• il y a 3 jours
Retour sur les travaux de la commission d'enquête relative aux violences commises dans les secteurs du cinéma, de l'audiovisuel, du spectacle vivant, de la mode et de la publicité.
Les députés ont auditionné les actrices Nina Meurisse et Anna Mouglalis, elles témoignent des violences rencontrées tout au long de leurs carrières. Judith Godrèche, devenue un symbole de la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, est entendue par les députés. Elle revient sur le témoignage de Serge Toubiana, l'ancien directeur des Cahiers du cinéma et de la Cinémathèque.

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00:00:00Bonjour à tous et bienvenue sur LCP.
00:00:09Ici à l'Assemblée Nationale, il y a des commissions d'enquête, dont une qui travaille
00:00:13sur les violences sexuelles et sexistes dans les milieux artistiques.
00:00:17Les députés ont notamment auditionné des actrices, Nina Meurice et Anna Mouglalis,
00:00:23elles ont partagé leurs expériences, je vous propose d'écouter le témoignage poignant
00:00:28de Nina Meurice.
00:00:29Moi j'ai écrit un petit texte, ça me rassurait, j'espère que ce ne sera pas trop long.
00:00:35Mesdames et messieurs, je tenais à vous remercier sincèrement pour cette invitation.
00:00:39Je me réveille seulement d'un long sommeil, mais aujourd'hui je peux raconter.
00:00:43C'est grâce à toutes celles qui ont osé, Adèle Hanel, Judith Gaudrech et tant d'autres,
00:00:47que je me réveille, que je me rends compte.
00:00:49Je commence à raconter ce qui pour moi faisait partie du jeu, faisait partie des règles
00:00:54du métier que j'aime tant, le prix à payer.
00:00:57Et quand je raconte, souvent avec dérison ce qui se passe, je vois aujourd'hui la sidération
00:01:01dans le regard de mes interlocuteurs, et plus ces regards se répètent, plus je prends conscience.
00:01:06J'ai été récemment à une formation pôle emploi sur les préventions des VHSS et je
00:01:11cochais toutes les cases, des dommages subis, gradués de 1 à 5, aux séquelles.
00:01:16Le formateur nous explique ce qui, dans une entreprise normale, doit se passer en cas
00:01:20d'agression, et après plusieurs questions sur les réponses concrètes à apporter,
00:01:25nous sommes plusieurs à partir, parce qu'une fois de plus, on constate, ce qui a poussé
00:01:29toutes les personnes comme moi à venir, mais aucune réponse n'est apportée.
00:01:33On nous entend, mais encore une fois, c'est comme ça.
00:01:36Alors je vais vous raconter.
00:01:38Je vais vous raconter quelques-uns des faits qui sont arrivés, les plus marquants, mais
00:01:42il y en a tant d'autres, de mon premier tournage il y a 27 ans à cette année.
00:01:45Je ne suis pas là pour condamner, je voudrais juste que l'on se rende compte de la violence,
00:01:50que ceux qui l'ont fait se rendent compte et se remettent en question, et ceux qui n'ont
00:01:54rien dit à ces moments-là aussi.
00:01:56Parce que pour moi, ce métier est sacré.
00:01:59Ce n'est pas un métier comme les autres, l'affectif est au centre, notre sensibilité
00:02:03est le terreau, et c'est bien pour cela qu'il doit être regardé par ce prisme.
00:02:07Parce qu'il faut préserver cette magie-là, qui, utilisée avec bienveillance, est un
00:02:11terrain de jeu et d'épanouissement éblouissant.
00:02:14Parce que c'est un endroit où le collectif est possible, où la magie fait briller le
00:02:19soleil même quand il n'y en a pas.
00:02:21Dans ces moments-là, c'est tellement beau, ça a du sens.
00:02:24Et aujourd'hui, plus encore, là où le collectif est mis à mal, c'est un endroit
00:02:29à préserver.
00:02:30Et voir ce qui entache, éclabousse notre métier et nos corps de leur violence écrasante
00:02:35me brûle.
00:02:36Alors, je vais vous raconter.
00:02:38J'avais 10 ans quand j'ai tourné pour la première fois.
00:02:42Ça m'est tombé dessus.
00:02:43Et dans ce film, il y a une scène de viol.
00:02:45Je demande qui va jouer cet homme et on me dit que la réalisatrice ne veut pas que je
00:02:49le rencontre avant.
00:02:50Je ne comprends pas pourquoi, mais apparemment, ce sera mieux pour la scène.
00:02:56On m'explique que je dois marcher, qu'il me collera contre l'arbre.
00:02:59Ça va être très simple.
00:03:01Silence, moteur, ça tourne.
00:03:04Je vois arriver en courant un jeune acteur qui me saute dessus, qui me prend la poitrine
00:03:08et essaie de me soulever la robe.
00:03:10On refera cette scène plusieurs fois.
00:03:12J'ai 10 ans, je n'ai même jamais embrassé un garçon.
00:03:15Je suis tétanisée.
00:03:17À la fin de la scène, la jeune fille qui s'occupe de nous depuis le début du tournage
00:03:20m'a même voir les poussins qui sont nés dans la ferme à côté pour me changer les
00:03:24idées. Et du haut de mes 10 ans, je sais déjà qu'il y a quelque chose qui cloche.
00:03:30Je me souviens comme si c'était hier.
00:03:31Me dire Mais tu crois que tu vas me faire oublier ça avec des poussins?
00:03:37Et cet été, j'ai recroisé l'acteur que je n'avais pas vu depuis ce temps là.
00:03:40Et la première chose dont on a parlé, c'était cette scène.
00:03:43Et lui et moi, nous étions encore sous le choc.
00:03:46Un peu plus tard dans ce tournage, une scène de flagellation.
00:03:49La scène se passe dans une mare la nuit.
00:03:51J'ai toujours 10 ans. Il fait nuit noire.
00:03:53On me donne des bâtons.
00:03:54On me dit de m'installer dans la mare et de me frapper le dos avec.
00:03:58Je le fais sans grande force au début, ce qui agace la réalisatrice qui me crie
00:04:03dessus de le faire plus fort, plus fort, plus fort.
00:04:08Et au bout d'un temps qui m'a paru être une éternité.
00:04:11Pardon et plus ma rage et plus ma rage contre elle monte et plus je me frappe
00:04:19avec une violence inouïe.
00:04:21En fait, je la frappe elle et au bout d'un temps qui m'a paru être une
00:04:25éternité, l'équipe coupe la prise et dit si elle le refait encore une fois,
00:04:29on arrête là le tournage.
00:04:31Alors la scène s'arrête, mais l'horreur est en moi et je me dis qu'ils
00:04:34auraient dû arrêter ça plus tôt, mais tout de même, ils l'ont arrêté.
00:04:38Ça restera un non sujet tout au long du tournage.
00:04:40Il n'y aura pas d'excuses.
00:04:42C'était une scène comme les autres.
00:04:44Quelques années à peine majeures, je dois faire une scène de
00:04:47représentation sexuelle avec un homme de l'âge de mon père.
00:04:50Je connais bien le réalisateur.
00:04:52J'ai une grande confiance.
00:04:53On a toujours parlé de ces scènes ensemble.
00:04:54Elles sont chorégraphiées.
00:04:56Il y a un cadre.
00:04:57Malgré tout, le jour du tournage, cet acteur décide de ne pas mettre de
00:05:01peignoir entre les prises.
00:05:03Ça gêne ou ça agace l'équipe, je ne peux pas vraiment dire, mais en tout
00:05:06cas, on ne l'oblige pas à le mettre.
00:05:09Je trouve ça déjà un peu étonnant.
00:05:12On règle la scène.
00:05:13On sait ce qu'on va faire.
00:05:14Donc, il doit m'appeler dans la salle de bain, me dire de me mettre
00:05:17à genoux pour lui faire une fellation.
00:05:19Je dois hésiter et alors il doit me donner une baffe.
00:05:23On tourne la scène. Il se met à improviser.
00:05:27Il me met les mains sur les épaules.
00:05:29Il m'écrase au sol avec une grande force.
00:05:31Je me fais très mal aux genoux.
00:05:33Il enfonce son pouce dans ma bouche et la tête en arrière et de son autre
00:05:36main, il me donne plein de baffe et il me dit t'aimes ça salope.
00:05:40Alors, je me mets à pleurer.
00:05:41Je suis tétanisé.
00:05:42Il me donne une violente baffe et je m'écrase au sol.
00:05:46Coupé.
00:05:48Le réalisateur et les techniciens trouvent cette scène bouleversante.
00:05:52Alors, on la refera parce que ce sera beau pour le film.
00:05:55Et à la fin de cette scène, je me revois la machine à café en larmes
00:05:58et un machiniste vient me voir et me dit c'était très dur ce que tu viens
00:06:01de faire, je l'ai vu.
00:06:03Et malheureusement qu'il y avait cette phrase.
00:06:06Mais encore une fois, sur le moment, pas d'excuses, pas de reconnaissance,
00:06:09pas de cadrage.
00:06:10Aujourd'hui, j'en ai parlé avec ce réalisateur et il m'a entendu.
00:06:13Il reconnaît, il s'excuse et je le crois.
00:06:16Mais pendant 20 ans, cette scène m'a marqué au fer rouge.
00:06:20Si je devais tout raconter, ce témoignage pourrait durer une journée
00:06:23entière, mais je terminerai par les violences morales, les phrases que
00:06:28vous entendez aux débeautés et jusqu'à il y a quelques mois sur un tournage.
00:06:32Pourtant, j'ai 38 ans.
00:06:33Les violences, j'en ai subi.
00:06:35Je ne veux plus en subir.
00:06:37Je suis ferme.
00:06:38Mais malgré ça, encore aujourd'hui, il y a quelque chose ancré en moi
00:06:42qui m'empêche parfois de hurler non.
00:06:46Mais donc, je vais juste vous citer quelques phrases.
00:06:48Celle d'une productrice à la fin de la projection des Rush qui vient
00:06:54me voir, je lui demande comment elle a trouvé ce qu'elle a vu.
00:06:57Elle me regarde, elle me montre mes jouets, elle me dit ça prend
00:07:00beaucoup de place, mais ça va.
00:07:03Et ces caméras, avec une autre actrice, on forme un duo et ce jour-là,
00:07:09on parle de mes costumes, on choisit les lumières, etc.
00:07:13Et j'entends le producteur et le showrunner dire de moi, je pense
00:07:17qu'il faut la remonter la petite.
00:07:19Il faut qu'elle soit plus sexy.
00:07:21Ça ne marche pas l'idée de la belle et la moche.
00:07:23Donc la moche, c'est moi.
00:07:26Ensuite, un scénariste que j'appelle parce que j'ai des questions
00:07:28sur le scénario et je veux qu'il m'éclaire.
00:07:30Donc, j'entame une phrase que je ne pourrais pas terminer parce
00:07:33qu'il me dit peut-être que tu n'as pas les outils intellectuels
00:07:36ou l'intelligence pour comprendre.
00:07:38Mais si j'avais voulu écrire un truc mauvais, j'aurais écrit
00:07:40plus belle la vie.
00:07:41Et puis, tel acteur, il a eu un Emmy Award en faisant ce que
00:07:44je lui ai dit, donc si tu en veux un, fais-le.
00:07:48Voilà, voilà un bout de mon histoire à moi.
00:07:52Des violences, il y en a eu quand j'étais mineure, majeure et même
00:07:56aujourd'hui, en femme avertie.
00:07:59La violence, elle s'ancre en vous et elle vous ronge.
00:08:02Alors, j'espère très sincèrement que vous, que nous trouverons
00:08:06des solutions pour arrêter cela, pour condamner, pour éduquer.
00:08:10Je sais que beaucoup de choses sont faites, mais quand je vois
00:08:13encore aujourd'hui qu'il est envisageable de projeter un film
00:08:16comme Dernier tango à Paris à la Cinémathèque, où une scène
00:08:19réelle de viol est filmée et que certains s'insurgent encore
00:08:24que l'on puisse questionner cette projection, alors je pense
00:08:27qu'il y a un grand travail à faire.
00:08:29Anna Mouglalis est une actrice engagée pour l'égalité entre
00:08:32les femmes et les hommes au cinéma.
00:08:35Elle raconte les violences qu'elle a subies pendant sa carrière.
00:08:39Je vous ai proposé, comme je vous ai dit tout à l'heure,
00:08:42de décortiquer un peu les différentes étapes qui sont
00:08:47toutes marquées par des possibilités de violence.
00:08:52Il y a des faits qui remontent à loin en 97 et puis d'autres
00:08:58qui sont très récents.
00:09:00Je pense que si certaines choses ont changé, c'est parce que
00:09:04j'ai eu la chance de rencontrer des femmes, des actrices,
00:09:10le militantisme et que c'est ce qui m'a donné la force
00:09:14maintenant de refuser beaucoup de choses, beaucoup de violences.
00:09:21On parle de violence au travail quand on parle de violence sexiste
00:09:26et sexuelle ou de harcèlement dans le cinéma.
00:09:28Ce sont des violences faites au travail et c'est inadmissible
00:09:32parce que ça engage la responsabilité collective.
00:09:35Il y a toute une équipe, il y a des producteurs,
00:09:39il y a des agents et souvent, quand il y a des situations
00:09:41de violence, tout le monde se défile.
00:09:44Et ça, je ne suis pas sûre que ça ait beaucoup changé.
00:09:47Donc, je propose dans ce parcours de commencer par parler,
00:09:52par exemple, des situations de casting, parce que c'est souvent
00:09:55là que ça commence pour une actrice.
00:09:58J'ai vécu des castings dans lesquels on a pu me demander
00:10:04de me glisser dans des tenues en latex qui venaient d'être
00:10:09enlevées par la fille qui était passée précédemment.
00:10:12Au terme d'hygiène, ça ne marche pas et je ne vois pas
00:10:15est-ce que la tenue en latex va permettre de découvrir
00:10:19sur mes capacités à jouer en tant que comédienne.
00:10:22J'ai eu la même chose en arrivant avec des portants,
00:10:25avec uniquement des accessoires sortis de sex shop.
00:10:30J'ai eu droit, alors que j'avais 19 ans, à un acteur de 50 ans
00:10:34qui, pour un casting, a enfoncé sa tête dans mon bas-ventre
00:10:39en me tenant par les hanches.
00:10:41Voilà, et puis, insister sur le fait qu'à l'étape du casting,
00:10:47très souvent, quand on est une jeune femme, on nous demande
00:10:51de venir, moi on me proposait de venir pour des rôles
00:10:55de femmes dites séduisantes.
00:10:57Et il se trouve que généralement, on décroche le rôle
00:11:00quand le réalisateur est séduit.
00:11:02Mais nous, on n'est pas venu pour le séduire,
00:11:04on est venu pour jouer.
00:11:06Donc là, il y a déjà un gros problème.
00:11:08Ensuite, en ce qui concerne le travail préparatoire,
00:11:11souvent, on est sollicité par le scénariste ou le réalisateur.
00:11:18Dans les films d'auteurs, c'est souvent la même personne.
00:11:21En 1997, pour mon premier film, je me suis retrouvée
00:11:28à être convoquée par la production pour me rendre
00:11:32au domicile de Gérard Miller pour travailler
00:11:37sur le scénario du film Terminal, qui était réalisé
00:11:41par Francis Géraud.
00:11:43Je rencontre Gérard Miller, qui me propose de me faire
00:11:47visiter son home cinéma.
00:11:49Il est à peu près 20h30, parce que je répétais la journée
00:11:52une pièce de théâtre, donc j'avais eu ce rendez-vous
00:11:55le soir.
00:11:56C'est normal d'avoir confiance quand on est envoyé
00:12:00par la production chez un scénariste qu'on a envie
00:12:03de jouer dans un film.
00:12:04Tout ça devrait être très normal, mais je me retrouve
00:12:09à ce domicile, je refuse de voir le home cinéma,
00:12:15parce que je m'oppose à faire là-dedans, et là,
00:12:18il me propose une séance d'hypnose que je refuse,
00:12:23parce qu'encore une fois, je ne vois pas.
00:12:24Et puis, je trouve le mec franchement pas sympathique,
00:12:29mais il commence à se tendre et à devenir un petit peu
00:12:34agressif et à me dire, alors, qu'est-ce qu'on va faire?
00:12:39Qu'est-ce qu'il faut faire sur ce scénario?
00:12:40Je lui dis qu'on n'a qu'à rien faire du tout,
00:12:43que vu comme c'est parti, c'est pas la peine.
00:12:47Ce à quoi il me répond qu'il retirera donc les répliques
00:12:49de mon personnage pour les donner à d'autres actrices.
00:12:53Je lui dis tant mieux.
00:12:54Bon, mais ensuite, il y a eu le tournage et il se trouve
00:12:59que donc, on n'était que des jeunes femmes de 19 ans.
00:13:03C'est une histoire qui maintenant a été révélée au grand public.
00:13:06Il y a une enquête qui a été menée par Mediapart
00:13:10et aussi par le magazine Elle, dans lequel j'avais pu témoigner.
00:13:16On est à 90 victimes de cet homme.
00:13:22À l'époque, je n'en ai pas parlé
00:13:26aux réalisateurs ni aux producteurs, j'aurais dû.
00:13:30Mais comme en fait, je suis parti, je me suis dit c'est juste un connard.
00:13:34Mais bon, voilà, mais il se trouve que ensuite, pendant le tournage,
00:13:39il y avait une classe, on avait toutes à peu près entre 18 et 20 ans.
00:13:44Il y a deux jeunes femmes qui, assez spontanément,
00:13:49parce qu'elles se sont rendues compte qu'elles avaient vécu la même chose,
00:13:51ont parlé devant nous ouvertement.
00:13:54Elles ont vécu la même chose chez Gérard Miller,
00:13:56mais elles ont vécu la séance d'hypnose
00:13:58et elles ont vécu les agressions.
00:14:01C'était en 97, c'est sorti l'année dernière, cette affaire.
00:14:07Bon, donc ça, c'était sur le travail préparatoire au scénario.
00:14:12En ce qui concerne les tournages,
00:14:16je voulais parler à la fois de scènes
00:14:21de représentation de la sexualité.
00:14:23Vous avez parlé de la coordination d'intimité.
00:14:27Ça n'existait pas.
00:14:29Je pense que ça peut être un outil extrêmement intéressant.
00:14:33Et donc, je vais illustrer mes propos par des expériences.
00:14:38J'ai travaillé sur un film pendant lequel
00:14:44je devais être nue au-dessus d'un homme.
00:14:48C'est très, très souvent ces positions là.
00:14:51C'est le corps de la femme qui est exposé, surexposé,
00:14:54qui cache celui de l'homme qui est généralement à peu près 25 ans de plus que l'actrice.
00:14:59Donc, sur cette scène,
00:15:02je devais me relever pour m'allonger sur l'homme et je dis au metteur en scène.
00:15:09Mais non, je ne vais pas faire ça parce que la caméra va se retrouver
00:15:12littéralement sur mon sexe.
00:15:16On me dit non, non, ne t'inquiète pas,
00:15:18puisqu'à ce moment là, la caméra va monter sur ton dos et t'accompagner.
00:15:22Donc, il n'y aura pas de problème.
00:15:23Je tourne la scène, la confiance était déjà un peu limitée.
00:15:26Je vais vérifier à la vidéo le combo où la prise a été enregistrée.
00:15:31Je me rends compte qu'on voit même mes lèvres.
00:15:36C'est un plan par derrière.
00:15:37Donc, je le signale à la script, je refuse ce plan.
00:15:42Je le signale à mon agent.
00:15:45J'exige que l'axe du lit soit changé et toute une équipe qui est témoin.
00:15:52Ce plan, non seulement est monté dans le film, mais a été dans la bande annonce.
00:15:58Et il y est toujours.
00:16:01Forte de ces expériences,
00:16:04je me suis retrouvé sur un autre tournage où il y avait une scène
00:16:08à nouveau de représentation de la sexualité avec trois caméras.
00:16:13Donc, trois caméras qui bougent en permanence
00:16:17à la faveur de ce que la personne qui dirige cette caméra à distance va filmer.
00:16:22Mais ce n'est pas découpé, c'est un peu oasin.
00:16:25Je refuse d'être complètement nue.
00:16:29Donc, je porte des sous-vêtements en disant c'est beaucoup plus simple.
00:16:32À chaque fois que vous voyez le sous-vêtement, vous coupez
00:16:34puisqu'il cache la partie qu'il ne faut pas voir.
00:16:38Mais la tension monte, le réalisateur crie mais soyez généreux.
00:16:45L'acteur se met nu.
00:16:47Moi, je reste sur ma position.
00:16:50Et puis, bon, on me demande aussi.
00:16:53Donc, c'est juste pour dire que ce n'est pas très propice au fait de jouer quoi que ce soit.
00:16:57Puis là, c'était un rôle de prostituée.
00:17:00On me demande de pleurer et puis de simuler l'orgasme.
00:17:04Et je convoque Anna Magnani.
00:17:07Je dis maman romain, on peut représenter les prostituées autrement.
00:17:12Et puis, ce n'est pas drôle.
00:17:13Je peux pleurer.
00:17:14Donc, je lui montre que je peux pleurer, mais que je ne le ferai pas dans la scène.
00:17:17Et là, il hurle.
00:17:19Tu ne veux pas pleurer, tu ne veux pas jouir.
00:17:21Pourquoi tu fais l'actrice?
00:17:23C'est un de mes plus gros fou rire de cinéma, mais à la hauteur de la violence des propos.
00:17:29Ensuite, je me suis retrouvée sur un tournage aussi
00:17:35qui représentait directement
00:17:38la violence masculine.
00:17:40Encore une fois, contre une prostituée, parce que pendant tout un temps,
00:17:44c'est la maman et la putain et on n'en sort pas.
00:17:48C'est une scène pendant laquelle
00:17:53j'ai été frappée.
00:17:56J'ai pris une droite.
00:17:58C'était très prévisible, puisque l'acteur ainsi que tout le reste
00:18:04de cette équipe qui était masculine,
00:18:07s'était alcoolisé dès le petit déjeuner.
00:18:12Au moment où cet acteur m'a mis une droite,
00:18:16le réalisateur a dit on continue à tourner.
00:18:22Donc, il a fallu que je lui saute dessus en lui expliquant que non,
00:18:25il fallait qu'il s'arrête, qu'on pouvait jouer sain.
00:18:29Mais et le film entier, en fait,
00:18:33je l'ai, je l'ai revu pour préparer cette audition.
00:18:37C'est un film d'une violence à mon endroit,
00:18:42mais inouï, le début du film.
00:18:46Et mais personne n'en parle.
00:18:48Après, même les journalistes, personne n'en parle.
00:18:50On voit que tout est vrai.
00:18:52La première scène du film, on me découpe les cheveux au couteau de chasse.
00:18:56Ça a duré cinq heures.
00:18:59Et ensuite, des scènes dans lesquelles je devais errer
00:19:02dans des dans un quatrième sous-sol, dans des couloirs
00:19:06complètement dans le noir avec une caméra thermique.
00:19:10Donc, on a tourné tellement longtemps qu'au début, mon corps apparaît en blanc
00:19:14et tout le reste est noir.
00:19:16C'est cette caméra thermique.
00:19:17Et puis, ça dure tellement longtemps qu'en fait, mon corps devient noir.
00:19:21Il n'est plus chaud, ne reste que ma bouche et mon sexe.
00:19:27Mais mais le fait qu'une équipe entière s'accorde
00:19:30pour continuer à tourner et que la responsabilité ne soit que sur l'actrice,
00:19:34c'est inadmissible.
00:19:36Il faut immédiatement mettre de la glace.
00:19:38Il faut s'occuper de la personne.
00:19:40Ça s'appelle un accident du travail.
00:19:45Ensuite, bon, non, mais parce que c'est des vraies atteintes
00:19:49à l'intégrité physique et ça, il y en a eu beaucoup.
00:19:52Je parle de celle ci, mais
00:19:55j'ai eu la chance de pouvoir rencontrer une association d'actrices
00:20:00qui s'appelle Lada.
00:20:03Je suis allé à de nombreuses réunions ou des partages
00:20:08de ces témoignages des violences subies
00:20:13en lieu régulièrement.
00:20:14Et c'est sans fin.
00:20:16C'est assez énorme.
00:20:17Mais en ce qui concerne l'intégrité physique, donc j'ai parlé de
00:20:21de ce film, de ses douleurs, de ses accidents.
00:20:26On prend vraiment un coup.
00:20:27J'ai aussi été victime.
00:20:31Un quai avait été mal arrimé.
00:20:35Je jouais sur un bateau et donc pas arrimé
00:20:38parce qu'il fallait tourner au coucher du soleil.
00:20:41Et en fait, la passerelle est passée sur mon orteil.
00:20:45J'ai eu une fracture ouverte avec l'ongle arraché.
00:20:48J'ai été envoyé par la production, c'était à Capri,
00:20:52envoyé par la production chez un médecin à qui on a demandé
00:20:55de faire une radio floue en me disant qu'il n'y avait rien.
00:20:58Donc, on m'a fait un pansement à même la chair
00:21:00pour que je puisse tourner toute la journée du lendemain debout.
00:21:05Il y a des assurances, on peut.
00:21:07Je suis rentré à Paris.
00:21:08Quand je parle d'atteinte à l'intégrité physique,
00:21:11on m'a dit qu'il allait sans doute falloir amputer.
00:21:13Bon, je n'ai pas été amputé et c'est tant mieux
00:21:17parce que je pense que ça ne se serait pas arrêté là, la colère.
00:21:21Mais mon agent n'a absolument rien fait.
00:21:26C'est le même film sur lequel j'ai eu ce plan volé.
00:21:31Les producteurs n'ont rien fait.
00:21:34Ce film a été projeté à Cannes.
00:21:36La seule chose que j'ai pu faire toute seule, c'est de les empêcher
00:21:40de monter les marches avec moi à Cannes. C'est tout.
00:21:43J'ai tourné aussi une scène dans un lac gelé.
00:21:51Qui devait être une scène de noyade.
00:21:54Il n'y avait ni pompiers, aucune norme de sécurité.
00:22:00Un lac tellement froid qu'en me mettant dans l'eau,
00:22:02je m'en rendais compte que je n'allais même pas pouvoir crier ou parler.
00:22:07Mais encore une fois, je me suis retrouvé seul à dire
00:22:09qu'il allait falloir qu'Adrien et que j'allais tourner ça au bord.
00:22:13Mais il faut avoir envie de vivre parce qu'il y a plein, plein,
00:22:15plein de possibilités pour ne pas continuer à vivre.
00:22:20Voilà, très, très récemment encore, on a voulu me percher
00:22:24pour faire des économies de transport d'une équipe
00:22:28sur une branche à cinq mètres de hauteur, mais une branche nue.
00:22:34Et j'ai hurlé.
00:22:37Est-ce que quelqu'un peut prendre une photo de ce dispositif?
00:22:42On m'a dit Mais si tu veux pas le faire, tu ne le fais pas.
00:22:44J'ai dit Mais bien sûr que je ne le ferai pas.
00:22:47Vous êtes complètement cinglé.
00:22:50Bon, donc, oui, il y a beaucoup de choses.
00:22:56Autrement, voilà des choses sur le vocabulaire qu'on utilise.
00:23:02Par exemple, sur un film, on m'a demandé de faire des rétacs,
00:23:05c'est à dire le tournage est déjà fini
00:23:07et puis on se rend compte qu'il manque quelque chose au film.
00:23:10Donc, on m'a dit Il manque un petit peu de complicité
00:23:14entre le personnage féminin et le personnage masculin.
00:23:16Il faudrait qu'il y ait une scène de tendresse
00:23:19pour exprimer cette complicité.
00:23:22Je suis je me suis présenté pour aller tourner ça.
00:23:25Et le metteur en scène avait expliqué à l'acteur
00:23:27que c'était une scène dans laquelle il devait me toucher les seins.
00:23:31Donc, j'ai dit s'il me touche les seins, je lui touche les testicules.
00:23:34Non, mais parlons, non, non, mais parlons de des choses qui sont,
00:23:39par exemple, alors si on est consentante,
00:23:42bien sûr que ce n'est pas une agression sexuelle,
00:23:44mais quand on n'est pas prévenu, qu'est ce que c'est?
00:23:47Et c'est sans cesse.
00:23:50Alors, sur le sexisme aussi, parce que
00:23:56on est très souvent confronté à des récits ou des représentations
00:24:03de personnages féminins avec lesquels franchement,
00:24:07moi, par exemple, je ne peux pas être d'accord.
00:24:09Mais certaines fois,
00:24:12les scénarios sont retravaillés, déformés
00:24:16et on se retrouve à devoir refuser certaines situations.
00:24:20J'ai incarné un personnage de femme de pouvoir.
00:24:27D'où qu'on me disait très régulièrement sur le plateau
00:24:31une jolie femme comme toi, quand tu es élue, tu devrais sourire.
00:24:34Ou au moment d'une décoration, une jolie femme comme toi,
00:24:38le représentant des armées devrait quand même t'embrasser
00:24:41pour faire comprendre que non,
00:24:43c'est quelque chose qu'on n'aurait pas fait à un homme
00:24:45et qu'une femme de pouvoir à cet endroit du pouvoir,
00:24:50homme ou femme, il fallait le même traitement, mais compliqué, compliqué.
00:24:55Que par exemple, quand
00:24:57cette femme de pouvoir se faisait gifler,
00:25:03il n'était pas question qu'elle soit soulevée par ses gains du corps,
00:25:08qu'il fallait juste neutraliser la personne qui avait giflé.
00:25:11Mais ce que je veux dire, c'est que ça demande une vigilance permanente
00:25:16parce que ce sexisme est très, très, très présent, très ancré.
00:25:20C'est comme s'il y avait des œillères et on passe pour quelqu'un de pénible,
00:25:25de relever ces choses là.
00:25:28Je me suis retrouvée à devoir
00:25:32refuser des scènes sur toujours ce personnage de femme de pouvoir.
00:25:38On a décidé qu'il fallait qu'elle ait une relation avec un homme.
00:25:41À partir du moment où elle avait une relation avec un homme,
00:25:44elle se désintéressait de la chose politique.
00:25:48Et oui, bien sûr, elle buvait de l'alcool,
00:25:52fumait des pétards en regardant Game of Thrones à l'Elysée.
00:26:00Mais bon, moi, j'ai trouvé ça compliqué.
00:26:03Bien sûr, toutes les scènes devaient commencer au lit ou se finir au lit.
00:26:09Donc, j'ai dit que je ne participerais pas à ça.
00:26:14Et comme dans une série américaine, je ne sais pas Dallas ou Dynasty,
00:26:20pour la première fois, on m'a fait mourir.
00:26:22Mais voilà, oui, parce que c'est une série réaliste.
00:26:32Voilà, en m'ayant dit, mais n'importe quoi.
00:26:37Il y a des gens très bien, des femmes qui, d'ailleurs, sont féministes,
00:26:40qui ne trouvent rien à redire.
00:26:42Donc, il faut tenir à son cap un petit peu.
00:26:45J'ai été aussi témoin de nombreuses fois, moins et plus que moi.
00:26:53De sexisme, le climat de blagues graveleuses,
00:27:02d'hypersexualisation, d'humiliation, sous couvert d'humour.
00:27:09Toujours. C'est un peu ce qu'on entend au procès de Maison,
00:27:15ce qu'on entend, je ne sais pas, au procès Bedos, que c'est juste un gros lourd,
00:27:18que oui, il est vraiment con.
00:27:20Quand on entend ça pour le procès de Maison, c'est assez effrayant, quoi.
00:27:24Parce que la connerie ou la débilité permet quand même de savoir
00:27:31quand on fait du mal, la violence, c'est toujours un choix.
00:27:36Donc, sur ces contextes de blagues graveleuses, ça peut avoir des conséquences terribles.
00:27:43J'ai vu, par exemple, une stagiaire qui était tellement heureuse
00:27:48d'avoir trouvé ce stage sur un tournage, quitté le tournage,
00:27:55et d'entendre la personne qui était responsable de ces blagues.
00:28:00C'est une personne qui montrait aussi son sexe uniquement aux techniciennes.
00:28:04Il ne l'aurait pas fait avec des personnes qui avaient un petit peu plus de pouvoir.
00:28:10Cet acteur, suite au départ de cette jeune femme, en plus en larmes,
00:28:15dire qu'elle n'a vraiment aucun humour.
00:28:22Très récemment aussi, toujours dans ces blagues,
00:28:28cette espèce de fraternité toujours virile,
00:28:34dont sont exclues toutes les femmes, de blagues sur les bites et les couilles.
00:28:41Voilà, des vieux ressorts.
00:28:46Il serait temps qu'on le dise, que ça exclue absolument tout le monde.
00:28:50Moi, ça ne me fait pas rire, mais vraiment, ça ne me fait pas rire.
00:28:54Ça ne me fascine pas, ça ne me fait pas rire.
00:28:58Donc récemment, comme outil, je me suis permise de demander à la personne
00:29:03qui pratiquait cet humour s'il était misogyne.
00:29:06Ce à quoi on m'a répondu, ça ne va pas, demande à ma femme.
00:29:12J'ai dit non, très mauvaise question et j'ai proposé un petit jeu.
00:29:15Non, non, mais juste de savoir quand on fait ces blagues sexistes,
00:29:21de voir si les gens qui rient avec, enfin qui rient,
00:29:24le public donc, rit de vous ou avec vous.
00:29:29Généralement, c'est avec.
00:29:32Pour étayer encore un petit peu des scènes d'accouchement.
00:29:38Moi, je devais aider quelqu'un à accoucher.
00:29:41Un réalisateur de 60 ans est venu expliquer à quatre femmes
00:29:45qui avaient tout accouché, ce qu'étaient les contractions.
00:29:53Mais aucun problème, je voulais parler de l'étape d'après,
00:29:58qui est la promotion des films où on peut se retrouver
00:30:03dans des situations aussi assez délirantes.
00:30:08Encore une fois, avec une séance photo
00:30:12où on ne nous présente que de la lingerie.
00:30:15Ça n'a rien à voir avec le rôle, mais c'est écrit dans le contract.
00:30:18C'est obligatoire.
00:30:20Donc, quand on est une jeune actrice, on pense qu'on ne peut rien refuser.
00:30:24Dans le cadre d'une promotion pour un film qui s'appelait Merci pour le chocolat,
00:30:28on m'a demandé d'être habillée d'une robe en chocolat
00:30:33dans un salon du chocolat.
00:30:35Et les visiteurs du salon allaient pouvoir se servir sur moi jusqu'à me dénuder.
00:30:41Bon, donc, j'ai refusé.
00:30:42Mais c'est des choses, mais on ne sait pas qu'on peut refuser.
00:30:47Et puis, bon, il y a eu plein de choses, mais je veux bien continuer après.
00:30:52Mais je me suis retrouvé aussi sur une sortie de film à l'étranger,
00:30:56toute seule avec un distributeur au Brésil qui m'a harcelé,
00:31:02harcelé sexuellement.
00:31:04Et bien sûr, je voyageais seule avec lui.
00:31:06Donc, nos places d'avion étaient côte à côte.
00:31:08Nos chambres d'hôtel aussi. C'est un enfer.
00:31:13Et dire bon.
00:31:14Et ça va aussi plus loin que ça, parce que après la promotion,
00:31:18il y a aussi quelque chose de particulier pour les actrices, c'est que
00:31:21les images, souvent nos visages sont utilisés sur des sites pornographiques,
00:31:29collés sur des corps d'actrices pornos.
00:31:31Les images de nos scènes de nus,
00:31:35de représentation de la sexualité dans les films sont.
00:31:38Il y a plusieurs personnes qui font ça, qui ont créé des sites
00:31:42qu'ils monnaient ou pas, d'ailleurs.
00:31:45Et donc, ces scènes sont sorties de leur contexte.
00:31:48En fait, c'est complètement illégal de faire ça.
00:31:52Ça existe, moi, depuis que j'ai commencé.
00:31:55Ni les agents à l'image, ni les agents artistiques,
00:32:00ni les producteurs, ni les réalisateurs ne s'en inquiètent.
00:32:03On devient des objets pour la masturbation.
00:32:08Et ça, ça dégrade aussi énormément l'image des actrices.
00:32:13Les actrices font un métier. Il faut qu'elle soit respectée.
00:32:17Je veux dire, quand on veut faire disparaître quelque chose du net, on peut.
00:32:21Pourquoi pas ça ?
00:32:23Voilà, j'en finis.
00:32:26L'actrice Judith Gaudrèche est devenue un symbole de la lutte
00:32:30contre les violences sexuelles et sexistes.
00:32:33Elle est auditionnée par la commission d'enquête après le témoignage de Serge Toubiana.
00:32:38L'ancien directeur des cahiers du cinéma avait été interrogé sur ce qu'il savait
00:32:43de la relation entre l'actrice et le réalisateur Benoît Jacot.
00:32:48Ce que nous appréhendions, c'était, et ce sont aujourd'hui encore, les œuvres.
00:32:54Quand on a vu La Désenchantée, pour parler de ce film,
00:32:58je vous ai apporté, voilà, on a mis cette photo en couverture.
00:33:02C'est un plan du film.
00:33:05On voit Judith Gaudrèche, personnage et actrice du film.
00:33:10Voilà ce que j'ai écrit à l'époque.
00:33:16Je vous le lis, c'est très rare. Je ne vais pas vous lire tout l'éditorial.
00:33:20Le beau visage qui illustre ce mois-ci la couverture des cahiers,
00:33:23c'est celui de Judith Gaudrèche.
00:33:26Voilà une jeune comédienne dont on n'a pas fini d'entendre parler.
00:33:31On se souvient qu'elle jouait Juliette, cette jeune fille de 15 ans, dans le film de Doyon.
00:33:36Elle y était l'objet privilégié du regard du metteur en scène, acteur, Doyon lui-même,
00:33:41mais un objet toujours fuyant, refusant d'être prisonnière du plan.
00:33:45Le mot est ici employé dans les deux sens du terme, établi par le cinéaste.
00:33:50Avec La Désenchantée, Judith Gaudrèche confirme qu'elle est une comédienne totalement insolite.
00:33:56Son apparition d'adolescente fait penser à celle de Sandrine Bonner, il y a sept ans, dans À nos amours.
00:34:02Qu'elle est aussi l'une des plus douées du cinéma actuel.
00:34:05Après je continue, peu importe.
00:34:07C'est pour vous dire que quand je vois La Désenchantée, moi, critique de cinéma et rédacteur en chef des cahiers,
00:34:13je vois le film.
00:34:14Je ne sais pas, je ne peux pas connaître, nous ne pouvions pas connaître,
00:34:20les relations intimes entre un metteur en scène, son actrice.
00:34:24Que ce soit Benoît Jacot et Judith Gaudrèche, Jacques Doyon et les femmes de sa vie, il y en a plusieurs je crois.
00:34:31Voilà, c'est vraiment fondamental.
00:34:33C'est-à-dire que nous ne sommes pas des journalistes people, nous n'étions pas des journalistes people, nous étions des critiques de cinéma.
00:34:41Et la revue Les Cahiers du cinéma, si on peut la caractériser, et elle est encore à mon avis caractérisable,
00:34:51c'est une revue de réflexion sur les oeuvres.
00:34:54Moi, j'ai une forme un peu de sidération en entendant certains de vos propos.
00:34:58Et du coup, je ne veux pas que ce soit un procès non plus, mais je vais essayer de comprendre, au fond,
00:35:03qu'est-ce qui a changé dans le regard et qu'est-ce qui n'a toujours pas changé ?
00:35:06Vous dites, Monsieur Toubiana, que Les Cahiers du cinéma ne sont pas une revue people,
00:35:11n'était pas une revue people et que donc il n'était pas possible de savoir ce qui se passait entre Judith Gaudrèche et Benoît Jacot.
00:35:18Mais vous mentionnez par ailleurs que le cinéma est un monde d'entre-soi.
00:35:22Et j'ai envie de vous poser la question, dans vos interconnaissances, dans l'entre-soi que vous formiez,
00:35:29est-ce que vous ne saviez vraiment pas les relations entre Benoît Jacot et Judith Gaudrèche ?
00:35:34Est-ce qu'il ne vous arrivait pas de les rencontrer, de les voir ?
00:35:37Et si c'est le cas, je ne veux pas faire le procès d'une époque passée, mais quel regard aujourd'hui,
00:35:41peut-être qu'elle a besoin de l'entendre et que le monde du cinéma a besoin de l'entendre,
00:35:44parce que vous êtes une figure pour le monde du cinéma.
00:35:46Quel est le regard que vous portez aujourd'hui, maintenant, sur cette relation ?
00:35:49Est-ce que vous pouvez savoir dessus ?
00:35:51Sur la désenchanté, j'ouvre le cahier du cinéma, je suis rédacteur en chef.
00:35:55Je vous ai cité un extrait de l'éditorial, je ne vais pas m'apesantir.
00:36:01Et il y a une photo, un titre, comme un torrent, un texte de Thierry Jouze,
00:36:09qui était rédacteur en chef adjoint, très élogieux sur le film,
00:36:13avec toujours Judith Gaudrèche en photo.
00:36:16Et puis, ce qui ne se faisait jamais au cahier,
00:36:19entretien avec Judith Gaudrèche et Benoît Jacot.
00:36:22Une page, deux pages, trois pages, quatre pages, cinq pages, six pages.
00:36:27Six pages d'entretien, très long entretien.
00:36:29Et on voit qui ? En photo, Judith Gaudrèche et Benoît Jacot au cahier du cinéma.
00:36:35C'est-à-dire qu'à l'époque, on a aimé ce film, j'ai aimé ce film, Thierry Jouze a aimé ce film,
00:36:41on a choisi ce film, on le met en couverture,
00:36:43et on le crédite autant au metteur en scène qu'à l'actrice.
00:36:50C'est-à-dire qu'on pense, peut-être qu'on s'est trompé,
00:36:53mais à l'époque, c'était mon regard, notre regard,
00:36:56qu'elle est partie prenante du film,
00:36:58plus comme une jeune actrice pleine de talents et de vitalité, d'élan,
00:37:04et en même temps, elle est quasiment co-autrice du film.
00:37:07Bon, on ne faisait jamais ça.
00:37:09C'est pour vous dire à quel point on considère, dans notre regard d'époque,
00:37:14ça remonte à, on est en 1990, 34 ans,
00:37:19c'est pour vous dire que la considération pour une actrice, pour une jeune actrice,
00:37:24va au-delà du fait qu'elle a du talent ou qu'on la reconnaît,
00:37:27c'est qu'on lui donne la parole.
00:37:29Et elle s'exprime dans les cahiers du cinéma.
00:37:32Presque à égalité avec son metteur en scène.
00:37:35Je ne peux pas aller plus loin dans la description de la relation,
00:37:38parce que je ne la connais pas.
00:37:40Je ne connais pas la relation intime, privée,
00:37:43parce que ça n'entre pas dans mon champ d'investigation.
00:37:46Non, mais attendez.
00:37:48Bien sûr que je savais. J'ai dîné. Ils sont venus dîner chez moi.
00:37:52Donc vous saviez, alors, la nature de leur relation.
00:37:56Ils sont venus dîner un soir chez nous.
00:37:59Et je peux vous dire, c'est un témoignage.
00:38:02Donc ça, ça fait très longtemps.
00:38:05Dans ma cuisine, je vivais avec une femme merveilleuse
00:38:08qui, malheureusement, est décédée, Emmanuelle Bernem,
00:38:11qui avait fait la cuisine en été.
00:38:13Il y avait Emmanuelle Bernem, ma femme, décédée en 2017, moi-même,
00:38:18Benoît Jacot, Judith Godrech et Serge Danais.
00:38:22Voilà. Un dîner, un privé, si vous voulez.
00:38:25Je n'ai pas...
00:38:27Donc vous saviez la nature de leur relation.
00:38:30Comment ?
00:38:31Vous saviez la nature de leur relation.
00:38:33Donc, en fait, la question, c'est comment valoriser
00:38:36le fait qu'une adolescente soit comme ça,
00:38:40dans une relation avec un homme plus âgé qu'elle,
00:38:43qui a tout pouvoir sur elle, qui a tout pouvoir sur elle.
00:38:46Madame la Présidente, on est en 90, époque.
00:38:50On n'était sans doute pas...
00:38:53M. Jéténic.
00:38:54On ne jugeait pas.
00:38:56On ne jugeait pas les relations privées.
00:38:59Ça ne nous regardait pas.
00:39:01Et maintenant ?
00:39:03Ah ben non, évidemment.
00:39:05Du coup, dites-le, M. Toubien.
00:39:07Évidemment que je serai beaucoup plus vigilant,
00:39:10parce qu'on a beaucoup plus de conscience
00:39:14de ce qu'est l'égalité entre les hommes et les femmes,
00:39:17le respect des personnes.
00:39:20Mais ça ne veut pas pour autant dire
00:39:23que je vais aller me précipiter au commissariat du coin
00:39:26pour dénoncer qui que ce soit
00:39:29qui aurait des pratiques qui ne me sembleraient pas conformes
00:39:32à l'équité, au respect des personnes, etc.
00:39:35Non, mais en fait, la question, c'est que...
00:39:38À l'époque, je vous le dis, madame, on ne jugeait pas.
00:39:42Une version que l'actrice conteste avec force.
00:39:46Judith Gaudrech revient dans une audition
00:39:49particulièrement émouvante sur son combat.
00:39:53Madame la présidente, M. le rapporteur,
00:39:56mesdames et messieurs les députés,
00:39:59je ne m'apprêtais pas à être auditionnée aujourd'hui.
00:40:02Je n'ai pas pu suivre les auditions ces derniers jours.
00:40:05Je sortais hier des rendez-vous créatifs
00:40:08pour parler d'un projet qui me tient à cœur
00:40:11quand je découvre une vingtaine de messages sur mon téléphone.
00:40:14Ils disent tous plus ou moins la même chose.
00:40:17Serge Toubiana, ancien directeur des cahiers du CAC,
00:40:20ancien directeur de la Cinémathèque et d'Uni-France,
00:40:23est entendu en ce moment par votre commission
00:40:26et il vient de mentir sous serment
00:40:29de dire qu'il ne savait rien de ma relation avec Benoît Jacot.
00:40:32Pourtant, Benoît Jacot était l'un de ses meilleurs amis.
00:40:35Je venais donc parfois dîner avec eux
00:40:38chez Serge Toubiana.
00:40:41Il savait, tout le monde savait, lui mieux qu'quiconque.
00:40:44C'est ce qu'il m'a dit.
00:40:48Si la critique de cinéma n'a rien à voir
00:40:51avec la vie des cinéastes et des actrices,
00:40:54alors pourquoi les critiques les fréquentent-ils dans la vraie vie ?
00:40:57Un effet étrange de dédoublement s'opère en moi
00:41:00depuis un moment où, plutôt,
00:41:03disons que je suis capable de formuler un désir,
00:41:06ce besoin peut-être, enfin légitime,
00:41:09que les adultes du passé reconnaissent
00:41:12ce dont ils ont été les témoins, passifs et parfois actifs.
00:41:15Je n'en veux à personne, ou presque, en dehors de mes agresseurs
00:41:18où, dans tous les cas, ma colère laisse place
00:41:21à la possibilité d'un échange,
00:41:24que ce système dont un jour un homme a fait partie,
00:41:27dont il était témoin, puisse, avec cet homme,
00:41:30reconnaître son inaction
00:41:33et sa participation active à l'impunité des abuseurs.
00:41:38Je suis encore cette adolescente qui veut malgré tout
00:41:41être reconnue par Serge Toubiana et tant d'autres.
00:41:44Et oui, je sais que ma frontalité joue contre cet espoir.
00:41:47Dire les choses,
00:41:50incarner le grain de sable à un prix.
00:41:53Il y a presque un an maintenant que j'ai libéré ma parole
00:41:56et, dans un élan d'espoir, celui d'une enfant
00:41:59qui continue d'espérer qu'un des adultes du passé lui prenne la main
00:42:02et dise
00:42:05« Viens, je t'aide à t'échapper ».
00:42:08J'ai envoyé un message à M. Toubiana en janvier 2024
00:42:11pour lui dire « Serge, je m'étonne de ton silence,
00:42:14il m'a triste.
00:42:17L'homme du silence est resté silencieux,
00:42:20mais hier il vous a parlé.
00:42:23Mais hier, quand il vous a parlé, d'abord,
00:42:26il ne voulait pas reconnaître ce qu'il savait.
00:42:29Il dit qu'il ferait autrement aujourd'hui,
00:42:32mais il dit aussi qu'il ne ferait toujours rien.
00:42:35Pourtant, abuser d'une mineure, ce n'est pas une question de vie privée,
00:42:38ce n'est pas une affaire de morale,
00:42:41c'est un problème légal.
00:42:44Si je vous raconte cela,
00:42:47c'est parce que nous sommes tellement nombreuses, je pense,
00:42:50à espérer que le grand-oncle de la famille
00:42:53dise un jour
00:42:56« Je suis désolée.
00:42:59J'étais là, je me suis tue
00:43:02et j'en suis désolée ».
00:43:06Souvent, ce soutien vient d'une personne anonyme,
00:43:09comme cette lettre que j'ai reçue
00:43:12et qui n'a pas été écrite par Serge Toubiana.
00:43:15« Judith, je n'ai pas été abusée.
00:43:18Je t'ai connue sur le tournage d'un été d'orage
00:43:21de Charlotte Brandstrom en septembre 1988.
00:43:24Le tournage a lieu en Corrèze
00:43:27avec Murray Head, Marie-Christine Barrault,
00:43:30Eva Darlan, Jean Bouys.
00:43:33En 2016, ma chambre était à côté de la tienne à l'hôtel.
00:43:36Je me souviens de tout, de ton regard triste
00:43:39et de ce malaise qui était le tien,
00:43:42de ton chien, un cavalier King Charles qui te suivait partout,
00:43:45des carottes que tu mangeais à la cantine, de ta solitude,
00:43:48des éclats de rire très rares
00:43:51et de la distance avec nous, les enfants du tournage,
00:43:54parce que plus personne ne te considérait comme une enfant.
00:43:57Pourquoi tu ne viens pas manger avec nous le soir au restaurant ?
00:44:00Parce que mon fiancé ne veut pas que je mange avec tout le monde.
00:44:03De cela aussi, je me souviens.
00:44:06Et je me souviens enfin de voir Benoît Jacot te rejoindre les week-ends.
00:44:09J'avais peur de lui.
00:44:12Il était grand, massif, intimidant.
00:44:15Moi, j'avais 14 ans
00:44:18et je croyais que la vraie vie,
00:44:21c'était la tienne.
00:44:24J'étais une enfant très protégée par mes parents.
00:44:27Ils n'étaient pas là, ils travaillaient.
00:44:30Et ils se souviennent aussi très bien de toi,
00:44:33si jolie, si triste et si seule.
00:44:36Je crois que je savais que tu allais un jour tout dire.
00:44:39J'en ai les larmes aux yeux.
00:44:42Bravo et compte sur moi si tu as besoin de reconstituer
00:44:45des bouts de mémoire, je te serre dans mes bras.
00:44:48C'est.
00:44:51Il n'y a pas de demi-folle pour parler comme un directeur de la cinémathèque.
00:44:54Nous nous battons pour le passé, bien sûr,
00:44:57mais aussi pour le futur.
00:45:00Se lever, se casser, c'est un choix.
00:45:03Une jeune femme qui porte le prénom d'Adèle a décidé
00:45:06de laisser derrière elle un sourire qui ne lui appartenait pas.
00:45:09En revenant en France, souriante encore,
00:45:12avec cette légèreté qu'on me connaît,
00:45:15j'ai découvert qu'Adèle était partie.
00:45:18Et je me disais,
00:45:21qu'ont-ils fait à Adèle?
00:45:25Depuis un an, je découvre les règles de cette nouvelle vie.
00:45:28J'essaie de naviguer tant que je peux sans couler.
00:45:31Je souris moins, je pleure bien souvent
00:45:34et je pense à celle qui est partie en disant
00:45:37ne vous justifiez pas de votre inaction.
00:45:42Nous ne pouvons pas laisser la responsabilité aux jeunes d'aujourd'hui
00:45:45de changer le monde, dire ah mais ça s'améliore,
00:45:48ça va dans le bon sens, alors asseyons-nous et regardons
00:45:51pour justifier notre inaction.
00:45:54Les autres vont le faire, mais les autres, c'est nous.
00:45:57C'est à nous de faire évoluer cette société, pour nous toutes et tous aussi.
00:46:01Nous avons notre part, notre rôle à jouer.
00:46:04Serge Toubiana ne peut pas s'abriter derrière le rideau du vieux monde
00:46:07sans laver les mains en disant que c'est du passé
00:46:10puisque sa défection a été une forme de participation active
00:46:13à ce fonctionnement.
00:46:16Ce système écrase les résistantes,
00:46:19certaines restent, d'autres partent pour reprendre une forme humaine.
00:46:22Elles disent d'une même voix
00:46:29regardez l'enfant que j'étais,
00:46:32elle évoluait autour de vos quiches aux poireaux,
00:46:35elle marchait entre les rangs de la cinémathèque,
00:46:38elle dormait dans le lit de votre meilleur ami.
00:46:41Adèle Haenel a résisté comme une actrice en pleine cérémonie des Césars,
00:46:44elle a improvisé et son départ a éclairé d'un coup de projecteur
00:46:47tous ceux qui restent assis.
00:46:50Dans cette lumière que vous me donnez aujourd'hui,
00:46:53je peux vous dire que les forces manquent parfois.
00:46:56Vous le savez, la plupart des personnes victimes de VSS
00:46:59ne veulent pas venir vous parler au grand jour.
00:47:02Je ne vous apprends rien.
00:47:05Certaines petites filles pensent ne plus rien avoir à perdre,
00:47:08elles ont tort, il y a toujours quelque chose à perdre.
00:47:11Nous avons aujourd'hui à gagner à ce que la vérité soit dite.
00:47:14Serge Toubiana avait bien vu que je refusais
00:47:17d'être prisonnière du plan, je le cite,
00:47:20dans les deux sens du terme.
00:47:23Qu'a-t-il fait pour m'y aider ?
00:47:26Que dit-il aujourd'hui ?
00:47:29Que disent ses successeurs à la cinémathèque ?
00:47:32Je cite un bout de son édito dans les cahiers du cinéma
00:47:35qu'il vous a lus hier.
00:47:38Je me souviens qu'elle jouit Juliette, cette jeune fille de 15 ans
00:47:41dans la film de Doyon, elle y était l'objet privilégié
00:47:44du regard du metteur en scène, acteur,
00:47:47Doyon lui-même,
00:47:50mais un objet toujours fuyant,
00:47:53refusant d'être prisonnière du plan.
00:47:56Le mot est ici employé dans les deux sens du terme,
00:47:59le plan établi par le cinéaste.
00:48:02Merci.
00:48:06Merci beaucoup pour votre réponse
00:48:09et votre témoignage.
00:48:12En effet, pour réussir
00:48:15à faire craquer quelque chose dans ce système
00:48:18où l'impunité règne encore
00:48:21et où les victimes peinent à prendre la parole
00:48:24parce qu'elles craignent trop
00:48:27pour leur avenir,
00:48:30il nous faut mettre les personnes qui parlent
00:48:33face à leur responsabilité.
00:48:36Merci d'avoir mis dans un cadre
00:48:39la parole qui a eu lieu hier dans cette commission d'enquête.
00:48:42Je vais laisser M. le rapporteur
00:48:45commencer par une question et ensuite j'enchaînerai.
00:48:53Merci, Mme la Présidente.
00:48:56Merci, Judith Goderich,
00:48:59pour ce moment poignant
00:49:03Excusez-moi.
00:49:18Bon.
00:49:21Il fallait bien que ça arrive à un moment donné.
00:49:24Cette commission d'enquête n'est pas tous les jours facile
00:49:27et je m'en excuse.
00:49:31Par vos mots puissants
00:49:34d'écrire
00:49:37ce que nous constatons
00:49:40depuis un moment dans cette commission d'enquête.
00:49:43C'est cette machine à broyer
00:49:46des jeunes acteurs,
00:49:49des jeunes actrices
00:49:52et qui visiblement
00:49:55et je crois que le témoignage
00:49:58de M. Toubiana hier
00:50:01et c'est ce que nous devons peut-être approfondir
00:50:04avait l'air de rien
00:50:07avoir envie de savoir.
00:50:10C'est ce qui est peut-être
00:50:13le signe d'une autre époque certainement
00:50:16mais le signe de quelque chose
00:50:19que nous ne pouvons plus accepter.
00:50:22Vous venez de parler
00:50:25je reprends vos termes d'adolescence volée
00:50:28et c'est ce qu'il faut qu'on arrive à faire
00:50:31c'est-à-dire que des adolescents ne soient plus volés.
00:50:34L'adolescence est sans doute
00:50:37le moment le plus précieux de la vie
00:50:40le moment où se construit, construit son corps
00:50:49son âme et le reste de sa vie.
00:50:52Donc la question
00:50:55qu'on a envie de vous poser
00:50:58c'est
00:51:01sur ce témoignage d'hier
00:51:04qui visiblement vous a terriblement mis en colère
00:51:07légitimement
00:51:10est-ce qu'il est révélateur
00:51:13d'une autre époque
00:51:16ou est-ce que ce monde
00:51:19cette omerta
00:51:22cette machine à broyer continue ?
00:51:25Est-ce qu'elle est malgré
00:51:28les efforts légitimes
00:51:31les efforts réels
00:51:34du CNC
00:51:37d'un certain nombre d'institutions
00:51:40il y a eu des choses de faites
00:51:43mais est-ce que malgré tout, tout n'est pas en train de continuer ?
00:51:46C'est ça que je voulais vous poser comme question
00:51:49et je m'excuse vraiment pour mon émotion
00:51:52il fallait qu'à un moment donné ça sorte.
00:51:55Peut-être dire un mot de cette émotion
00:51:58c'est que cette commission d'enquête
00:52:01pour les témoignages que nous recevons
00:52:04dans cette commission d'enquête
00:52:07que ce soit de manière publique
00:52:10ou de manière moins publique à huis clos
00:52:13il faut savoir que ça éprouve
00:52:16et que ça dit quelque chose d'une récurrence et d'une peur
00:52:19et moi je trouve que ce qui nous fait atteindre
00:52:22nos limites émotionnelles
00:52:25c'est aussi la peur que nous ressentons
00:52:28à travers les témoignages fébriles
00:52:31et je dois dire que
00:52:34toutes les femmes qui sont venues ici témoigner
00:52:37les enfants notamment je pense au coeur
00:52:40tous tremblaient au moment où ils parlaient
00:52:43toutes, toutes, toutes tremblaient
00:52:46je n'ai pas vu un homme trembler ici
00:52:49de ceux qui tiennent le système
00:52:52je vous remercie, je vous donne la parole
00:53:04Oui, cette audition hier m'a mise en colère
00:53:08d'autant plus que dans le fond
00:53:11une fois que Serge Toubiana a fini
00:53:14grâce à vos interventions
00:53:17à dire une partie de la vérité
00:53:20c'est-à-dire qu'il me connaissait
00:53:23évidemment dans l'intimité
00:53:26et dans l'intimité chez lui
00:53:29notamment dans un cadre de couple
00:53:32ce couple comme on dit
00:53:35que je formais avec Benoît Jacot
00:53:38et celui qu'il formait avec Emmanuel Bernheim
00:53:41il fait référence à Serge Danais
00:53:44un grand, grand critique de cinéma
00:53:47qui écrivait au cahier du cinéma
00:53:50Serge Danais qui était présent
00:53:53au festival de Locarno
00:53:56quand j'avais 15 ans
00:53:59je me suis retrouvée au festival de Locarno
00:54:02avec Melville Poupeau
00:54:05Chantal Poupeau et Benoît Jacot
00:54:08nous étions à une table
00:54:11et Benoît Jacot me servait du vin
00:54:14que je n'avais jamais bu d'alcool
00:54:17et j'ai vomi sur tout le monde
00:54:20notamment sur Serge Danais
00:54:23lors de cette grande réception de clôture
00:54:26et je me suis évanouie
00:54:29de ce cinéma international
00:54:32ça n'a posé de problème à personne
00:54:35personne ne m'en a jamais parlé ensuite
00:54:38sauf Melville Poupeau
00:54:41et cette époque là c'était celle
00:54:44de mes 14 ans, de mes 15 ans
00:54:47de mes 16 ans, de mes 18 ans
00:54:50et c'était celle pendant laquelle
00:54:53j'ai passé beaucoup de temps avec Serge Toubiana
00:54:56et avec Benoît Jacot
00:54:59qui était devenu mon seul environnement
00:55:02hier Serge Toubiana a d'abord menti
00:55:05en disant qu'il ne savait rien
00:55:08de cette relation intime entre une adolescente
00:55:11et un adulte
00:55:14mais il a ensuite menti de nouveau
00:55:17parce que non, quand il disait en 90
00:55:20c'est la sortie de ce journal
00:55:23je connais Serge Toubiana depuis que j'ai 14 ans
00:55:26je l'ai rencontré, c'est un des premières personnes
00:55:29que j'ai rencontré avec Benoît Jacot
00:55:32j'étais donc mineure
00:55:35en créant ce flou artistique
00:55:38on ne sait plus, on ne sait pas
00:55:41avec qui, comment et où
00:55:44il cautionne
00:55:47pourtant personne ne l'agresse
00:55:50il n'envoie pas des lettres de menace
00:55:53personne ne lui écrit des emails en disant
00:55:56qu'il va enlever sa fille
00:55:59mais il ment quand même
00:56:02et ce parallèle entre la parole
00:56:05des personnes qui ont été victimes
00:56:08ou qui sont victimes encore aujourd'hui
00:56:11dans un milieu dans lequel elles veulent
00:56:14continuer de travailler
00:56:17avec les risques qui sont réels
00:56:20c'est-à-dire celui de ne plus jamais travailler
00:56:23ou de ne pas voir ses films
00:56:26ses projets être financés, de voir des portes
00:56:29non pas se fermer mais ne plus jamais s'ouvrir
00:56:32le parallèle entre le manque de courage de cet homme
00:56:35à qui on demande juste de dire
00:56:38ben oui j'étais là mais bon je ne savais pas quoi faire
00:56:41et c'est sûr que je me rends bien compte
00:56:44de la souffrance où j'étais aveuglée
00:56:47mais juste de dire la vérité
00:56:50et cette demande là dans le fond
00:56:53cette absence de geste là
00:56:56nous informe
00:56:59nous informe non pas sur le passé
00:57:02mais sur le présent et sur la raison pour laquelle
00:57:05d'autres après moi ne viendront pas parler
00:57:08la raison pour laquelle des hommes
00:57:11vous l'avez dit si souvent lors de cet entretien
00:57:14de cette audition c'est un homme qui représente tant de choses
00:57:17c'est un homme qui a été à la fois président de la Cinémathèque
00:57:20avant Frédéric Bonneau, à la tête d'Uni-France Films
00:57:23à la tête des cahiers du cinéma
00:57:26c'est une institution à lui tout seul
00:57:29cet homme là vient là près de serment et ment
00:57:32mais au nom de quoi ?
00:57:35il faut séparer le critique de l'homme
00:57:38quelqu'un qui dit en tant qu'homme privé
00:57:41je suis au courant de tout
00:57:44en tant que critique je ne suis au courant de rien
00:57:47sur les tournages, sur notre lieu de travail
00:57:50les gens qui font leur métier sont là
00:57:53en tant que personne privée et en tant que personne qui travaille
00:57:56et dans le cadre de ce travail là
00:57:59eh bien soit ces personnes à qui il arrive quelque chose
00:58:02n'osent pas parler parce qu'il faut qu'elles s'adressent à quelqu'un
00:58:05souvent elles pensent que si elles leur parlent elles ne travailleront plus
00:58:08ou alors elles s'adressent à quelqu'un qui elle-même ou lui-même a peur
00:58:11donc en effet
00:58:14quelle que soit la motivation
00:58:17que ce soit la peur
00:58:20ou le besoin d'écraser la parole de l'autre
00:58:23parce que ça vous remet en question à un endroit de votre vie qui est désagréable
00:58:26nous en sommes toujours au même stade
00:58:29et j'aimerais pouvoir vous dire
00:58:32j'aimerais pouvoir dire autre chose
00:58:35mais non nous en sommes toujours au même stade
00:58:38Monsieur le rapporteur
00:58:41vous venez de parler
00:58:44d'un point qui nous semble être nodal
00:58:47depuis le début de cette commission d'enquête
00:58:50c'est la peur
00:58:53nous avons senti la peur de victimes
00:58:56nous avons effectivement peu senti la peur
00:58:59de certains acteurs très présents
00:59:02dans ce milieu, dans ce secteur
00:59:05la question aujourd'hui c'est comment on fait changer
00:59:08de quand la peur
00:59:11comment les gens qui jusqu'à aujourd'hui
00:59:14travaillaient
00:59:17avec cette manière de faire
00:59:20qui est une manière, moi je le dis, je le constate, violente
00:59:23le huis clos que nous avons fait d'actrices
00:59:26d'actrices célèbres
00:59:29d'actrices qui ont toute une carrière
00:59:32le bilan de leur carrière
00:59:35c'est une carrière de violence
00:59:38de violence parfois sexiste et sexuelle
00:59:41mais aussi souvent de violences
00:59:44qui sont intolérables dans le cadre du travail
00:59:47des mises en péril de leur sécurité
00:59:50pour avoir un bon plan
00:59:53des mises en détresse psychologique
00:59:56en tension pour avoir la bonne scène
00:59:59comment on fait aujourd'hui
01:00:02en plus de tout ce qui a été fait
01:00:05de tout ce qui a été tenté
01:00:08comment on fait pour que la peur change de camp
01:00:11et qu'aujourd'hui les jeunes femmes, les jeunes hommes
01:00:14les comédiens, les comédiennes
01:00:17les comédiens de coeur
01:00:20tous ces gens qui aujourd'hui sont sous un joug
01:00:23puissent témoigner et dire voilà comment ça se passe
01:00:26et cette personne est une personne toxique
01:00:29comment on fait ?
01:00:32je sais que si vous aviez la réponse aussi facilement que ça
01:00:35ça serait simple, mais essayons ensemble de trouver des solutions
01:00:38Madame Godrej
01:00:42Ecoutez
01:00:45vous le savez comme moi
01:00:48quand on doit travailler pour gagner sa vie
01:00:51quand on est intermittent du spectacle
01:00:54on dépend
01:00:57de ceux qui prennent la décision
01:01:00ou pas
01:01:03de ceux qui prennent la décision
01:01:06de ceux qui prennent la décision
01:01:09de ceux qui prennent la décision ou pas de vous employer
01:01:12généralement ces gens là
01:01:15on n'a pas envie de se les mettre à dos
01:01:18quand on est quelqu'un qui a
01:01:21le statut que j'ai aujourd'hui
01:01:24ou par exemple
01:01:27on pourrait imaginer que
01:01:30à cause ou grâce ou à la lumière
01:01:33qui est faite aux projecteurs qui se sont braqués sur moi
01:01:36je me retrouverais aujourd'hui
01:01:39par exemple si je voulais monter un film
01:01:42face à des bras grands ouverts
01:01:45parce que dans le fond
01:01:48en libérant ma parole et en faisant d'une certaine manière
01:01:51en amenant mon grain de sable ou ma pierre à l'édifice
01:01:54on peut imaginer qu'il y a
01:01:57un état d'esprit positif qui ferait que je serais accueillie
01:02:00à bras ouverts ou en tout cas qui n'y est pas
01:02:03en fait à différents endroits
01:02:06que je ne citerai pas et dans différentes circonstances
01:02:09je me rends compte que c'est mort
01:02:12c'est même pas la peine d'essayer
01:02:15alors il serait bien
01:02:22irresponsable de ma part
01:02:27de conseiller ou de pouvoir dire à qui que ce soit
01:02:30qui serait dans ma position
01:02:37qui imagine ou pense pouvoir libérer sa parole
01:02:40ou vous dire des choses au grand jour comme je l'ai fait
01:02:43ou de lui dire vas-y tu n'as rien à craindre
01:02:46ce serait particulièrement égoïste
01:02:49de ma part
01:02:52parce que dans le fond moi
01:02:55j'aimerais bien que tout le monde parle
01:02:59il y a des gens qui ont déjà été accusés d'agression sexuelle
01:03:02mais qui restent pour l'instant qui ne sont pas mis en examen
01:03:05et qui le seraient
01:03:08si d'autres personnes parlaient dont je connais
01:03:11ce que je veux dire c'est qu'évidemment
01:03:14que mon instinct serait de dire à toutes celles et ceux
01:03:17qui n'ont pas parlé il faut y aller
01:03:20avec cette violence que j'ai
01:03:23ou ce manque de tact ou de regard sur l'autre
01:03:26de compétence ou de compassion vis-à-vis de quelqu'un
01:03:29qui ne peut pas libérer sa parole ou qui a peur
01:03:32c'est pas parce que j'ai parlé
01:03:35que ça va être facile pour quelqu'un d'autre
01:03:38ou que son temps à elle ou à lui est le même que le mien
01:03:41Dieu sait que ça m'a pris du temps
01:03:44et beaucoup beaucoup beaucoup de temps
01:03:47et maintenant voilà je me retrouve
01:03:50à évoluer dans ce
01:03:53lieu de travail
01:03:56et dans ce milieu en espérant pouvoir
01:03:59continuer d'y vivre
01:04:02et c'est là et à cet endroit peut-être
01:04:05que je me pose la question de savoir
01:04:08ou plutôt que je comprends tout simplement
01:04:11pourquoi Adèle est partie
01:04:14Elle va revenir Adèle
01:04:17petit message j'espère
01:04:21Moi j'ai une question très
01:04:24très basique j'ai envie de dire c'est que
01:04:27Monsieur Tchoubiana vous nous l'avez dit était
01:04:30président de la Cinémathèque
01:04:33et lui a succédé Frédéric Bonneau dont on a parlé
01:04:36ici dans cette commission en raison du dernier
01:04:39Tango à Paris présenté comme un film
01:04:42hommage à la carrière de Marlon Bando
01:04:45qui est le théâtre d'une scène en direct
01:04:48d'agression sexuelle montrée à l'écran
01:04:51et
01:04:54et en fait l'arrêt de la carrière
01:04:57de Marian Schneider sous nos yeux d'une certaine
01:05:00manière et quel est le lien entre
01:05:03Monsieur Tchoubiana et Monsieur Bonneau c'est-à-dire comment on se succède
01:05:06à la Cinémathèque comment ça se passe très concrètement
01:05:09Je crois que Monsieur Bonneau
01:05:12il y a peut-être eu un moment où ils étaient ensemble
01:05:15à la Cinémathèque en tout cas je ne pourrais pas vous dire exactement
01:05:18mais il a succédé à Monsieur Tchoubiana
01:05:21et je crois qu'il y a eu un moment de voilà
01:05:27alors
01:05:30un jour je présentais il n'y a pas longtemps un court-métrage qui s'appelle
01:05:33Moi aussi sur
01:05:36un court-métrage sur les VSS qui était
01:05:39présenté donc au Festival
01:05:42de Cannes et qui ensuite a fait une espèce d'une petite tournée
01:05:45en France couplée avec des films de réalisateurice
01:05:48et j'étais je présentais ce film
01:05:51et quelqu'un
01:05:54il me dit vous savez
01:05:57je crois qu'on a un ennemi commun
01:06:00je dis ah bon un ennemi commun il me dit oui Frédéric Bonneau vous aime pas trop non
01:06:03je dis ah bon d'accord
01:06:06oui vous avez pas vu sur Facebook
01:06:09la Cinémathèque française a fait un poste pour rendre
01:06:12pour comment dire récapituler
01:06:15rendre hommage ou en tout cas acter
01:06:18l'hommage qu'ils ont rendu plutôt à Sophie Filière
01:06:21Sophie Filière qui était ma grande amie
01:06:24qui est décédée donc Serge Tchoubiana vous en a parlé hier
01:06:27une réalisatrice que j'avais rencontré quand elle était encore
01:06:30étudiante à la FEMIS et qu'elle vivait avec Pascal Bonnitzer
01:06:33qui était donc un des meilleurs amis de Benoît Jacot
01:06:36j'ai passé beaucoup de temps avec Sophie Filière parce qu'elle était dans une tranche d'âge
01:06:39qui était plus proche de la mienne
01:06:42et j'allais souvent chez eux et donc
01:06:45j'ai joué dans un film qu'elle a écrit
01:06:48en pensant à moi qui s'appelle Grande Petite
01:06:51et j'ai été présentée donc ce film à la Cinémathèque
01:06:54je m'étais assurée que Monsieur Bonneau ne serait pas là
01:06:57en effet je n'ai pas envie de croiser ce monsieur dont je connais la
01:07:00promiscuité et la grande amitié avec Benoît Jacot
01:07:03et par ailleurs j'étais très gênée d'un entretien
01:07:06entre lui et Benoît Jacot et
01:07:09Vincent Lindon pour présenter
01:07:12un film qui s'appelle Le Septième Ciel qui était donc
01:07:15présenté à la Cinémathèque. Lors de cet entretien
01:07:18Monsieur Bonneau fait référence à une anecdote que lui a raconté
01:07:21Benoît Jacot. Une anecdote qui dit
01:07:24tu te souviens de cette histoire que tu m'as raconté
01:07:27tu étais à un dîner et ton ami psychanalyste
01:07:30s'est mis pour s'amuser à dire qu'il allait hypnotiser
01:07:33ton amoureuse de l'époque
01:07:36et la faire jouir.
01:07:39Je sais pour le
01:07:42savoir pour l'avoir rencontré
01:07:45avec lui évidemment et comme vous le savez j'imagine
01:07:48à cause de ce documentaire réalisé
01:07:51par Gérard Miller que cet homme dont Benoît Jacot
01:07:54s'est inspiré pour écrire ce film qui s'appelle Le Septième Ciel
01:07:57dans lequel François Berléand met ses mains
01:08:00sous la jupe de Sandrine Kiberlin lors d'une séance d'hypnose
01:08:03que cet homme dont il s'est inspiré
01:08:06c'est Gérard Miller.
01:08:09Il est très malaisant pour moi de
01:08:12me dire qu'un jour sur cette scène de cet endroit
01:08:15la Cinémathèque il y a eu un dialogue entre deux hommes
01:08:18Gognard pour parler
01:08:21d'une source
01:08:24d'inspiration qui serait d'un dîner pendant lequel
01:08:27un psychanalyste s'est amusé à hypnotiser une femme
01:08:30pour lui faire des choses sans son consentement.
01:08:33Quand ma parole s'est libérée
01:08:36alors oui je me suis retrouvée dans un état un peu
01:08:39comme une sorte d'avalanche
01:08:42de raz-de-marée, de haut, de bas, d'émotion
01:08:45et forcément de colère
01:08:48et puis surtout avec un désir
01:08:51peut-être enfantin
01:08:54ou en tout cas la colère d'un enfant c'est sûr
01:08:57de vouloir exposer les choses
01:09:00mais presque avec un entêtement un peu
01:09:03je ne sais pas
01:09:06oui un peu comme ça
01:09:12et j'ai exposé cet entretien
01:09:15je l'ai posté sur Instagram qui est un peu mon
01:09:18mon médium et ma manière de communiquer ou de faire du journalisme
01:09:21j'en sais rien et bon bref tout ça pour dire
01:09:24qu'un jour quelqu'un m'approche récemment et me dit
01:09:27si vous avez un ennemi la personne de Frédéric Bonneau regardez
01:09:30ce post sur Facebook de cet hommage
01:09:33qui a été rendu à Sophie Filière et donc il y avait des photos
01:09:36de toutes les personnes qui sont venues rendre hommage à Sophie
01:09:39en l'occurrence Sandrine Kiberlin
01:09:42plein d'acteurs avec des noms plus ou moins compliqués à écrire
01:09:45et puis c'était un post qui datait de plusieurs jours
01:09:48déjà et les gens avaient déjà mis des remarques en dessous
01:09:51parce qu'ils avaient mis donc Judith Dogg Reich
01:09:54alors c'est sûr que mon nom
01:09:57qui est un nom fabriqué par mes grands-parents
01:10:00enfin francisés puisqu'ils essayaient
01:10:03d'échapper aux nazis pendant la guerre
01:10:06et avaient changé leur nom de Goldreich à Godreich
01:10:09parce qu'ils pensaient que ça faisait français donc je peux croire
01:10:12que c'était étrange mais de là à l'écrire Dogg Reich
01:10:15je ne sais pas ce n'est pas forcément une faute de frappe
01:10:18et ce qui était drôle c'est qu'il y avait des remarques
01:10:21de gens qui disaient vous pourriez rectifier mais ce n'était pas fait
01:10:24j'ai donc écrit à une personne à la cinémathèque en disant
01:10:27ayez-vous la gentillesse j'imagine que ce n'est pas un acte manqué
01:10:30de rectifier d'écrire mon nom comme il s'écrit
01:10:33et c'est là qu'une fois de plus
01:10:36je me suis dit dans le fond
01:10:39plutôt que de se poser des questions
01:10:42de se dire tiens il est vrai qu'à une époque
01:10:45on rigolait en parlant d'un film inspiré par Gérard Miller
01:10:48peut-être qu'aujourd'hui on peut en parler différemment
01:10:51peut-être qu'on peut discuter parler ouvrir un débat
01:10:54mais la réponse à cet espoir
01:10:57ou à cette pensée
01:11:00qu'il est possible de parler
01:11:03et d'évoluer ensemble
01:11:06quel que soit ce qui nous sépare
01:11:09quel que soit ce qui nous a séparés
01:11:12quelles que soient nos alliances celles du passé ou du présent
01:11:15c'est un espoir illusoire parce que chacun reste dans ses marques
01:11:18ne fera pas un pas
01:11:21il n'y a pas une personne
01:11:24une personne de mon passé qui ait un statut établi
01:11:27une place dans la société du cinéma établie
01:11:30donc entre guillemets du pouvoir
01:11:33il n'y a pas une personne de pouvoir
01:11:36qui m'a écrit depuis que j'ai parlé
01:11:39pas une, les seules personnes
01:11:42de ce passé
01:11:45qui m'ont tendu la main
01:11:48sont des personnes
01:11:51qui ont un jour été assistantes
01:11:54d'une agent
01:11:57qui dit qu'elle ne me représentait pas à l'époque
01:12:00des personnes qui sont anonymes
01:12:03qui n'ont pas de pouvoir
01:12:06ou qui n'ont plus rien à perdre
01:12:09qui ne sont plus dans ce milieu
01:12:12mais ce silence-là dit beaucoup
01:12:15il dit aussi peut-être j'ai peur
01:12:18il dit j'ai pas envie de perdre ma place
01:12:21il dit moi aussi je dois slalomer
01:12:24dans ce slalom géant
01:12:27pour essayer de ne pas me prendre un poteau
01:12:30et moi aussi d'être recalée à l'arrière du cortège
01:12:33donc j'entends le silence
01:12:36je le comprends même
01:12:39mais il est un temps, il arrive un moment
01:12:42où je comprends aussi
01:12:45qu'on ne sache plus quoi faire
01:12:48qu'on trépigne et qu'on dise
01:12:51mais non, pas là, pas maintenant
01:12:54et c'est là que oui en effet
01:12:57la colère des demi-folles s'exprime
01:13:00peut-être ce silence est-il aussi
01:13:03un refus du changement de ce monde
01:13:06Madame Legrain
01:13:09oui peut-être
01:13:12commencer par un mot pour vous remercier
01:13:15Judith d'être venue
01:13:18d'être venue à la place de M. Bonneau
01:13:21et d'avoir suivi les différentes convocations
01:13:24parce que je crois qu'il s'est fait porter pâle apparemment
01:13:27on lui souhaite un bon rétablissement
01:13:30parce qu'on a envie de pouvoir l'entendre
01:13:33sur ses choix à la tête de la Cinémathèque
01:13:36c'est important que vous soyez venue aujourd'hui
01:13:39parce que parfois dans cette commission d'enquête
01:13:42on a l'impression un peu d'un dialogue de sourds
01:13:45parce qu'en fait on a des auditions de personnes victimes
01:13:48qui tremblent, qui vivent des témoignages durs
01:13:51on est tous bouleversés je pense
01:13:54chacun à son tour
01:13:57mais on a ces témoignages
01:14:00et puis après on rencontre
01:14:03merci c'est gentil
01:14:06en fait c'est pour les gens qui suivent
01:14:09il y a un paquet de mouchoirs qui circule
01:14:12cette commission est très éprouvante
01:14:15et c'est pas le lieu d'un tribunal
01:14:18c'est pas le lieu d'une confrontation
01:14:21mais on entend et après on essaie d'entendre des personnes
01:14:24qui ont le pouvoir ou qui ont eu un jour le pouvoir
01:14:27d'entendre ce qu'ils nous disent
01:14:30et effectivement il y a un décalage très très fort
01:14:33et en fait le fait que vous reveniez
01:14:36ça permet aussi
01:14:39ce qu'on a essayé de faire hier soir
01:14:42j'attends encore aujourd'hui que vous puissiez dire
01:14:45et c'est là-dessus que j'ai envie de vous interroger
01:14:48j'ai essayé de dire pour le monde du cinéma
01:14:51pour tout un tas de personnes cinéphiles
01:14:54mais aussi surtout pour les victimes
01:14:57votre parole c'est pas la parole pour nous expliquer à l'époque
01:15:00c'est maintenant que vous voyez ça
01:15:03maintenant que vous êtes déciés
01:15:06qu'est-ce que vous faites ?
01:15:10Je retiens ce que vous avez dit
01:15:13sur si les artistes et les auteurs
01:15:16les artistes et les hommes sont à séparer
01:15:19pourquoi les critiques passent-ils du temps avec les hommes
01:15:22et pourquoi est-ce qu'ils les voient en dehors
01:15:25et bien aussi pourquoi est-ce qu'ils signent des tribunes
01:15:28sans doute pour soutenir des hommes et pour soutenir des amis
01:15:31et du coup la question que j'ai envie de vous poser c'est
01:15:34puisqu'on a l'impression que c'est très difficile
01:15:38si vous vous étiez à la tête aujourd'hui de la cinémathèque
01:15:41cette institution incroyable
01:15:44qu'est-ce qu'on voudrait en fait
01:15:47qu'est-ce qu'on voudrait comme initiative
01:15:50qui permette de prendre avant le corps la question
01:15:53et aussi de parler du lien entre les oeuvres
01:15:56et les violences auxquelles elles peuvent être liées
01:15:59de parler de comment est-ce qu'on libère aussi
01:16:02le cinéma de la culture du viol
01:16:06cette question un peu spécifique
01:16:09en fait là on a rencontré ce qui représente le cinéma
01:16:12et ça fait peur pour l'avenir du cinéma aussi
01:16:15mais on a besoin aussi que le cinéma se libère de la culture du viol
01:16:18à la fois pour toutes les victimes mais aussi pour la suite de cet art
01:16:21et vous vous êtes aussi une artiste
01:16:24et qu'est-ce que vous préconiseriez
01:16:27qu'est-ce qu'on peut répondre à ceux qui sans doute comme monsieur Bonneau
01:16:30nous diront mais enfin c'est la liberté de programmation
01:16:34les monstres sacrés
01:16:37est-ce que c'est possible de prendre une question
01:16:40j'ai un cerveau un peu
01:16:49lorsque quelqu'un m'a écrit
01:16:52pour me dire que le dernier tango à Paris
01:16:55était programmé à la cinémathèque
01:16:58en invoquant
01:17:02mon aide
01:17:05tout simplement en me disant est-ce que vous étiez au courant
01:17:13mon point de vue sur monsieur Frédéric Bonneau
01:17:16c'est que c'est de la provocation
01:17:19à cet endroit là
01:17:25de la ligne de son discours en règle générale
01:17:29à lui et à son programmateur monsieur Roger
01:17:32pour moi il est clair que c'est de la provocation
01:17:35puisque à chaque endroit
01:17:38de l'histoire du cinéma
01:17:41ou quand des personnes ont été mis en cause
01:17:44ils se sont toujours positionnés
01:17:47du côté de l'auteur
01:17:50en l'occurrence
01:17:53accusé de violences sexuelles
01:17:56et sexistes
01:17:59toujours
01:18:02quand
01:18:05je pensais beaucoup à vous monsieur Balanant
01:18:08parce que je sais que vous avez beaucoup et souvent parlé du droit du travail
01:18:11et notamment avec
01:18:14il me semble le groupe Respect
01:18:17c'est quelque chose qui revient souvent
01:18:20et j'ai presque appris à penser au droit du travail
01:18:23comme un truc quoi qu'il existe dans ce milieu là
01:18:26et c'est là que ma pensée est allée
01:18:29je me suis dit
01:18:32on imagine, on est à l'époque de ce tournage
01:18:35il y a une actrice de 19 ans, mineure à l'époque
01:18:38qui arrive le matin et on lui n'a pas dit
01:18:41on a décidé sans elle
01:18:44avant qu'elle arrive deux hommes assis par terre sur la moquette
01:18:47en train de manger du pain beurré
01:18:50en fait il n'y a pas que les tartines qu'on pourrait tartiner
01:18:53et il décide
01:18:56il invente une scène
01:18:59sans parler à cette jeune actrice
01:19:02qui arrive et qui donc vit en direct
01:19:05cette mise en scène devient une mise en scène
01:19:08de sa vie avec son corps
01:19:11qui n'est plus celui du corps d'une actrice
01:19:14elle n'est pas en train de faire son travail
01:19:17je pensais à vous parce que je pensais à vous
01:19:20parce que je me disais mais qu'aurait dit Erwan Balanant à l'époque
01:19:23si on lui avait dit
01:19:30il y a aujourd'hui dans un appartement
01:19:33de tel arrondissement sur un lieu de tournage
01:19:36avec une grande star du cinéma américain
01:19:39et un grand réalisateur italien
01:19:42une jeune femme qui comme le dit ce réalisateur
01:19:45découverte voulait vraiment faire du cinéma
01:19:48il sous-entend même qu'elle n'était pas très intelligente
01:19:51qu'elle n'avait pas lu beaucoup de livres
01:19:54mais qu'elle avait une intelligence instinctive
01:19:57et donc cette jeune femme
01:20:00se retrouve dans une situation
01:20:03sur son lieu de travail
01:20:06doit faire un travail qui ne fait pas partie de son travail
01:20:09donc pour moi ça s'appelle
01:20:12un travail c'est illégal
01:20:15cette scène n'est pas dans le scénario
01:20:18elle n'existe nulle part elle n'a pas le choix
01:20:21et pourtant
01:20:24quand un débat est lancé
01:20:27ou que des personnes prennent la parole
01:20:30pour dire comment pouvez-vous projeter ce film hors contextualisation
01:20:33sans rien dire
01:20:36contrairement à New York en ce moment au forum
01:20:39il y a également un hommage rendu
01:20:42à Marlène Brandeau
01:20:45ce film est également projeté avec une page entière de contextualisation
01:20:48d'extraits de l'entretien
01:20:51de Bernardo Bertolucci
01:20:54d'extraits de ce que dit Maria Schneider
01:20:57en plus de ça ils vous disent qu'il faut que vous fassiez vos mêmes recherches
01:21:00enfin vraiment
01:21:03Frédéric Bonneau décide de ne rien faire de tout ça
01:21:06pour lui le travail de viol et d'agression sexuelle c'est sulfureux
01:21:09pour lui le viol c'est sulfureux
01:21:12dans le programme
01:21:15moi ce que je me dis à ce moment là
01:21:18ne parlons même pas de l'endroit d'où nous venons
01:21:21d'où nous parlons, qui je suis moi Judith Godrech la demi-folle
01:21:24qui nous sommes, qui est la journaliste
01:21:27qui a écrit un livre qui s'appelle
01:21:30Désirer la violence, qui est Vanessa Schneider
01:21:34toutes ces femmes qui prennent la parole
01:21:37nous ne devrions même pas
01:21:40avoir besoin de prendre la parole
01:21:43il y a une scène illégale qui fait partie d'un film
01:21:46la personne à l'époque mineure n'a pas pu
01:21:49eu le courage même penser à porter plainte
01:21:52ses ayants droits
01:21:55et je ne sais pas qui ils sont ou si elle en a, n'ont pas porté plainte
01:21:58non plus, il est probablement trop tard et c'est prescrit
01:22:01mais elle l'a dit
01:22:04tout le monde l'a dit, le réalisateur l'a dit
01:22:07l'acteur principal l'a dit, s'est fâché avec Bertolucci ensuite
01:22:10pendant 10 ans, cette scène est illégale
01:22:13et bien on la retire du film et on projette le film
01:22:16c'est-à-dire pourquoi est-ce que la question ne se pose même pas
01:22:19il y a un moment filmé où une personne
01:22:22contre son gré vit des choses qu'elle ne veut pas vivre
01:22:25notamment du beurre entre les fesses
01:22:28c'est illégal, ça n'est pas partie du tournage
01:22:31ce n'est pas dans le contrat, on l'enlève du film
01:22:34mais c'est drôle, pourquoi rentrer dans un débat dans le fond
01:22:37pour moi, je pense au droit du travail
01:22:40c'est illégal
01:22:43on est au-delà du droit du travail
01:22:46au niveau du pénal et ce n'est pas une agression sexuelle
01:22:49c'est un viol
01:22:52voilà
01:22:55Pour continuer sur ce sujet
01:22:58il y a un diffuseur
01:23:01qui a récemment appelé mon agent
01:23:04spontanément
01:23:07pour demander
01:23:10si je souhaitais que la fille de 15 ans
01:23:13de Jacques Doyon soit retirée
01:23:16ne soit plus accessible
01:23:19à cause des scènes
01:23:22durant lesquelles Jacques Doyon
01:23:25qui joue le rôle principal
01:23:28a viré l'acteur principal
01:23:31pour prendre le rôle
01:23:34et se retrouve acteur principal de ce film
01:23:37étant donné qu'à l'écran
01:23:40des scènes dans lesquelles
01:23:43je suis torse nue
01:23:46dans lesquelles
01:23:50il me plot
01:23:53il me roule des pelles
01:23:56donc un diffuseur a appelé mon agent
01:23:59en me disant
01:24:02Judith Godret je voudrais qu'on retire
01:24:05et ma réponse fut non
01:24:12contrairement à Maria Schneider
01:24:15qui dans cette interview d'elle
01:24:18quand on lui demande
01:24:21si on peut passer un extrait
01:24:24du dernier tango à Paris
01:24:27pour appuyer son propos
01:24:30qui était qu'elle venait de dire
01:24:33que c'est un métier qui détruit
01:24:36un métier extrêmement violent
01:24:39et qu'elle ne le conseillerait
01:24:42à aucune jeune personne
01:24:46il est important de voir Jacques Doyon
01:24:49décider en tant que réalisateur
01:24:52acteur qui va devoir me rouler des pelles
01:24:55il est important que ça soit vu
01:24:58moi je n'ai pas envie de le voir
01:25:01mais c'est ma seule preuve
01:25:04j'en ai d'autres mais je suis prescrite
01:25:07donc je ne pourrai jamais les
01:25:10comment dire
01:25:13je trouve qu'il est impossible
01:25:16de regarder ce film sans comprendre
01:25:19et donc contrairement
01:25:22à Maria Schneider
01:25:25moi je dirais oui regardez ce film
01:25:28comme ça vous saurez
01:25:31c'est à dire qu'il y a un endroit
01:25:34où on est dans un système patriarcal
01:25:37avec des mecs qui se serrent les coudes
01:25:40c'est des mecs
01:25:43et qui à un moment donné
01:25:46pour survivre pour continuer d'exister
01:25:49de vivre et de s'exprimer
01:25:52parce que l'expression artistique
01:25:55c'est aussi la survie
01:25:58et grâce à ce qu'on arrive à exprimer
01:26:01justement vous parlez d'émotion
01:26:04de sensibilité si on nous prive de ça
01:26:07je préfère toquer à la porte de quelqu'un
01:26:10qui soutient mes agresseurs
01:26:13pour lui demander du travail
01:26:16ou de me soutenir pour mon film
01:26:19ou de m'engager ou est-ce que je ne préfère
01:26:22ne plus m'exprimer, ne plus gagner ma vie
01:26:25ne plus incarner de personnages à l'écran
01:26:28parce qu'il est vrai également
01:26:31que c'est notre travail

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