sculpteurs
00:09:57pour les édifices plus originaux.
00:09:59...
00:10:05...
00:10:13Le bruit des marteaux et des ciseaux retentit à travers le pays
00:10:18tout au long des années 20 et jusqu'à la fin des années 30.
00:10:22...
00:10:31De nombreuses communes font de l'origine locale
00:10:34ou départementale des sculpteurs une condition de leur appel d'offre.
00:10:38...
00:10:43Ainsi, Donzelli, artisan venu d'Italie avec ses fils,
00:10:48s'est installé pour trouver du travail
00:10:50dans les régions sinistrées de l'est de la France.
00:10:53...
00:11:08En rendant hommage aux soldats de la Croix-sur-Meuse
00:11:11et aux habitants morts pendant la guerre,
00:11:13le village a été presque intégralement détruit.
00:11:17Donzelli utilise peut-être aussi la pierre
00:11:20pour remercier le pays qu'il a accueilli.
00:11:22...
00:11:28...
00:11:36...
00:11:41Ailleurs, on est fiers de solliciter des célébrités de la capitale,
00:11:46des sculpteurs prestigieux.
00:11:49Pris de Rome, membre de l'Académie des Beaux-Arts,
00:11:53anciens élèves de l'atelier de Frémier,
00:11:56de Carpeau, de Dalou ou de Rodin.
00:11:59...
00:12:03Y a-t-il eu un tel projet depuis les cathédrales ?
00:12:06...
00:12:12...
00:12:19...
00:12:27Des entreprises qui s'étaient spécialisées
00:12:29dans les statues de la République ou les bustes de Marianne,
00:12:33le culte des grands hommes et des petits notables,
00:12:35se convertissent dans la production en série de monuments aux morts.
00:12:39...
00:12:43Les marbreries funéraires, les bronziers,
00:12:46les fonderies offrent sur catalogue des stèles,
00:12:50des obélisques, des colonnes tronquées,
00:12:53lauriers, palmes, couronnes,
00:12:56coques gaulois, etc.
00:12:58...
00:13:01Des effigies sortent en quantité du même moule.
00:13:04Près de 800 exemplaires du poilu modèle Camus,
00:13:08en une seule taille de 1,60 m,
00:13:10patinés imitation pierre de taille ou imitation bronze,
00:13:14en ciment dur, inaltérable,
00:13:17aussi résistant que le granit,
00:13:20ou peints en couleur naturelle, bleu horizon, à la demande.
00:13:24...
00:13:30Les exemplaires produits en série
00:13:32sont bien meilleur marché que les œuvres originales.
00:13:34...
00:13:42Dans son 1er roman,
00:13:44le jeune Alexandre Vialat imagine en 1928
00:13:48le personnage d'un représentant de commerce.
00:13:53Il y a encore plus de communes qu'on ne pense
00:13:55qui n'ont pas leurs monuments aux morts.
00:13:57Mais on n'a pas compris ce qu'il leur faut.
00:14:00On leur propose la France avec des ailes,
00:14:03la victoire avec des nichons pointus,
00:14:06des pyramides de casques, des faisceaux de baïonnettes
00:14:09et des tas de choses allégoriques.
00:14:12Et l'art, que je dis aux maires en le regardant bien en face.
00:14:16Ils s'en foutent, ils veulent leurs poilus.
00:14:19Alors voilà, je leur fais des poilus en série.
00:14:24Suivant les villages, je leur colle le numéro du régiment
00:14:27dans lequel ils ont servi presque tous.
00:14:29Ils ne voient plus que ça dans la statue.
00:14:31Ça leur fait plus de plaisir qu'une belle femme avec des cheveux
00:14:35comme les réclames pour le pétrolane.
00:14:37Tu signales les moletières, les boutons,
00:14:40le sac, la musette, la grenade du casque.
00:14:44Servez-chaud, c'est du pain vendu.
00:14:47Ils se reconnaissent.
00:14:49Ça, c'est nous.
00:14:50C'est comme ça que nous étions.
00:14:53J'appris ainsi pourquoi les villages s'ornaient inexcusablement
00:14:58d'une belle floraison de poilus,
00:15:01raides comme des tuyaux de gouttière et pimpants comme des mannequins.
00:15:06Si ce n'était pas un triomphe de la sculpture,
00:15:08c'était du moins une victoire de la psychologie.
00:15:12Majorité réactionnaire, j'offre le modèle numéro 4,
00:15:16le poilu de la ville.
00:15:17C'est un modèle qui a été conçu par un artiste
00:15:20J'offre le modèle numéro 4, le poilu debout, invincible, victorieux.
00:15:26Majorité rouge, je préconise le 4 bis,
00:15:29le soldat mourant, le cadavre, la guerre sans compensation.
00:15:50Dans la pierre ou la fonte, on donne des leçons d'héroïsme.
00:15:55On met en scène l'exaltation patriotique.
00:15:58Les tambours et les trompettes, le vieux sang séché.
00:16:03On ne passe pas, crient les soldats aux bras tendus,
00:16:07qui, ainsi postés, auraient offert une cible parfaite.
00:16:17Ultime représentation du théâtre aux armées.
00:16:20Musique enjouée
00:16:23...
00:16:26Musique douce
00:16:29...
00:16:37Les nuits est hors-champ.
00:16:39Comme dans les tranchées, les nuits ne se montrent pas.
00:16:42Au mieux, un casque à pointe, un casque pris dans les barbelés.
00:16:47Au pire, un aigle immense,
00:16:49abattu aux pieds d'un soldat.
00:16:51Musique douce
00:16:55...
00:17:10Le temps est suspendu.
00:17:12Le drap tombe d'un coup, et la statue apparaît.
00:17:15Musique douce
00:17:19...
00:17:21L'inauguration est la fête rituelle de l'entre-deux-guerres.
00:17:27Année après année, les discours s'adressent aux monuments aux morts
00:17:32comme aux dieux protecteurs de la cité.
00:17:35Défilent les corps constitués et les enfants des écoles.
00:17:41Le monument devient le centre autour duquel gravite la vie locale.
00:17:45...
00:17:49La victoire a lieu dans chaque commune.
00:17:52...
00:17:57La République honore le sacrifice de ses soldats.
00:18:01La République console ses enfants
00:18:04en proclamant qu'ils ne sont pas morts pour rien.
00:18:07...
00:18:19La presse nationaliste lance une virulente campagne,
00:18:22en avril 1927,
00:18:25pour interdire l'inauguration du monument de Levallois-Péret.
00:18:29Elle s'insurge que la guerre y soit montrée comme une chose horrible.
00:18:33...
00:18:41Le Populaire, le quotidien dirigé par Léon Blum,
00:18:44se félicite au contraire d'y voir un des mutinés,
00:18:47fusillé pour l'exemple.
00:18:49...
00:18:52Et que soit figuré un tirailleur des troupes d'Afrique,
00:18:55victime de la colonisation.
00:18:57...
00:19:02Au centre, un soldat gazé, à l'agonie.
00:19:05...
00:19:07Le préfet de la Seine veut réconcilier les points de vue.
00:19:12N'est-ce pas plutôt sa compassion immense
00:19:14qu'exprime le sculpteur Charles Hirondi
00:19:17envers les tortures morales et physiques,
00:19:19enduré stoïquement par les poilus,
00:19:21au service de la patrie meurtrie,
00:19:24explique-t-il dans son discours ?
00:19:26...
00:19:33Quant à l'ouvrier, qui attire toute la polémique,
00:19:36brise-t-il son glaive ?
00:19:39C'est l'une des armes de l'ennemi ramassée sur le champ de bataille,
00:19:43justifie encore le préfet.
00:19:44...
00:19:47La paix retrouvée, n'est-il pas temps de jeter ses armes ?
00:19:50...
00:19:53L'artiste Hirondi, un ancien combattant valeureux,
00:19:56se défend de toute inspiration subversive.
00:20:02Il fut quand même bien imprudent,
00:20:05déplore le journal de l'Union nationale des combattants,
00:20:08d'en appeler à l'imagination des spectateurs,
00:20:11au risque de prêter son œuvre à toutes les interprétations.
00:20:15...
00:20:20...
00:20:30...
00:20:40...
00:20:45...
00:20:51...
00:20:56...
00:21:01...
00:21:06...
00:21:13Parmi les sculpteurs,
00:21:15beaucoup étaient en âge de partir combattre sur le front
00:21:18ou de rejoindre des unités de camouflage.
00:21:25Maintenant, ils veulent témoigner pour leurs camarades.
00:21:31Les plus novateurs veulent simplifier,
00:21:34frapper.
00:21:36Être moderne,
00:21:37ce peut-être simplement refuser l'allégorie ou le style épique,
00:21:41chercher à être vrai.
00:21:44...
00:21:49...
00:21:54...
00:21:59...
00:22:05...
00:22:10...
00:22:15...
00:22:20...
00:22:25...
00:22:30...
00:22:35...
00:22:41L'on peut lire, dans le numéro de juillet 1922 du magazine
00:22:45« Art et décoration »,
00:22:47ce compliment sur une statue de Meurthe et Moselle.
00:22:51« Rien de brutal dans ce guerrier,
00:22:54dont la guerre n'est ni la profession ni l'idéal.
00:22:58Il est viril sans violence.
00:23:00Il reste alerte sous l'épaisse capote
00:23:02et il garde, jusque dans la boue des tranchées,
00:23:06une élégance native.
00:23:08...
00:23:13...
00:23:18...
00:23:25C'est presque toujours le soldat
00:23:27qui a abandonné son élégant képi en beau drap
00:23:30de l'été 1914 qui est représenté.
00:23:33Il n'a plus sa tenue bleue égarence,
00:23:36d'un rouge merveilleux pour les mitrailleuses allemandes.
00:23:42Il porte enfin l'uniforme, que l'on sait bleu horizon,
00:23:46et le casque adriant.
00:23:49Il a fallu attendre le printemps 1915
00:23:51pour que sa tête soit un peu protégée.
00:23:56Mais ne sont pas trop montrés les bidons de Pinard ou de Niaul,
00:23:59ce qui aidait pourtant les fantassins
00:24:01à jaillir de la tranchée à l'attaque de celle d'en face,
00:24:04quelques dizaines de mètres plus loin.
00:24:06...
00:24:11...
00:24:16...
00:24:22...
00:24:25Benjamin Simonnet est capitaine d'un régiment d'infanterie.
00:24:29Chaque jour, ou presque,
00:24:31il écrit à sa femme depuis le début de la guerre.
00:24:36« Ma chérie,
00:24:38il a fallu d'abord franchir un terrain découvert
00:24:41d'environ 400 mètres battus par les balles.
00:24:44Ce n'était rien encore.
00:24:47Du point le plus dangereux,
00:24:48un boyau d'une centaine de mètres conduisait à la tranchée.
00:24:53Au fond, une boue épaisse
00:24:55dans laquelle nous enfonçons jusqu'aux genoux.
00:24:58Quelle supplice !
00:25:00Ses 100 mètres m'ont paru des kilomètres.
00:25:04Enfin nous voici arrivés,
00:25:07jambes et pieds trempés,
00:25:10immondes,
00:25:11mais effets couverts d'une couche de boue collante,
00:25:14si vous m'aviez vu.
00:25:18Enfin, je prépare l'attaque,
00:25:20transmets mes ordres,
00:25:22juste à temps, car bientôt,
00:25:24l'artillerie donna d'une façon intense.
00:25:28Nos hommes sont tassés,
00:25:29baïonnettes au canon dans la tranchée.
00:25:32Malheureusement, aucun gradin préparé.
00:25:35Le talus est haut de près de 2 mètres,
00:25:37la terre glissante.
00:25:41Je donne un coup de sifflet à 7h45.
00:25:44Quelques braves, gradés en tête,
00:25:47grimpent d'une centaine de mètres.
00:25:49Aussitôt, des mitrailleuses ennemies déclenchent leur tir.
00:25:53Quelques-uns tombent près de la tranchée,
00:25:55la plupart gagnent un talus à 30 mètres de là
00:25:58et s'y couchent.
00:26:02Ceci parti, l'élan est fini.
00:26:06J'ai beau supplier,
00:26:09crier, taper à coups de pieds,
00:26:11sortir mon revolver,
00:26:13les hommes ne veulent pas quitter la tranchée.
00:26:17Quelques-uns essaient.
00:26:19Je les fais hisser par les pieds pour qu'ils aillent plus vite.
00:26:22À peine arrivent-ils au sommet pour prendre leur élan et courir,
00:26:26une balle les frappe et ils retombent,
00:26:29tués ou blessés.
00:26:33L'attaque est ratée.
00:26:35Toute la journée ainsi.
00:26:41Tu comprends pourquoi hier, je ne t'ai pas écrit.
00:26:53Non.
00:27:17Les monuments sont la manière moderne de pratiquer l'alchimie.
00:27:21par le calcaire, mais aussi le marbre blanc, la fonte ou le bronze, l'agglomérat de poudre de roche,
00:27:28le béton armé. Mais le fer à l'intérieur peut rouiller, il faut des aciers mêlés de cuivre
00:27:35et c'est plus cher. Le granit en Bretagne ou dans les Vosges, le grès rose en Alsace, la pierre de
00:27:43lave en Auvergne. Rien ne doit provenir d'Allemagne, ni matériaux, ni main-d'œuvre.
00:28:04Les voici maintenant, les sculpteurs qui attrapent des choses vues.
00:28:13Les monuments fixent en volume et en relief ce que personne ne pouvait voir loin du front.
00:28:31Les sculpteurs stockent des gestes, ils cachent des souvenirs au fond de leurs statues.
00:28:43De même que les offensives doivent être reconstituées pour les actualités filmées,
00:28:51la guerre est rejouée par les monuments.
00:29:03Le spectacle est contemporain de l'essor du cinématographe.
00:29:13Le passage du muet au parlant.
00:29:23Les statues sont muettes, mais elles parlent.
00:29:35Si ce jeune soldat se bouche les oreilles, c'est que la guerre, en permanence, fait un boucan de tous les diables.
00:29:44Les statues sont toujours dressées, érigées.
00:29:51Seuls les bas-reliefs, gravés sur le socle, comme des vues photographiques imprimées dans la pierre,
00:29:57montrent que les soldats ont vécu enfouis, enterrés, dans la terre.
00:30:14Tout y est, jusqu'au parapet, au panier en osier, au sac de sable.
00:30:20Le froid, le terrassement, le poste de guet.
00:30:25L'attaque des gaz, le souffle des tirs de canons, l'explosion soudaine.
00:30:31Tout y est, jusqu'au parapet, au panier en osier, au sac de sable.
00:30:33Le froid, le terrassement, le poste de guet.
00:30:38L'attaque des gaz, le souffle des tirs de canons, l'explosion soudaine.
00:30:44Le compte à rebours juste avant l'assaut.
00:30:59Quelque chose d'implacable. La guerre réduite à l'essentiel.
00:31:04La vie, la guerre, la mort, l'attente, l'abrutissement.
00:31:35Le feu
00:31:53En une suite d'instantanées, Gaston Broquet rend hommage à ses compagnons d'armes.
00:31:59Il disperse des bouts de récits entre rangs-l'étape.
00:32:03Bains-les-bains, Commercy, Chalons-en-Champagne, Samogneux ou l'hôpital du Val-de-Grâce à Paris.
00:32:19Marcel Bitsch, infirmier au 94e régiment d'infanterie, musicien dans le civil, raconte.
00:32:28Rosset me présente Gaston Broquet, sculpteur, soldat à la 7e.
00:32:34Grande discussion sur Balzac.
00:32:458 mai, le bataillon stationne à l'entrée du Ravin de la Houillette, voie d'accès à Bagatelle.
00:32:52J'ai l'impression qu'en pleine attaque, c'est imprudent.
00:32:56Un rafale d'obus juste sur nous, pénétrant et fusant.
00:33:00Des obus qui tombent à toute vitesse.
00:33:03Tués, blessés, désordres.
00:33:06Je me foule la cuisse.
00:33:08Un mort.
00:33:10Broquet, le sculpteur qui faisait ses débuts de bancardier, s'affale.
00:33:27De son côté, Louis Moffret, médecin auxiliaire, consigne le même jour.
00:33:34Nous voyons alors que l'un d'entre nous ne s'est pas relevé.
00:33:37C'est Gaston Broquet, le sculpteur.
00:33:40Je suis touché, me dit-il. Je ne peux plus bouger.
00:33:45Apparemment, il a un shrapnel dans l'épaule et l'une de ses chaussures est déchirée.
00:33:50Je le confie à un brancardier pour qu'il l'emmène immédiatement.
00:33:56Je ne peux plus bouger.
00:34:18Que dire à ceux qui n'ont jamais rien vu ?
00:34:22Eugène-Emmanuel Lemercier combat aux éparges.
00:34:26Nos pertes sont effroyables.
00:34:28Celles de l'ennemi, pire encore.
00:34:31Tu ne peux pas savoir, ma mère aimée, ce que l'homme peut faire contre l'homme.
00:34:40Voici cinq jours que mes souliers sont gras de cervelle humaine,
00:34:45que j'écrase des thorax,
00:34:48que je rencontre des entrailles.
00:34:51Les hommes mangent à côté des cadavres.
00:34:57Le régiment a été héroïque.
00:35:18Le présentateur de l'épargne.
00:35:41Le médecin auxiliaire René Prieur, le 25 février 1916, près de Verdun.
00:35:47les membres volent en l'air. Je suis éclaboussé de sang. Le ravin est comblé de morts qui s'amoncèlent
00:35:56et vers quatre heures et quart, quand je me dégage de dessous ma tranchée et des arbres,
00:36:02je ne sais pas où je vais. Je n'ai rien vu de plus infernal. J'entendrai toute ma vie le son
00:36:12métallique du 75, les cris des blessés, le nombre inouï des morts.
00:36:42Gaston Broquet, toujours, ose montrer ce à quoi ressemble le cadavre tout recroquevillé d'un simple
00:36:56soldat.
00:36:58A Hochel, dans le Pas-de-Calais, comme au Lilas, près de Paris, le sculpteur Félix
00:37:27Desruels ne craint pas non plus de représenter les morts. L'un est affalé sur le ventre,
00:37:40face contre terre. L'autre regarde sans plus rien voir. Voyez ce soldat explique à ses
00:37:54administrés le maire d'une autre commune située dans le Puy-de-Dôme. Voyez cette
00:37:59face convulsée par la douleur. Ce n'est pas un héros victorieux. C'est un paysan
00:38:04de chez nous qui est allé jusqu'aux limites de ce qu'on peut souffrir. Ce corps affaissé,
00:38:13cette tête penchée, ce visage amaigri, ce regard qui s'éteint, cet épuisement, cette
00:38:18grande détresse, tout cela dit au passant les horreurs de la guerre. Certains sculpteurs
00:38:36sont les disciples de Goya, de Géricault. Ils sont embarqués sur le radeau de la Méduse.
00:38:41Si l'on veut échapper au réalisme brutal, au tragique, aux scènes de la vie du soldat,
00:39:08comment concevoir une forme de monument à la mesure de la démesure de la guerre, à
00:39:13la hauteur de la mort de masse ? Comme à Lyon dans l'île du Souvenir, certains adeptes
00:39:24de l'art déco en appellent en dernier recours à l'Antiquité, à ses mythologies.
00:39:29Leurs sculptures sont proprement monumentales. Elles portent le poids de la catastrophe,
00:39:43le catafalque de la guerre.
00:39:59Mais les communes ne sont pas très inclines à se tourner vers les courants de l'avant-garde,
00:40:07qu'elles jugent souvent décadents. Et ces artistes redoutent de travailler sous contrôle.
00:40:20Maintenant, il faut refermer la lourde porte, ainsi à Vierzon.
00:40:29Pour faire que la Grande Guerre soit la der des ders, la dernière des guerres,
00:40:34il ne reste plus qu'à mobiliser les titans.
00:40:59Pendant qu'il travaille à la maquette en plâtre de son grand monument,
00:41:09Paul Landowski tient son journal.
00:41:1117 octobre 1919. Rue de Valois. Au ministère, M. Moulet me demande toutes sortes de renseignements,
00:41:23prix du modèle, prix de l'exécution, quels titres donner à mon groupe.
00:41:27Le titre que je lui donnerai, ce sera « Les fantômes ». Mais pour la commande,
00:41:34il ne faut effrayer personne, nous l'appellerons « Les morts ».
00:41:372 décembre 1921. L'ami Bouglet m'a donné trois heures ce matin pour la tête de l'homme à la
00:41:47pioche. Je n'ai pas perdu ces trois heures. Travailler l'après-midi au bras droit de
00:41:53l'homme à la pioche avec le dréveau. Je fais apparaître un morceau de bras nu
00:41:59sous la manche de la capote déchirée. 7 décembre 1921. Fais mouler les mains
00:42:10du jeune soldat Leboeck pour l'homme-fusil. J'y suis. Je prends de plus en plus possession
00:42:20de mon groupe, et mon groupe prend de plus en plus possession de moi.
00:42:2415 novembre 1923. Je simplifie de plus en plus la présentation des fantômes. Quand on arrive
00:42:40à une solution simple, très simple, qui fait presque dire « ce n'était pas bien malin,
00:42:45il n'y avait pas autre chose à faire », on peut être content. Mais seuls les artistes peuvent
00:42:51se douter du mal qu'on a eu pour arriver à ce résultat, et par quel détour on y est arrivé.
00:42:56J'ai tout simplement aligné côte à côte, comme ils l'étaient dans leur vie de soldats,
00:43:05comme ils le sont maintenant dans les fosses où ils dorment, les morts. Ils se redressent,
00:43:13autour de ces grands spectres, la terre s'entrouvre, ils réapparaissent debout,
00:43:18un peu incertains, les yeux clos, dit Paul Landowski.
00:43:43Achevé enfin en 1935, le groupe des fantômes, chaque figure de granit atteint huit mètres de
00:43:56hauteur, orne la butte de Chalmont, où avait eu lieu la seconde bataille de la Marne à l'été 1918.
00:44:13Corps sans nom, noms sans corps, les disparus sont des morts qui n'ont pas laissé de traces de
00:44:28leur anéantissement, des fantômes. Ceux que l'on considère comme des demi-morts n'ont
00:44:36aucune sépulture, ils n'en finissent pas de rôder. Ces morts sont d'autant plus angoissants
00:44:45que l'on peut continuer malgré tout, envers et contre tout, à espérer leur retour à la vie,
00:44:49même défigurés, même inconscients, même amnésiques. Les faits divers de l'époque,
00:44:57comme les romans, en sont peuplés.
00:45:07Combien de soldats sont restés inconnus ? Rien que du côté français, un rapport
00:45:20parlementaire a évalué, au lendemain de la guerre, leur nombre à plus de 300 000. Mais
00:45:27en réalité c'est bien plus. Un mort sur quatre, ou un mort sur trois, n'a pu être identifié.
00:45:36Comment être exact, alors que les soldats disparus ressortent encore aujourd'hui des entrailles de la terre ?
00:45:57Qu'attendre désormais ? Maxime Réal-Delsarte, le sculpteur a perdu un bras aux éparges, veut
00:46:06croire, lui, que la mort est un passage vers l'au-delà, le prélude à la résurrection des corps.
00:46:11Pas de symbole religieux en principe sur les monuments, pour ne pas risquer de raviver la
00:46:21querelle de la séparation de l'Église et de l'État. Mais beaucoup de ruses, y compris la croix de guerre,
00:46:29qui sert de croix de substitution. Jeanne d'Arc, la Vierge guerrière, a été canonisée en 1920 par le Pape et puis par la République.
00:46:44De manière à peine voilée, le récit de La Passion offre un modèle parfait.
00:46:57Il sert à évoquer à mots couverts le martyr du soldat, sa descente de croix, sa déposition,
00:47:04d'innombrables piétats. Combien de mater Dolorosa ?
00:47:20Quelque chose de sacré en oublie le drame abominable.
00:47:34La mort de Jeanne d'Arc, la Vierge guerrière, a été canonisée en 1920 par le Pape et puis par la République.
00:47:41La mort de Jeanne d'Arc, la Vierge guerrière, a été canonisée en 1920 par le Pape et puis par la République.
00:47:49La mort de Jeanne d'Arc, la Vierge guerrière, a été canonisée en 1920 par le Pape et puis par la République.
00:47:59La mort de Jeanne d'Arc, la Vierge guerrière, a été canonisée en 1920 par le Pape et puis par la République.
00:48:07Ma chère femme, les attaques, les contre-attaques de part et d'autre ne font que tuer les hommes.
00:48:17Dans de telles circonstances, nous n'avons plus qu'à attendre la mort.
00:48:24Tu embrasseras nos enfants. Je te recommande de veiller à leur éducation, si possible de leur faire apprendre un métier.
00:48:33Pour notre René, il faut lui faire avoir son brevet supérieur, pour le faire entrer dans l'école spéciale pour les fils des officiers tués devant l'ennemi.
00:48:46En ce qui concerne ta pension, les assurances, les mutuelles, ma solde, vois M. Chenet, surveillant de travaux à la mairie de Nancy, il t'aidera à régler tout cela.
00:49:00Quant à moi qui vais reposer avec mes camarades au cimetière de Montauville, j'aimerais bien être rentré près de vous tous au cimetière de notre village.
00:49:11Eh bien ma chère femme, je pense au moment de mourir que j'ai passé 14 années heureuses avec toi.
00:49:19Au revoir ma chère femme. M'embrasse bien mes pauvres petits.
00:49:25Ton mari tué, Édouard
00:49:48Les monuments sont des mises en abîme, des tombeaux.
00:49:55Connus ou inconnus, enterrés dans les cimetières des champs de bataille, reposant dans leur village ou disparus corps et âme, le mort peut maintenant revenir à la maison.
00:50:25Celles qui n'ont jamais pu s'approcher, elles peuvent enfin arriver. Les jeunes filles, les jeunes femmes, les marraines de guerre, les épouses, les veuves en noir et les fiancées que l'on appelle les veuves blanches.
00:50:54La famille peut voir son défunt.
00:50:56La famille peut voir son défunt.
00:50:58La famille peut voir son défunt.
00:51:00La famille peut voir son défunt.
00:51:02La famille peut voir son défunt.
00:51:04La famille peut voir son défunt.
00:51:06La famille peut voir son défunt.
00:51:08La famille peut voir son défunt.
00:51:10La famille peut voir son défunt.
00:51:12La famille peut voir son défunt.
00:51:14La famille peut voir son défunt.
00:51:16La famille peut voir son défunt.
00:51:18La famille peut voir son défunt.
00:51:21La famille peut voir son défunt une dernière fois.
00:51:28Le gisant est lavé, embaumé, paré, plus beau mort que vivant, comme s'il s'était éteint dans son lit.
00:51:50La pierre accorde des larmes, des caresses, et des étreintes que le mort n'a jamais reçues.
00:52:06La pierre des monuments célèbres des funérailles qui n'ont jamais eu lieu.
00:52:20La pierre des monuments célèbres des funérailles qui n'ont jamais eu lieu.
00:52:24La pierre des monuments célèbres des funérailles qui n'ont jamais eu lieu.
00:52:28La pierre des monuments célèbres des funérailles qui n'ont jamais eu lieu.
00:52:34La pierre des monuments célèbres des funérailles qui n'ont jamais eu lieu.
00:52:37La pierre des monuments célèbres des funérailles qui n'ont jamais eu lieu.
00:52:46À l'audève, dans les rows, en guise de pleureuses modernes,
00:52:49à l'époque où les femmes jouent un nouveau rôle et réclament en vain leur droit de vote,
00:52:54Quatre élégantes sont habillées selon la mode des années folles.
00:53:01Leurs robes, leurs manteaux, leurs parures, leurs broderies sont taillées dans un calcaire coloré à l'acide.
00:53:25Il y a deux éléments qui dictent impérieusement les grandes lignes du monument.
00:53:31La lumière directe du soleil et la disposition du terrain, répond le sculpteur Paul Dardé au journal local.
00:53:45La question de la lumière est très importante.
00:53:48C'est elle qui fait jouer la perspective, qui la détruit ou l'accentue.
00:53:53Pour qu'elle ne soit pas détruite, cette perspective, il faut qu'elle possède une forte ossature,
00:53:59une masse qui ne soit pas déchiquetée par la lumière.
00:54:08D'où la disposition de ces quatre figures, sur lesquelles viendront battre les rayons du soleil.
00:54:15Ainsi disposées, l'ensemble prendra un beau caractère d'intimité.
00:54:28Un côté du visage est intact, comme chez les gisants, mais l'autre côté est défiguré.
00:54:34Les gueules cassées, il faut les laisser errer dans les rues, ou les cacher dans les hôpitaux et les asiles.
00:54:40On ne les sculpte pas, ça suffit comme ça leur visage cubiste.
00:54:45Un amputé, très rarement.
00:54:48Aucun cul-de-jatte.
00:54:50Alors qu'il y a un millimètre d'intimité entre les deux figures,
00:54:53c'est un peu l'intimité de l'artiste.
00:54:56Un visage cubiste.
00:54:58Un amputé, très rarement.
00:55:01Aucun cul-de-jatte.
00:55:03Alors qu'il y a un million d'invalides et d'hommes défigurés.
00:55:07D'êtres trafiqués par la guerre.
00:55:27Yvonne, 24 ans, apprend la mort de son mari, Maurice Retour.
00:55:34« Je suis brisée.
00:55:37Il me semble que je n'ai plus de cœur tant il est broyé dans ses fibres les plus intimes.
00:55:44Quand je songe aux longues années qui s'ouvrent devant moi,
00:55:48je suis prise de vertige.
00:55:50Il m'a abandonnée alors que je n'ai fait qu'entrevoir le bonheur de notre union.
00:55:56Du jour au lendemain, j'apprends que tout est fini,
00:55:59sans avoir pu donner un dernier regard à celui que j'aimais plus que moi-même. »
00:56:07Près de sept ans plus tard,
00:56:09Yvonne assiste à l'exhumation du corps de son mari
00:56:12dans son rapatriement dans le cimetière de Saint-Jean.
00:56:15« Ah, si je le revoyais non pas vivant ! » s'exclame-t-elle.
00:56:19« C'est de la folie d'y songer.
00:56:21Mais seulement intacte ! »
00:56:30C'est lui, intact,
00:56:32le jeune officier au visage de Hervé,
00:56:34qui, en ce moment, n'a pas l'air d'être vivant.
00:56:39« C'est lui, intact,
00:56:41le jeune officier au visage de Hervé,
00:56:43le jeune officier au visage de Héro,
00:56:45qu'a sculpté Marcel Pierre à la Ferté-Massé
00:56:48pour exaucer le vœu de sa jeune épouse. »
00:57:14Quand ils arrivaient en permission,
00:57:16le plus souvent, les soldats ne pouvaient rien raconter.
00:57:19Qu'aurait-on pu comprendre à leurs histoires ?
00:57:24Le fracas des explosions les poursuit,
00:57:26leurs rêves sont des cauchemars.
00:57:29Ils sentent un vide à la place de leurs pensées.
00:57:44Nombre de ceux qui sont revenus vivants
00:57:47font semblant d'être en vie,
00:57:49absents comme des revenants,
00:57:51comme des statues.
00:57:54Une part d'eux n'en reviendra jamais.
00:58:00Ils ne répondent pas aux questions,
00:58:02muets,
00:58:04comme des tombes.
00:58:07Les enfants portent leurs larmes,
00:58:11les enfants portent l'empreinte de ces silences.
00:58:15Ils sont pétrifiés.
00:58:26Les petites filles et les petits garçons
00:58:28ont beau supplier,
00:58:30ils sont voués affêter les héros
00:58:33pour faire oublier qu'ils sont des victimes collatérales.
00:58:41Il y eut 760 000 à 1 million d'orphelins,
00:58:45on le sait,
00:58:47qui s'ajoutent aux 600 000 veuves,
00:58:50aux parents, aux frères, aux sœurs,
00:58:53aux proches qui ont été atteints.
00:59:41Les monuments ne montrent pas que la guerre,
00:59:44ils ne font pas que célébrer les héros.
00:59:49Les statues contiennent l'endurance,
00:59:53la résignation,
00:59:55la colère,
00:59:58la douleur.
01:00:11Ce sont des sarcophages pour enfouir les chagrins,
01:00:17pour continuer à se souvenir,
01:00:21pour parvenir à oublier.
01:00:40Il y a des larmes dans les choses.
01:01:11André Pézard, Nous autres à Vauquois, 1918
01:01:17Mes amis, tout cela est fini,
01:01:19et maintenant vous êtes morts.
01:01:22Je m'égare dans mes souvenirs,
01:01:24et parfois je ne les reconnais pas tellement j'ai changé depuis.
01:01:28Mes amis, je vis encore à toute heure avec vous,
01:01:31et vous ne savez pas.
01:01:34Je deviendrai vieux,
01:01:36avec vous qui serez jeunes.
01:01:38Je m'en veux de voir en ma tristesse une chose qui est tellement mienne.
01:01:42Il faudrait oublier que c'est moi qui parle,
01:01:45car c'est vous qui en êtes le prix.
01:01:49Vous me rendez si triste que je ne voudrais même pas mourir maintenant,
01:01:54mais rester sans plus jamais changer.
01:01:58Car si je mourais,
01:02:00toute cette peine qui est votre chose serait perdue.
01:02:04Laissez-moi dire ceci lentement,
01:02:07comme est lente une pensée endolorie.
01:02:10Laissez-moi dire lentement,
01:02:12comme tombent ta regret de chère syllabe meurtrie.
01:02:17Adieu, ma pauvre guerre.
01:02:20Et c'est tout.
01:02:33Adieu, ma pauvre guerre.
01:03:03Vous êtes aujourd'hui vulgarisateur,
01:03:05mais vous avez enseigné l'histoire, je crois,
01:03:08il y a quelques années, alors vous ne serez pas dépaysé
01:03:11face aux élèves du lycée Paul-Langevin
01:03:13qui se sont inscrits dans la zone d'éducation documentaire.
01:03:16Bonjour les élèves !
01:03:17Bonjour !
01:03:18Merci infiniment de participer à cette émission.
01:03:21Je sais que vous avez plein de questions à poser à nos deux invités,
01:03:25mais juste avant, je voulais savoir,
01:03:27est-ce que vous avez déjà vu, vous, des monuments aux morts ?
01:03:30Oui !
01:03:31Oui ? Est-ce qu'il y en a un dans votre ville ?
01:03:33Oui !
01:03:34Il est où ?
01:03:35À côté d'une église.
01:03:36Absolument, à côté d'une église.
01:03:38Levez la main, ceux qui l'ont vu.
01:03:40Oui, Yacine, qu'est-ce que ça t'évoque, ce monument aux morts ?
01:03:43Je me suis dit que dans ma ville, il y a eu la guerre à l'ancienne.
01:03:46Oui, c'est tout.
01:03:47Ok.
01:03:48On va passer tout de suite à vos questions
01:03:50et on commence avec toi, Bonheur.
01:03:51Pour le réalisateur Jérôme Prieur,
01:03:54pourquoi vous avez décidé de réaliser un documentaire
01:03:57sur les monuments aux morts ?
01:03:59Parce que la guerre de 14,
01:04:01depuis que j'ai l'âge de 10-12 ans,
01:04:04et tout ça, c'est une guerre qui m'effraie,
01:04:07qui m'a fasciné.
01:04:08Mais à la différence de vous tous,
01:04:11j'ai connu mes grands-parents
01:04:13et mon grand-père a fait la guerre de 14.
01:04:16Il s'est engagé à l'âge de 17 ans.
01:04:18Il n'en parlait jamais,
01:04:20mais je sentais qu'il y avait quelque chose de terrible,
01:04:24de violent.
01:04:26Ça m'a toujours beaucoup marqué.
01:04:29C'est quelque chose qui correspondait
01:04:31à une nécessité pour moi.
01:04:33On continue avec Nanama.
01:04:35J'ai une question pour Jérôme Prieur.
01:04:37Pourquoi avoir donné ce titre,
01:04:40les Sentinelles de l'Oubli ?
01:04:42C'est une très bonne question.
01:04:44Je me suis dit que ces monuments aux morts,
01:04:46ils sont partout.
01:04:47Vous avez dit que vous en aviez vu un dans votre ville,
01:04:50mais ils sont partout.
01:04:51Il y a 36 000 communes en France.
01:04:53Il y a au moins un monument aux morts par commune.
01:04:56Je me suis dit que ces monuments aux morts
01:04:58étaient autour de nous et qu'on ne les voyait plus.
01:05:01Là, vous les avez remarqués,
01:05:03parce qu'il y a le film, cette émission,
01:05:05mais on ne les voit plus.
01:05:07Moi aussi, je ne les vois plus.
01:05:09Je me suis dit que ces monuments,
01:05:11c'était des sentinelles.
01:05:13Elles sont postées, elles gardent,
01:05:15c'était des sentinelles.
01:05:17Mais ça ne suffit pas de dire sentinelles.
01:05:19Je me suis dit que ces monuments aux morts
01:05:21c'était à la fois ce qui nous permettait
01:05:23de ne pas oublier.
01:05:25Vous en témoignez.
01:05:27Vous les avez remarqués.
01:05:29Vous ne les avez pas lus,
01:05:31mais vous les avez remarqués.
01:05:33Ça permet de ne pas oublier.
01:05:35Mais aussi, on en a besoin pour oublier,
01:05:37pour laisser le passé dans son coin.
01:05:39C'est pour ça que m'est venu ce titre,
01:05:41les sentinelles de l'oubli.
01:05:43On continue avec Yacine.
01:05:45Guillem Jean, pouvez-vous nous donner
01:05:47quelques chiffres sur cette guerre ?
01:05:49Combien de morts en France et en Europe ?
01:05:51Et pourquoi, quand on évoque
01:05:53la Première Guerre mondiale,
01:05:55on parle souvent des guerres cassées ?
01:05:57À l'échelle de l'Europe,
01:05:59la Première Guerre mondiale,
01:06:01c'est à peu près 4 millions de personnes
01:06:03qui sont décédées au combat.
01:06:05En France, c'est 1,4.
01:06:07Il faut se dire que c'est 1,4 million de morts
01:06:09en France à l'époque où il y avait
01:06:1135 millions d'habitants en France.
01:06:13C'est une proportion absolument monstrueuse
01:06:15à l'échelle de la population de l'époque.
01:06:172 millions de blessés sur l'ensemble du conflit
01:06:19en Europe et 4 millions
01:06:21en France tout seul.
01:06:23Là aussi, c'est assez considérable
01:06:25et ça a posé tout un tas
01:06:27de problèmes d'hygiène,
01:06:29de santé publique, etc.
01:06:31Il a fallu prendre en charge ces blessés,
01:06:33les accompagner, les aider à se reconstruire.
01:06:35Ça a posé énormément de défis.
01:06:37En particulier dans le cas des gueules cassées.
01:06:39L'expression gueule cassée est assez parlante.
01:06:41C'est littéralement des gens
01:06:43qui, en raison de la modernité
01:06:45de l'armement en phase 2,
01:06:47qui faisaient des dommages qu'on n'avait jamais vus avant,
01:06:49auxquels on n'était pas habitués,
01:06:51ont eu la tête, le visage
01:06:53défait.
01:06:55Mais ils ne sont pas juste morts.
01:06:57Ils n'ont pas juste perdu une oreille ou la mâchoire.
01:06:59Parfois, vous avez
01:07:01certaines personnes qui ont perdu
01:07:03le visage qui a été traversé de toutes parts.
01:07:05Il restait les os, il restait les nerfs, mais il manquait des muscles.
01:07:07Ça les a déformés aussi.
01:07:09Ils étaient toujours vivants, mais leur visage...
01:07:11Vous avez des auteurs qui ont
01:07:13fait la Première Guerre mondiale ou qui ont vu des brissés,
01:07:15notamment Maurice Genevoix,
01:07:17qui ont du mal à décrire le visage des gueules cassées
01:07:19parce qu'ils savent que c'est un être humain,
01:07:21mais ils ont du mal à reconnaître
01:07:23un être humain devant eux
01:07:25parce que le visage est complètement déformé.
01:07:27Ce sont des expériences très difficiles
01:07:29à voir, parce que vous êtes devant
01:07:31quelqu'un, vous avez du mal à vous dire
01:07:33que c'est quelqu'un, mais encore plus
01:07:35à vivre. Imaginez, vous avez
01:07:37survécu à ça, mais quand vous vous regardez dans le miroir,
01:07:39vous n'arrivez plus vous-même à savoir si vous êtes encore humain.
01:07:41Le coup dans l'estomac,
01:07:43il est quand même violent.
01:07:45Les gueules cassées, ça a été là aussi
01:07:47un défi, puisque pendant la guerre,
01:07:49on les a
01:07:51hospitalisées à part, et on a
01:07:53commencé à développer de nouvelles méthodes
01:07:55médicales pour essayer de les aider à reconstruire
01:07:57leur visage, ce qu'on savait mal faire.
01:07:59Les gueules cassées
01:08:01ont beaucoup marqué l'imaginaire de la Première Guerre mondiale
01:08:03parce qu'ils incarnaient
01:08:05un peu, à eux tous seuls, quand ils sortaient
01:08:07de l'hôpital, quand on les croisait dans la rue,
01:08:09ce que cette guerre avait fait à l'esprit,
01:08:11mais aussi au corps, au corps de tous les poilus.
01:08:13Et ils représentaient un peu le paroxysme
01:08:15de la violence que cette guerre a pu représenter.
01:08:17Le maximum atteint,
01:08:19puisqu'on avait du mal à déterminer s'ils étaient encore
01:08:21humains.
01:08:23On continue avec Mardot. Pour Jérôme Prieur,
01:08:25quelle réaction du public espérez-vous ?
01:08:27Le plus beau des compliments
01:08:29que j'ai reçu,
01:08:31c'est après une projection,
01:08:33c'était d'ailleurs au mémorial de
01:08:35Verdun, une dame
01:08:37après la projection, puis après le débat,
01:08:39parce qu'il y avait un débat qui m'a dit
01:08:41« Ah monsieur, ce que je vais vous dire
01:08:43va vous décevoir. » Alors je me dis
01:08:45« Bon, on va me dire quelque chose, pourquoi pas ? »
01:08:47« Ça va vous décevoir. »
01:08:49C'est-à-dire qu'à la fin
01:08:51du film, j'avais complètement oublié
01:08:53qu'il s'agissait de statues.
01:08:55J'ai cru que c'était des êtres vivants.
01:08:57Et je lui ai dit « Mais c'est le plus beau compliment
01:08:59qu'on puisse me faire. »
01:09:01C'est souvent une sensation
01:09:03que provoque le film.
01:09:05C'est-à-dire qu'on oublie que ces corps
01:09:07sont des corps de pierre,
01:09:09des corps de bronze, mais que derrière
01:09:11ces corps de pierre, il y a eu
01:09:13des êtres vivants.
01:09:15Et si je produis cet effet,
01:09:17j'ai gagné le pari
01:09:19que je voulais tenter depuis si longtemps.
01:09:21Question pour Guillaume Jean.
01:09:23Pourquoi les monuments aux morts,
01:09:25bien que très nombreux,
01:09:27semblent si peu étudiés ou valorisés dans l'espace public ?
01:09:29Alors on disait tout à l'heure,
01:09:31il y a 36 000 communes en France,
01:09:33au moins un monument aux morts.
01:09:35Mais au total,
01:09:37c'est Antoine Pro,
01:09:39qui est un très grand historien
01:09:41de l'époque contemporaine,
01:09:43qui en 1975,
01:09:4577 peut-être, j'ai plus la date exacte en tête,
01:09:47a fait une étude où il s'est levé un matin
01:09:49et il s'est dit « Je vais étudier tous les monuments aux morts. »
01:09:53Donc il est arrivé à la conclusion qu'il y en avait à peu près 42 000.
01:09:55Donc il y a des communes qui en ont plusieurs,
01:09:57mais vous évoquiez tout à l'heure qu'il y en avait
01:09:59des fois en doublon parce qu'il y en a sur la place du village,
01:10:01dans l'église, etc.
01:10:03On arrive à un total d'à peu près 42 000.
01:10:05Et donc, ces monuments aux morts,
01:10:07ils sont entretenus,
01:10:09ils ont une vie,
01:10:11généralement le 11 novembre, tous les ans,
01:10:13parce qu'il y a la commémoration annuelle
01:10:15de la Première Guerre mondiale.
01:10:17Aujourd'hui le 11 novembre, c'est plus que la Première Guerre mondiale,
01:10:19d'ailleurs c'est aussi toutes les opérations militaires
01:10:21à l'extérieur depuis les années 50.
01:10:23Donc on commémore plein de choses en même temps,
01:10:25donc ça brouille un peu aussi le souvenir
01:10:27de la Première Guerre mondiale.
01:10:29Et finalement, encore une fois, comme les gens se sont éteints,
01:10:31les générations qui ont connu la guerre
01:10:33se sont éteintes,
01:10:35il y a un peu moins de gens pour les faire vivre,
01:10:37il y a un peu moins d'enjeux autour de ce monument-là.
01:10:39Il finit par disparaître dans le paysage de la ville.
01:10:41Il est là, il a toujours été là,
01:10:43on s'y est habitué,
01:10:45finalement on ne s'arrête plus forcément devant,
01:10:47comme disait M. Prieur, pour regarder les noms sur les stèles
01:10:49ou pour remarquer le petit détail du soldat
01:10:51qui a une blessure
01:10:53ou qui soutient son camarade, etc.
01:10:55C'est simplement, je pense, l'effet des générations qui passent.
01:10:57On continue avec Norane.
01:10:59Pour Jérôme Prieur, comment vous avez procédé
01:11:01pour sélectionner
01:11:03toutes les lettres qui sont dans le document ?
01:11:05D'abord, je n'avais pas
01:11:07imaginé que je mettrais des lettres
01:11:09dans mon film. Et puis,
01:11:11faire un film, c'est trouver de l'argent.
01:11:13Et pour trouver de l'argent,
01:11:15je me suis adressé à une fondation
01:11:17qui est la fondation La Poste
01:11:19qui a soutenu quelques-uns de mes films
01:11:21qu'ils appréciaient beaucoup.
01:11:23Et je me suis tourné vers eux
01:11:25et on m'a d'abord dit
01:11:27« Ah oui, volontiers, ce que vous faites nous plaît
01:11:29beaucoup, etc. » Et puis,
01:11:31quelques jours après, la personne avec qui je discutais
01:11:33m'a dit « Ah, je suis désolé Jérôme,
01:11:35je suis désolé, on ne peut pas vous aider.
01:11:37Il n'y a pas de lettres dans votre
01:11:39projet. » Parce que c'est vrai,
01:11:41il n'y en avait pas. Et donc, quand on fait un film,
01:11:43on est un peu prêt à tout.
01:11:45Et donc, j'ai dit qu'à cela ne tienne,
01:11:47il y aura des lettres. Si vous voulez,
01:11:49ça fait tellement longtemps que je baigne
01:11:51un peu dans cette histoire que ça a été
01:11:53assez facile pour moi de trouver des lettres
01:11:55qui allaient cristalliser,
01:11:57symboliser, résumer, condenser
01:11:59ce qu'avaient pu vivre des
01:12:01soldats de complètement absurdes,
01:12:03de complètement effroyables,
01:12:05de complètement douloureux.
01:12:07C'est à serrer le cœur.
01:12:09– Alors, question pour Guilhem Jean,
01:12:11concernant les monuments aux morts des civils.
01:12:13Qu'est-ce que racontent ces statues et qu'est-ce qu'elles peuvent nous apprendre
01:12:15sur les civils durant la Première Guerre mondiale ?
01:12:17– Les monuments aux morts qui figurent des civils,
01:12:19je parle sous contrôle, mais ce n'est pas
01:12:21le cas général, c'est quand même assez rare
01:12:23dans l'ensemble. Mais c'est intéressant
01:12:25parce que justement, ça évoque la prise de conscience
01:12:27d'une certaine proportion de la population
01:12:29dans certains coins, du fait
01:12:31que si les soldats ont pu se battre au front,
01:12:33s'ils ont pu tenir pendant quatre ans,
01:12:35c'est parce que derrière, l'ensemble de la société,
01:12:37ou en tout cas de très très grands morceaux
01:12:39de la société, se sont mobilisés
01:12:41pour fournir de l'équipement, de l'armement,
01:12:43du soutien moral, de l'alimentation,
01:12:45des munitions, etc.
01:12:47Et il est aussi possible dans certains cas
01:12:49que ce soit un hommage simplement
01:12:51aux civils qui sont morts pendant les opérations
01:12:53puisqu'il y a malheureusement des cas de civils
01:12:55qui sont tombés
01:12:57parce que quand il y a une armée
01:12:59qui capture une ville, il n'y a pas
01:13:01que des soldats dans la ville. La cathérale de Reims
01:13:03par exemple, qui s'est fait bombardée par les Allemands
01:13:05au début de la guerre, il y avait des prêtres
01:13:07dans le coin, il y avait des habitants
01:13:09qui habitaient dans les rues autour et les obus
01:13:11sont tombés quand même. Donc c'est les deux,
01:13:13c'est une reconnaissance pour l'arrière et c'est un hommage
01:13:15aux civils qui n'ont rien demandé et qui sont tombés quand même.
01:13:17Pour le réalisateur Jérôme Prieur,
01:13:19pourquoi les femmes sont si rares dans les monuments
01:13:21aux morts ? Pourquoi on en voit si peu ?
01:13:23En réalité,
01:13:25on s'aperçoit, si on regarde
01:13:27qu'il y a beaucoup de femmes,
01:13:29enfin beaucoup,
01:13:31c'est pas dominant,
01:13:33mais qu'il y a quand même un grand nombre
01:13:35de femmes et d'enfants, mais restons
01:13:37sur les femmes, qui sont représentées.
01:13:39Pourquoi ? Parce que ça permet
01:13:41de présenter
01:13:43des allégories de la France,
01:13:45de la victoire. Alors ce sont des femmes
01:13:47imaginaires,
01:13:49des femmes qui n'existent pas, des femmes
01:13:51qui représentent la France. Mais à côté
01:13:53de ces femmes qui représentent la France
01:13:55ou la victoire, il y a des veuves,
01:13:57il y a des filles,
01:13:59il y a des épouses,
01:14:01il y a des fiancées et il y en a
01:14:03plus qu'on ne croit. Bien sûr, c'est pas
01:14:05la majorité, mais c'est pas rarissime.
01:14:07Je trouve ça très émouvant.
01:14:09Dans le documentaire, on voit
01:14:11le monument aux morts de la ville de Levallois-Péret.
01:14:15Et que soit figuré
01:14:17un tirailleur des troupes d'Afrique,
01:14:19victime de la colonisation.
01:14:21Quant à l'ouvrier, qui attire
01:14:23toute la polémique, brise-t-il
01:14:25son glaive ?
01:14:27Pourquoi il ferait ça, l'ouvrier ?
01:14:29Peut-être parce qu'il veut oublier
01:14:31ce qui s'est passé.
01:14:33Il est peut-être en colère
01:14:35contre la guerre ? Peut-être que c'est ça.
01:14:37En tout cas, ça peut être une interprétation
01:14:39possible. On voit bien
01:14:41que ce qui est montré par cet artiste,
01:14:43par ce sculpteur, c'est une
01:14:45dénonciation assez violente de la guerre.
01:14:47Ce monument de Levallois-Péret,
01:14:49il ne vante pas les mérites de la guerre.
01:14:51Il montre ce que ça a fait,
01:14:53qui ça a atteint,
01:14:55quelles conséquences ça a eues sur
01:14:57des tirailleurs d'Afrique, sur des
01:14:59fusillés pour l'exemple, sur des soldats
01:15:01gazés, etc.
01:15:03On continue avec toi, Aymeric.
01:15:05Les sculpteurs ont-ils fait la guerre ? Qui sont-ils ?
01:15:07Comment rejoutent-ils les scènes ?
01:15:09Oui,
01:15:11oui et non.
01:15:13Il y a des œuvres, il y a un
01:15:15monument à Bar-le-Duc, ça ne vous
01:15:17rappelle sûrement rien, où on voit un
01:15:19groupe de soldats, il y a un homme vieux,
01:15:21plus vieux que les autres,
01:15:23un homme très jeune, qui a
01:15:2518 ans. Ils sont tous comme ça,
01:15:27les mimes, je ne sais pas si vous
01:15:29vous souvenez, ils sont comme ça, prêts à bondir,
01:15:31mais il y a un groupe de gens.
01:15:33Je me suis dit, c'est formidable, ce sculpteur,
01:15:35c'est formidable, c'est un ancien combattant.
01:15:37Puis j'ai regardé qui il était,
01:15:39et non, ce n'est pas un ancien combattant,
01:15:41c'est quelqu'un qui a un vrai
01:15:43artiste, il s'est documenté,
01:15:45il a utilisé des photos sûrement,
01:15:47il s'est renseigné, et donc il représente
01:15:49quelque chose d'une vérité,
01:15:51comme une vérité cinématographique.
01:15:53Moi j'ai une question pour Guillaume Jean.
01:15:55La religion est assez
01:15:57peu présente dans les monuments aux morts.
01:15:59La croix de guerre sert
01:16:01parfois de croix catholique, mais peu d'évocation
01:16:03à la foi chrétienne. Pourquoi ?
01:16:05Alors les monuments, la plupart, sont commandés
01:16:07après 1918,
01:16:09entre 1918 et 1922, grosso modo.
01:16:11La construction parfois s'étale sur
01:16:1310 ou 15 ans, en fonction des communes,
01:16:15pour des raisons essentiellement de budget, parce que ça coûte cher,
01:16:17et que ce n'est pas forcément facile de lever l'argent
01:16:19pour monter le monument. Mais à cette période-là,
01:16:21qu'ils soient construits
01:16:23dès 1919, 1922,
01:16:25ou dans les années 30, la loi de 1905,
01:16:27elle, elle est déjà passée depuis un moment,
01:16:29et c'est la loi de séparation de l'Église et de l'État.
01:16:31Or, ceux qui commandent
01:16:33les monuments aux morts, c'est l'État français,
01:16:35soit le gouvernement,
01:16:37le département, le préfet, ou la commune,
01:16:39le maire, le conseil municipal,
01:16:41c'est toujours une institution de l'État qui commande.
01:16:43Or, l'État, il n'a pas le droit de prendre
01:16:45partie religieusement, depuis la loi de 1905.
01:16:47Il est censé être neutre, ne pas se mêler
01:16:49des affaires religieuses.
01:16:51Du coup, ce qui se passe, c'est que
01:16:53il y a une espèce de contradiction.
01:16:55Officiellement, ils ne sont pas censés le faire,
01:16:57mais dans les faits, il peut y avoir
01:16:59un maire qui estime que ce serait
01:17:01normal de dire au revoir aux morts
01:17:03d'une façon religieuse, parce qu'encore une fois,
01:17:05on est beaucoup plus croyants à l'époque
01:17:07dans la majorité de la population qu'on peut l'être
01:17:09aujourd'hui. Il peut y avoir simplement
01:17:11les familles des soldats qui disent, moi, j'aimerais bien,
01:17:13on est catholiques dans la famille, on aimerait bien qu'il y ait une croix,
01:17:15on aimerait bien qu'il y ait un symbole quelconque sur le monument.
01:17:17Sauf qu'il y a la loi, quand même.
01:17:19Et les soldats, ils sont morts pour la République.
01:17:21Donc, contourner la loi de la République
01:17:23pour dire merci aux soldats d'avoir défendu la République,
01:17:25c'est quand même un petit peu particulier.
01:17:27Donc, du coup, il y a des contournements.
01:17:29Il y a des artistes,
01:17:31il y a des personnes qui commandent le monument
01:17:33qui vont tricher un petit peu.
01:17:35Donc, il peut y avoir effectivement des jeux sur les croix.
01:17:37Il me semble que ce n'est pas le cas le plus général,
01:17:39mais que souvent, ce qu'on va retrouver, justement, c'est les figures de femmes
01:17:41dont on parlait tout à l'heure,
01:17:43qui vont souvent représenter,
01:17:45par exemple, indirectement la Vierge Marie
01:17:47qui va pleurer sur le corps du soldat
01:17:49comme si le soldat, c'était le Christ
01:17:51qu'on avait descendu de la croix.
01:17:53Et ça, c'est une image qu'on retrouve dans la religion chrétienne
01:17:55depuis très, très, très longtemps.
01:17:57Vous aviez déjà des mater de l'orosa,
01:17:59des souffrantes ou des pietas,
01:18:01c'est-à-dire des Vierges Marie qui offrent
01:18:03le corps de Christ à Dieu
01:18:05à l'époque de la Renaissance, dans les années 1400-1500.
01:18:07Donc, c'est vraiment une figure
01:18:09qui est réutilisée dans les monuments
01:18:11de façon plus ou moins directe
01:18:13et tout le monde fait semblant de ne pas avoir vu
01:18:15à partir du moment où ce n'est pas trop flagrant.
01:18:17On continue avec Héline.
01:18:19Diriez-vous que ces monuments aux morts jouent un rôle
01:18:21dans la réconciliation ou dans la construction
01:18:23d'une mémoire partagée, en particulier
01:18:25à une époque où la guerre
01:18:27est de plus en plus présente ?
01:18:29Je crois que la guerre de 1914,
01:18:31elle a fédéré la France
01:18:33comme nation. Jusque-là,
01:18:35c'était un pays très…
01:18:37peut-être pas décentralisé
01:18:39parce que Paris a toujours eu
01:18:41un rôle central
01:18:43en France.
01:18:45Mais en tout cas, où il y avait des régions,
01:18:47des provinces,
01:18:49des parlais différents, des patois
01:18:51et que la guerre de 1914,
01:18:53du fait qu'elle a drainé
01:18:55beaucoup de soldats venus des quatre coins
01:18:57de la France et les monuments aux morts
01:18:59le montrent, de ce fait-là,
01:19:01la construction des monuments
01:19:03aux morts a unifié
01:19:05le pays, a unifié la nation.
01:19:07J'ai une question pour Guillaume.
01:19:09Jean, selon vous,
01:19:11pourquoi est-ce important de transmettre
01:19:13cette mémoire à la société actuelle ?
01:19:15Comme disait M. Prieur,
01:19:17l'avantage, je mets des énormes guillemets
01:19:19à « avantage » d'une guerre,
01:19:21parce qu'il n'y a quand même pas beaucoup d'avantages à une guerre,
01:19:23on ne va pas se mentir, c'est que ça permet aux gens
01:19:25de s'unir en réalité.
01:19:27Effectivement, il évoquait la Première Guerre mondiale.
01:19:29Dès le début de la guerre,
01:19:31vous avez tous les partis politiques
01:19:33de l'Assemblée nationale de l'époque qui font ce qu'on appelle
01:19:35l'Union sacrée et qui disent « on arrête de se disputer
01:19:37parce que là, il se passe quelque chose d'important,
01:19:39on prend les décisions tous ensemble
01:19:41et on fait front ». Bon,
01:19:43il se trouve que ça n'a pas duré super longtemps l'Union sacrée.
01:19:45Mais sur le principe, c'est un moment où
01:19:47tout le monde est uni et tout le monde essaye
01:19:49de faire face
01:19:51ensemble aux problèmes qui se présentent.
01:19:53Alors, vous étiez peut-être
01:19:55un peu jeunes, mais on avait connu ça au moment
01:19:57où on les a célébrés au début du mois,
01:19:59les attentats qu'on a eus en 2015.
01:20:01C'est un moment aussi où les gens ont fait
01:20:03bloc tous ensemble pour dire « on a
01:20:05subi une attaque tous ensemble, on a été
01:20:07heurtés tous ensemble, donc on va essayer d'être
01:20:09solidaires tous ensemble aussi ».
01:20:11La mémoire, ça permet aussi de faire un petit peu ça.
01:20:13C'est des moments où on se rappelle
01:20:15qu'on a été solidaires,
01:20:17on a affronté les mêmes dangers, les mêmes douleurs qu'on les a partagées
01:20:19et qu'on a tenus ensemble.
01:20:21Mais à côté de ça, il y a aussi
01:20:23avec des guillemets encore une fois, des leçons
01:20:25qui peuvent être tirées des guerres.
01:20:27Le fait, par exemple, qu'en 1914,
01:20:29l'ultra-nationalisme
01:20:31où chaque nation voulait écraser
01:20:33son voisin absolument, économiquement,
01:20:35militairement, politiquement.
01:20:37On a bien vu que ça menait dans
01:20:39un cul-de-sac et qu'à la fin, tout le monde finissait par s'entretuer
01:20:41d'une façon profondément absurde.
01:20:43Vous l'avez rappelé plusieurs fois, c'est une guerre, la guerre de 1914,
01:20:45qui est une guerre fondamentalement absurde
01:20:47où on s'entretue pour le principe de reprendre 50 mètres sur le voisin.
01:20:49Donc la mémoire,
01:20:51ça permet aussi de se dire, il y a un moment,
01:20:53est-ce qu'il ne faut pas arrêter d'être bête ?
01:20:55Est-ce qu'il ne faut pas tirer des leçons ?
01:20:57Est-ce qu'il ne faut pas reconnaître les red flags
01:20:59quand ils commencent à émerger ?
01:21:01Et savoir finalement être raisonnable
01:21:03et se comporter plus intelligemment
01:21:05aujourd'hui qu'on l'a fait hier ou avant-hier.
01:21:07On continue avec Jason.
01:21:09Pour Guilhem Jean, vous avez étudié les guerres.
01:21:11Voyez-vous une différence entre les guerres
01:21:13passées comme celles de 1914 ou 1945 ?
01:21:15Le conflit actuel ukrainien-russe
01:21:17ou au Moyen-Orient,
01:21:19qu'est-ce que je sens selon vous ?
01:21:21Chaque guerre est profondément différente.
01:21:23Elle n'est jamais à la même époque.
01:21:25Même si elle est dans la même région,
01:21:27ce ne sont pas les mêmes gens,
01:21:29donc ils n'ont pas le même état d'esprit,
01:21:31ils n'ont pas les mêmes enjeux,
01:21:33ils n'ont pas le même matériel.
01:21:35Après, effectivement, il y a des points communs
01:21:37de loin quand on prend par exemple
01:21:39la guerre en Ukraine et la guerre de 1914.
01:21:41Dans les deux cas, il y a un rôle super important
01:21:43pour les soldats, c'est difficile de traverser
01:21:45parce que sinon ils se font pilonner
01:21:47et ils décèdent, ce qui fait qu'ils ne peuvent plus avancer.
01:21:49Mais quand tu dépasses un peu ça,
01:21:51tu peux te rendre compte
01:21:53qu'il y a des énormes différences.
01:21:55En Ukraine, dès le début de la guerre,
01:21:57ils ont énormément utilisé les drones
01:21:59pour faire de la reconnaissance
01:22:01ou même pour mener des opérations
01:22:03au début de la guerre, je ne sais pas si vous vous rappelez.
01:22:05Les Ukrainiens ont levé
01:22:07une petite flotte de drones
01:22:09et les ont balancés sur un destroyer
01:22:11Bon, en 1914,
01:22:13je ne te cache pas que ça,
01:22:15c'était compliqué, les drones en 1914.
01:22:17En 1914, on était encore à utiliser les ballons
01:22:19pour faire de la reconnaissance au début de la guerre
01:22:21et on avait les premiers avions qui commençaient à décoller
01:22:23et les batailles aériennes,
01:22:25avant 1917-1918, ça ne ressemblait pas à grand-chose.
01:22:27Donc, c'est difficile
01:22:29de faire des comparaisons comme ça.
01:22:31Élicia, pour le réalisateur
01:22:33Jérôme Prieur, pensez-vous
01:22:35qu'il faudrait beaucoup plus de monuments aux morts ?
01:22:37Si oui, pourquoi ?
01:22:39En 1914, il y a beaucoup de monuments.
01:22:41On chiffre les chiffres
01:22:43à 40 000,
01:22:45à 42 000, je ne sais pas exactement,
01:22:47mais il y a beaucoup de monuments.
01:22:49C'est plutôt à chacun
01:22:51de s'apercevoir que
01:22:53avant nous, il y a eu
01:22:55des gens qui ont
01:22:57souffert et
01:22:59lire le nom des morts
01:23:01sur les monuments, c'est déjà quelque chose.
01:23:03On continue d'en construire des monuments aux morts.
01:23:05C'est juste que ce ne sont plus des monuments
01:23:07pour la guerre de 1914, mais on continue de mettre des monuments aux morts.
01:23:09On évoquait les attentats de 2015
01:23:11tout à l'heure, il y a des plaques et des petits
01:23:13monuments qui ont été élevés dans certains coins
01:23:15de Paris, à proximité souvent
01:23:17des lieux où il y a eu les attaques,
01:23:19et même dans d'autres endroits où il y a eu d'autres attentats,
01:23:21il y a souvent des plaques qui sont apposées, c'est la continuité
01:23:23des monuments aux morts, et même toutes
01:23:25les opérations militaires que la France a pu mener
01:23:27depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale,
01:23:29il y a des monuments aux morts qui ont été dressés.
01:23:31Vous avez un monument aux morts assez simple,
01:23:33une grande stèle rectangulaire avec
01:23:35le symbole de Marianne, je crois,
01:23:37en haut, avec tous les morts qui sont
01:23:39morts dans toutes les opérations extérieures, ce qu'on appelle
01:23:41les OPEX de la France depuis 1958,
01:23:43je crois, qui ont été élevés il y a quelques années
01:23:45juste derrière les Invalides. Donc on continue en fait
01:23:47d'en construire. C'est juste que
01:23:49pour la société, c'est moins vital
01:23:51de le faire, c'est plus un geste politique
01:23:53aujourd'hui que véritablement
01:23:55un besoin des gens de dire au revoir, parce que
01:23:57ça représente aussi beaucoup moins de personnes qui sont tombées.
01:23:59Emmanuel, ce serait la dernière
01:24:01question. Est-ce qu'aujourd'hui
01:24:03les nouveaux médias sur Internet sont
01:24:05devenus les nouveaux centinaires de la mémoire ?
01:24:07C'est une question compliquée parce que
01:24:09je pense que ça ne vous aura pas échappé.
01:24:11Moi déjà, à mon époque,
01:24:13je passais ma vie sur Internet quand j'étais adolescent,
01:24:15donc vous, je pense que c'est pareil, et probablement
01:24:17peut-être même beaucoup plus encore.
01:24:19On trouve un peu tout et n'importe quoi sur Internet.
01:24:21Donc un monument aux morts, c'est une centinaire
01:24:23de la mémoire, mais c'est un truc qui est balisé,
01:24:25quadrillé. C'est l'État
01:24:27à l'époque, les familles des victimes qui ont
01:24:29voulu que le monument soit construit comme ça pour transmettre
01:24:31tel message à tel endroit.
01:24:33Si on part du principe
01:24:35qu'aujourd'hui, c'est les créateurs de
01:24:37contenu sur Internet qui sont les gardiens de la mémoire,
01:24:39très souvent, vous avez
01:24:41des créateurs de contenu qui ne vont pas vraiment
01:24:43s'intéresser au travail
01:24:45des universitaires sur telle guerre
01:24:47ou quoi que ce soit, et ils vont plus donner leur avis,
01:24:49leur ressenti, etc. Donc en fait,
01:24:51c'est plus une opinion qu'un
01:24:53vrai travail de mémoire ou qu'un vrai travail
01:24:55explicatif, souvent. Bon, alors je vais
01:24:57prêcher un peu pour ma paroisse. Il y a quand même des gens qui bossent
01:24:59un peu sérieusement, qui lisent les travails
01:25:01des historiens, qui vont essayer de vous expliquer les choses
01:25:03un peu sérieusement, qui vont essayer non pas de remplacer
01:25:05vos profs. N'allez jamais croire qu'une vidéo
01:25:07sur Internet va remplacer vos profs.
01:25:09C'est un complément, c'est un pas de côté.
01:25:11C'est un petit bonus, mais ça ne peut pas
01:25:13remplacer. Donc quand vous tombez
01:25:15sur un influenceur qui a peut-être
01:25:17de très bonnes intentions, mais qui va vous présenter
01:25:19son point de vue sur tel événement historique
01:25:21ou qui va juste être curieux, qui va se balader
01:25:23comme ça et qui va vaguement vous balancer quelques
01:25:25anecdotes, c'est pas la même
01:25:27chose que de se tourner vers
01:25:29un documentaire sur lequel il y a eu
01:25:31de la recherche
01:25:33universitaire qui a été faite ou de
01:25:35regarder le travail
01:25:37d'un chercheur qui a bossé sur le sujet,
01:25:39qui a des sources et qui est capable de vous expliquer
01:25:41pourquoi la conclusion c'est ça et pas
01:25:43autre chose. Donc soyez toujours un petit peu
01:25:45méfiants quand vous vous baladez sur Internet comme ça
01:25:47et la glissade
01:25:49entre mémoire,
01:25:51connaissance et opinion
01:25:53personnelle, parfois complètement claquée au sol,
01:25:55elle est souvent très très fine.
01:25:57Donc soyez toujours vigilants là-dessus, même des gens
01:25:59qui peuvent avoir de bonnes intentions
01:26:01et vraiment penser qu'ils vous apprennent un truc,
01:26:03parfois ils peuvent se vautrer et vous raconter n'importe quoi
01:26:05sans faire exprès. Est-ce que du coup,
01:26:07vous irez voir votre monument
01:26:09à la Sainte Geneviève des Bois ?
01:26:11Vous irez regarder les noms ?
01:26:13En ayant une petite pensée aussi pour
01:26:15tous
01:26:17ceux qui participent, qui ont participé
01:26:19à des guerres, vous irez voir ce monument ?
01:26:21Je vous remercie, merci beaucoup, merci infiniment
01:26:23à vous deux d'avoir participé
01:26:25à la zone d'éducation documentaire, bravo !
01:26:27Bravo à vous les élèves, c'était particulièrement
01:26:29brillant, pertinent. On remercie
01:26:31vos profs qui vous ont si bien préparés
01:26:33à cette émission. Ouais, bravo
01:26:35les profs, vous pouvez les applaudir parce qu'elles sont
01:26:37super, elles sont super bien bossées,
01:26:39tout comme vous d'ailleurs. Et puis nous, on se retrouve
01:26:41très vite avec une nouvelle classe et un nouveau documentaire
01:26:43parce qu'il n'y a pas d'âge pour questionner le monde
01:26:45et ses images. Salut les élèves !
01:26:47Salut !