• il y a 2 mois
Ces dernières années, les professionnels constatent une augmentation significative des situations de tensions et de harcèlement moral au sein des organisations. Depuis la fin de la crise sanitaire, les équipes ont développé une sensibilité accrue et un sens au travail davantage prononcé. Les dispositifs de préventions s’améliorent d’année en année, de quoi favoriser les remontées d’alertes et sensibiliser les équipes à ce genre de situations. Maintenant, aux entreprises de savoir identifier le bon moment pour faire appel à des cabinets de conseils spécialisés.

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Transcription
00:00Nous sommes toujours aux rencontres du droit social et j'ai le plaisir de recevoir Jean-Christophe Villette, directeur chez Equilibre et Guillaume Bredon, avocat associé chez Edgar Avocat.
00:09Ensemble, vous animez un atelier sur le thème enquêter et prévenir sur le harcèlement, la pluridisciplinarité comme solution.
00:15Observez-vous une augmentation
00:17des alertes harcèlement en entreprise ?
00:20Je pense qu'on peut répondre très vite sur ce sujet. L'ensemble des acteurs de la sphère RH, de la sphère sociale, constatent une augmentation
00:27des situations de tension, des alertes associées et des alertes notamment en lien avec des dénonciations
00:34de harcèlement, harcèlement moral, harcèlement sexuel.
00:36Guillaume ?
00:37Je confirme tout à fait
00:38au cabinet on reçoit de plus en plus de plaintes que nous remontent nos clients et qui posent la question de savoir si oui ou
00:44non il faut enquêter sur ces sujets.
00:46Alors selon vous, qu'est ce qui explique ce phénomène ?
00:49Il y a plusieurs facteurs, peut-être qu'on ne va pas tous les passer en revue.
00:52Le premier qu'on peut mettre en évidence, c'est l'amélioration des dispositifs de prévention dans un grand nombre d'entreprises. On doit le souligner,
00:59les dispositifs de prévention, de sensibilisation favorisent une meilleure identification
01:04de situations inappropriées avec des remontées d'alertes. On a aussi une évolution du contexte sociétal et social. Il y a clairement un avant et un après
01:14Covid et crise pandémique. Il y a un niveau de sensibilité beaucoup plus important
01:19sur le sens au travail, le sens du travail. Et dans cette quête de sens, la qualité des relations est importante. Et peut-être un dernier point,
01:25on ne va pas être trop long sur le sujet, c'est la centralisation des fonctions RH et
01:30la disparition d'un certain nombre de ressources de proximité, que ce soit d'ailleurs au niveau de la fonction RH ou peut-être même dans les fonctions
01:35représentatives du personnel, en capacité de pouvoir capter des signes faibles et interagir avant que la situation ait atteint parfois des points de non-retour.
01:43Oui, moi j'ajouterais juste qu'on observe une dilution du lien hiérarchique dans beaucoup d'institutions.
01:49Et je pense que cette absence de maîtrise de qui fait quoi et qui se positionne comment favorise
01:59les relations difficiles entre les acteurs.
02:02Avant d'approfondir sur le sujet de l'enquête,
02:06quels sont vos conseils pour améliorer la prévention des comportements inappropriés,
02:11Jean-Christophe, au-delà de l'enquête ?
02:13Merci de nous poser la question parce qu'on est
02:16souvent, trop souvent,
02:18mobilisés tardivement
02:20dans les entreprises, notamment
02:22après une alerte, voire après des tentatives de gestion de ces alertes qui ont avorté,
02:29pour venir apporter du renfort. En matière de prévention, on peut conseiller comme première recommandation
02:35de mettre en place un audit de conformité RH et un audit des pratiques de prévention pour en apprécier l'efficacité.
02:41On peut également
02:43recommander de développer une culture relationnelle préventive. Une culture relationnelle préventive, ça veut dire d'y intégrer la réglementation,
02:50ce qui est clairement interdit, inapproprié en entreprise. Mais c'est pas que ça, c'est aussi développer des compétences qui favorisent la relation à l'autre, qui vont
02:58favoriser le dialogue,
02:59pratiques d'assertivité, savoir dire non, savoir formuler une critique, plus un certain nombre d'autres recommandations. Et peut-être pour être rapide, sans les détailler,
03:06on est très aligné avec Guillaume, d'ailleurs, sur ce sujet. C'est mettre en place dans les organisations
03:11un suivi d'indicateurs qui vont permettre de pouvoir suivre la santé organisationnelle. Des indicateurs de conformité, des indicateurs RH,
03:18des indicateurs organisationnels, le turnover, l'absentéisme, à titre d'exemple, il y en a d'autres. Et puis,
03:24professionnaliser l'écoute dans l'entreprise, l'écoute et le soutien, à la fois avec les acteurs internes et peut-être avec des dispositifs
03:29complémentaires de professionnels de l'écoute, sans oublier la mise en oeuvre d'un dispositif de veille et de traitement des alertes au sein des organisations.
03:38Alors, on va revenir sur l'enquête. Guillaume, à quoi sert une enquête ? Et quels sont les risques ?
03:44Alors, l'enquête a pour objectif premier de rendre objectif une situation, d'essayer de
03:50formaliser les choses, de pouvoir les
03:54les rendre effectivement objectifs.
03:56Les risques, c'est que les acteurs, finalement, que l'enquête ne serve à rien et au contraire mette le bazar dans l'entreprise.
04:02Ne serve à rien, c'est-à-dire ne soit pas formalisé correctement, ne puisse pas
04:07aboutir à des conclusions certaines et donc créer plus d'inconvénients, de perturbations dans l'entreprise que de
04:16servir un outil pour régler les problèmes.
04:20Est-ce qu'elle est obligatoire, l'enquête ?
04:21Alors, l'enquête en tant que telle, dans certains cas, est obligatoire puisque le code du travail prévoit
04:26dans plusieurs cas de figure, notamment en cas de danger grave et imminent, qu'un représentant du personnel va signaler à l'employeur ou en cas
04:34d'alerte sur l'atteinte au droit des personnes. Dans ces cas-là, le code du travail prévoit que l'employeur doit mener une enquête
04:39avec les représentants du personnel. Alors, il n'est pas exclu que les représentants et l'employeur
04:45aient recours à des personnalités extérieures pour objectiver la situation,
04:49mais le texte prévoit quand même que c'est à eux de mener l'enquête.
04:52Donc, là, c'est obligatoire. Après, est-ce qu'elle est toujours obligatoire ? En tous les cas, non. Et d'ailleurs, la Cour de cassation a
04:58rendu un arrêt assez intéressant le 12 juin dernier, au terme duquel la Cour de cassation indique que
05:04l'employeur ne viole pas son obligation de sécurité si,
05:08alors même qu'il a été alerté dans le cas d'une plainte, il ne fait pas d'enquête dès lors qu'il a pris les mesures
05:13conservatoires nécessaires et immédiates pour
05:16diminuer le risque et le résorber. D'accord, donc, vous parlez de prévention, on est un peu dans ce sens.
05:22Exactement. En tout cas, dans cette situation, ça invite à pouvoir
05:26mieux qualifier les situations à l'origine potentiellement d'une prise de décision de la mise en place d'une enquête. Ce qui est important, c'est de pouvoir
05:34calibrer l'outil qui va être le plus approprié dans une démarche de
05:40résolution de la situation, mais aussi de préparation de la suite à l'issue de l'enquête. L'enquête, c'est une étape, c'est jamais une finalité
05:46dans une résolution d'une situation de conflit au sein d'une organisation.
05:50Et Guillaume, l'enquête, est-ce qu'elle doit être interne ou externe ?
05:55Alors, ça dépend évidemment des cas.
05:57Ça dépend du degré, à mon sens, de gravité des faits qui sont dénoncés. Si les faits sont relativement banaux,
06:05banals pardon, ou que
06:07il n'y a pas vraiment lieu de
06:11mobiliser les acteurs externes, ça peut peut-être être traité rapidement par une action managériale rapide. Et donc, dans ce cas-là,
06:19l'enquête interne suffira certainement. Lorsque les enjeux
06:23sont importants, que ce soit parce qu'il y a des enjeux business derrière, qu'il y a des enjeux politiques, ou qu'il y a des enjeux
06:30en termes de procédures juridiques ou de risques juridiques derrière, il est conseillé, en tout cas je recommande à mes clients,
06:37d'avoir recours à une enquête externe,
06:40mobilisant soit des cabinets spécialisés, soit
06:45des acteurs que les partenaires sociaux auront identifiés
06:50au préalable, dans le cas d'un accord de méthode par exemple. Je pense que c'est intéressant de valider,
06:55en amont, avec les représentants du personnel, les cas de figure où, d'un commun accord,
07:00l'enquête sera menée en interne, ou bien les cas de figure où,
07:04compte tenu des enjeux, les partenaires sociaux s'accorderont sur le fait qu'une enquête externe ne sera pas fairable.
07:10Jean-Christophe, en quoi selon vous les expertises
07:13juridiques et psychosociales sont complémentaires pour accompagner ce sujet ?
07:17Elles sont
07:19complémentaires par rapport à des compétences réelles ou personnelles. On est sensible avec Guillaume à la notion de compétence, c'est d'ailleurs le coeur de
07:25notre sujet, vous rappeliez l'atelier, et le sujet central de l'atelier c'est celui de la compétence, celle que l'on a,
07:30celle que l'on n'a pas, ou pas encore à un moment donné, que ce soit à l'intérieur de l'entreprise ou à l'extérieur de l'entreprise,
07:35mais aussi celle qu'on nous porte, et la représentation dans l'organisation est importante quand on parle
07:41de l'intervention d'un juriste, de l'intervention d'un avocat, ou de l'intervention d'un consultant psychologue du travail des organisations.
07:47Donc il y a dans les compétences
07:49de ces sphères
07:52de champs disciplinaires différents, des points communs, mais aussi des divergences, notamment dans la connaissance des règles de droit,
07:59pour lesquelles les consultants psychologues peuvent connaître les fondamentaux, mais ce n'est pas leur métier de pouvoir être dans l'anticipation,
08:06dans l'analyse et dans l'expertise de ces règles de droit. Il y a généralement une
08:10représentation plus forte dans la capacité d'être centré sur les éléments factuels et de pouvoir
08:15conseiller les clients sur les conséquences juridiques
08:18des faits, de la matérialité qui a pu être démontrée dans les professions juridiques.
08:24On a maintenant une sensibilité humaine et une expertise dans la capacité de pouvoir créer une alliance,
08:31libérer la parole,
08:33accompagner sereinement, dans la sensibilité de ces situations d'enquête, les obligations de l'entreprise. N'oublions pas qu'une enquête
08:40c'est à un moment donné une réponse à une situation de tension, et cette situation de tension dans l'entreprise est souvent accompagnée
08:48d'impacts émotionnels qui ne doivent pas être négligés.
08:51Alors Guillaume, je m'adresse à vous d'abord. Est-ce que vous êtes pour une meilleure réglementation pour accompagner la pratique des enquêtes ?
08:58Alors, je ne suis pas pour réglementer pour réglementer.
09:01Le code du travail réglemente déjà les quatre figures dans lesquelles une enquête est nécessaire et
09:05grossièrement les modalités qui doivent être suivies avec les représentants du personnel, je vous l'ai dit tout à l'heure.
09:10Maintenant,
09:13faire en sorte que dans l'entreprise, les règles qui vont encadrer
09:17l'enquête soient convenues d'un commun accord, dans le cadre d'accords d'entreprise ou d'accords
09:22de règlement intérieur du CSE par exemple, ce genre de choses, ça me paraît effectivement une bonne idée, afin qu'à froid,
09:30en dehors de situations problématiques,
09:32il puisse être convenu des modalités de ces enquêtes et faire en sorte que, enfin dans le but, pardon,
09:38que lorsqu'elles seront mobilisées, elle ne soit plus contestable, que la forme ne soit plus contestable et qu'on se concentre sur le fond et qu'il
09:45n'y ait pas d'instrumentalisation de la façon de faire ou de ne pas faire
09:48l'enquête en question. Si vous permettez, on encourage aussi avec équilibre ces démarches-là et à défaut d'accords,
09:56tout en encourageant la mise en place des accords, mais à défaut d'accords, on encourage très fortement
10:00les mobilisations paritaires, les commissions paritaires, à la fois dans la phase de préparation, dans la phase de pilotage des enquêtes et les compétences pour
10:09réaliser et réussir les enquêtes ne s'improvisent pas, donc on ne peut que trop encourager à se former sur ce sujet avec des compétences
10:17expertes et une mobilisation paritaire qui,
10:21à chaque fois qu'elle a
10:23trouvé les solutions de pouvoir se mettre en place dans les organisations, a porté ses fruits et a permis de mieux maîtriser l'ensemble des enjeux,
10:29des démarches en tout cas sur lesquelles on a été mobilisés.
10:32Je me permets une dernière question, comment est-ce que vous voyez
10:36évoluer ces enquêtes sur le harcèlement ?
10:40Des informations dont je dispose et dont disposent les professionnels RH, rien ne laisse entendre que sur l'année qui vient et même les trois années
10:46qui viennent, le nombre d'enquêtes va diminuer.
10:50En revanche, il va y avoir une professionnalisation obligatoire de la qualification des situations d'alerte
10:57et une professionnalisation obligatoire
11:00de la prévention en lien avec le harcèlement, qui s'intègre plus globalement dans les comportements inappropriés en entreprise et qui s'intègre dans la thématique globale
11:07de la prévention des risques psychosociaux. Donc on ne peut que continuer d'encourager à faire de la prévention, mais attention, une prévention
11:14ajustée aux réalités de l'entreprise et à calibrer sur mesure et à mieux qualifier les situations parce que l'enquête
11:21n'est pas obligatoire, ça a été rappelé, il y a d'autres modalités d'intervention possibles comme la médiation ou des mesures
11:28managériales directes et quand il s'agit d'enquêtes, elles peuvent être menées aussi en interne et ou en externe
11:34selon des critères qui sont aujourd'hui bien établis. Donc un champ
11:38que l'on doit continuer de
11:39professionnaliser, que ce soit en interne ou dans l'apport conseil de cabinets comme les nôtres.
11:43Guillaume, sur cette évolution possible des enquêtes ? Alors moi je dirais que quelle que soit finalement la forme d'intervention,
11:50ce qui importe c'est que la direction d'entreprise se saisisse des sujets qui lui sont remontés.
11:54La pire des solutions
11:56c'est de faire la politique de notre ruche et de mettre sous le tapis ce qu'on ne veut pas voir.
12:00Donc à partir du moment où on se saisit des situations, selon le degré d'urgence, de gravité,
12:06il y a un panel d'actions, on l'a vu, qui sont différents. L'enquête me semble nécessaire dans beaucoup de cas en réalité, qu'elle soit en interne ou en externe.
12:14L'idée c'est qu'elle soit objective et utile. Encore une fois, utile c'est dire qu'on puisse derrière
12:20tirer des conséquences de ce qui aura été constaté, de façon contradictoire et que les conclusions ne puissent pas être mises en cause.
12:27Ça suppose de respecter un certain nombre d'éléments formels,
12:30d'une méthode pour que cela soit fait dans les règles de l'art et encore une fois que ça ne puisse pas être contestable.
12:36Je vous remercie pour ces échanges et je vous retrouve très bientôt pour une nouvelle interview.

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