Quelle diversité en entreprise face au trumpisme ? avec Marine Swaton, avocate, Taylor Wessing.
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00:00Quelle diversité en entreprise face au Trumpiste ?
00:13On en parle tout de suite avec mon invité Marine Swatton, avocate chez Taylor Wessing.
00:17Marine Swatton, bonjour.
00:19Bonjour Arnaud.
00:20La diversité en entreprise est aujourd'hui fragilisée par la politique menée par l'administration Trump
00:26qui remet en cause les politiques de diversité, d'inclusion et d'éthique dans les entreprises.
00:32Avant de s'interroger sur cette question et de voir tous les enjeux,
00:37qu'est-ce que la discrimination positive et comment cette notion est-elle appréciée dans l'ordre juridique interne français ?
00:45La discrimination positive, c'est la mise en place de politiques visant à favoriser une ou plusieurs catégories socio-professionnelles.
00:56afin de réduire les inégalités préexistantes et durables qui affectent ces groupes d'intérêts.
01:03La question qui est intéressante, c'est comment est-ce que cette notion est appréhendée par chaque juridiction ?
01:10En fait, chaque État membre, chaque État tout simplement, met en œuvre sa politique selon son histoire.
01:16C'est forcé et donc chaque pays a une histoire différente.
01:20Si on prend par exemple les États-Unis, la notion de discrimination positive est arrivée dans les années 60-70.
01:28On est en pleine lutte contre la ségrégation raciale.
01:33On cherche à réduire les inégalités entre certaines personnes en se basant sur l'origine ethnique notamment.
01:41En France, on est dans un contexte qui est quand même différent.
01:43On a certes une précarité qui est assez importante et on a certaines personnes qui sont évincées du milieu du travail, notamment les femmes.
01:52Donc on a une logique qui est complètement différente.
01:55Donc comment est-ce qu'on intègre ces normes ?
01:57En France, par exemple, le principe, c'est liberté, égalité, fraternité.
02:02Donc difficile d'appréhender la discrimination positive dans une telle devise.
02:06De la même manière, la Constitution, article numéro 1, qui prévoit un principe d'égalité devant la loi et qui ne doit faire aucune distinction en fonction de l'origine, la race, la religion notamment.
02:18Donc il est interdit de pouvoir mettre en place des normes qui viseraient à favoriser certaines catégories de personnes en fonction de leur origine ou encore de leur religion.
02:28Mais en tout cas, la France, elle s'inscrit quand même dans une logique de favoriser l'égalité des chances et de lutter contre les discriminations.
02:38Comment est-ce qu'elle s'y prend ?
02:40Premièrement, elle va interdire dans le Code du travail et le Code pénal près de 30 notions de discrimination qui sont donc interdites.
02:50On ne peut pas prendre une mesure qui serait liée soit au sexe, à l'état de santé, à l'origine, à la religion, à l'orientation sexuelle de ces personnes.
03:00C'est proscrit par le Code du travail et par le Code pénal.
03:03Deuxièmement, elle favorise les égalités, notamment on les connaît entre les hommes et les femmes, en mettant en place des politiques de rémunération équitables,
03:11en visant à ce que les femmes puissent aujourd'hui être membres des conseils d'administration,
03:16en faisant publier des index égalité hommes-femmes par les sociétés de plus de 50 salariés.
03:21Et enfin, elle essaye d'éviter les quotas, notamment, à part pour les travailleurs handicapés ou les conseils d'administration,
03:28on évite les quotas, on favorise l'emploi des seniors pour les maintenir dans l'emploi, ou enfin l'emploi des juniors.
03:35C'est complètement différent des États-Unis, puisque les États-Unis, eux, basent leur politique sur des principes innés, qui sont propres à la personne.
03:43En France, on est sur une catégorie socioprofessionnelle, sur des indicateurs, en tout cas, qui sont voués à évoluer dans le temps.
03:51On voit qu'il y a vraiment deux logiques différentes.
03:53Exactement, qui ne sont pas figées.
03:54Et c'est là que c'est important, puisque la remise en cause de ces principes vont avoir un impact différent, que l'on soit aux États-Unis ou en France.
04:01Alors, justement, on va prendre un fait d'actualité pour bien comprendre ces deux logiques différences.
04:08En mars dernier, une lettre de l'ambassade américaine, qui a été adressée à certaines entreprises françaises,
04:14les a enjoints de respecter les règles de l'administration Trump en matière de diversité, d'équité et d'inclusion.
04:22Concrètement, que dit précisément cette lettre et à qui s'adresse-t-elle ?
04:26Alors, elle s'adresse à certaines entreprises françaises qui agissent sur le sol américain,
04:30mais également aux entreprises américaines qui ont des filiales sur le territoire français.
04:36On a aussi certains cabinets d'avocats qui sont appelés à répondre à des appels d'offres américains, qui peuvent être également visés.
04:42On a eu une multitude de personnes qui ont été visées et qui sont informées, à travers cette lettre,
04:49de l'entrée en vigueur d'un décret des États-Unis, c'est le décret 14173,
04:56qui vise à non seulement mettre fin aux politiques de discrimination positive,
05:00mais surtout rétablir les opportunités professionnelles basées sur le mérite.
05:05Et selon le gouvernement américain, cette norme, cette nouvelle décision,
05:10doit trouver application dans les entreprises américaines et les entreprises en France,
05:15ici, sur le sol français ou, de manière plus générale, sur le territoire américain.
05:19Pour bien comprendre, on va s'intéresser aux éventuelles conséquences pour les entreprises françaises.
05:24Cette demande de mise en conformité de la loi fédérale américaine,
05:29est-ce qu'elle peut être imposée aux entreprises qui agissent sur le sol français ?
05:33Alors, sur cette question, je ne pense pas prendre trop de risques en vous répondant que non.
05:37D'un point de vue juridique, en tout cas, cela est impossible.
05:41Pourquoi ?
05:41Tout simplement parce que chaque État est souverain et garant de son propre système juridique.
05:47Donc, aucun autre système juridique étranger, quel qu'il soit,
05:52et sous quelque forme que ce soit, décret, loi, règlement, qui serait issu de l'étranger,
05:57ne peut être imposé en France.
06:00Cela reviendrait à pousser le gouvernement à renoncer aux valeurs qui sont internes,
06:06et également à ses outils juridiques.
06:08On sait notamment comment la Cour de justice de l'Union européenne, la CEDH également,
06:12ont du mal à imposer les décisions, alors même que pourtant elles sont applicables à tous les pays de l'Union européenne.
06:18Alors, imposer une norme qui viendrait d'un système juridique étranger,
06:22ce serait renoncer à sa propre souveraineté.
06:25Donc, non.
06:26A priori, d'un point de vue juridique, on ne peut pas imposer à la France une telle norme.
06:30En revanche, il n'est pas impossible qu'il y ait quand même certaines conséquences,
06:34notamment des restrictions commerciales, puisque, on le sait, le président américain a menacé les sociétés
06:40de rompre les contrats et les relations commerciales avec les sociétés américaines,
06:46de renoncer à certains financements, et également, on peut noter quelques tensions
06:49qui seraient d'ordre diplomatique, on l'a vu récemment, avec les droits de douane
06:53qui ont été largement augmentés récemment et qui ont fait polémique.
06:58Après, on n'a pas non plus de quoi s'alarmer.
07:01D'une part, parce que, comme le disait Bercy, ces décisions ne reflètent pas les valeurs de la France.
07:07Et en plus de ça, on le disait tout à l'heure, il n'y a pas véritablement de politique
07:11de discrimination positive en France.
07:14On a simplement un cadre légal, des normes qui sont posées,
07:18et en deçà desquelles les entreprises ne peuvent pas aller,
07:21peu importe la politique qu'elles peuvent décider de mener.
07:24Mais il n'y a en tout état de cause pas d'outil juridique aux États-Unis
07:29qui permet d'extraterritorialiser sa loi.
07:32Et en tout état de cause, ils se sont également prononcés,
07:36le gouvernement américain, en disant que de toute façon,
07:38il n'y a pas de contrôle de la conformité de ces normes en France.
07:43Pour finir, on va s'intéresser à l'attitude des entreprises françaises,
07:46l'attitude qu'elles doivent adopter dans le contexte que vous venez de décrire.
07:50Comment ces dernières peuvent-elles s'adapter aux remises en cause des politiques
07:55diversité, équité, inclusion, qui contiennent notamment des mesures de discrimination positive ?
08:01Alors, on ne va pas se le cacher, les sociétés européennes sont très influencées
08:05par les sociétés américaines, tellement leur présence est importante
08:10sur le territoire français européen.
08:11Donc, dès qu'on bouge une oreille aux États-Unis, on s'interroge,
08:16c'est logique, de quelles seront les conséquences en France.
08:18Depuis février, déjà, on avait une remise en cause des politiques de diversité,
08:23équité, inclusion de la part du gouvernement.
08:26Et il y a eu une réponse assez importante de la plupart des groupes américains.
08:31Je pense notamment à Meta, Amazon, Google, McDonald's,
08:36ont en effet mis un stop à leur politique d'inclusion.
08:41Celles qui auront le plus de difficultés ici, ce sera les filiales françaises
08:45qui appartiennent à un groupe américain et qui vont être un petit peu coincées,
08:49on va dire, entre d'une part les directives du groupe,
08:52qui seront celles de mettre un terme à ces politiques qui peuvent être mises en place,
08:56et à côté de ça, le respect des normes en France.
08:59Car il existe plusieurs garde-fous, on va dire, en France.
09:03La loi, comme je le disais tout à l'heure, avec le Code du travail,
09:05le Code pénal et le principe d'interdiction des discriminations.
09:08Mais encore, toutes les sociétés qui ont des IRP, un comité social et économique,
09:14on doit passer par la négociation.
09:16On ne remet pas unilatéralement en cause des accords sans avoir négocié préalablement.
09:21On doit maintenir un bon climat social.
09:24Et pour cela, il faut tout de même rester attractif.
09:27Il faut pouvoir rester productif, puisqu'on sait que cela peut permettre d'attirer des talents,
09:32d'avoir de telles normes.
09:33Donc, vigilance à toutes ces entreprises.
09:35Ce sera le mot de conclusion. Merci Marine Swatton.
09:37Je rappelle que vous êtes avocate au sein du cabinet Taylor Wessing.
09:40Merci Arnaud.
09:41Tout de suite, l'émission continue.
09:43On va parler des tendances en matière d'intelligence artificielle juridique.