Mercredi 14 mai 2025, retrouvez Eléonore Favero Agostini (Associée co-fondatrice, Adlane Avocats), Bruno Dondero (Professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne et Associé, CMS Francis Lefebvre) et Pierre Berlioz (Professeur de droit privé à l'Université Paris Cité) dans LEX INSIDE, une émission présentée par Arnaud Dumourier.
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00:30Bonjour, bienvenue dans Lex Inside, l'émission qui donne du sens à l'actualité juridique du droit, du droit et rien que du droit.
00:39Au programme de ce numéro, on va parler décision automatisée et RGPD avec mon invité Eleonore Favreau, associé au sein du cabinet Adelan.
00:47On parlera ensuite de la réforme du régime des nullités en droit des sociétés avec Bruno Dondéro, professeur de droit et avocat associé chez CMS Francis Lefebvre.
00:58Et enfin, je recevrai Pierre Berlioz, professeur de droit à l'université Paris-Cité, pour son ouvrage « Beaucoup de droits, pas assez de juristes ».
01:06Voilà pour les titres, Lex Inside, c'est parti !
01:09On débute tout de suite ce Lex Inside, on va parler décision automatisée et RGPD avec Eleonore Favreau, avocate associée au sein du cabinet Adelan Avocat.
01:31Eleonore, bonjour !
01:33Bonjour Arnaud !
01:33L'utilisation d'algorithmes pose de nouveaux défis juridiques, notamment en matière de transparence et de droit d'accès des personnes aux décisions automatisées fondées sur le profilage.
01:46Comment définiriez-vous une décision automatisée au sens de l'article 22 du RGPD ?
01:54Alors, je vais commencer tout d'abord par la distinguer un peu du profilage, parce qu'on confond souvent les deux.
02:00Donc, un profilage, ça va être un traitement de données personnelles qui sera utilisé à partir d'un individu en vue de pouvoir prédire son comportement
02:09ou de déterminer un peu, d'analyser ou de prédire son comportement.
02:15Et tout cela va reposer donc sur l'établissement d'un profil individualisé et en vue d'émettre un jugement ou des conclusions sur cette personne.
02:24La décision automatisée, elle, va vraiment désigner une décision qui est prise sur un individu entièrement par un algorithme
02:32et qui va avoir des effets juridiques ou si vous l'affectez de manière similaire et significative sans qu'il n'y ait aucune intervention humaine.
02:40Donc, pour la décision automatisée, il y a deux critères principaux.
02:44Il y a tout d'abord la prise de décision automatisée sans intervention humaine et surtout l'effet juridique sur la personne concernée.
02:51Bon, on a les décisions, les définitions bien en tête et on va parler d'une décision importante en la matière,
02:57un arrêt du 27 février 2025 qui apporte plein de précisions sur justement les décisions entièrement automatisées
03:04et le droit d'accès des personnes, un droit d'explication à ce qui est la décision qui fonde cette décision automatisée.
03:13Mais avant de revenir sur cette décision, projetons-nous sur le droit antérieur.
03:18Quelles étaient les obligations de transparence imposées aux entreprises qui utilisaient ces algorithmes avant cet arrêt du 27 février 2025 ?
03:30Alors, le RGPD imposait aux entreprises de fournir aux personnes concernées une information qui soit claire, intelligible et facilement accessible.
03:41Pour cela, il y avait vraiment tout simplement, c'était vraiment une exigence de description globale de l'algorithme.
03:49Il n'y avait pas besoin de fournir l'entièreté du code ou de toutes les formules mathématiques sur lesquelles il s'appuie.
03:55C'est vraiment la logique sous-jacente à cet algorithme. Et il y avait une grande limite qui était celle du droit d'étier,
04:02qui était posée par l'article 63 du RGPD et qui disait que le secret des affaires ou généralement la propriété intellectuelle
04:09et en particulier le droit d'auteur appliqué au logiciel permettait de refuser l'accès, en tout cas l'information des personnes concernées sur ce fondement-là.
04:19Et donc, l'arrêt du 27 février 2025 est arrivé et dans cette décision, la CGE exige une explication claire et compréhensible des logiques algorithmiques qui sont utilisées.
04:33Concrètement, que doivent divulguer les entreprises ?
04:36L'arrêt de la CGE va venir augmenter le niveau d'informations et en renforçant cette obligation de transparence.
04:45Désormais, les entreprises vont devoir fournir ces informations qui seront intelligibles et pertinentes, mais lesquelles sont pertinentes ?
04:53On va d'abord demander quelles sont les données personnelles qui sont utilisées dans le cadre d'une décision automatisée.
04:58Ensuite, de quelle manière sont traitées ces données pour aboutir à la décision ?
05:04On va aussi devoir communiquer les paramètres et les variables d'entrée qui sont utilisées dans l'algorithme
05:09et également l'incidence de ces paramètres sur le résultat final.
05:13Parce que par exemple, on peut demander plusieurs critères, mais tous n'auront pas la même importance ou la même pondération.
05:19Et aussi, on va souvent devoir demander la raison pour laquelle une personne est associée à un certain résultat.
05:25Pourquoi, par exemple, dans le cas d'une banque, tel score de solvabilité va être attribué à telle personne ?
05:32Donc, là encore, il ne s'agit pas de divulguer l'algorithme complet, mais on va devoir fournir une explication sur tout.
05:40Fournie est beaucoup plus pertinente, et c'est là que tout se cache, sur les méthodes utilisées.
05:46Pour décrypter un peu la décision, l'idée, c'est que l'utilisateur puisse comprendre ce qui a fondé la décision algorithmique, c'est ça ?
05:54Voilà, vraiment de se placer du point de vue de l'utilisateur et du coup de fournir une explication qui se basera sur le niveau de l'utilisateur.
06:04Ainsi, plus on aura des utilisateurs qui ne sont pas forcément aguerris, non professionnels, voire peut-être des mineurs ou des personnes fragilisées,
06:12plus les explications devront être claires et compréhensibles.
06:15Alors, dans le même temps, dans cette décision, on a une obligation de transparence qui est renforcée,
06:21mais cette obligation, elle doit être conciliée avec la protection du secret des affaires.
06:26Concrètement, comment on va concilier cette obligation de transparence avec la protection d'algorithmes propriétaires, avec le secret des affaires ?
06:35Alors, il va falloir trouver un peu un équilibre entre les deux, parce qu'effectivement, dans son arrêt,
06:39la Cour de justice de l'Union européenne reconnaît que le droit d'accès à ces informations sur la logique de l'algorithme
06:46va venir entrer en conflit avec la protection du droit d'auteur ou du secret des affaires.
06:53Et elle considère que désormais, ces droits-là ne peuvent justifier un refus absolu de communiquer ces informations aux personnes concernées,
07:02ce qui était le cas avant cette décision. Et ainsi, elle va proposer un mécanisme qui est que le responsable de traitement
07:10remettra, soit aux juridictions compétentes, mais aussi généralement aux autorités de contrôle,
07:16toutes les données relatives à l'algorithme.
07:20Et ce sera cette autorité de contrôle qui va pondérer entre les intérêts et les droits en jeu,
07:27afin de pouvoir déterminer l'étendue du droit d'information et du droit d'accès auquel aura droit les personnes concernées.
07:33Et la Cour précise bien que les États membres n'ont pas le droit, ne doivent pas,
07:38adopter des dispositions nationales qui viendraient interdire ou viendraient diminuer le droit d'accès
07:43lorsqu'il y a le secret des affaires ou les droits de propriété intellectuelle en jeu.
07:48Alors, on comprend que la conformité à la jurisprudence européenne suppose la mise en œuvre de mesures adaptées.
07:54Quelles mesures faut-il prendre ?
07:56Alors, il y a à la fois des mesures techniques qui peuvent être, par exemple,
08:00forcément établir une documentation détaillée des algorithmes.
08:04Bien sûr.
08:05Et évidemment, maintenir cette documentation tout au long de l'évolution et de les mises à jour des algorithmes.
08:10Il peut être aussi pertinent d'avoir des systèmes d'explications automatisés
08:14où les personnes concernées viendront faire une demande d'explications
08:17et le système pourra générer automatiquement des explications claires et compréhensibles.
08:23Il y a aussi, forcément, pour prévoir des interfaces utilisateurs qui seront un peu conviviales,
08:28qui vont permettre aux personnes de trouver facilement l'information.
08:31Ensuite, il y a des mesures organisationnelles, donc au sein de l'entreprise en interne.
08:37Donc, évidemment, on ne peut pas passer outre l'analyse d'impact,
08:41qui est une analyse qui va permettre d'évaluer l'importance et les risques du traitement
08:47qu'on met en œuvre sur les droits et les libertés des personnes.
08:50Et également, il y aura la nécessité d'intégrer cette exigence de transparence
08:54dès la conception des systèmes, donc dans le concept de « privacy by design ».
08:58Il y aura aussi, forcément, une formation du personnel,
09:02où on va devoir les sensibiliser à la fois aux obligations légales
09:05auxquelles est tenue l'entreprise sur la transparence,
09:08mais également aux différentes procédures internes qui sont mises en place.
09:12Et enfin, il y aura, évidemment, une mise en balance des intérêts,
09:15où on devra savoir évaluer au cas par cas, pour chaque système utilisant des décisions automatisées,
09:22la nécessité ou non de diffuser une information,
09:24ou au contraire, est-ce qu'elle est protégée et éventuellement prévoir l'intervention
09:29de l'autorité de contrôle si cela est nécessaire.
09:32Donc, on voit que les conséquences sont importantes,
09:34beaucoup de mesures à mettre en œuvre.
09:36Rapidement, quelle perspective cette décision ouvre ?
09:40Alors, on va vers une transparence beaucoup plus effective et beaucoup moins symbolique,
09:44et surtout, on repousse les limites de cette transparence.
09:48Donc, on demande vraiment une transparence substantielle et compréhensible,
09:52et donc, on va vraiment vers une conformité qui est vraiment formelle.
09:57Donc, on redéfinit un peu l'équilibre entre innovation et droits fondamentaux,
10:01où on va pencher un peu plus en faveur des droits fondamentaux,
10:04mais surtout, on remarque un peu une convergence entre l'IAACT et le RGPD,
10:09où on a vraiment une juridité de jurisprudence,
10:11vient créer un peu un cadre européen unique qui est centré sur les droits fondamentaux,
10:16la transparence et l'exigence d'une supervision humaine.
10:18Ce sera le mot de conclusion.
10:19Merci, Eleonore Favreau.
10:21Je rappelle que vous êtes associé au sein du cabinet Adlan.
10:24Tout de suite, l'émission continue.
10:25On va parler du régime des nullités en droits des sociétés.
10:39On poursuit ce Lex Inside,
10:40et on va parler de la réforme du droit des nullités en droits des sociétés,
10:44avec mon invité Bruno Dondéro, avocat associé chez CMS Francis Lefebvre et professeur de droit.
10:50Bruno Dondéro, bonjour.
10:52Bonjour Arnaud.
10:53Alors, on va parler d'une réforme fondamentale en droits des sociétés,
10:57la réforme du régime des nullités.
11:00Quel est l'objectif de cette réforme ?
11:03Eh bien, au départ, on a une loi du 13 juin 2024,
11:06la loi attractivité,
11:07qui vient nous dire qu'on va simplifier et clarifier le régime des nullités en droits des sociétés
11:14pour renforcer la sécurité juridique.
11:16Donc, on se dit au départ qu'on va avoir moins de nullités,
11:20ou que plus facilement, on pourra limiter les effets des nullités,
11:26ou qu'on va rendre plus difficile le prononcé d'une nullité.
11:29Donc, le point de départ, c'est ça, avec, il faut le préciser,
11:35des travaux qui avaient été faits par un groupe de travail du HCJP
11:39qui avait, il y a déjà cinq ans,
11:42qui avait proposé un certain nombre de pistes de réforme.
11:46Alors, on va rentrer dans le cœur de cette réforme.
11:49Concrètement, quelles sont les principales modifications ?
11:51Il y en a beaucoup, donc on va se concentrer sur les principaux changements.
11:55Bien sûr.
11:56Les principaux changements, ce qu'on voit très vite, c'est que, bonne mesure,
12:01on met fin à une espèce de doublon qu'il y avait entre le code civil et le code de commerce.
12:07On avait à peu près les mêmes textes dans l'un et dans l'autre code.
12:12On met tout maintenant pour le régime général, on va dire, des nullités.
12:17On met tout dans le code civil.
12:18Donc, ça, c'est une bonne mesure.
12:19Moins bonne mesure, à mon sens, on va, je crois, potentiellement faire exploser les causes de nullité,
12:29parce qu'avant, le système était assez compliqué,
12:31mais on avait quand même des cas très limitatifs de nullité,
12:38alors que désormais, on nous dit que c'est la violation d'une disposition impérative de droit des sociétés
12:44qui peut entraîner la nullité d'une décision sociale.
12:48Ça veut dire que des textes réglementaires, des textes qui ne sont pas dans le code de commerce
12:52pourraient être le fondement d'une nullité.
12:55Donc, ça, c'est quelque chose qui est assez, pour moi, dangereux.
13:00Il y a moins de sécurité juridique.
13:02De ce point de vue-là, il y a moins de sécurité juridique,
13:03parce que beaucoup plus souvent, on se dit qu'un acte pourra être nul.
13:07Mais on comprend que, dans l'esprit des concepteurs de cette réforme,
13:11il y a un mécanisme important qui a été mis en place, qu'on appelle le triple test,
13:16qui est que le juge est là pour, finalement, verrouiller la nullité.
13:21Parce que, avant qu'une nullité soit prononcée, le juge va devoir vérifier trois choses.
13:26Que le demandeur a un grief, que l'irrégularité a eu une influence sur le sens de la décision prise,
13:33et que les conséquences d'une nullité ne seraient pas excessives au regard de l'intérêt social.
13:40Donc, on se dit, beaucoup plus de nullité potentielle, mais un juge qui va verrouiller.
13:45Mais c'est là qu'on se dit que, quand même, il y a quelque chose qui ne va pas.
13:50Pourquoi ?
13:51Auparavant, on se disait, non, il n'y a pas de risque de nullité,
13:55parce qu'on ne trouve pas de fondement à la nullité.
13:58Désormais, plus souvent, on dira, il y a un risque théorique de nullité,
14:04mais peut-être que le juge, si on va le voir, va considérer que l'une ou l'autre des trois conditions que j'ai indiquées ne sont pas satisfaites.
14:13Et du coup, on aimerait pouvoir dire plutôt, pas de risque de nullité, que risque théorique,
14:20mais le juge pourrait ne pas la prononcer.
14:22Voilà.
14:24Ça, ça fait partie, pour moi, des choses les plus importantes dans cette réforme.
14:29On en trouve d'autres.
14:30On trouve, par exemple, un dispositif anti-nullité en cascade.
14:35C'est quoi, ce dispositif ?
14:36L'idée, c'est d'éviter que, quand on a un membre d'un organe dont la désignation est nulle,
14:42que cette désignation entraîne nullité de toutes les décisions prises par cet organe.
14:47On a aussi le fait que le juge va pouvoir, éventuellement, prononcer une nullité uniquement pour l'avenir.
14:54On a une prescription qui était de trois ans pour agir en nullité et qui passe maintenant à deux ans.
15:00On a...
15:01Enfin, voilà, c'est l'essentiel des...
15:03Enfin, les choses les plus importantes qui viennent en tête, c'est celle-là.
15:07Un point important, quand même, c'est l'entrée en vigueur,
15:10c'est-à-dire que la réforme doit entrer en vigueur le 1er octobre prochain.
15:13Ça veut dire, vraisemblablement, même si le texte ne l'explique pas,
15:17que les actes faits avant le 1er octobre sont soumis aux règles anciennes.
15:23Les actes faits à partir du 1er octobre seront soumis aux règles issues de l'ordement.
15:28Et il n'y a pas de disposition transitoire entre les deux régimes ?
15:30Pas plus que ça, non.
15:32En définitive, vous pensez quoi de cette réforme ?
15:35C'est une bonne réforme, une mauvaise réforme ?
15:37On aurait pu aller plus loin ?
15:39Pour moi, c'est une réforme qui ne va pas faciliter la tâche des juristes
15:45parce que dans un audit juridique, un audit d'acquisition par exemple,
15:50alors que jusqu'à présent, on allait plus souvent dire
15:53« non, pas de risque de nullité »,
15:55là, on risque de dire « risque théorique de nullité »,
16:00mais il n'est pas certain que le juge la prononce.
16:03et on trouve qu'on est en train finalement de perdre en certitude
16:07et donc en sécurité juridique.
16:09Qu'est-ce qu'il aurait fallu faire pour améliorer cette réforme ?
16:14Peut-être ne pas toucher à ce qui existait déjà
16:18ou y toucher de manière ponctuelle.
16:20Il y a déjà des choses bien faites dans cette réforme,
16:26par exemple le fait que la régularisation des actes nuls,
16:29finalement, on ne l'a pas touchée, on ne l'a pas remise en cause,
16:32on l'a peu touchée et donc on ne l'a pas finalement remise en cause.
16:36Ça, c'est bien parce que la régularisation va sans doute prendre plus d'importance à l'avenir.
16:41Est-ce qu'il y aura beaucoup de nullité, selon vous, à l'avenir, avec ce nouveau régime ?
16:45Il va certainement y avoir un temps de test, de...
16:50Comment dire ça ?
16:50Il faut digérer la réforme.
16:52Et il faut que la Cour de cassation,
16:55que les juges de première instance, les cours d'appel,
16:59puis la Cour de cassation prennent un peu leur marque.
17:01On va avoir quelques années de flottement,
17:03notamment parce que des arrêts importants rendus par la Cour de cassation
17:07ont été bousculés, voire remis en cause par cette réforme.
17:12Et donc, il va falloir que les juges précisent certains points du cadre.
17:17Est-ce qu'il y a déjà des points qui vous semblent importants de préciser,
17:21que le juge doit s'emparer de certains sujets ?
17:24Alors, le juge va appliquer le triple test assez vite.
17:29Est-ce qu'on aura dans les mois qui viennent des décisions qui vont anticiper
17:33pour nous dire comment le triple test se comprend ?
17:36Il n'est pas encore applicable, mais après tout,
17:38les juges pourraient décider d'anticiper.
17:42Donc ça, on peut attendre des décisions en ce sens.
17:47Mais c'est une réforme.
17:49Il y a énormément de réformes actuellement.
17:51Le droit des affaires et le droit des sociétés bougent beaucoup.
17:54On se dit, était-ce bien le moment pour venir toucher
17:58à finalement quelque chose qu'on utilisait de manière satisfaisante ?
18:02Donc ça marchait bien. Pourquoi avoir fait cette réforme ?
18:05Exactement. On va conclure là-dessus.
18:07Merci Bruno Dondéro.
18:09Je rappelle que vous êtes avocat associé chez CMS Francis Lefebvre,
18:12également professeur de droit.
18:13Merci beaucoup, Arnaud.
18:15Tout de suite, l'émission continue.
18:16Je vais recevoir l'auteur de l'ouvrage
18:18« Beaucoup de droits, pas assez de juristes »,
18:21Pierre Berlioz, tout de suite dans la dernière partie de Lex Inside.
18:23On poursuit ce Lex Inside, on va parler de l'ouvrage
18:36« Beaucoup de droits, pas assez de juristes »,
18:39publié aux éditions Dialogue avec son auteur,
18:42Pierre Berlioz, professeur de droit à l'université Paris-Cité.
18:46Pierre Berlioz, bonjour.
18:48Bonjour Arnaud.
18:48Alors dans cet ouvrage, vous soulignez que la culture juridique française,
18:54malheureusement, fait défaut beaucoup dans notre société.
18:57Alors comment développer cette culture juridique ?
19:01Effectivement, je pense que la culture du droit en France
19:05n'est pas assez répandue parmi nos concitoyens.
19:09C'est le titre, « Beaucoup de droits, pas assez de juristes »,
19:12pas des juristes techniciens, mais des juristes de tous les jours,
19:16des citoyens juristes.
19:19Je l'illustre notamment par un certain nombre d'expressions
19:22qu'on a parmi nos concitoyens.
19:27« Traîner en justice », par exemple,
19:29une image du droit qui est très négative
19:32et finalement le droit qui est une forme de repoussoir.
19:35Alors comment développer cette culture ?
19:37Je crois que c'est tout simplement l'éducation.
19:38On a des cours d'éducation civique au collège et au lycée,
19:45d'ailleurs qui sont parfois un peu évités par nos collègues du secondaire,
19:50sans doute parce que les programmes ne sont peut-être pas bien configurés.
19:55Mais pas d'enseignement du droit.
19:56Pas de dimension juridique.
19:57Alors que l'idée, c'est les notions simples.
20:01La propriété, par exemple.
20:02Moi, quand je commence un cours de droit des biens,
20:04je dis aux étudiants « Vous avez un enfant face à vous de 3 ans,
20:08vous lui donnez un jouet,
20:10vous revenez 2 minutes après,
20:12vous voulez lui reprendre et il vous dira « Non, c'est à moi ».
20:15Je dis « Moi, je vais vous faire le cours du « C'est à moi »,
20:18de la propriété, le « C'est à moi ».
20:20Voilà, expliquez simplement les grands principes du droit,
20:24ce qui fait le lien dans nos vies.
20:26Et c'est ça qui est important.
20:28C'est qu'on place le droit comme il faut,
20:31c'est-à-dire comme un outil qui nous permette de bien vivre ensemble.
20:35Et c'est de ça qu'on a besoin,
20:37parce que c'est ça aussi qui va solidifier l'état de droit.
20:41Moi, je dis « Il n'y a pas d'état de droit sans une nation de droit »,
20:44c'est-à-dire des citoyens qui sont imprégnés de cette culture juridique.
20:48Et l'enseignement du droit, c'est plutôt dans le secondaire, vous imaginez ?
20:51Je pense, quand on commence à avoir une certaine culture politique,
20:55une certaine culture aussi du lien social,
20:59je pense qu'il faut une certaine maturité,
21:02ou en tout cas pour qu'on enseigne le droit en tant que tel.
21:06Après, je pense que nos enfants à l'école,
21:09on peut aussi leur apprendre un certain nombre de choses,
21:12le respect de la propriété, le respect de la parole donnée,
21:15et leur dire que tout ça,
21:17aussi leur faire comprendre que tout ça, c'est du droit.
21:19Tout ça, le droit, ce n'est pas qu'une matière technique,
21:22ce n'est pas un truc aride pour les techniciens que nous sommes.
21:25Ça peut l'être, évidemment, mais ça, ça nous est réservé.
21:28Le droit, en revanche, pour les citoyens,
21:31c'est ce qui nous permet de vivre ensemble, encore une fois.
21:34Je trouve que ce n'est pas mal d'apprendre ça aux enfants.
21:36Tout à fait.
21:37Alors, un autre constat, c'est l'hypertrophie du droit.
21:42Effectivement, il y a une inflation normative.
21:45Quelles conséquences cette surabondance de normes a-t-elle
21:48sur la compréhension du droit et sur l'application du droit ?
21:52Oui, c'est vrai qu'on produit beaucoup de droits.
21:53On ne le connaît pas forcément, on n'en est pas imprégné en culture,
21:56mais on en produit beaucoup, de plus en plus, beaucoup trop.
22:00Quel effet ?
22:01D'abord, un effet, je pense, de rejet.
22:03Un effet de rejet parce qu'on voit s'accumuler cette masse de règles
22:09auxquelles on ne comprend pas grand-chose,
22:11parce qu'en plus, il est très technique.
22:12De plus en plus technique, de plus en plus détaillée.
22:16Et donc, je pense qu'il y a un effet de rejet, saturation, incompréhension,
22:21donc rejet et donc phénomène de se dire,
22:25tout ça, on en a marre, on veut s'en débarrasser.
22:28Et ça veut dire aussi qu'on ne va pas l'appliquer
22:29et qu'on cherche à l'éviter.
22:32Et on le voit aujourd'hui sur des textes dont on pourrait penser
22:39qu'ils recueilleraient l'adhésion, sur le développement durable, par exemple,
22:42où il y a un phénomène de rejet parce que c'est assimilé à de la bureaucratie,
22:47ce qui est une manière de dire du droit inutile, en fait.
22:50D'accord.
22:50Voilà.
22:51Donc, je pense qu'il y a ce phénomène de rejet.
22:52Et si on veut que le droit soit plus accepté,
22:57il faut aussi qu'on le rende plus accessible, plus compréhensible
23:03et donc qu'on développe l'adhésion.
23:06On parle beaucoup aujourd'hui de soft law.
23:08Le soft law, c'est quoi ?
23:10C'est juste du droit auquel on adhère.
23:12En fait, la hard law devrait aussi être de la soft law parce qu'on y adhère
23:16et finalement, le schéma de contrainte serait moins nécessaire.
23:19Alors, dans l'ouvrage, vous vous intéressez aussi à la justice.
23:23Vous faites le constat d'une justice qui est sacralisée mais délaissée.
23:28Alors, comment redonner sa place à la justice et restaurer la confiance dans la justice ?
23:34Oui, ça, je crois que c'est absolument fondamental
23:37parce qu'on a une présentation de la justice qui convient, en fait, à une partie de ses fonctions.
23:46On assimile la justice à l'autorité.
23:48Et on a des palais pour ça, on a un cérémonial, on a beaucoup de choses qui insistent sur des dimensions d'autorité.
23:56C'est très bien pour le pénal.
23:58Mais est-ce que ça convient à la justice civile ?
24:01Personnellement, je n'en suis pas convaincu.
24:03La justice civile est souvent oubliée des politiques des différents gardes des sceaux.
24:07Tout à fait. La justice du quotidien, c'est quelque chose qu'on oublie un petit peu.
24:13On parle beaucoup de pénal, mais c'est vrai dans les médias aussi.
24:16C'est quelque chose qu'on développe énormément.
24:19Et l'hypertrophie juridique, elle est liée à ça aussi.
24:22Et donc, on n'a pas cette dimension pour la justice civile de service public.
24:27Ce qui n'est pas forcément la vocation première de la justice pénale, bien sûr, c'est l'autorité.
24:33Mais la justice civile, elle sert à quoi ?
24:36Régler des différends entre les gens.
24:38Et ça, c'est une dimension de service public.
24:42Mais ça veut dire que dans cette perspective-là, le juge doit être accessible.
24:46On doit le percevoir comme quelqu'un qui est là pour nous aider,
24:51pour faciliter le règlement de situations compliquées.
24:59Et donc, on doit avoir le réflexe, on doit aller le voir facilement.
25:04Et ça, je crois que quand on met la justice dans un palais, on l'isole.
25:09Et on ne permet pas cet accès facilité.
25:11Et donc, moi, je suis effectivement pour une désacralisation de la justice civile,
25:15pour qu'elle soit au plus près des lieux de vie, au plus près des sujets,
25:20et pour que nos citoyens aillent facilement la voir.
25:22Vous voyez, une chose qui m'a frappé à la période Covid, c'est la renégociation du PGE.
25:28Ça a été confié à la médiation des entreprises parce qu'on se disait
25:32les gens ne vont pas aller au tribunal de commerce parce qu'il y a le mot tribunal.
25:35Alors pourtant, que ce sont des juges élus, qu'ils sont proches des justiciables,
25:39mais même malgré ça, parce que tribunal, il faut qu'on redonne un autre sens à tribunal
25:46avec cette idée que c'est l'arbitre de nos différents et qu'il est là pour nous.
25:51Et beaucoup de magistrats, je suis sûr, sont dans cette idée-là.
25:56Mais il faut, ça suppose évidemment beaucoup de choses pour le permettre,
25:58mais je crois qu'il faut vraiment qu'on tente vers ça et donc bien distinguer la justice pénale,
26:04la justice civile, une fonction d'autorité, une fonction de service public.
26:07Ça me paraît essentiel.
26:08Pour terminer, vous êtes également intéressé aux professions du droit.
26:12Vous dites qu'elles sont dépassées par l'époque, par l'économie, par elles-mêmes.
26:16Alors, que doivent-elles faire pour se réinventer ?
26:19Oui, les professions du droit, d'une certaine façon, elles sont pour certaines un peu entraînées
26:23par ce mouvement qui est lié à l'image du droit, à l'image de la justice,
26:29avec un droit qui fait peur, qui va être considéré comme étant un repoussoir.
26:36Et on le voit sur l'activité d'un certain nombre de professionnels du droit,
26:40comment les consultants, finalement, emportent des marchés.
26:43Alors pourtant, qu'il y a une dimension juridique qui est très forte,
26:46on est à la limite du périmètre du droit.
26:48Et je ne dis pas de quel côté de la limite on est.
26:50Mais finalement, on sait que pour gagner un marché auprès d'une entreprise,
26:54auprès d'une collectivité, il vaut mieux rentrer via un consultant
26:59et après gagner la confiance du client.
27:02Et comme ça, on va arriver à lui montrer que, en fait,
27:05le professionnel du droit, il a une réelle plus-value.
27:08Et je crois qu'il faut qu'on change de perception nous-mêmes
27:14de ce qu'est un professionnel du droit
27:16pour changer la perception du client ou du justiciable.
27:21Et cette perception, c'est l'idée qu'on est des sachants.
27:26Et si on se présente comme des sachants,
27:28on est reclus dans notre tour d'ivoire.
27:31Alors qu'en fait, on l'est de moins en moins,
27:33et avec l'IA, on le sera encore moins.
27:35On n'est pas des sachants, on est des accompagnants.
27:39On est là pour faciliter le passage du fait au droit et du droit au fait,
27:44faire que le droit soit un outil du quotidien
27:48qui permet de gérer nos situations de vie.
27:52Et ça, je crois que c'est une vraie révolution culturelle.
27:54On va conclure là-dessus.
27:55Merci Pierre Berlioz.
27:56Je rappelle que vous êtes professeur de droit à l'Université Paris-Cité.
28:00Merci Arnaud.
28:01C'est la fin de cette émission.
28:02Merci de votre fidélité.
28:04Restez curieux et informés.
28:06A très bientôt sur Bsmart for Change.
28:08Sous-titrage Société Radio-Canada