Le 5 décembre, la commission des affaires économiques et la délégation aux entreprises du Sénat auditionnaient Enrico Letta, ancien président du Conseil des ministres italien et président de l’Institut Jacques Delors, sur son rapport sur l’avenir du marché intérieur européen. Lors de l’audition, Enrico Letta a insisté sur le besoin d’une meilleure intégration européenne notamment dans le domaine des télécoms, de la finance, de l’énergie, de l’industrie mais aussi de la défense. Pour lui, l’Europe se doit d’être plus unie dans ces domaines si elle veut pouvoir faire face à la concurrence chinoise et américaine. Revivez ces échanges. Année de Production :
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00:00Bonjour à toutes et à tous. Bienvenue dans 100% Sénat. Comment faire pour éviter que l'Europe décroche face aux États-Unis ?
00:17C'est la question que se pose le Sénat en recevant Enrico Letta, l'ancien Premier ministre italien. En avril, il a rendu un rapport sur le sujet.
00:26Il propose notamment d'unir les marchés des capitaux européens. Écoutez.
00:30Madame la présidente de la Commission des affaires économiques, cher Dominique Estrosi-Sassone, monsieur le président de la délégation aux entreprises,
00:40cher Olivier Rittmann, monsieur le président du Conseil, mes chers collègues, nous avons le plaisir d'accueillir ce matin
00:48monsieur Enrico Letta, ancien président du Conseil italien, aujourd'hui membre de la Chambre des députés d'Italie,
00:56où il siège au sein de la Commission en charge des politiques de l'Union européenne.
01:01Monsieur Letta est également le président de l'Institut Jacques Delors, think tank influent sur la scène européenne.
01:08Monsieur le président du Conseil, vous avez remis au Conseil européen, lors de sa dernière réunion extraordinaire du 17 et du 18 avril dernier,
01:16un rapport que les chefs d'État ou de gouvernement vous avaient commandé sur l'avenir du marché intérieur, le fameux rapport Letta.
01:24Ce rapport, dont le titre peut se traduire en français par « bien plus qu'un marché », a vocation à inspirer la nouvelle Commission européenne,
01:32au même titre que les rapports rendus ensuite par messieurs Mario Draghi et Solly Ninisto.
01:40Vous analysez en profondeur l'un des éléments fondateurs et centraux de la construction de l'Union européenne,
01:46qui est aussi l'un de ses atouts essentiels, le marché unique.
01:51Vous relevez qu'il reste une pierre angulaire de l'intégration et des valeurs européennes,
01:54mais vous soulignez le profond changement de contexte intervenu ces dernières années.
01:59Hier en Ukraine, avancées technologiques rapides qui sont au cœur des transitions numériques et écologiques,
02:04accroissement de la compétition économique mondiale dans un monde qui se fragmente, y compris sur le plan commercial,
02:11et j'ajouterai les défis politiques d'aujourd'hui suite à ce qui s'est passé en France hier soir.
02:17Autant de ruptures qui, selon vous, nous imposent de développer un nouveau marché unique inscrit dans le monde d'aujourd'hui,
02:23pour éviter que l'Europe ne décroche, qu'elle soit durablement dépendante d'État tiers pour ses technologies et son innovation.
02:31L'enjeu est majeur.
02:33Pour faire face à cette situation, vous avancez des propositions fortes.
02:37Disons-le franchement, toutes ne vont pas de soi pour les parlementaires nationaux, en tout cas pour nous, sénateurs français,
02:43d'où l'importance de l'échange que nous avons ce matin.
02:46Je voudrais pour ma part relever quelques points, en commençant par la méthode législative.
02:51Vous mettez en évidence la fragmentation du marché unique qui résulte d'une réglementation excessive
02:56et du cloisonnement qui préside à la mise en œuvre nationale et régionale de cette réglementation.
03:02Vous prenez dès lors la redécouverte, en quelque sorte, de la méthode de l'or d'harmonisation maximale couplée à la reconnaissance mutuelle,
03:10pleinement consacrée par les arrêts de la Cour européenne de justice.
03:15Vous marquez à ce titre clairement votre préférence pour les règlements.
03:18Élément simple, efficace et non équivoque d'harmonisation.
03:23Vous souhaitez même encadrer les directives lorsque celles-ci restent nécessaires,
03:27en limitant alors leur déclinaison à deux choix de clés pour garantir leur mise en œuvre effective.
03:37Monsieur le Président du Conseil, je veux vous assurer que nous veillons au Sénat français au respect du principe de subsidiarité
03:44dont vous soulignez l'importance, mais qui n'est pas évident pour les institutions européennes.
03:49À ce titre, nous sommes réservés sur le recours systématique aux règlements qui privent les parlements nationaux de toute marge de manœuvre.
03:57Nous en avons eu un exemple récent avec la proposition de règlement sur les délais de paiement en substitution d'une directive.
04:04Les transpositions nationales rendent peut-être le cadre juridique plus complexe pour les entreprises,
04:10et le cadre actuel étant l'espèce certainement perfectible.
04:14Mais il présente aussi le mérite d'être bien plus adapté aux réalités économiques des secteurs concernés
04:20que le cadre uniforme et sans aucune exception proposé par la Commission européenne.
04:26Il me semble par ailleurs que cette réflexion devrait s'accompagner d'une part d'une réflexion sur le rôle et la place des parlements nationaux
04:33dans la procédure législative européenne, et d'autre part d'une remise à l'honneur de l'accord interinstitutionnel mieux légiféré,
04:41les études d'impact réalisées par la Commission européenne étant trop souvent bâclées, voire dans certains cas inexistantes.
04:49En tout cas, nous avons toujours du mal à nous les procurer.
04:52Vous recommandez également de privilégier systématiquement l'utilisation de la base juridique qui fonde le marché unique,
04:58notamment l'article 114 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.
05:03Cette base juridique nous semble déjà largement utilisée par la Commission européenne de manière parfois très extensive,
05:10voire trop extensive, au regard d'autres articles des traités.
05:14En disant cela, je pense notamment au secteur de l'industrie de la défense et à la volonté de la Commission européenne
05:19de créer un véritable marché unique des produits et services de défense.
05:24Nous avons examiné la proposition de règlement sur le programme pour l'industrie européenne de la défense, EDIP,
05:30et nous avons formulé des remarques sur ce point, car nous considérons que les produits de défense ne sont pas des produits comme les autres,
05:37dans la mesure où ils soulèvent des enjeux particuliers de souveraineté.
05:41Sur l'ensemble de ces sujets d'élaboration des normes européennes, notre Commission a adopté un rapport hier
05:53que je lui ai présenté avec deux de mes collègues qui en sont vice-présidents et qui appellent l'Union européenne
05:58à améliorer son processus législatif pour mieux tenir compte de la diversité nationale et des réalités de terrain.
06:06J'évoquerai un dernier point avant de passer la parole à mes collègues.
06:10Vous soulignez à juste titre la nécessité de stimuler l'innovation et plaider pour une cinquième liberté dans le cadre du marché unique
06:18afin de renforcer la recherche, l'innovation et l'éducation pour en faire des moteurs d'intégration du marché unique.
06:25Nous serions intéressés que vous précisiez votre pensée et la manière dont cette cinquième liberté pourrait être mise en œuvre.
06:32Je souhaiterais également que vous puissiez évoquer l'enjeu de l'intégration financière au sein du marché unique
06:37et plus largement celui du financement de l'innovation en Europe.
06:41Alors que la Commission européenne travaille déjà à l'élaboration du prochain cadre financier pluriannuel,
06:46avez-vous des recommandations à faire en ce domaine ?
06:49Je cède désormais la parole à la collègue Dominique Estrosi-Sassone.
06:54Merci beaucoup, M. le Président Rappin, pour ces premiers mots d'introduction.
06:59Cher Olivier Rittmann, président de la Délégation aux entreprises, M. le Président du Conseil, cher André Coletta,
07:06chers collègues, c'est un très grand plaisir de vous accueillir ici aujourd'hui dans cette salle Clémenceau du Sénat,
07:15devant nos deux commissions, la Commission des affaires européennes et la Commission des affaires économiques,
07:20et devant la Délégation aux entreprises.
07:22En tant que sénatrice des Alpes-Maritimes, permettez-moi de vous dire combien, pour nous,
07:28les relations franco-italiennes sont particulièrement importantes et précieuses.
07:33Et en tant que présidente de la Commission des affaires économiques du Sénat,
07:36je mesure combien le marché intérieur est le socle de la prospérité européenne.
07:42M. l'État, votre contribution récente sur le renforcement du marché intérieur
07:47s'inscrit dans un contexte préoccupant de décrochage de l'Europe par rapport aux économies chinoises et américaines.
07:56Le rapport de votre compatriote Mario Draghi, publié peu de temps après le vote,
08:02confirme ce diagnostic.
08:04Vous pointez notamment la fragmentation réglementaire et fiscale du marché intérieur
08:10comme une cause structurelle de cette torpeur, par contraste avec les États-Unis,
08:17qui capitalisent sur leur capacité d'innovation et leur prise de risque.
08:22Je souhaiterais m'arrêter sur deux de vos propositions pour remédier à cette fragmentation.
08:29Premièrement, vous soulignez que les Européens épargnent 33 000 milliards d'euros chaque année,
08:37mais que ces capitaux, insuffisamment mobilisés, sont investis ailleurs,
08:43notamment 300 milliards d'euros dans les entreprises américaines.
08:47Vous proposez donc la création d'une union de l'épargne et des investissements
08:53pour parachever le projet ancien d'union des marchés de capitaux.
08:59A cet égard, que pensez-vous des initiatives nationales telles qu'en France le Livret Industrie,
09:06le Plan Épargne Avenir Climat ou encore les projets de mobilisation des dépôts du Livret A
09:13pour financer l'agriculture ou la défense ?
09:17Ces outils, bien qu'éclatés, viennent répondre à un besoin de financement bien identifié pour certains secteurs
09:26et notamment nos TPE et nos PME qui constituent l'essentiel de notre tissu économique.
09:33Qu'est-ce que cette multiplication d'outils nationaux d'épargne réglementée vous inspire ?
09:39Cette question du financement de notre économie peut-elle être davantage intégrée au niveau européen à brève échéance ?
09:47Plutôt que de miser rapport après rapport sur un essor du financement des intermédiaires par le marché
09:55sur le modèle des États-Unis, ne faudrait-il pas davantage faire avec ce que l'on a
10:01et s'appuyer sur nos banques dont le maillage territorial est un véritable atout ?
10:08Deuxièmement, vous insistez sur l'articulation entre politique de concurrence et politique industrielle
10:16alors que dans les télécoms, dans l'énergie et les marchés financiers,
10:21le marché pertinent est européen et non pas national et non plus national.
10:27Vous défendez les PIEC, les projets importants d'intérêt européen commun qui permettent depuis 2018
10:35de déroger aux règles de concurrence pour investir dans des technologies stratégiques.
10:42C'est un outil que la Commission des affaires économiques avait salué d'ailleurs
10:46et appelé à mobiliser dans son rapport transpartisan que nous avons rendu en 2022
10:52intitulé « 5 plans pour la souveraineté économique ».
10:56Cependant, vous proposez également de taxer les aides d'État à hauteur de 10%
11:03pour financer des initiatives pan-européennes afin de limiter les distorsions de concurrence.
11:11Si cela peut se justifier au regard de l'objectif d'une souveraineté à l'échelle européenne,
11:17ne risque-t-elle pas en pratique de freiner les soutiens nationaux à nos entreprises
11:23déjà sous pression face à l'Inflation Reduction Act américain ou face aux subventions d'États chinoises ?
11:31Alors que les règles ont été assouplies et les plafonds de minimi relevés face au Covid-19 et à la guerre en Ukraine,
11:39il ne faudrait pas aller à l'encontre de ce retour en grâce des politiques industrielles
11:45qui est quand même un acquis majeur de ces dernières années.
11:49Enfin, Monsieur l'État, permettez-moi une question plus générale.
11:52Vous rappelez que 80% de notre législation découle désormais de décisions adoptées à Bruxelles ou à Strasbourg.
12:03C'est du reste l'un des signes que l'intégration européenne est bel et bien une réalité
12:09malgré son relatif inachèvement.
12:12Et dans ce contexte, les législations nationales sont plus souvent vues à Bruxelles
12:18comme des obstacles à la libre circulation que comme des atouts,
12:23non sans susciter d'ailleurs un mécontentement politique de plus en plus manifeste à l'encontre de l'Europe.
12:31Dès lors, quelle marge de manœuvre nous reste-t-il en tant que parlementaires nationaux
12:37pour légiférer sans surtransposer et sans mettre en péril la compétitivité de nos économies ?
12:45Autrement dit, et vous me pardonnerez de reformuler ma question avec cette pointe de malice,
12:51le véritable achèvement du marché intérieur que vous appelez de vos voeux
12:56pourra-t-il advenir tant que les parlementaires nationaux existent et continuent de légiférer ?
13:04Voilà, M. l'État, votre expertise nourrie par votre expérience tant politique qu'académique
13:11sera particulièrement précieuse ce matin pour éclairer nos débats.
13:16Merci encore sincèrement pour votre présence
13:19et je cède sans plus tarder la parole au président de la délégation aux entreprises.
13:27Merci Madame la présidente de la commission des affaires économiques.
13:31Cher Dominique, merci cher Jean-François Rappin, président de la commission des affaires européennes,
13:36M. le président du conseil, très heureux de vous recevoir aujourd'hui au Sénat.
13:41Mes chers collègues, votre rapport, M. le président, et nos travaux à la délégation des entreprises
13:47convergent pour souligner l'impact de la charge réglementaire sur les entreprises.
13:53Nous connaissons bien la formule « les États-Unis innovent, la Chine réplique, l'Europe régule ».
14:01L'économie européenne est sous-performante, notamment en raison de sa réglementation excessive.
14:07Les régulateurs américains réagissent lorsqu'il existe des preuves de problèmes préjudiciables pour les entreprises,
14:13tandis que les régulateurs européens interviennent en amont des possibles difficultés,
14:19dans l'hypothèse de leurs potentielles réalisations.
14:22Ce principe de précaution peut étouffer l'innovation.
14:26Votre rapport plaide en faveur d'une simplification des réglementations existantes.
14:32Mais il faut s'attaquer à la manière d'écrire la norme.
14:35Le Code européen du droit des affaires que vous proposez risque de ne pas suffire.
14:40Je parle en tant que législateur d'un pays qui possède 77 codes,
14:45mais pas un seul consacré spécifiquement à l'entreprise.
14:49Je considère également que le numérique masque souvent l'abandon de la volonté de simplifier.
14:54Proposer une plateforme aux entreprises équivaut souvent à leur transférer la charge de gérer la complexité administrative.
15:02Les conclusions du Conseil européen du 24 mai dernier évoquent un choc de simplification
15:07que nous avons connu en 2014, mais qui n'a pas été pérennisé.
15:11La promotion du principe « penser en priorité » au PME,
15:15des études d'impact de qualité et le retour au test PME.
15:20J'ai proposé de transposer ces deux derniers outils de décision pour le Parlement français,
15:25qui ne disposent ni d'études pour l'impact de la norme sur les entreprises,
15:29ni de tests PME permettant de confirmer la faisabilité ou de chiffrer le coût
15:35pour cette catégorie d'entreprises, mais aussi pour les entreprises de taille intermédiaire d'une norme nouvelle.
15:41Le Sénat a adopté une proposition de loi dans ce sens le 26 mars
15:44et l'a intégrée dans le projet de loi simplification de la vie des entreprises,
15:48dont on espère bien sûr vivement la reprise à l'Assemblée nationale dès que possible.
15:54Ursula von der Leyen a suivi les recommandations du rapport Draghi,
15:58en nommant un commissaire européen qui, en plus d'avoir comme portefeuille l'économie et la productivité,
16:04est également en charge de la mise en œuvre et surtout de la simplification.
16:08Le rapport Draghi prône une simplification d'un vaste ensemble de réglementations,
16:13que ce soit le devoir de vigilance des entreprises, la récente taxonomie verte,
16:17le reporting extra-financier sur la durabilité environnementale des entreprises
16:21et les obligations de transparence dans la finance dite durable,
16:25ou encore la législation européenne sur la gestion des déchets et les règlements sur les produits chimiques, dits « rich ».
16:33Elles sont nécessaires à la transition écologique, mais trop lourdes pour les entreprises.
16:38Nous avons auditionné récemment les entreprises de taille intermédiaire
16:42qui ont chiffré un coût moyen de la directive CSRD à 200 000 euros,
16:47soit un total pour les 5 400 ETI françaises d'un milliard d'euros.
16:52Quel est donc, selon vous, le point d'équilibre à trouver pour alléger cette sarge
16:58et l'outil le plus efficace pour prévenir une réglementation excessive
17:02susceptible de brider la compétitivité des entreprises européennes ?
17:07Merci, Monsieur le Président.
17:09Monsieur le Président, allez-y.
17:11Merci beaucoup, merci de cette invitation.
17:15Puis-je demander seulement le timing de notre réunion ?
17:18Combien dois-je parler et quel est le temps de parole pour l'échange ?
17:23Si vous pouviez faire un propos général d'un quart d'heure à peu près,
17:28et puis à partir de là, nos collègues pourront poser des questions.
17:32D'ailleurs, vous pouvez déjà vous inscrire auprès de nos services.
17:36Madame la Présidente, Messieurs les Présidents, Mesdames et Messieurs les Sénateurs et les Sénatrices,
17:41je suis vraiment honoré d'être parmi vous et de présenter les idées principales du rapport
17:50et grâce à vos premières interventions à commencer à éclaircir quels sont les points centraux
18:00et quels sont les points sur lesquels surtout ce rapport peut devenir non pas un exercice rhétorique
18:08ou un exercice de débat politique, mais quelque chose de concret et de sérieux dans cette législature
18:14qui est une législature européenne très complexe, très compliquée,
18:18mais sur laquelle je peux vous dire que si j'étais venu ici au mois de mai,
18:24tout de suite après la présentation de rapport, je vous aurais parlé de façon différente de celle que je vous parle aujourd'hui,
18:31parce qu'aujourd'hui, je vous parle avec le fait que soit la Commission, soit le Conseil européen ont pris les deux rapports,
18:43mon rapport, le rapport de Monsieur Draghi, comme points centraux du programme de la Commission et le Conseil.
18:50Dans le Conseil de Boudapest, il y a deux semaines, dans la déclaration de Boudapest, a pris les deux points centraux du rapport
19:00et les a adoptés à l'unanimité. La même chose, la présidente de la Commission qui dans les feuilles de route,
19:07dans la feuille de mission qu'elle a donnée au commissaire, au plus important commissaire dont le vice-président français,
19:15elle a identifié quelques-uns des points centraux du rapport et donc, ce dont je vous parle aujourd'hui n'est pas un exercice académique ou rhétorique,
19:25mais c'est quelque chose qui est en train de devenir le programme, soit de la Commission, soit du Conseil dans les prochaines cinq années.
19:32Et donc, je veux être très concret parmi vous et répondre premièrement aux questions que vous avez posées,
19:39en commençant par contre, par l'encadrement général de pourquoi ce rapport ?
19:46Le rapport a un cœur central. Le cœur central est la comparaison entre le marché unique d'aujourd'hui et le marché unique du moment où tout a commencé.
20:00Tout a commencé dans les années 80, comme vous savez mieux que moi. Jacques Delors, président de la Commission européenne de 85 à 95,
20:09de 85 à 92, la naissance du marché unique. Et ce marché unique naît dans un monde qui est totalement différent du monde d'aujourd'hui.
20:21Je pars par là, parce que sinon, tous nos discours seraient probablement biaisés. C'est-à-dire que je vous dis exactement ce que je dis dans mon propre pays.
20:34La France, à l'époque, était économiquement importante comme la Chine et l'Inde ensemble.
20:45Aujourd'hui, la Chine et l'Inde ensemble sont le 25% de l'économie mondiale, dix fois ce que la France toute seule ou l'Italie toute seule sont.
20:57Donc, ce qui s'est passé dans les dernières 40 années a changé complètement la donne de la compétitivité dans les secteurs clés du marché unique.
21:08En deux mots, ceux qui étaient il y a 40 ans compétitifs à l'échelle mondiale, parce qu'on était au niveau de la Chine et de l'Inde, chacun tout seul,
21:19aujourd'hui, on ne peut qu'être compétitif que si on est tous ensemble. L'exemple le meilleur est l'exemple de l'industrie aéronautique.
21:30Airbus, évidemment, gagne avec Boeing parce qu'il y a un Airbus. S'il y avait 27 Airbus, ce serait Boeing qui gagnerait.
21:41Ce petit exemple est l'exemple que je mets sur la table parce que le raisonnement que je propose dans le rapport part du fait que
21:52le marché unique n'est en vérité un véritable marché unique que dans quelques secteurs. Et ça, je pense, c'est le point central de ma réflexion que je voudrais partager avec vous
22:05et qui fait partie aussi du travail que je suis en train de faire de diffusion du rapport d'un livre que je viens d'écrire et publié en France par Odile Jacob
22:17et exactement sur l'expérience du rapport et sur la synthèse du rapport. Parce qu'en vérité, sur beaucoup de secteurs du marché unique,
22:26on parle toujours de trois grands blocs dans le monde, vous en avez parlé aussi, Chine, Etats-Unis, Europe. En vérité, dans beaucoup de secteurs, l'Europe n'est qu'une expression géographique,
22:39mais pas une expression économique. Je vous pose simplement les trois plus un sujets que j'ai mis au centre de ma réflexion, qui sont les...
22:49Vous verrez tout de suite pourquoi trois plus un. Les télécoms, les services financiers, l'énergie, c'est les trois, plus un, la défense dont vous avez parlé.
23:02Pourquoi je les sépare ? Pour une raison très simple. Les trois font partie du marché unique, par définition, donc ils ont une couverture constitutionnelle claire.
23:12C'est l'article 26 et les autres du traité. La défense, non. C'est-à-dire la défense est sur le domaine plutôt national, mais la défense a commencé après,
23:25évidemment, le 24 février 1922, à entrer dans une différente configuration. Donc on parle aujourd'hui de mettre ensemble la défense pour des raisons très simples dont je vous parlerai.
23:39Dans ces trois plus un, on n'est pas un, on est 27. Alors je pars par là parce que sinon toute sorte de compréhension de pourquoi ce rapport et qu'est-ce que je propose n'est absolument pas compréhensible.
23:55On n'est pas un, on est 27. Les entreprises qui travaillent dans ces trois domaines, plus un, n'ont pas à traiter avec des régulateurs européens.
24:08Elles ont toutes à traiter avec des régulateurs nationaux. L'autorité des marchés financiers en France, l'autorité des télécoms et évidemment l'autorité de l'énergie.
24:20Il n'y a pas d'autorité de régulation, de surveillance européenne pour ça. Il n'y a pas de Banque centrale de Francfort.
24:27Ce qu'est le rôle de la Banque de Francfort pour le secteur bancaire n'est pas ça dans les autres trois secteurs.
24:36Quelles sont les conséquences de tout ça ? Et je voudrais vraiment vous mettre en avance deux éléments de méthode pour lesquels je parle à tout le spectre politique ici.
24:50Les deux éléments de méthode sont la première, la méthode que j'ai employée pour rédiger ce rapport,
24:57qui m'est venue d'une heureuse chance que j'ai eue de pouvoir parler avec Jacques Delors trois mois avant son décès, au mois de septembre de l'année dernière.
25:08Et il m'avait donné une indication très simple. N'écris pas ce rapport en t'enfermant dans un bureau du Berlaymont à Bruxelles.
25:19Va dans les pays, visite tous les pays et surtout ne t'arrête pas dans les capitales des pays.
25:25Parce que si tu t'arrêtes dans les capitales, tu ne vas rien comprendre de ce qui se passe dans un pays.
25:29Il faut que tu ailles rencontrer les gens, les entreprises où elles sont. Donc j'ai mis ensemble un travail de neuf mois de visite dans tous les pays
25:42et de rencontre avec les entreprises. En France, j'ai rencontré un peu tous les acteurs, mais dans beaucoup d'autres pays aussi et les acteurs, les stakeholders au niveau européen.
25:53Donc un dialogue social très important et très appuyé. Élément de mon point de vue central.
25:59Et deuxième élément de méthode que je voudrais mettre vraiment en avance, je ne propose aucun changement de traité et j'insiste là-dessus.
26:10C'est-à-dire, moi, je propose de travailler avec les traités existants, bien que je pense qu'il faudrait changer des traités.
26:17Mais je sais très bien que le niveau, comme Madame la Présidente, vous venez de le dire, le niveau d'alarme rouge de la compétitivité européenne
26:27face à ce qui se passe avec les Chinois et les Américains nous oblige à agir rapidement.
26:33On n'a pas le temps d'ouvrir la boîte de Pandore de discussions institutionnelles européennes.
26:39Il faut agir rapidement. Il faut le faire donc avec les instruments qu'on a.
26:44Et surtout, tout ça m'emmène à dire que ma proposition n'est pas... mes propositions, ce n'est pas des propositions idéologiques.
26:53Ce n'est pas le drapeau européen contre le drapeau national, mais c'est la compréhension du fait, comme je vous ai dit dès le début,
27:02comme l'exemple de Airbus nous raconte, que quand il y a des secteurs dans lesquels la dimension compte,
27:08ou bien on est ensemble, ou bien simplement les Américains et les Chinois gagnent. Et c'est très simple.
27:14Et qu'est-ce qui se passe dans les trois secteurs plus un que je vous ai proposé, que j'ai proposé à votre attention ?
27:23Il se passe simplement que le fait de ne pas avoir intégré fait en sorte qu'aujourd'hui, ce manque d'intégration,
27:32permettez-moi d'employer ce terme peu institutionnel et technique, ce manque d'intégration fait jouir Wall Street,
27:41l'industrie américaine et l'industrie chinoise. Je vous fais des exemples. Un exemple a déjà été présenté.
27:47C'est l'exemple de l'épargne des Européens qui s'en va aux Etats-Unis. Pourquoi ils s'en vont aux Etats-Unis ?
27:53Ils s'en vont aux Etats-Unis parce que la fragmentation de l'industrie financière européenne ne donne pas les retours
28:01que l'industrie financière américaine donne avec sa dimension. Le Nasdaq tout seul vaut comme toutes les banques...
28:12Pardon. Toutes les bourses européennes mises ensemble, doublées par deux, multipliées par deux. Ça, c'est seulement Nasdaq.
28:20Donc il est évident que cette dimension devient compliquée à être managée si on est tout seul, chacun, chaque pays tout seul.
28:28Je vous fais un deuxième exemple qui est, je pense, assez parlant parce que chacun d'entre nous, dans cette journée de 5 décembre,
28:37va faire des achats. Et chacun d'entre nous va probablement faire ses achats avec des cartes.
28:45Et en faisant des achats avec des cartes, vous allez voir dans la journée d'aujourd'hui que vous avez cette situation assez comique
28:54et assez dramatique, je trouve, en Europe, pour laquelle nous, les Italiens, on ne va jamais payer avec une carte de crédit française.
29:01Vous, les Français, vous n'allez jamais payer avec une carte de crédit allemande. Les Allemands ne vont jamais accepter de payer
29:08avec une carte de crédit espagnole. Et tous, on est ravis de payer avec des cartes de crédit seulement américaines.
29:15Ça, c'est la situation de notre marché financier. On n'a pas de marché financier unique. Donc on n'a pas d'instrument financier
29:24pour les paiements digitaux, numériques, uniques, européens. Et donc, on emploie les instruments américains.
29:32Ça a des conséquences. C'est inutile que je vous raconte quelles sont les conséquences d'employer seulement des instruments financiers
29:40qui ne sont pas européens. Donc on est en train de devenir une colonie financière à cause de ça.
29:49Je pourrais parler des heures sur ce sujet. Je me limite. Je vous donne seulement des exemples pour vous dire que quand je dis
29:56la fragmentation en 27 n'aide pas la souveraineté nationale, elle fait simplement jouir Wall Street, l'industrie américaine,
30:06l'industrie chinoise. Le même exemple sur la défense. Même plus. C'est pour ça que le secteur défense fait partie aussi
30:16de mes réflexions, où je ne propose pas un marché unique de la défense. Je propose un marché commun de la défense,
30:23parce que la défense a des dynamiques différentes. Mais quand vous prenez les chiffres des dernières deux années et demie,
30:30pour lesquelles, en ayant 27 systèmes de défense différents, et qui se parlent très peu entre 27, moins que 27, mais disons
30:42une dizaine d'industries de défense européennes qui ne se parlent pas entre elles. Quelle est la conséquence ?
30:50On a dépensé 140 milliards d'euros. Je répète le chiffre. 140 milliards d'euros pour aider militairement l'Ukraine,
31:01ce qui est positif. Je ne veux pas être mal compris sur ça. Et il faut continuer. Ça, c'est mon point de vue.
31:09Le problème, c'est que cette fragmentation et le fait qu'il faut l'aider aujourd'hui, l'Ukraine. Il ne faut pas faire des accords
31:16entre nos entreprises de défense pour faire les chars en 2035. Ça ne va pas servir aux Ukrainiens. Il faut les aider aujourd'hui.
31:25Ce qui s'est passé dans les dernières deux années et demie, c'est que 80% de ces 140 milliards d'euros ont fait la fortune
31:36de Michigan, Pennsylvanie, Anatolie, Corée du Sud. C'est-à-dire qu'on a acheté 80% de ces 140 milliards. Ça a créé des emplois
31:46dans ces pays parce qu'on a acheté du matériel militaire de ces pays à cause de cette fragmentation. On a une quinzaine
31:55d'hélicoptères différents en Europe. Les Américains en ont deux. Donc il est évident que cette fragmentation, à la fin, aide l'industrie américaine
32:07et non pas notre. Je pourrais continuer. Je m'arrête là. Ce que je veux vous dire, c'est que ce que je propose, ce n'est pas une idéologie.
32:14Ce sont des faits. Et les faits, c'est que dans tous ces secteurs, ou bien on s'intègre ou bien simplement, comme j'ai cherché déjà
32:22de démontrer, on est déjà au risque de devenir une colonie américaine d'un côté ou chinoise de l'autre. Donc ce que je propose, c'est une intégration
32:32dans ces secteurs. Je dois citer la question de Télécom. Dans les années 80-90, j'étais déjà, à la fin des années 90, j'étais au gouvernement italien
32:45et je m'occupais aussi de ça. Et toute l'industrie des télécoms parlait européen. Le GSM, le 3G, c'était des technologies européennes.
32:59Tous les grands brands étaient européens. Aujourd'hui, tout parle américain ou chinois. Le 5G est une technologie qui n'est pas européenne du tout.
33:09Et aujourd'hui, je peux vous dire les chiffres. La fragmentation en 27 marchés de télécom fait en sorte que chaque opérateur de télécom chinois
33:23se trouve avoir 467 millions de clients. Chaque opérateur américain se trouve avoir 107 millions de clients. Et chaque opérateur européen
33:35se trouve avoir 5 millions de clients. Donc la différence, parce qu'on en a 80, les autres en ont 3 ou 4, est une différence tellement évidente
33:46en capacité d'investissement sur l'innovation qu'aujourd'hui, toute l'industrie de télécom parle américain. Il y a une grande boîte européenne
34:00de télécoms, je ne vais pas citer le nom, mais c'est assez facile, qui fait de bons résultats, mais elle fait des bons résultats car elle est présente aussi aux Etats-Unis.
34:11Et donc avec les revenues américaines, elle récupère ce qu'elle perd comme les autres ici en Europe. Tout ça à cause du fait qu'on est 27.
34:22Quelle est la raison, je vous demande, pour laquelle on a... Moi j'ai un plus 39, un plus 33, je vais avoir un plus 34 prochainement.
34:35Ce sont les préfixes de nos pays. Y a-t-il une raison pour laquelle vous avez un plus 33, vous passez la frontière, il faut un plus 39 ?
34:45Si vous êtes dans un Zoom, dans une réunion Zoom, la communication se coupe à mon ton et elle reprend 5 minutes après.
34:54Évidemment, tout ça, moi j'ai eu dans cette aventure, dans ce voyage, la possibilité de faire beaucoup d'expériences dans les pays où les frontières sont...
35:04Vous allez au Benelux, c'est une folie totale. Au passage de la frontière, toute communication se coupe, elle va reprendre, etc.
35:12Évidemment, tout ça, il n'y a aucune raison. La seule raison, c'est une raison liée aux commissions que les opérateurs de télécom paient aux trésors nationaux.
35:23Et je la comprends très bien. Les trésors ont besoin de cet argent, mais ils peuvent le recevoir aussi si on passait de 27+, on passait à un plus 0 pour tous,
35:36puisque le plus 1, comme vous l'avez déjà appris par les Américains, mais ce serait une petite autre chose qui donne l'idée d'une...
35:46Alors, je suis très rapide sur les propositions, parce que l'analyse est ça, mais l'analyse est très importante, parce que si on ne partage pas cette analyse,
35:56si on part d'un autre constat des faits, évidemment, on n'arrive pas aux mêmes conclusions.
36:02Donc, je propose que dans ces trois secteurs, et je propose une feuille de route dans le rapport pour qu'on puisse s'intégrer.
36:09Et dans un des trois, le marché financier, qui est de mon point de vue le plus grave de tous, parce qu'être une colonie américaine dans le marché financier,
36:19ça a des conséquences sur l'économie réelle. Le fait de reprendre notre indépendance européenne, notre force européenne sur le marché financier,
36:28a, comme vous venez de le dire, aussi une conséquence sur comment financer la transition. Parce qu'aujourd'hui, j'imagine que vous en avez parlé beaucoup,
36:37et que c'est un sujet de débat politique ici, comme dans mon Parlement national, comme au niveau européen, que faire de la transition verte est le grand sujet des prochaines années.
36:47Et je suis très pragmatique là-dessus. Moi, je ne pense pas qu'on puisse dire simplement on l'a fait et on s'en fiche des conséquences sur les entreprises,
36:56ou bien de dire on ne la fait pas, maintenant on s'arrête parce qu'il faut sauver les entreprises. Les deux pistes sont inacceptables.
37:06Je pense qu'il faut mettre un grand financement d'accompagnement de cette transition. Mais ce financement, pour ce que j'ai vu au niveau européen,
37:16ne peut qu'être un mixte entre argent privé et argent public. Ça ne peut pas être seulement argent public pour la simple raison qu'une partie des pays européens
37:26ne vont jamais accepter ça. Je pense que la France et l'Italie seraient d'accord. Mais un grand nombre de pays européens ne seraient pas en condition d'accepter ça.
37:35Donc, la nécessité d'avoir un pilier d'argent privé. L'IRA, c'est exactement ça. Aux États-Unis, ça a eu un grand succès.
37:45Madame Estrosi, vous avez cité les instruments français. Ça a été mon inspiration. Je vous le dis très franchement. C'est-à-dire ces instruments qui lient l'épargne à l'investissement,
37:58de mon point de vue, sont une très belle source d'inspiration pour faire de ces instruments des instruments européens aussi pour le reste d'Europe et qui soient capables
38:09donc de faire en sorte que ce pont entre l'épargne privée et l'investissement dans la transition aide les entreprises. On ne peut pas aujourd'hui...
38:19Je suis dans le... Si vous aurez la patience et l'amabilité de lire le livre, j'ai rencontré les agriculteurs dans tous les pays européens.
38:32J'ai rencontré les travailleurs et les entrepreneurs de l'industrie automobile. J'ai rencontré les propriétaires de maisons, d'appartements.
38:42Évidemment, on ne peut pas dire à ces catégories de gens, vous allez perdre votre emploi, vous allez perdre votre entreprise, votre habitation va perdre sa valeur à cause de la transition verte
38:55ou à moins que ce ne soit vous à payer pour ça. C'est totalement, socialement, économiquement et politiquement, je joute, infaisable.
39:05Donc on ne peut qu'imaginer un grand plan de ce genre-là qui ne peut qu'avoir un pilier privé, un pilier public.
39:12La proposition union de l'épargne et des investissements, c'est exactement ça.
39:17Et je suis ravi de voir que Mme von der Leyen a donné la mission à M. Séjourné, au vice-président français, de mettre en marche exactement ce projet d'union d'épargne et d'investissement
39:30et de, faites-moi dire, terminer définitivement l'histoire de la capital market union, de l'union des marchés de capitaux,
39:41qui avait du sens quand Londres était encore dans l'Union européenne, mais qui aujourd'hui n'a plus de sens.
39:47Le point central, et je pense que politiquement vous saisissez tout de suite l'élément de ma réflexion, c'est qu'on ne peut pas considérer la finance, la finance pour la finance.
39:58La finance doit être pour l'économie réelle. Et aujourd'hui, la réflexion autour d'une finance totalement auto-référentielle est une réflexion qui ne marche pas.
40:08Donc comment créer ce lien entre les deux ?
40:12Je vais terminer avec trois points essentiels de mon rapport, qui sont, premier point, vous venez de citer la cinquième liberté.
40:24C'est sur l'innovation qu'on est en train de perdre. Pourquoi une cinquième liberté ?
40:32Le marché unique européen est aussi appelé le marché des quatre libertés, biens, services, personnes, capitaux.
40:40Les quatre libertés, donc biens, services, capitaux et personnes, parlent à une économie du XXe siècle.
40:49Donc c'est très old style. On a besoin de considérer que ce cadre répartition doit évoluer avec cette cinquième liberté.
40:59Donc innovation, connaissance, recherche. Dans le rapport, vous trouvez toute une série de propositions là-dessus.
41:05Mais c'est fondamental, soit dans l'industrie, soit pour le soutien de l'innovation, de la recherche au niveau public et privé.
41:15Deuxième proposition que j'ajoute est la suivante. Le marché unique a toujours été conçu comme le marché de la liberté de bouger, de la liberté de circulation.
41:28Ça a toujours été comme ça. Dans le rapport, je propose tout un chapitre que vous trouvez sur la... de mettre à côté de cette liberté de bouger une liberté de rester.
41:40C'est-à-dire la réflexion sur le fait que la mobilité est en train de changer le panorama de nos pays et de notre Europe.
41:50Faire en sorte qu'il y a une pression sur des régions qui sont saturées aujourd'hui, très attrayantes, mais totalement saturées.
41:58Et que la désertification des régions périphériques est en train de créer une désertification aussi des services d'intérêts généraux.
42:06Donc je propose de mettre les services d'intérêts généraux au centre de la réflexion de cette commission.
42:14Et faire en sorte qu'on mette l'attention aussi au brain drain qu'on est en train de vivre en Europe sur ces sujets.
42:20Donc la liberté de rester qui doit être à côté de cette liberté de bouger.
42:26Et finalement, Monsieur le Président, vous avez cité la question du droit des affaires.
42:32En Europe, et ça, ça m'est venu dans les rencontres que j'ai eues avec les PME, premièrement avec les PME françaises, italiennes, européennes.
42:46Une PME n'exploite pas aujourd'hui le marché unique européen pour une raison très simple.
42:54On a 27 droits des affaires et ce n'est pas seulement ça.
43:01Si vous allez en Espagne, vous avez 17 droits régionaux des affaires qui s'ajoutent aux 27 droits nationaux des affaires.
43:11La même chose dans les autres pays. En Allemagne, c'est un peu la même chose.
43:17Tout investisseur international vous dit, comme les PME, que c'est une folie celle d'investir dans un système dans lequel chaque pays a son système différent.
43:32Il est évident que tout ça est fondamental pour chercher de surmonter la difficulté.
43:41J'aurais pu proposer, c'est la chose la plus normale de dire, bon, on crée une commission pour écrire un droit des affaires européen qui élimine les droits des affaires nationaux.
43:56Ça n'aurait jamais marché. Ça n'aurait jamais marché. Pour une raison très simple. Chaque pays va défendre son propre droit des affaires.
44:06Donc la proposition que j'ai faite est différente. C'est celle de dire qu'on crée un 28e état virtuel européen.
44:14On le dote de son propre droit des affaires européen, optionnel pour les entreprises.
44:22Une entreprise peut choisir si elle veut employer cette espèce de fast track, cette espèce de passe-partout qui peut faire entrer l'entreprise.
44:33On l'a investisseur international partout sans besoin de changer de pays en pays.
44:38Et ça donne une réponse aux petites et moyennes entreprises qui m'ont dit mais je ne peux pas avoir un bureau légal de 50 personnes.
44:49Je suis une petite et moyenne entreprise donc j'ai besoin de simplicité.
44:53Et donc voilà, ce point est un point fondamental dans ce domaine. C'est une option qu'on donne aux entreprises et c'est une option que je pense assez positive.
45:02Je vais terminer sur la question du rôle des parlements nationaux parce que moi ce que je propose dans tout ce que j'ai fait,
45:15c'est de considérer que la situation actuelle est une situation qui ne marche pas parce qu'aujourd'hui on a des directives.
45:22On a beaucoup d'emplois de directives. Chaque pays fait comme il veut. Ça c'est la vérité.
45:29Et le fait de pouvoir, je vous le dis très franchement, c'est ce que je dis moi-même en tant que parlementaire national,
45:35le fait d'avoir la liberté de faire ce que tu peux et ce que tu veux chez toi est quelque chose de négatif quand tu vas dans le reste d'Europe.
45:45Parce que si chacun fait ce qu'il veut, le marché unique n'existe plus. Donc les entreprises n'ont aucun bénéfice du marché unique.
45:54Qu'est-ce qui s'est passé dans les dernières années ? Pour des raisons politiques, la Commission n'a plus demandé à la Cour de justice
46:02de sanctionner les pays qui n'appliquaient pas les directives européennes ou qui appliquaient de façon maladroite,
46:09et j'emploie un terme euphemistique, les directives européennes.
46:13Donc ce que je dis est, c'est beaucoup mieux qu'il y ait une participation des parlements et un débat réel en amont
46:23et pas à la fin du parcours. Parce que si tout ça est à la fin du parcours, évidemment, ça ne donne pas la possibilité d'entrer dans le cœur du sujet.
46:34Donc en amont, une participation réelle qui donne la possibilité, s'il y a des besoins de dérogation, de mettre ces dérogations,
46:43mais de faire en sorte qu'une fois qu'une décision est prise, elle est valable.
46:48Parce que si on fait en sorte qu'une décision est prise, mais elle n'est jamais valable partout,
46:53évidemment pour les entreprises, le bénéfice du marché unique se termine tout de suite.
46:59J'ai été un peu trop long, mais évidemment il y a beaucoup d'autres choses dont je devrais parler,
47:04mais peut-être je vais le faire en répondant à vos questions. Je termine en disant que j'ai voulu, dans ce rapport,
47:13employer un langage et une terminologie de grande urgence et je la confirme ici.
47:23L'inertie nous amène au déclin. Ou bien on intègre dans les secteurs dont je vous ai parlé,
47:34ou bien simplement le choix entre être une colonie américaine ou une colonie chinoise va être notre destin à nous tous.
47:43Ce que je propose donc est non pas un débat idéologique sur ces sujets, mais un débat très concret.
47:50On n'a pas fait d'intégration dans les sujets dont je vous ai parlé pour des raisons d'inertie politique.
47:57Et je termine en disant que dans nos poches, nous avons le symbole de l'intégration dans le domaine qui est le plus souverainiste possible.
48:06La monnaie. Vous avez dans vos poches, nous avons dans nos poches la même monnaie écrite dans des alphabets différents.
48:16Non pas dans des langues différentes, mais vous trouvez des alphabets différents.
48:22Donc on a fait le choix d'avoir l'euro. Le choix d'avoir l'euro a été un bon choix.
48:29Et ce n'est pas moi qui le dis aujourd'hui, c'est 75% des citoyens européens qui le disent.
48:35Pratiquement personne ne veut plus revenir à ces monnaies du passé.
48:42Et j'ajoute en terminant que les gens ont compris la chose essentielle, c'est-à-dire que l'euro est la dimension européenne, c'est le parapluie.
48:54Ce n'est pas la pluie. La pluie est la globalisation, est la Chine. L'Europe et l'euro est le parapluie.
49:05Et les gens aujourd'hui ont compris complètement que cet euro, il faut le tenir bien avec nous.
49:12Et que si on était chacun avec sa propre monnaie, on serait probablement plus liés à nos histoires, mais on serait beaucoup plus faibles.
49:21Dans un monde qui a tellement changé que, comme je vous répète, dans les années 80, quand le monde du marché unique commençait,
49:32l'Italie et la France, toutes seules, gagnaient plus de médailles d'or aux Jeux Olympiques que la Chine.
49:39Et évidemment, aujourd'hui, ce n'est pas le cas.
49:42Et évidemment, c'est le cas de dire que, ou bien on tient compte de ce changement, que, évidemment, on n'a pas voulu, c'est un changement qui s'est passé,
49:51ou bien on va payer les coûts de sous ça, les coûts sociaux et les coûts politiques et économiques.
49:58On ne veut pas les payer et on veut tenter de réagir. On ne peut que le faire tous ensemble.
50:03Je ne plaide absolument pas pour faire de l'Europe les États-Unis.
50:08Ça, je veux être très clair là-dessus.
50:10Moi, je pense que le mix fantastique entre grand et petit, qu'est l'Europe, doit rester.
50:16Mais le problème, c'est que notre grand n'est pas assez grand, en deux mots.
50:20C'est-à-dire qu'il faut faire monter en puissance le grand qu'on a.
50:24Et dans le domaine des télécoms, on peut le faire, faisant monter en puissance nos grands,
50:30faisant en sorte qu'en étant dans un seul marché, la concurrence soit garantie,
50:36parce qu'aujourd'hui, comme consommateurs, on est tous assez heureux.
50:42On est plus heureux, nous, consommateurs de télécoms, que les Américains.
50:47Les prix sont beaucoup plus élevés, le service est mauvais aux États-Unis, etc.
50:54Le point est que tout ça se passe aujourd'hui, mais on va avoir, comme consommateurs,
51:00les effets négatifs de la situation très complexe, aujourd'hui, du système des télécoms,
51:06dans quelques temps, dans quelques années.
51:08L'infrastructure ne tient plus, il est tellement clair.
51:11Donc, la proposition, c'est d'avoir un seul marché, avec une dizaine, quinzaine d'opérateurs costauds,
51:19qui soient capables, donc, soit de se faire concurrence entre eux,
51:23soit d'avoir de grands investissements infrastructurels qui soient capables de relayer dans nos pays
51:28tout ce qui est absolument nécessaire pour éviter que les choses marchent mal,
51:32comme, malheureusement, ça se passe beaucoup de fois.
51:36Et sur la question, M. Chess, du rôle des chercheurs, des investissements en recherche,
51:44la question est très claire.
51:46Moi, je pensais que c'était seulement chez moi, dans mon pays,
51:52d'écouter plein de jeunes start-upers, chercheurs, qui te disent, moi, je vais aux États-Unis,
51:58je sors de mon pays, parce que c'est la seule possibilité de faire monter en puissance mon idée,
52:05de trouver le bon environnement pour trouver l'argent, etc.
52:10Et, en vérité, toute l'Europe est comme ça.
52:12J'ai trouvé le même discours de Helsinki jusqu'à l'Autriche.
52:18Donc, le point essentiel est que ça revient à la question de l'union de l'épargne et des investissements,
52:24ou bien on crée un marché financier européen unique,
52:28qui soit capable, donc, de faire évoluer les choses et de donner aux bonnes idées beaucoup d'argent,
52:36sans considérer que la faillite, une fois, soit un stigma qui te tue pour toujours.
52:42Les Américains, sur l'intelligence artificielle, ont eu les succès qu'ils ont eus,
52:46parce qu'ils ont fait faillite une fois, deux fois, trois fois, et aujourd'hui, ils gagnent.
52:51Je vais vous dire un chiffre qui est assez impressionnant.
52:54Aux États-Unis, l'investissement en intelligence artificielle a touché les 330 milliards d'euros dans la décennie qui vient.
53:04330 milliards d'euros.
53:06En Chine, c'est 100 milliards d'euros. En Europe, c'est 20 milliards d'euros.
53:11Il est évident que tout ça a besoin de monter d'échelle.
53:14Un investissement qui est seulement national ne marche pas là-dessus.
53:19Et je reviens donc à la question...
53:23J'ajoute parce que les chercheurs, comme vous disiez, M. Chéz, ils sont bons, nos chercheurs,
53:29mais ils sont bons aux États-Unis, faire ça, parce qu'ils trouvent l'argent, l'environnement, le bon environnement pour faire les choses.
53:35Je viens aux questions de M. Didier-Marie, pour dire que...
53:44Je commence par la question politique.
53:48Parce que je pense que là, il y a une petite responsabilité des grands pays.
53:55Je le dis très franchement.
53:57C'est-à-dire, les grands pays doivent dire que...
54:01Puisque le droit de veto, dans les domaines du marché intérieur, existe seulement dans la politique, pas dans les règles.
54:10C'est dans le jeu politique qu'on dit qu'il faut être tous ensemble.
54:14Mais on pourrait tranquillement, pour les règles, le marché unique marche à majorité qualifiée.
54:21Mais on attend toujours le wagon le plus long.
54:25Que ce soit... Je ne veux pas faire d'exemple.
54:29Mais donc, je pense que c'est une erreur.
54:32Dans beaucoup de domaines, il faut dire, on avance.
54:35Et si un pays n'est pas d'accord, il va arriver.
54:39Et je pense que là, on risque de se faire prendre au piège du...
54:47Je peux vous raconter mon expérience.
54:50En faisant le tour d'Europe, j'ai rencontré tous les gouvernements chez eux.
54:54Et chaque gouvernement m'a raconté les limitations au marché unique que le gouvernement du pays voisin met en place.
55:04Personne ne m'a parlé de ses propres.
55:07Et je pourrais vous dire la liste des 27, chacun avec ses propres limitations du marché unique.
55:14Il est évident qu'il faut faire en sorte qu'on pousse et on pousse avec une détermination qui est essentielle.
55:21Donc vous avez raison, la détermination est fondamentale.
55:24Et dans beaucoup de cas, il faut aller, même si on n'est pas 27.
55:28On peut le faire avec les règles qu'on a aujourd'hui dans le système.
55:32Évidemment, tout autre chose dans la politique de défense.
55:35Vous avez là totalement raison.
55:39Comment mobiliser les ressources propres ?
55:44Je n'ai pas le temps ici d'entrer dans les détails, mais les pages 30 et 31 du rapport,
55:50que vous pouvez décharger soit du site du Conseil européen, soit de l'Institut Jacques Delors.
55:58Vous allez dans le site de l'Institut Jacques Delors et vous pouvez décharger le rapport.
56:02Et vous trouvez ça, tout ça écrit en anglais, vous trouvez ça en français dans le livre.
56:07Tout ça est possible avec, j'ai mis quatre différents instruments techniques
56:14qui peuvent devenir les mobilisateurs d'épargne privée.
56:19Et le pont dont je vous parlais, j'ai tiré beaucoup d'inspiration des expériences françaises.
56:26Entre l'épargne et l'investissement, le plan Juncker, de mon point de vue, était bon.
56:33Beaucoup mieux de ce qu'on a pensé après.
56:36Donc je reprends quelques éléments du plan Juncker.
56:39Sûrement, je prends un élément essentiel.
56:42Il faut travailler sur des investissements qui mêlent public et privé.
56:48Seulement public ou seulement privé, ça a des limites.
56:52Donc il faut trouver la façon de mêler les choses.
56:54Et je termine sur l'élargissement, parce que vous avez très bien fait à mettre le point sur la table.
57:01Dans le rapport, vous trouvez un petit chapitre sur l'élargissement.
57:05Je propose la création d'un Solidarity Enlargement Facility qui est essentiel de mon point de vue.
57:14C'est-à-dire l'élargissement doit être accompagné.
57:17On a fait plein de promesses.
57:19En vérité, il y a deux élargissements.
57:21Il y a l'élargissement au pays des Balkans et il y a l'élargissement à l'Ukraine.
57:26C'est deux choses totalement différentes.
57:28L'Ukraine joue dans un autre championnat.
57:31Même un autre championnat par rapport à nos grands pays européens.
57:36Elle joue dans le championnat du Canada, de la Russie, du Brésil, dans l'agriculture, ça c'est clair.
57:43Donc il est évident qu'on ne peut pas traiter l'élargissement à l'Ukraine comme on traite l'élargissement à l'Albanie.
57:49Si vous parlez aux gens, je pense qu'elles pensent que l'Albanie est déjà membre de l'Union Européenne.
57:55Je vous fais un petit exemple pour dire que l'entrée d'un pays comme l'Albanie ne va pas faire aucun problème quand l'Albanie sera prête.
58:04Je cite l'exemple de l'Albanie.
58:06Le sujet clé est d'éliminer tous les problèmes politiques que sur l'entrée des Balkans il y a.
58:13Évidemment, éliminer le droit de veto, ça c'est clair, parce qu'on ne peut pas accepter qu'il y a une politique étrangère
58:18capturée par le droit de veto de tous ces pays.
58:22Mais en même temps, sur l'Ukraine, qu'il faut continuer à aider, il faut considérer que c'est autre chose du point de vue des conséquences.
58:30Il faut évidemment, avec tous les moyens qu'on a, mettre en place les possibilités d'accompagner tout ça de façon beaucoup plus attentive.
58:38Vous avez suivi l'audition par le Sénat d'Enrico Letta, l'ancien Premier ministre italien,
58:43qui a proposé des pistes pour empêcher l'Europe de décrocher face aux États-Unis.
58:48Voilà, 100% Sénat, c'est terminé.
58:50Quant à moi, je vous souhaite une très belle journée sur les chaînes parlementaires.