Claire Fourcade, médecin, présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs et auteure de «Journal de la fin de vie» chez Fayard, était l’invitée de #LaGrandeInterview de Sonia Mabrouk dans #LaMatinale sur CNEWS, en partenariat avec Europe 1.
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00:00Bonjour Claire Fourcade. Bonjour. Et bienvenue à la grande interview sur CNews et Europe 1.
00:05Vous êtes médecin de soins palliatifs, président de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs
00:11et vous êtes l'auteur de ce livre intitulé Journal de la fin de vie.
00:15Chez Fayard apparaître aujourd'hui un livre dont on ressort différent, bouleversé après la lecture.
00:21Beaucoup de nos téléspectateurs et de nos auditeurs, Madame Fourcade, vont vous découvrir ce matin.
00:26Est-ce que vous pouvez tout d'abord nous dire depuis combien de temps vous exercez votre métier
00:30et puis peut-être combien de patients vous avez suivis, accompagnés tout au long de votre parcours dans ce pôle de soins palliatifs ?
00:37Alors je travaille à Narbonne dans l'eau depuis 25 ans en soins palliatifs
00:40et avec l'équipe avec laquelle je travaille on accompagne chaque année 700 patients
00:44donc ça fait presque 15 000 je pense depuis la création de l'équipe.
00:4815 000 patients accompagnés ça veut dire aussi 15 000 familles dont on prend soin
00:53le temps de l'accompagnement de leurs proches et puis parfois aussi après avec lesquels on continue d'avoir des liens.
00:58C'est cette richesse d'expérience que j'ai eu envie de partager.
01:02La richesse de l'expérience, évidemment, le parcours, la bienveillance
01:05et puis un livre sans ambiguïté aussi au sujet d'une loi autorisant l'euthanasie.
01:10Qui serait selon vous, Claire Fourcade, une loi pour les forts qui ne protège pas les faibles
01:15et vous insistez sur les mots à employer ? Je voudrais peut-être démarrer par cela.
01:18Vous parlez de suicides assistés, d'euthanasie et pas d'aide à mourir contrairement souvent aux responsables politiques.
01:25Pourquoi utilisent-ils cet artifice ou ce contournement sémantique selon vous ?
01:30Alors d'abord l'aide à mourir c'est mon métier, ça fait 25 ans que je fais ça.
01:34Aider à vivre, moi j'aime mieux dire que j'aide à vivre jusqu'à la mort mais en tout cas
01:37et je crois que c'est important de bien nommer les choses pour que chacun puisse comprendre de quoi il est question.
01:42Ce que j'ai eu envie de dire aussi dans ce livre c'est quels sont les enjeux du débat.
01:46Ces enjeux me paraissent très importants et pour que chacun puisse bien comprendre
01:49parce qu'on a tous cette crainte de la façon dont notre fin de vie pourrait se passer ou celle de nos proches.
01:53J'ai rencontré au travers des débats, au travers des commissions, des conventions citoyennes, des auditions
01:58beaucoup de français qui ont cette crainte des conditions dans lesquelles la fin de vie peut se produire.
02:04Et il me semblait important de dire d'abord qu'on a les moyens que la fin de vie se passe dignement
02:09et qu'on peut vivre dignement jusqu'à la mort en France.
02:12Et puis aussi de nommer ce dont il est question dans les débats.
02:14L'euthanasie c'est la mort donnée par un tiers qui dans tous les pays qui l'ont légalisé est un soignant.
02:19Et puis le suicide assisté où la société donne à une personne les moyens de mettre fin à ses jours.
02:23Et je crois que c'est important d'utiliser les mots.
02:25D'ailleurs tous les pays qui l'ont légalisé utilisent ces mots-là
02:28et parlent d'euthanasie et de suicide assisté et ça me paraît important.
02:31Je vais lire un passage de votre livre à ce sujet.
02:33Vous dites euthanasie dans tous les pays justement qui l'ont légalisé.
02:36Elle signifie la mort par injection létale pratiquée par un soignant.
02:40Mais elle emporte avec elle tout un cortège de représentations historiques ou vétérinaires
02:45qui mettent en défaut cette image entre guillemets de bonne mort que son étymologie lui assigne.
02:50Pour tous ceux qui voudraient y voir la douceur, la liberté et la dignité,
02:54cette violence sous-jacente est bien sûr inappropriée et on lui préférera entre guillemets aide active à mourir
03:00ou soins de fin de vie qui ont l'avantage de nimber d'un flou artistique
03:04ce que l'on souhaite ne voir que de loin et déléguer à d'autres.
03:08Le soin de fin de vie, est-ce que porter la mort est un soin ?
03:13Pour un très grand nombre de soignants, c'est impossible.
03:17Même la définition juridique du soin, c'est ce qui va permettre d'améliorer la vie.
03:21L'euthanasie, elle n'est pas un soin, elle vient interrompre le soin.
03:24Elle vient couper le soin et le soin c'est notre métier, c'est ce qui nous fait choisir.
03:28Ces métiers qui sont parfois difficiles, la confrontation à la question de la souffrance et de la mort au quotidien,
03:32c'est difficile pour les soignants.
03:34C'est un choix particulier. Ce qui est difficile, ce n'est pas la mort une fois, c'est la répétition de la mort.
03:39On a des très jeunes soignants dans le service, je suis toujours très impressionnée
03:42de leur capacité à être là, à être présent.
03:45On peut faire ce chemin et puis on accompagne les patients aux portes de la mort.
03:49On revient et on refait ce chemin avec d'autres.
03:51Pour qu'on puisse revenir et repartir avec d'autres, il y a un moment où on doit laisser le patient.
03:56On ne peut pas mourir avec chaque patient qui meurt.
03:58Je crois que c'est vraiment important de se dire que notre métier, c'est le soin.
04:02Prendre soin, soulager, accompagner et c'est possible.
04:05Je veux vraiment le répéter, c'est possible d'être accompagné et d'être soulagé jusqu'à la fin de sa vie.
04:10Mais donner la mort, c'est autre chose et ce n'est pas un soin.
04:13Je note que tout à l'heure, vous avez dit vivre dignement jusqu'à la mort et pas mourir dignement.
04:17Cette différence est très importante. On va en parler.
04:20Claire Francade, on poursuit notre entretien sur CNE.
04:22Je rappelle que vous êtes médecin en soins palliatifs.
04:25Avant d'évoquer les temps forts, les passages saisissants de votre livre, Journal de la fin de vie,
04:29l'actualité, c'est la volonté, on l'a appris hier, du Premier ministre François Bayrou
04:33de scinder le projet de loi sur la fin de vie en deux textes.
04:37Alors, expliquons à nos auditeurs et téléspectateurs,
04:39l'un sur ce qu'ils appellent l'aide à mourir et puis l'autre sur les soins palliatifs.
04:45C'est ce que vous demandiez, c'est un premier pas pour vous ?
04:47Alors ça fait depuis deux ans maintenant qu'un très grand nombre de soignants
04:51concernés par la question de la fin de vie demandent la division de ce projet de loi.
04:55Parce qu'il y a une partie soins, les soins palliatifs.
04:58Depuis 25 ans, la loi française promet à tous un accès aux soins palliatifs
05:02et aujourd'hui, c'est seulement la moitié des patients qui en auraient besoin qui ont accès.
05:05Ça veut dire que tous les jours, en France, il y a 500 personnes qui meurent
05:09sans avoir eu accès aux soins dont elles auraient besoin.
05:11C'est un scandale.
05:12C'est un scandale et ça peut changer.
05:13Et donc, ce point-là fait l'unanimité.
05:15Je pense qu'il y a un consensus, les députés sont tous d'accord.
05:18Dans toutes les auditions, je n'ai entendu personne nous dire
05:20« Ah ben non, il n'y a pas besoin d'accompagner les gens ».
05:22Et donc, c'est l'occasion peut-être pour un Parlement tellement divisé
05:25de voter une loi à l'unanimité.
05:27Ce n'est pas arrivé depuis la loi Leonetti de 2005 qui était déjà sur la fin de vie.
05:30Donc, ce sujet peut faire l'unanimité et ça nous paraît essentiel.
05:34Et puis, on a besoin d'avancer.
05:35La question de l'euthanasie et du suicide assisté
05:37qui est un sujet beaucoup plus clivant et beaucoup plus difficile,
05:40on voit qu'actuellement, elle freine la question des soins palliatifs
05:43puisqu'on n'avance pas là-dessus.
05:44Ça fait deux ans que moi, j'entends tous les hommes politiques dire
05:46« C'est la priorité, c'est ça qu'on va faire » et rien ne change.
05:49Donc, maintenant, faisons changer les choses.
05:51Donc, c'est important.
05:52Ça veut dire que s'il y a deux textes différents,
05:54les parlementaires pourront voter sur les soins palliatifs de manière consensuelle
05:59et vraiment en conscience, chacun, sur ce qu'ils appellent l'aide active à mourir.
06:04J'ai entendu hier, de façon très paradoxale, un député dire
06:06« Mais si on avance d'abord sur les soins palliatifs,
06:08ma crainte, c'est qu'on n'ait plus besoin du deuxième texte. »
06:11Mais moi, je dis que ce n'est pas une crainte qu'on n'ait plus besoin du deuxième texte,
06:13c'est une chance.
06:14Que répondez-vous, Claire Fourcade, à ceux qui affirment et soutiennent
06:17qu'amener à la mort, c'est soulager ?
06:21C'est un geste d'humanité, je l'ai entendu, et de fraternité.
06:24Que répondez-vous à ceux qui disent que le suicide assisté, c'est mourir dans la dignité ?
06:28Et que répondez-vous, enfin, à ceux qui pensent qu'aider à mourir, justement, fait partie des soins ?
06:32Alors, d'abord, moi, je pense que personne ne perd sa dignité.
06:35Ce n'est pas parce qu'on est malade qu'on est moins digne.
06:37Moi, tous les jours, dans mon quotidien, jusqu'à hier soir,
06:40les gens que je vois sont des gens dignes.
06:42Et c'est mon travail aussi de faire qu'ils ne perdent pas ce sentiment de leur dignité,
06:47de leur dire qu'on est là parce qu'ils comptent pour nous.
06:49Et ce qui est très important, c'est qu'ils comptent pas seulement pour nous, soignants,
06:52mais ils comptent pour toute notre société.
06:54La loi actuelle, elle dit aux patients, vous comptez pour nous.
06:58Mon obligation, par la loi, c'est de soulager, quoi qu'il en coûte,
07:01même si ça doit raccourcir la vie, mais je ne donne pas la mort
07:04parce que les députés ont dit, vous comptez pour nous, vous êtes importants pour nous.
07:08Et je trouve que ce message, plus je vieillis, plus je le dis aux patients,
07:11vous comptez pour nous.
07:12Et vous comptez pas seulement pour nous, les soignants, qui avons des liens avec vous,
07:15mais toute notre société pense que vous êtes importants et que vous valez qu'on soit là.
07:19Et toujours chez les patients, je vois à quel point c'est soutenant
07:24de savoir qu'on compte pour quelqu'un.
07:26Donc la relation de soins entretenus entre un médecin et son patient
07:29doit être pour vous, si je vous comprends bien, Claire Foucault,
07:32totalement décorrélée d'un choix de société pour pouvoir rendre possible le suicide assisté.
07:38C'est-à-dire, il ne faut pas faire porter aux soignants le choix d'une société.
07:43La demande de mort fait partie de notre métier.
07:45On entend des demandes de mort, beaucoup moins souvent que ce qu'on imagine.
07:48Très souvent, quand les gens sont soulagés, cette demande disparaît.
07:51Sur ces 25 ans d'exercice, j'ai eu trois demandes d'euthanasie qui ont persisté.
07:55Donc on voit que c'est vraiment très rare.
07:57Mais cette demande de mort qui est notre métier,
08:00la question, c'est comment on y répond collectivement.
08:02Qu'est-ce qu'on dit à un patient qui demande à mourir ?
08:04Et moi, je veux pouvoir continuer quand un patient me dit
08:06« c'est trop difficile, je voudrais mourir »,
08:08de lui dire pourquoi, et pas quand, comment, et quel protocole on va utiliser.
08:12Et très souvent, quand on parle ensemble avec ces patients,
08:15c'est des consultations qui sont à la fois difficiles, mais d'une très grande vérité,
08:20il va pouvoir exprimer ses peurs, ses craintes,
08:23et nous, on va pouvoir dire qu'est-ce qui est possible,
08:25comment on pourra soulager, comment on pourra accompagner.
08:27Ce qui est une urgence, c'est de soulager.
08:29Ce n'est pas de faire mourir.
08:30Par contre, soulager, ça oui, c'est une urgence.
08:32Alors, est-ce que pour les soignants,
08:33est-ce qu'ils y voient une rupture anthropologique ?
08:36Est-ce que ça peut signer la fin du serment d'Hippocrate,
08:38malgré les guerres de fous qui sont toujours promis par le politique ?
08:41En tout cas, ils y voient une rupture dans leur métier, c'est certain.
08:43On a fait une grande enquête auprès des acteurs,
08:45tous les soignants de soins palliatifs.
08:47On les a interrogés.
08:48Il y en a 96% qui pensent que pour eux, ça va à l'encontre de leur fonction.
08:53On choisit d'accompagner, de travailler en soins palliatifs
08:56parce qu'on veut accompagner la vie jusqu'au bout,
08:58parce qu'on veut prendre soin.
08:59Et ce texte de loi, il vient vraiment mettre une rupture.
09:03Et puis surtout, les soins palliatifs, c'est une médecine de l'impuissance.
09:06C'est une médecine qui a renoncé à guérir
09:08et qui accepte d'accompagner, qui accepte que nous sommes mortels
09:11et qu'on a à être là jusqu'au bout, sans abandonner,
09:14qu'on doit tenir, même si c'est compliqué.
09:16L'euthanasie vient rompre cette promesse-là.
09:19Elle vient fracturer le lien
09:21et elle vient surtout redonner la toute puissance aux médecins
09:24de décider qui doit vivre et qui peut mourir
09:26et de donner aux médecins la possibilité de faire mourir.
09:28Le clair pourquoi de le médecin ou un tiers ?
09:30On verra ce qui sera contenu dans le projet de loi.
09:32Est-ce qu'il y a un risque de généraliser une société de la suspicion ?
09:35Est-ce que les pays où il y a une légalisation de l'euthanasie
09:38connaissent des dérives insupportables, inacceptables ?
09:41Est-ce qu'un patient fragilisé, même qui est en demande,
09:44finalement, risque de voir, c'est très difficile ce que je dis,
09:48parfois son entourage comme étant potentiellement
09:51ceux qui vont lui administrer une solution radicale ?
09:54Ce qui est important, c'est de savoir qu'aucun pays dans le monde
09:57n'a envisagé de permettre à des tiers de donner la mort,
10:00comme c'est le cas dans le projet de loi
10:03présenté par Olivier Falorni.
10:05À vrai dire, quand ce texte est arrivé,
10:08je pensais que ça allait être balayé tout de suite,
10:11tellement ça me paraît incroyable actuellement.
10:13Par exemple, une personne de confiance ne prend pas de décision.
10:16Elle vient témoigner parce qu'on ne veut pas faire peser
10:18sur la personne de confiance le poids d'une décision difficile.
10:21Là qu'on puisse demander à un tiers,
10:23on imagine les promesses intenables pour le tiers bienveillant.
10:27Et puis on voit aussi parfois, ce n'est pas très fréquent,
10:30des familles qui ne sont pas bienveillantes ou qui sont divisées.
10:33Ça, c'est plus fréquent ou dans lesquels il y a des conflits.
10:36Comment on peut imaginer concrètement ce que ça va représenter ?
10:40Ça me paraît être décalé complètement du réel.
10:43Et aussi, on peut imaginer clair fourcade que le malade,
10:46le patient puisse imaginer qu'il pose un problème
10:50et qu'il estime qu'en choisissant cette voie radicale,
10:52il va soulager ses proches. C'est terrible.
10:54Chacun de nous, chaque matin, on est vivant
10:56et on ne se demande pas si on doit le rester.
10:58Pour ces patients-là, si cette loi passe,
11:00pour les patients, ça veut dire que chaque matin,
11:02on doit se demander, est-ce que je dois rester vivant ?
11:04Est-ce que ça serait mieux pour mes proches ?
11:06Est-ce que ça serait mieux pour la société ?
11:08Et bien sûr que quand on est fragile, quand on est vulnérable
11:10et quand on doute déjà du sens et de l'utilité de sa vie,
11:13si la société vient vous dire, oui, après tout, pourquoi pas ?
11:17Bien sûr qu'il y a une pression.
11:19Et on voit dans tous les pays qui ont légalisé
11:21une augmentation constante et parfois très importante
11:23du nombre d'euthanasie chaque année
11:25qui dit bien à quel point la pression de la norme
11:27vient s'exercer sur les plus fragiles et les plus vulnérables.
11:30Et parfois les plus jeunes qui sont aussi les plus fragiles
11:32et les plus vulnérables.
11:33Oui, bien sûr.
11:34En lobby, ce n'est pas forcément des personnes très âgées.
11:36En vous écoutant et en lisant votre livre, on s'est dit,
11:38en fait, est-ce qu'on a besoin de lois ou de moyens ?
11:40Alors, moi, je dis qu'en tout cas, pour accompagner correctement,
11:43on n'a pas besoin de lois.
11:44La loi actuelle, qui nous impose à la fois
11:46de respecter les choix du patient,
11:48l'obstination déraisonnable est interdite.
11:50Il est interdit de s'acharner.
11:52Un patient a le droit d'arrêter un traitement quand il veut.
11:54Et nous, on a l'obligation, quels que soient ses choix,
11:56de l'accompagner et de le soulager.
11:58Et je répète, même si ça doit raccourcir la vie.
12:00C'est-à-dire qu'on utilise tous les moyens disponibles
12:03et on prend tous les risques pour soulager.
12:05Dans mon quotidien, pour les patients qui vont mourir,
12:07on n'a absolument pas besoin d'une loi supplémentaire.
12:09Par contre, on a besoin de moyens pour que tous les patients aient accès.
12:12Expliquez-nous, Claire Fonca, d'expliquer à nos auditeurs,
12:14à nos téléspectateurs, pourquoi en France,
12:16malgré tout qui reste un pays riche,
12:18même si c'est, comme disait l'autre, une puissance moyenne,
12:20pourquoi on n'arrive pas à rendre effectif
12:23la généralisation des soins palliatifs sur tout le territoire français ?
12:29Parce qu'on ne soigne pas avec des lois.
12:31On soigne avec de l'argent, un peu, mais surtout avec des gens.
12:34Et on a besoin de soutenir les soignants, de les accompagner.
12:38Et les soins palliatifs, plus que partout ailleurs dans le soin,
12:41c'est une médecine qui a besoin d'avoir du sens.
12:43C'est-à-dire que pour accepter de se confronter à ces questions-là,
12:45il faut que ça ait du sens.
12:46Et ce qu'on voit dans le système de santé actuel,
12:48c'est que la façon dont il fonctionne fait que les soignants
12:50perdent le sens de leur métier.
12:52Et c'est pour ça qu'on voit aussi tant de soignants quittés
12:54dans toutes les disciplines, pas seulement en soins palliatifs.
12:56On a besoin que le soin ait du sens.
12:58Et ça, c'est vraiment important pour nous, collectivement,
13:01de réfléchir, là encore, à ces questions-là.
13:03Mais le fait qu'il y ait ce manque de pôles en soins palliatifs,
13:07est-ce que ça forge l'idée qu'on meurt mal en France ?
13:09Est-ce que c'est le cercle infernal ?
13:10Parce qu'on dit, alors, il faut peut-être légaliser l'euthanasie.
13:13Bien sûr, j'ai rencontré un très grand nombre de Français,
13:15et même de députés, bien sûr, qui ont connu dans leur entourage
13:19des morts difficiles, des morts inacceptables,
13:21et surtout des conditions de mort qui sont évitables.
13:24On peut faire autrement.
13:25Je travaille dans un département très pauvre,
13:27un département rural, où je vois tout ce qui est possible de faire.
13:30Si c'est possible chez nous, c'est possible partout.
13:32C'est des questions terribles, évidemment,
13:35très concrètes et parfois philosophiques.
13:37Et j'ai envie de vous demander, du haut de votre expérience,
13:40à qui appartient notre mort ?
13:41Est-ce qu'elle nous appartient encore ?
13:42Est-ce qu'elle appartient aux soignants ?
13:43Est-ce qu'elle appartient à l'État, aux religieux, à Dieu, si vous y croyez ?
13:46Alors, ce qui est compliqué, c'est que la mort est à la fois
13:48quelque chose de très individuel, parce qu'on meurt seul,
13:50même si on est accompagné, même si entouré, on meurt seul.
13:53Mais par contre, elle est aussi collective.
13:55C'est-à-dire que la mort, les conditions de la mort,
13:58l'accompagnement de la mort, la place des personnes
14:00en fin de vie dans la société, c'est aussi une condition collective.
14:04Si on compte que sur les soignants pour accompagner la fin de vie,
14:06on n'y arrivera jamais.
14:07On a besoin de tous.
14:08On est tous concernés.
14:09On a besoin de chacun, les familles, des patients qui sont là,
14:12les proches, les voisins.
14:13On a besoin de tous si on veut pouvoir créer une société
14:16qui accompagne chacun selon ses besoins.
14:18Il y a ces premiers mots dans votre livre intitulé
14:20Journal de la fin de vie, Claire Foncate.
14:22Je vais les citer.
14:23Aider quelqu'un de vulnérable, de dépendant,
14:25voilà le commencement de toute civilisation.
14:28Est-ce-à-dire qu'en étant en deçà de ce qu'il faut faire,
14:30on s'éloigne de ce qui symbolise aujourd'hui,
14:32de ce qui caractérise une civilisation ?
14:34En tout cas, moi, j'ai envie de vivre dans une société
14:37qui dit à chacun qu'il a sa place,
14:39même quand il ne répond pas aux critères de performance,
14:42d'excellence, de jeunesse et de beauté qu'on imagine.
14:45Chacun de nous, vulnérables, fragiles.
14:48On est tous vulnérables et fragiles.
14:50On est tous interdépendants.
14:51On a tous besoin des autres pour exister.
14:53Et de dire à chacun, voilà, on est là pour vous
14:55et à un moment, vous serez là pour vous.
14:57À certains moments de notre vie, on est accompagné
14:59quand on est bébé, quand on est plus âgé.
15:01À d'autres, on est accompagnant.
15:02Je crois que c'est pour nous tous quelque chose
15:05qui peut donner de l'espoir dans une société du lien.
15:07C'est une question des physiques, je vais vous poser.
15:09Si un jour, on vous demande de pratiquer un acte euthanasique
15:12parce qu'une loi l'autorise de près ou de loin,
15:14une forme d'euthanasie est à l'œuvre, que ferez-vous ?
15:18Alors en fait, ça m'est déjà arrivé que des patients me le demandent.
15:21Et pour moi, ce n'est pas la loi qui va me le demander,
15:23c'est des patients.
15:24Et jusqu'à présent, en tout cas, ça m'a toujours été possible
15:29de dire à un patient, pour moi, ce n'est pas possible
15:31parce que vous comptez pour moi, parce que je tiens à vous,
15:33parce que vous êtes trop importants pour moi,
15:35pour que je puisse faire ça.
15:36Et dernièrement, il y a une patiente qui a réfléchi
15:39quand je lui ai dit ça et qui m'a dit, c'est vrai,
15:41je n'aurais pas dû vous demander ça.
15:42Et je crois qu'elle reconnaissait comme ça le lien qui nous unissait.
15:45On se connaissait depuis longtemps.
15:46Donc voilà, moi, je crois que je me sens en capacité
15:49de dire sereinement à un patient que pour moi, c'est trop difficile,
15:53mais que par contre, je vais continuer d'être là
15:55et de l'accompagner et de faire le maximum.
15:57Justement, je vais conclure par ces quelques mots.
15:58Notre entretien, vous écrivez,
15:59« Je suis cette autre à qui l'on voudrait confier
16:02la responsabilité de ce soin palliatif qui a réussi,
16:05comme je l'ai entendu nommé par des Canadiens.
16:08Je suis celle qui devrait préparer la seringue de curare
16:10et ou de pantothale, d'injecter le mélange à un patient
16:14dont j'ai écouté les peurs et le désespoir,
16:16regarder venir la mort, la constater, puis la consigner,
16:19avant de rentrer chez moi, sans pouvoir rien répondre
16:21à la question du soir. »
16:23Alors, comment s'est passée ta journée ?
16:26J'aimerais conclure cet entretien par vous dire,
16:28parce que vous avez répété le mot,
16:29vous comptez pour nous, c'est ce que vous dites à vos patients,
16:31vous savez que vous comptez pour nous aussi, les soignants.
16:33Il faut vous le rappeler, peut-être.
16:34C'est très important, je vous remercie beaucoup.
16:36C'est extrêmement important de savoir que ce qu'on fait
16:39a du sens aussi pour notre société.
16:41Je pense que les Français vous le témoignent quotidiennement.
16:44Merci, Claire Fourcade.
16:45Je rappelle le titre de votre ouvrage,
16:47« Journal de la fin de vie » chez Fayard,
16:49et c'est à paraître aujourd'hui.
16:51A bientôt et bonne journée à vous.
16:52Merci.