Depuis le “Liberation day” (2 avril 2025), qui se définit par l’annonce de la mise en place de droits de douanes réciproques par Donald Trump, les entreprises internationales doivent s’adapter aux risques que cela représente pour elle. Mais cela pourrait aussi devenir une opportunité d’améliorer leur résilience.
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00:00Générique
00:00L'invité de Smart Impact c'est Stéphane Cronier, bonjour.
00:10Bonjour Thomas.
00:10Directeur général d'Inverto France, on va parler de la guerre commerciale déclenchée par Donald Trump,
00:15des risques mais aussi des opportunités, il y en a, que ça représente pour les entreprises en France et en Europe.
00:20Un mot d'Inverto France qui est une filiale du Boston Consulting Group, votre spécialité c'est quoi ? Logistique, achat ?
00:26Alors c'est achat et ce qu'on appelle au sens plus large la gestion des chaînes d'approvisionnement,
00:32donc tout ce qui est flux physique et d'informations pour que les produits arrivent au bon endroit au bon moment et à un coût raisonnable.
00:38Et donc vous ne chômez pas depuis que Donald Trump est revenu à la maison mâche ?
00:43Non, après les épisodes Covid-Ukraine qui ont créé des perturbations massives sur le chef d'approvisionnement,
00:49maintenant c'est les droits de douane et il y a des nouvelles tous les jours, donc il faut être flexible.
00:56Quand vous avez vu Donald Trump présenter sa liste des taxes douanières, ce Liberation Day, comment vous avez réagi ?
01:05Est-ce que vous avez trouvé, cherché une cohérence déjà dans les chiffres qu'il annonçait ?
01:08Il y a eu une méthode de calcul qui a été expliquée, qui était plutôt simpliste.
01:13Après il y a eu un moment quand même de sidération vis-à-vis des montants qui ont été annoncés.
01:19Et puis après on a vu un certain nombre de pays répondre, dont la Chine et une réponse encore des Américains.
01:25Donc aujourd'hui si on regarde les droits de douane, je ne vous apprends rien, entre la Chine et les États-Unis,
01:30on est à 145% de droits de douane, donc on a des montants vraiment punitifs.
01:35Oui en fait ça veut dire fermer l'entrée du pays à ses produits quand on est à 145%.
01:41C'est fermer l'entrée, là en fait c'est intéressant, Bloomberg a sorti récemment une petite étude,
01:47ils ont pris un cargo qui est parti le 2 avril de Chine, qui est arrivé donc juste avant l'annonce d'amendation des droits de douane,
01:55qui vient d'arriver aux États-Unis, il y avait à peu près 550 millions de valeurs dans le porte-container,
02:02une fois arrivé aux États-Unis, il y avait plus de 400 millions de droits de douane supplémentaires à payer.
02:09C'est énorme !
02:10Alors Donald Trump, il a finalement annoncé une pause de 90 jours, qui nous mène grosso modo jusqu'à la mi-juillère,
02:17sauf pour la Chine, on va en reparler après, mais comment les entreprises peuvent mettre cette pause à profit ?
02:23Il y a des choses à faire en ce moment ?
02:24Absolument, alors il y a plusieurs types d'actions à mener, il y a des actions d'abord de mise en place,
02:31rien de très original, de cellules de gestion de crise, la plupart des entreprises en fait,
02:35pour piloter un petit peu entre les annonces, les actions très court terme.
02:39Il y a des actions d'influence aussi, on a vu récemment des entreprises dans le secteur automobile,
02:46dans le secteur du high-tech, aller discuter avec des lobbyistes vers le gouvernement américain
02:52et obtenir des exemptions, un gel des mesures, on a vu ça sur l'industrie automobile,
02:58on a vu ça sur l'industrie du high-tech, et donc plutôt que de répondre frontalement dans les médias,
03:02cette stratégie d'influence peut être intéressante, et puis après il y a un certain nombre d'actions plus pratiques,
03:07c'est celle que je regarde moi sur le sujet achat et gestion des chaînes d'approvisionnement,
03:13qui est des choses très court terme, donc de repriorisation, décalage des flux,
03:19on a vu par exemple des constructeurs automobiles type Audi, Jaguar, Land Rover,
03:23arrêter en fait d'expédier leur voiture neuve aux Etats-Unis,
03:26s'appuyer sur le stock qu'ils ont déjà dans leur réseau de distribution pour satisfaire la demande client,
03:31en attendant d'en savoir plus, puisque les droits sont punitifs,
03:36et puis après on a des actions un peu plus long terme, de modélisation, des impacts,
03:42de définition des scénarios pour prendre des actions de type,
03:47chercher des nouveaux fournisseurs par exemple, dans des zones moins impactées,
03:51même s'il y a un moment d'incertitude, et puis faire des scénarios, on en a parlé,
03:56pour se préparer une fois qu'on arrivera au 9 juillet,
04:00et qu'il y aura peut-être un peu plus de stabilité,
04:03mais il ne faut pas avoir d'illusions non plus là-dessus,
04:05pour être capable d'enclencher des scénarios de réponse.
04:09– C'est passionnant ce que vous dites, parce qu'il y a à la fois,
04:12il y a toutes les stratégies possibles, parfois il faut agir, parfois il faut attendre,
04:16on est face à une incertitude qui est l'essence même de Donald Trump
04:21depuis qu'il est revenu à la Maison-Blanche,
04:22on a oui, son contraire, une solution médiane le troisième jour,
04:27il occupe l'espace médiatique comme ça.
04:29C'est quand même compliqué pour les entreprises de prendre des décisions
04:32sur le long terme dans un tel contexte.
04:34– Alors exactement, donc il y a des décisions comme changer des lieux de production,
04:39comme qualifier de nouveaux fournisseurs dans des zones graphiques
04:42qui demandent des investissements massifs,
04:44donc là, il est urgent d'attendre, mais on se prépare en définissant justement ces scénarios,
04:51utilisant des outils digitaux pour modéliser les impacts et être prêts.
04:55Ceci dit, il y a un certain nombre d'actions que des sociétés avaient déjà commencé à enclocher,
04:59notamment à l'époque du Covid de l'Ukraine, qu'on est de toute façon en mesure d'accélérer.
05:04Si je prends un exemple, Apple avait commencé à déplacer des moyens de production
05:08de ces iPhones vers la Chine, vers l'Inde, à accélérer ce mouvement ces dernières semaines
05:12pour justement couvrir presque l'ensemble des besoins de la demande aux Etats-Unis
05:19par ces moyens de production en Inde.
05:21– Par ces moyens de production en Inde.
05:22Alors si on parle au niveau européen, puisque l'Union européenne,
05:25après la pause annoncée par Donald Trump, l'Union européenne a, on va dire, reporté ses représailles.
05:30Alors c'est compliqué parce qu'il faut à la fois répliquer aux Etats-Unis
05:33sans se jeter dans les bras de la Chine.
05:35C'est quand même une ligne de crête ça dont on parle.
05:38– Oui, donc pour les entreprises européennes, c'est très compliqué.
05:42Il y a des entreprises européennes avec une empreinte de toute façon mondiale
05:45et elles vont accélérer leur politique de régionalisation de leurs moyens de production.
05:51Là on voit par exemple Mercedes-Benz annoncer des investissements
05:56sur des lignes de production aux Etats-Unis pour produire certains de leurs modèles.
06:01On a vu LVMH qui avait déjà une usine de production aux Etats-Unis
06:06qui va continuer à accélérer sur ces choses-là avec des challenges particuliers
06:10puisqu'on a des challenges sur la main d'œuvre qualifiée ou pas,
06:14sur des problèmes des fois de qualité.
06:16– Oui, effectivement.
06:17Avec des droits de douane qui finalement, ce que j'entends,
06:21qui impactent quand même déjà parfois la résilience des entreprises.
06:25C'est-à-dire que c'est récent mais il y a des effets concrets dès aujourd'hui ?
06:29– Il y a des effets concrets.
06:30– Ce que vous racontiez sur le conteneur bloqué et la valeur de son…
06:36– Non, il y a des effets concrets.
06:37On a une entreprise industrielle, que je ne citerai pas,
06:42mais avec laquelle on a échangé récemment,
06:44qui produit dans l'ensemble du monde
06:46et qui a récemment en fait redirigé ses flux vers les Etats-Unis
06:54qui servaient historiquement depuis la Chine,
06:57maintenant servaient de base en Asie du Sud-Est
07:01ou de leurs usines en Europe.
07:02Donc on commence à voir un certain nombre de réconfigurations
07:05et donc on parlait de capacité de résilience, d'agilité,
07:08c'est absolument clé.
07:10Ça avait commencé à être construit au moment du Covid
07:13sur des problématiques de résilience
07:15qui étaient dirigées vers assurer la disponibilité des produits.
07:20Là, on est sur assurer le maintien de ma marge autant que possible.
07:25C'est compliqué, mais c'est le même genre de dynamique
07:27en termes de capacité à réagir vite
07:29et à mobiliser ses moyens de production dans différentes parties du monde.
07:32– Si on reprend le bras de fer Etats-Unis-Chine,
07:36l'une des annonces de ces derniers jours,
07:38c'est l'ouverture de discussions directes
07:41entre l'émissaire américain et chinois
07:43qui vont se dérouler en Suisse.
07:45Là aussi, si on parle d'une entreprise mondiale,
07:51il y a des conséquences qui se font déjà sentir.
07:54Est-ce qu'on peut rester ?
07:56Si vous, vous essayez d'anticiper, quand vous conseillez vos clients,
07:59vous dites qu'on ne va pas rester à 145% de droits de douane,
08:02ce n'est pas possible,
08:03parce que les deux économies en souffrent d'une certaine façon.
08:05– Aujourd'hui, c'est tellement difficile d'anticiper.
08:07En fait, on n'essaye pas de deviner quel va être le résultat final.
08:12En fait, on aide nos clients à se positionner
08:17autour de différents scénarios.
08:18Donc, il y a des scénarios plus réalistes que d'autres.
08:20Mais il y a des scénarios où on dit
08:21oui, les choses vont se tasser,
08:23on va arriver à quand même 10-20% de droits de douane
08:26et puis on a des scénarios extrêmes.
08:27Mais il faut, par rapport à ces scénarios,
08:29avoir des plans d'action.
08:31– Il faut avoir une réponse pour chaque scénario.
08:32– Des plans d'action appropriés
08:34qu'on est capable d'activer autour du 9 juillet
08:38quand les choses seront peut-être plus claires.
08:40Mais entre-temps, n'importe quoi peut se passer.
08:42– D'ailleurs, laquelle des deux économies ?
08:46C'est la chinoise ou l'américaine
08:48qui a plus à perdre de ce bras de fer ?
08:50– Je pense que c'est des deux côtés, pour être clair.
08:54– Ça va dépendre des entreprises.
08:55– On le voit, en fait,
08:58les conséquences sont vraiment spécifiques
09:00à chaque type d'industrie.
09:01Et même dans chaque type d'industrie,
09:03on a des sociétés qui sont,
09:06en fonction de leur empreinte géographique,
09:08qui sont impactées directement.
09:09Sur l'industrie automobile,
09:10Renault, par exemple, est relativement peu impactée
09:12puisque n'adresse pas le marché américain.
09:15À la différence d'autres entreprises plus globales
09:18comme Stenantis, par exemple.
09:19– Est-ce que, alors on parlait de l'Europe,
09:21on parlait des opportunités aussi,
09:24opportunités de quoi ?
09:26De relocalisation.
09:27Et donc, on est dans une émission
09:28qui s'appelle Smart Impact, de décarbonation ?
09:31– Alors, il y a effectivement des opportunités
09:33de relocalisation de ce qu'on appelle,
09:35alors j'ai utilisé un anglicisme,
09:36de « frenchoring »,
09:37donc de déplacer ces moyens de production,
09:39ces bases fournisseurs,
09:41vers des pays vus comme un peu plus amis.
09:44Et puis, il y aura un enjeu de décarbonation
09:47puisqu'on produira au plus proche.
09:49Après, je parlais de scénarios,
09:52de créer de la visibilité sur les impacts.
09:55En fait, ce qu'on fait avec nos clients,
09:57c'est qu'on les aide à cartographier
09:58l'ensemble de la chaînée étendue.
10:00C'est quelque chose qu'on avait initié
10:01sur les problèmes de résilience et de Covid,
10:04qu'on réactive maintenant
10:06dans les problématiques de droit de douane.
10:08Et en fait, une fois qu'on a cartographié
10:10cette chaînée étendue,
10:11donc les fournisseurs de rang 1,
10:13mais aussi les fournisseurs de ces fournisseurs
10:15de rang 2, rang 3,
10:17en fait, on est capable,
10:18puisque vous le savez,
10:20près de 60% en moyenne des émissions de carbone
10:22sont produites dans cette chaînée étendue,
10:25c'est de cartographier les émissions de carbone
10:27et de focaliser, en fait,
10:29ces efforts en termes de réduction
10:30de cette empreinte.
10:31Et ce que je vois,
10:32c'est que dès qu'on travaille
10:33sur les problématiques de résilience
10:35et qu'on crée de la visibilité
10:37sur l'ensemble de la supply chain,
10:38immédiatement,
10:39les équipes autour des sujets
10:40de développement durable
10:41viennent se demander
10:42« Ah, est-ce qu'on peut utiliser
10:43cette visibilité
10:44pour prendre nos actions
10:47sur la réduction de l'empreinte carbone ? »
10:48Merci beaucoup Stéphane Cronnier
10:50et à bientôt sur Be Smart for Change.
10:52On passe à notre débat,
10:53les sciences du comportement
10:54au service de la transformation
10:56environnementale et sociétale.