Ils sont artisans, employés, pompiers, commerçants, retraités... Ils ont un statut stable, disent n'être "pas à plaindre", même si les fins de mois peuvent être difficiles et l'avenir incertain. Et lorsqu'ils votent, c'est pour le Rassemblement national. Félicien Faury est allé à leur rencontre dans le Sud-Est de la France, berceau historique de l'extrême droite française. Analyse dans son livre "Des électeurs ordinaires", qui vient de paraitre au Seuil. Il est l'invité de Yves Calvi.
Regardez L'invité d'Yves Calvi avec Yves Calvi du 12 juin 2024
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00:00 9h30, RTL matin avec Yves Calvi et Amandine Bégaud.
00:03 RTL 8h23, bonjour Félicien Faury.
00:07 Bonjour.
00:07 Merci de nous rejoindre dans le studio de la matinale d'RTL.
00:09 Vous êtes sociologue, docteur en sciences politiques et vous publiez des électeurs ordinaires aux éditions du Seuil.
00:14 Ces électeurs, ce sont ceux du Rassemblement National.
00:17 Pendant six ans, vous les avez interrogés dans le sud-est de la France pour comprendre leur motivation.
00:21 Vous attendiez un pareil score dimanche soir, sincèrement ?
00:23 Oui, ça a été un peu sans surprise.
00:26 Les élections européennes, notamment depuis 2014, c'est des très bonnes élections pour le Rassemblement National.
00:32 Et donc, ils continuent sur sa lancée en quelque sorte, y compris dans un contexte très abstentionniste comme les européennes.
00:37 Alors, le RN au pouvoir, est-ce que c'est possible ?
00:40 Matignon, c'est probable, on l'a compris, mais la présidence de la République, est-ce que c'est quelque chose aujourd'hui qui vous paraît de réellement envisageable ?
00:47 Quelque chose que les chercheurs en sciences politiques doivent aussi reconnaître parfois, c'est qu'on n'en sait rien.
00:54 En tout cas, il y a beaucoup d'incertitudes sur ces questions, donc très difficile de répondre.
00:59 Dans ces élections européennes, le RN passe en tête dans quasiment toutes les catégories de la population.
01:05 Hommes, femmes, ouvriers, cadres, retraités...
01:08 Comment expliquez-vous cette progression ? Qu'est-ce qui s'est passé ?
01:10 Ce qu'il faut voir tout de même, c'est que la structure de l'électorat RN reste quand même similaire, enfin stable.
01:19 C'est-à-dire que chez les classes populaires et chez les professions intermédiaires, ça reste très fort.
01:23 Donc même s'il y a un sur-vote au niveau des cadres, ça reste quand même une structure plutôt populaire.
01:27 Et effectivement, comme vous l'avez dit, par contre, qui est paritaire maintenant.
01:30 C'est-à-dire que les femmes votent autant que les hommes.
01:32 Dans votre travail, est-ce qu'il y a une rencontre parmi d'autres qui vous a peut-être plus marquée que les autres,
01:37 que vous trouvez révélatrice dans ces Français que vous avez interrogés et rencontrés ?
01:40 Je ne pourrais pas vous dire. Toutes ont été de très bonnes leçons sociologiques.
01:46 Je vous propose d'écouter cette électrice du RN dans l'aube. Elle est interrogée par notre journaliste Arthur Perrer.
01:52 Je ne sais pas ce que ça donnera. On a essayé gauche-droite. On s'est fait foutre dedans, comme ce n'est pas permis.
01:57 Mais on va tenter, on verra bien. De toute façon, ils nous prendront plus pour des cons que ce qui se passe actuellement.
02:02 Être pris pour des cons, méprisés, est-ce que c'est quelque chose que vous avez entendu également ?
02:06 Absolument. Il y a une défiance vis-à-vis des hommes politiques de droite comme de gauche qui est très très importante.
02:13 Et ça, c'est quelque chose qu'il faut reconnaître, qui peut toucher aussi le Rassemblement national.
02:16 C'est-à-dire qu'il y a des personnes qui peuvent voter pour le RN, mais qui ne se montent pas dupes non plus.
02:20 On m'a dit que les Le Pen, ce n'est pas des tristes non plus, etc. Sous-entendu, eux aussi, potentiellement, ils vont trahir.
02:26 Après, il faut toujours ajouter qu'il y a aussi des raisons, j'allais dire, positives de voter RN, en quelque sorte.
02:31 C'est-à-dire que les personnes savent ce qu'ils font lorsqu'ils votent RN sur les questions d'immigration, d'insécurité.
02:36 Voilà, vous nous dites que ça n'est pas que du vote contre. C'est aussi du vote pour un certain nombre de valeurs que vous venez d'évoquer.
02:41 Exactement.
02:42 La figure du président Macron est présente dans ce rejet ?
02:45 Oui, encore plus en 2022 qu'en 2017, parce que j'ai commencé en 2017, je suis terminé en 2022.
02:50 Il y a une détestation d'Emmanuel Macron qui est très très intense sur mon terrain.
02:55 Une détestation ?
02:56 Oui, je pense qu'on peut utiliser ce terme. Il représente à la fois les tards de la gauche et de la droite.
03:01 Et y compris en 2022, on a des personnes qui me disent "lui, on n'arrive pas trop à le situer, de droite ou de gauche, du côté des électeurs RN".
03:07 Et il représente un peu la synthèse...
03:09 Il a fait la synthèse de tout ce qu'il déteste ?
03:10 Exactement.
03:11 Y compris nous, les médias ?
03:13 Oui, il y a une très forte aussi défiance envers les élites culturelles et aussi médiatiques.
03:18 Et Macron, oui, émis dans ce monde en fait, qui est un monde social, on a l'impression qu'il est trop éloigné de la vie concrète des gens.
03:29 Et Emmanuel Macron et certains médias en tout cas en font partie, effectivement.
03:32 Dans votre enquête, Félicien Faury, vous avez suivi ces électeurs du RN dans deux élections présidentielles, 2016-2022.
03:39 Comment Marine Le Pen a-t-elle réussi à capter leur colère ?
03:42 De plusieurs manières, je l'ai dit, à la fois un vote par défaut, c'est-à-dire moi notamment, en Sud-Est, c'est des personnes qui ont longtemps voté à droite,
03:49 mais qui ensuite ont été progressivement dégoûtées en quelque sorte par justement la droite de gouvernement et qui se sont mis à voter RN.
03:56 Et comme je l'ai dit, il y a aussi des raisons pour son programme, en tout cas pour les idées qui sont identifiées.
04:02 Nous, c'est ce qu'on appelle les trois "I", donc immigration, insécurité et islam,
04:06 qui sont vraiment des choses qui sont assez bien identifiées par les électeurs à propos du RN.
04:11 Et c'est aussi pour ces raisons que ces électeurs votent pour ce parti.
04:14 Il y a un "I" qui est plus grand que les autres dans les trois que vous venez de nous citer ?
04:17 Surtout, moi ce que j'embarque, c'est que c'est mis en lien, souvent.
04:21 C'est-à-dire qu'il y a des équivalences qui sont faites entre immigrés, entre insécurité et parfois aussi entre islam, islamisme, terrorisme.
04:28 Donc c'est aussi assez important. Les gens ne votent pas pour une seule raison, par exemple, parce qu'il y a aussi le pouvoir d'achat, par exemple.
04:34 Mais c'est articulé entre eux, entre elles, ces raisons.
04:37 J'emploie un terme brutal, mais est-ce que ces électeurs du RN que vous avez rencontrés sont racistes ?
04:43 Alors moi j'essaie de ne pas dire qu'ils le sont, parce que pour moi, le racisme ce n'est pas une essence individuelle,
04:49 ce n'est pas quelque chose qu'on ait ad vitam aeternam.
04:52 Et par contre, il faut reconnaître que dans le vote RN, effectivement, il peut y avoir du racisme qui s'exprime.
04:57 En fait, vous parlez d'islamophobie du quotidien. C'est finalement une façon logique d'exprimer les choses ?
05:04 Oui, il y a un rejet des musulmans qui est très présent et qui s'exprime effectivement à partir d'anecdotes concrètes du quotidien.
05:10 Et c'est quelque chose que j'ai pu beaucoup voir sur le bureau de mon enquête.
05:14 Alors, il y a un personnage en ce moment qui pèse lourd dans tout ça, il s'appelle Jordan Bardella.
05:18 La jeunesse, une forme de modernité.
05:20 Je me demandais en préparant cette interview si c'était devenu, excusez-moi du terme parce qu'il peut paraître ridicule, mais je l'assume,
05:27 est-ce que c'est devenu tendance de voter extrême droite ?
05:30 En tout cas, il y a deux choses. Premièrement, il faut remarquer que dans une grande partie de la population,
05:36 le vote RN continue d'être une option illégitime et repoussoire.
05:40 Mais dans une autre partie de la population, et moi j'ai plutôt enquêté sur ces groupes sociaux,
05:44 je ne sais pas si c'est tendance, mais en tout cas, ça devient une option électorale, justement, normale,
05:49 dissible au quotidien et donc légitime de ce point de vue-là.
05:53 L'arrivée au pouvoir du RN est-elle passée de possible à plausible, voire inéluctable ? C'est ma dernière question.
05:58 Inéluctable, absolument pas. Je pense qu'encore une fois, dans l'essence sociale, on ne sait pas de quoi est fait l'avenir,
06:03 et par contre, plausible, oui.
06:04 Merci beaucoup, Félicien Faury. Votre livre "Des électeurs ordinaires" est paru aux éditions du Seuil.
06:08 Il paraît mercredi, je ne dis pas de bêtises.
06:10 Non, il est sorti.
06:11 Pardonnez-moi, c'est moi qui me trompe.
06:12 Donc, il est sorti et on peut le trouver chez les bons libraires. Bonne journée à vous.
06:16 Merci beaucoup.