Avec Barbara Stiegler, philosophe et auteure de "Démocratie ! Manifeste" publié aux éditions du bord de l'eau.
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NewsTranscription
00:00 Le face à face.
00:02 Et pour le face à face aujourd'hui André Bercoff reçoit Barbara Stiegler, philosophe et auteur de ce nouveau livre "Démocratie", manifeste cette aux éditions du Bordeaux.
00:10 Bonjour Barbara Stiegler.
00:11 Bonjour.
00:12 Alors Barbara Stiegler, je voudrais enchaîner sur le discours d'Elisabeth Borne que vous avez écouté avec moi, enfin la partie du discours.
00:20 Et justement parler de la démocratie. Vous avez beaucoup écrit sur la démocratie.
00:25 Je rappelle, on va en parler bien sûr, que vous venez de rééditer "Il faut s'adapter" sur un nouvel impératif politique qui paraît chez Folio avec un chapitre sur les gilets jaunes.
00:34 On va en parler, c'est très intéressant.
00:36 Et puis vous publiez aux Bordeaux, aux éditions du Bordeaux avec Christophe Pébart "Démocratie ! manifeste".
00:45 Alors moi quand j'entends ça, je ne sais pas, est-ce que c'est un véritable discours démocratique ?
00:51 Non, bien sûr que non et ça ne fait évidemment pas illusion.
00:54 Elle cite dans son discours la notion de souveraineté.
00:58 C'est évidemment une négation pure et simple de la souveraineté populaire, nationale, du peuple,
01:05 qui a été pensée à l'échelle de l'État-nation par la Révolution française.
01:09 C'est une négation pure et simple.
01:11 Je rappelle d'ailleurs que le terme de patriote, le terme de souveraineté,
01:17 également entendu comme souveraineté du peuple, démocratique,
01:22 renvoie à la Révolution française qui n'est absolument pas pour autant nationaliste.
01:27 On peut tout à fait être patriote, révolutionnaire,
01:31 c'est-à-dire dans cet esprit que les révolutionnaires ont conduit la Révolution,
01:35 prôner une souveraineté du peuple tout en étant profondément internationaliste.
01:40 Et les révolutionnaires étaient engagés dans un processus révolutionnaire avec d'autres camarades à l'extérieur.
01:46 Je crois que là il y a toute une série de confusions, mais totalement délibérées.
01:52 - Délibérées, c'est ça.
01:54 Et délibérées parce que justement, on en est là, enfin, c'est pas nouveau,
01:58 même avant Orwell on parlait de la novlangue et comment les mots on les fait changer de sens
02:03 et les sens on les fait changer de mots.
02:05 Mais je voudrais qu'on revienne à ça, parce qu'aujourd'hui tout le monde salive démocratie,
02:10 ARC, démocratie, etc. Mais Barbara Stiegler, vous avez écrit ce manifeste.
02:16 En fait, si on veut revenir aux basiques, aux fondamentaux,
02:20 et vraiment comprendre ce qu'on vit aujourd'hui par rapport à la séparation des pouvoirs,
02:24 par rapport à Montesquieu et compagnie, est-ce que nous sommes en démocratie ?
02:28 Évidemment nous ne sommes pas en état totalitaire, parce qu'on vous répond "mais quoi,
02:32 vous allez comparer la Corée du Nord à la Russie ou à la Chine avec son crédit social, etc."
02:38 D'accord, mais ça veut dire quoi la démocratie ?
02:41 - Alors merci de cette question, je crois que c'est la première question à poser,
02:44 et merci de rappeler qu'un régime politique peut être une démocratie,
02:49 à supposer que ce soit possible, nous pensons que c'est possible, d'où le manifeste.
02:54 Il peut être effectivement une dictature, mais il peut être toute autre chose,
02:58 c'est-à-dire qu'on n'a pas le choix entre la démocratie ou la dictature ou le système totalitaire.
03:03 C'est entièrement faux, toute notre histoire démontre le contraire.
03:06 Il y a toute une série de régimes qui ne sont pas démocratiques,
03:09 dans lesquels le peuple ne gouverne pas, et qui pour autant ne sont pas des dictatures.
03:13 - Par exemple ?
03:14 - Par exemple, on peut citer un exemple parfait pour ça, la monarchie constitutionnelle.
03:18 Une monarchie dans laquelle c'est le monarque qui gouverne, avec les grands du royaume.
03:24 Ce monarque, alors la monarchie peut prendre une forme absolue,
03:30 bien sûr dans notre histoire c'est plutôt un modèle qu'on rejette aujourd'hui,
03:34 et bien heureusement, on est quand même les héritiers de la révolution française,
03:38 mais dans les révolutionnaires français vous aviez des partisans de la monarchie constitutionnelle,
03:43 et on en a énormément aujourd'hui, ils sont un peu cachés.
03:47 Ce n'est pas une dictature, puisqu'il faut obéir à ce qu'on appelait avant les lois fondamentales du royaume,
03:52 et à ce qu'on s'est mis à appeler une constitution,
03:54 c'est-à-dire que le roi et les grands du royaume ne font pas exactement ce qu'ils veulent.
03:58 Mais pour autant ce n'est absolument pas une démocratie,
04:01 puisqu'on a un monarque, on a les grands du royaume, on a une aristocratie,
04:05 on a une cour qui prend les décisions.
04:08 Donc de ce point de vue-là, aujourd'hui on n'est pas très éloigné,
04:13 en réalité, de ce fonctionnement-là, même si ça ne s'appelle pas comme ça,
04:18 même si ça s'enrobe ou ça se drape du terme de démocratie,
04:22 les fonctionnements ressemblent beaucoup plus à des fonctionnements
04:25 où un seul ou quelques-uns concentrent le pouvoir dans leurs mains.
04:28 - Alors Barbara Stiegler, est-ce qu'aujourd'hui en France,
04:31 aujourd'hui, encore une fois, ce n'est pas seulement Macron,
04:34 enfin je veux dire, ce n'est pas le gouvernement actuel,
04:36 est-ce que depuis quelques décennies,
04:38 est-ce qu'on peut dire qu'on est en démocratie ?
04:41 Et encore une fois, ça rappelle, quels sont les critères,
04:44 parce que c'est très important de savoir c'est quoi vraiment,
04:47 quand je dis c'est quoi une démocratie,
04:49 parce qu'après tout, notre but,
04:51 on a plus envie d'être en démocratie qu'un monarchie constitutionnelle ou autre,
04:56 on a envie en tout cas d'avoir des pouvoirs et des contre-pouvoirs.
05:00 Est-ce que c'est le cas aujourd'hui ?
05:02 - Alors, vous dites on a envie, j'en sais rien,
05:05 c'est-à-dire qu'en fait, il serait temps...
05:07 - Ils ont collé un certain nombre de millions à avoir envie de ça.
05:09 - Oui, enfin, mettons vraiment les questions sur la table.
05:11 La démocratie, c'est un régime dans lequel le peuple,
05:15 c'est le peuple qui gouverne, effectivement.
05:18 Demos, ça veut dire le peuple,
05:20 Kratos, ça veut dire le pouvoir,
05:22 ça veut dire, c'est un régime dans lequel
05:24 celui qui a le pouvoir, le seul souverain, c'est le peuple.
05:28 Donc c'est une expérience politique assez extraordinaire.
05:31 Cette expérience politique, nous pensons qu'elle est possible
05:34 et qu'elle est attestée historiquement.
05:36 - Oui, mais en ce moment, on ne la voit pas.
05:38 - Alors, bien entendu, aujourd'hui, ce n'est pas le peuple qui gouverne.
05:41 Alors, ça veut donc dire qu'il ne faut pas confondre
05:44 la démocratie et un régime d'élection libre.
05:50 - Disons que c'est une condition nécessaire mais pas suffisante.
05:53 - Ce n'est pas forcément d'ailleurs une condition nécessaire.
05:55 Par exemple, chez les Athéniens,
05:57 qui est quand même la grande expérience historique attestée
06:00 et qu'on connaît de mieux en mieux aujourd'hui,
06:02 il y a eu énormément de progrès dans l'historiographie antique
06:05 sur l'expérience athénienne qui a duré deux siècles.
06:08 Beaucoup de clichés très négatifs
06:11 sont aujourd'hui en train de tomber sur cette expérience.
06:15 Eh bien, chez les Athéniens, il n'y avait pas d'élus.
06:19 On n'élisait pas de chef ou de représentant.
06:23 On votait énormément,
06:25 c'est ce qu'on appelle dans notre livre,
06:27 ce que les chercheurs appellent la règle d'arrêt d'une délibération.
06:30 Au bout d'un moment, la délibération,
06:32 une fois qu'on est allé au bout de cette délibération,
06:36 elle doit être arrêtée par une règle d'arrêt qui peut être le vote,
06:39 à main levée ou pas.
06:40 - Mais qui existait déjà.
06:41 - Oui, mais ce n'est pas l'élection.
06:43 Or, aujourd'hui, on confond la démocratie et le vote,
06:46 on confond le vote et l'élection
06:48 et on confond à la fin la démocratie
06:50 avec un régime dans lequel ce seraient des élus
06:53 considérés comme meilleurs que nous, Aristoïe.
06:56 Donc une forme d'aristocratie.
06:57 - La démocratie représentative.
06:59 - Oui, alors on y vient.
07:00 Cette démocratie, elle a été inventée par les Athéniens, effectivement.
07:06 Peut-être qu'il y a eu d'autres expériences anthropologiques
07:09 qui ressemblent à la démocratie,
07:10 mais en tout cas, le terme de Demos, le terme de Kratos,
07:12 le terme de Démokratia
07:14 et toute la réflexion philosophique, politique sur la démocratie,
07:17 c'est les Grecs qui nous l'ont léguée,
07:19 avec des conflits terribles entre ceux qui étaient pour et ceux qui étaient contre.
07:23 Et ensuite, dans notre histoire à nous, français,
07:28 cette expérience démocratique,
07:30 l'Athènes, Athénienne, de l'Agora, de l'Apnyx,
07:33 toutes ces références ont été remises à l'ordre du jour
07:36 par la Révolution française.
07:37 - On va en parler tout de suite après cette petite pause,
07:39 c'est très important,
07:41 parce que c'est important de remettre les choses au point.
07:44 On continue de parler de démocratie sur Sud Radio,
07:46 avec vous, au 0826 303 100,
07:48 et avec Barbara Stiegler, qui est notre invitée aujourd'hui.
07:50 A tout de suite sur Sud Radio.
07:51 - Et nous sommes toujours et plus que jamais avec Barbara Stiegler,
07:55 pour le livre qu'elle a écrit avec Christophe Pébart,
07:58 "Démocratie manifeste".
08:00 C'est très intéressant, parce que c'est vraiment le cœur du problème.
08:03 On vit, pas parce qu'on sache qu'on vit en démocratie ou en monarchie,
08:06 mais est-ce qu'on vit en liberté ?
08:08 Est-ce que le peuple que tout le monde, effectivement, invoque,
08:12 et surtout les politiques, gouvernent ou pas ?
08:14 Et puis la reddition de "il faut s'adapter".
08:16 Alors Barbara Stiegler, vous parlez d'Athènes, des Athéniens,
08:19 qui avaient effectivement cet amode,
08:21 quand on l'entend ça, on rugit de nostalgie, quelque part.
08:25 Mais est-ce que, parce qu'on dit "oui, c'est très joli tout ça",
08:28 c'est parce que les Athéniens avaient des esclaves,
08:31 qui travaillaient, qui faisaient marcher la machine,
08:33 et qu'ils n'avaient ni droit d'intervenir, ni droit que ce soit,
08:36 c'est pour ça que ça marchait ?
08:38 - Alors je vous remercie infiniment de me poser cette question,
08:40 parce que c'est effectivement un cliché qu'on enseigne dans les écoles,
08:44 et qui est parfaitement fou.
08:46 Il est vrai que la société antique athénienne,
08:50 comme toutes les sociétés, les grandes cités de cette époque,
08:53 est marquée du fléau de l'esclavage.
08:57 C'est aussi le cas de notre société du 18ème siècle,
08:59 qui était une société esclavagiste.
09:01 Et à ce compte-là, vous pouvez mettre aux poubelles de l'Histoire,
09:05 quasiment l'Amérique du 18ème siècle,
09:09 la grande révolution américaine, la grande révolution française,
09:13 et Athènes, évidemment, la philosophie, les tragédies athiques, etc.
09:17 Donc on a cette horreur de l'esclavage
09:20 qui accompagne toutes les grandes sociétés antiques.
09:22 - Non, c'est même pas par l'horreur, c'est de dire
09:24 qu'ils pouvaient faire ça parce qu'ils avaient des esclaves.
09:26 - Oui, oui, j'entends, mais je veux quand même souligner
09:28 que l'esclavage est une horreur, et que notre manifeste pour la démocratie
09:31 n'a absolument pas besoin de faire une place à l'esclavage.
09:34 Pourquoi ? Parce qu'en réalité,
09:37 le cliché qu'on nous enseigne à l'école, qui est vraiment un mensonge,
09:41 alors, parfois un mensonge involontaire,
09:45 mais de la part de certains, c'est un mensonge délibéré,
09:47 parce qu'ils savent très bien que c'est faux,
09:49 ce serait que la démocratie athénienne,
09:53 ce serait une société d'aristocrates, d'élus,
09:57 de gens qui seraient privilégiés, bien-nés,
10:00 qui seraient des oisifs, des intellectuels,
10:02 qui deviseraient, soi-disant, sur l'agora,
10:05 en faisant de la philosophie, en réfléchissant,
10:07 pendant que les travailleurs seraient des esclaves.
10:09 Ceci est rigoureusement faux.
10:12 Il y a effectivement des esclaves à Athènes, il y en a beaucoup.
10:15 Certains d'entre eux sont d'ailleurs extrêmement riches, d'autres non.
10:19 Et puis, dans le démos athénien, on commence à très bien le connaître,
10:23 il y a, dans la période que Christophe Pébart a étudiée le plus près,
10:27 la période classique du 5ème siècle,
10:30 il y a 60 000 athéniens qui font partie du démos,
10:34 qui sont des hommes, il y a aussi la limitation des femmes,
10:37 qui est évidemment tout à fait contestable, scandaleuse et discutable,
10:41 mais ce n'est pas le sujet.
10:42 A l'époque, on était une société patriarcale,
10:44 donc évidemment, ça accompagnait les plus beaux phénomènes artistiques, politiques, etc.
10:49 - Ne faisons pas d'anachronisme.
10:51 - Voilà, donc nous avons donc un démos qui est composé,
10:55 pour l'essentiel, de gens qui travaillent,
10:58 et pour l'essentiel, de gens qui font partie des classes,
11:01 qu'on appelle aujourd'hui des classes populaires.
11:03 C'est-à-dire que quand vous êtes artisan,
11:07 si vous n'êtes pas, par le hasard de votre naissance, esclave,
11:10 mais quand vous êtes artisan, laboureur, etc.,
11:12 et ça c'est tout le peuple libre d'Athènes,
11:14 - Ils interviennent, etc.
11:16 - Non mais ils travaillent, et puis selon nos standards,
11:18 on considérerait qu'ils sont soit très modestes, soit pauvres.
11:21 - D'accord.
11:22 - Donc, le fait, cette représentation de la démocratie athénienne
11:26 comme une démocratie de oisifs,
11:28 qui aurait pour condition un peuple non-citoyen esclavagisé,
11:32 est une pure invention qu'il faut contester.
11:36 Et c'est une des inventions qui a servi à discréditer l'expérience athénienne.
11:40 Parce que, en fait, pour beaucoup d'historiens,
11:42 beaucoup de philosophes, c'est assez insupportable
11:44 de reconnaître qu'il y a eu un peuple délibérant,
11:48 composé de classes populaires,
11:50 qui pendant deux siècles, a délibéré sur des questions aussi graves
11:54 que l'inflation, l'augmentation des prix du blé,
11:57 la question des famines, la question des épidémies,
12:00 je rappelle, la peste, ce qu'on a appelé la peste,
12:03 la décision d'aller en guerre.
12:05 - L'arc-ovide à eux, de l'époque.
12:06 - Voilà, en fait, toutes les questions que nous avons aujourd'hui sur la table,
12:09 à part celles de l'écologie,
12:12 mais la question des prix du blé,
12:15 de l'inflation, de la guerre, des épidémies,
12:18 c'est vraiment les questions qu'on entend aujourd'hui comme arguments
12:21 selon lesquels, bon, une démocratie c'est pas possible
12:23 parce qu'on a des problèmes tellement terribles.
12:25 Mais les athéniens avaient, eux aussi, le même type de problème.
12:29 - Qui n'était pas moindre que les nôtres.
12:32 - Voilà, exactement.
12:33 - C'est évident.
12:34 - Ça c'est très important.
12:35 On va parler maintenant de la démocratie représentative, justement,
12:38 c'est quoi, on va avancer un peu là-dessus.
12:40 Après cette petite pause...
12:42 - On vous prendra d'ailleurs au 0826 300 300
12:45 pour parler de démocratie participative avec Barbara Stiegler
12:49 qui est toujours notre invitée, bien sûr.
12:50 A tout de suite sur Sud Radio.
12:52 - Barbara Stiegler dans tous ses états,
12:56 Christophe Bébart aussi, démocratie manifeste.
12:59 Démocratie, effectivement.
13:01 Alors, je ne sais pas s'il faut s'adapter ou pas,
13:04 mais on poursuit un peu notre entretien Barbara Stiegler,
13:07 qui est philosophe, avec justement la démocratie représentative.
13:10 Et c'est là où le bas blesse pour énormément de gens.
13:13 Ils disent représentative, attendez.
13:15 Aujourd'hui, l'impression qu'il y a, en tout cas chez certains,
13:19 et ils ne sont pas les moindres,
13:21 qu'il y a un pouvoir, c'est le pouvoir exécutif.
13:24 Le pouvoir législatif, on ne sait pas où il est.
13:26 On voit les assemblées nationales et assemblées de Sénat,
13:28 on ne parle que de la France.
13:29 Et la justice, elle aussi, on peut se poser beaucoup de questions.
13:34 Et donc, nous avons élu nos députés, nos sénateurs, etc.
13:41 Nous n'avons pas élu McKinsey, ni Ursula von der Leyen,
13:44 mais c'est un autre problème.
13:45 Et on nous dit, oui, c'est le gouvernement, vous l'avez dit,
13:48 Barbara Stiegler, du peuple, pour le peuple et par le peuple.
13:52 On écoute ça, et on a envie de rire.
13:54 - Oui, alors, le gouvernement représentatif,
13:58 parce qu'il s'appelle comme ça au départ,
14:00 il a été inventé en réponse à la poussée démocratique extraordinaire
14:05 de la deuxième moitié du 18e siècle.
14:07 - C'est là, c'est à ce moment-là.
14:09 - C'est là, c'est au moment de la grande révolution américaine
14:11 et surtout de la grande révolution française,
14:13 qu'une partie des peuples, et c'est un peu partout dans le monde,
14:17 remettent à l'ordre du jour ce régime des mosques kratos.
14:20 Il en est de plus en plus question.
14:22 Un peuple qui se gouvernerait lui-même
14:24 et qui n'aurait aucun chef au-dessus de lui.
14:27 Alors, ce choc du 18e siècle, ce choc révolutionnaire
14:31 qui va parcourir presque la totalité du monde,
14:35 va recevoir une réponse par les libéraux.
14:39 Les libéraux vont répondre qu'il faut faire une place à ce peuple,
14:42 qui avant n'existait pas, tout simplement,
14:45 c'était une population, c'était des sujets...
14:48 - Le peuple est une idée neuve.
14:50 - Voilà, le peuple comme acteur politique,
14:52 c'est quelque chose qui est complètement neuf,
14:54 ou plutôt qui reprend une idée athénienne.
14:56 Et donc, cette réalité du peuple qui a surgi,
15:01 par exemple en France au 14 juillet,
15:03 je renvoie vos auditeurs au magnifique livre d'Éric Juillard,
15:07 14 juillet, qui décrit avec les armes de la littérature
15:11 le surgissement de ce nouvel acteur, le peuple,
15:14 qui avant était une collection d'individus ou de sujets
15:17 ou de populations.
15:19 Donc ce peuple, ils veulent lui faire quand même une place
15:21 parce qu'on ne peut pas l'annihiler.
15:23 Alors quelle place ils vont lui donner ?
15:25 Eh bien, ils vont considérer qu'il y a des élus
15:28 qui constituent une nouvelle aristocratie,
15:31 qui n'est pas fondée sur la naissance,
15:33 mais sur la compétence.
15:35 Et le peuple est concerné par cette nouvelle aristocratie
15:38 de deux manières.
15:40 Première manière, ce serait au peuple de contrôler
15:44 que c'est les bons aristocrates,
15:46 c'est ceux qui sont vraiment compétents, qui vont aux affaires.
15:48 Donc on a la mise en place de suffrages,
15:50 d'abord censitaires,
15:52 puis petit à petit, universel, masculin,
15:55 et puis vraiment à la toute fin, universel, tout court,
15:58 c'est-à-dire que les femmes sont invitées à voter aussi.
16:01 Donc ça, c'est pour contrôler la loyauté, la vertu
16:05 et la réelle compétence supposée de ces élus.
16:08 Voilà, donc le peuple, il a un rôle ici, comme électeur,
16:12 mais ce n'est pas du tout lui qui gouverne,
16:14 ce n'est pas du tout lui qui délibère,
16:16 ce n'est pas du tout lui qui décide quoi que ce soit,
16:18 il contrôle juste la qualité des élus.
16:20 - De ses représentants.
16:22 - De ses représentants, qui deviendront assez vite d'ailleurs
16:24 ces champions au sens sportif.
16:26 On va lui demander d'être le supporter de la bonne équipe,
16:29 dans la soi-disant démocratie partidaire.
16:32 Et puis, le deuxième rôle du peuple,
16:36 il est très intéressant, c'est de considérer que ces élus,
16:39 parce qu'ils sont non pas bien nés,
16:42 mais en tout cas bien éduqués,
16:44 bien expérimentés, compétents, etc.
16:47 et à ce titre, correspondant à des aristoïes,
16:50 et bien, eux sauraient ce que les libéraux appellent,
16:55 à la suite des révolutionnaires, l'intérêt général du peuple.
16:58 C'est-à-dire que vous vous trouvez dans une situation extrêmement intéressante
17:01 où vous avez un peuple acteur qui s'est insurgé,
17:05 qui a dit "nous sommes le peuple et nous voulons gouverner",
17:09 la démocratie, en tout cas une partie d'entre eux,
17:11 pas tous, mais une partie d'entre eux,
17:13 a mis la démocratie à l'ordre du jour.
17:15 Et puis vous avez en face une aristocratie élective
17:18 qui va se constituer et qui va dire
17:20 "vous le peuple n'êtes pas capable
17:23 de saisir votre intérêt général,
17:27 vous n'en êtes pas capable.
17:29 Nous qui ne sommes pas le peuple,
17:32 savons mieux que vous,
17:34 ce qui est bon pour vous, un peu,
17:36 sur le modèle paternel,
17:38 le corps du bien,
17:40 et c'est papa-maman.
17:42 - Il y a quand même un modèle tout à fait paternel,
17:44 paternaliste, qui est de dire que,
17:46 au fond, le peuple est un enfant,
17:49 et d'ailleurs Tocqueville, de la démocratie en Amérique,
17:52 n'hésite pas à confondre la démocratie
17:54 qu'il pense malheureusement à ses yeux
17:57 irréversibles,
17:59 il n'hésite pas à la qualifier
18:01 d'enfant des rues, d'enfant sauvage
18:03 qu'il va falloir domestiquer.
18:06 Donc, cet enfant a été très vite domestiqué,
18:09 soyons clairs.
18:11 - Oui, et ce gouvernement représentatif
18:14 va se mettre à s'appeler lui-même
18:16 sous la poussée,
18:18 les multiples poussées révolutionnaires,
18:21 les répliques de la Révolution française de 1830,
18:23 1848, 1871,
18:25 ensuite on a le CNR,
18:27 enfin on a des poussées comme ça, permanentes,
18:29 on a avant 36, bon, on a toutes sortes de poussées
18:31 dans l'histoire sociale et révolutionnaire de la France,
18:34 avec la remise à chaque fois à l'ordre du jour
18:37 de l'expression de 1993
18:39 "la République sociale et démocratique"
18:41 ou "la République démocratique et sociale"
18:43 mais là c'est le démocratique qui m'intéresse,
18:45 et bien à chaque fois il va y avoir
18:47 une reprise par les libéraux
18:49 qui ne sont pas démocrates,
18:52 qui ne veulent pas que le peuple gouverne,
18:54 il va y avoir une reprise du mot.
18:56 Et le mot va complètement changer de sens.
18:58 Et à la fin on arrive à cette absurdité
19:00 qui est celle d'aujourd'hui,
19:02 où on nous raconte,
19:04 c'est quand même le discours dominant,
19:06 qui est un discours très installé dans la tête de tout le monde,
19:08 il faut vraiment se battre contre soi-même
19:10 pour ne pas parler comme ça,
19:12 qu'il y aurait d'un côté la démocratie représentative,
19:14 avec des élus qui seraient censés
19:16 saisir notre intérêt général
19:18 que nous on ne serait pas capable de saisir,
19:20 et puis de l'autre,
19:22 pour remettre un peu de vie dans tout ça,
19:24 il y aurait la démocratie participative,
19:26 où de temps en temps,
19:28 un morceau du peuple serait invité
19:30 à venir donner son avis
19:32 sur telle ou telle micro-question.
19:34 - Les comités citoyens,
19:36 les conseils citoyens, etc.
19:38 - Voilà. Tout ça est aberrant.
19:40 C'est-à-dire que quand vous dites qu'il y a une démocratie participative,
19:42 comme on le dit souvent
19:44 dans nos interventions publiques
19:46 avec Christophe Pébard,
19:48 ça veut dire que serait une démocratie
19:50 dans laquelle le peuple ne participe pas ?
19:52 Mais c'est juste une absurdité.
19:54 La démocratie, c'est même pas une participation du peuple.
19:56 C'est le peuple qui délibère
19:58 et qui décide pour lui-même.
20:00 Donc s'il est invité à participer
20:02 de temps en temps sur des petites questions locales,
20:04 et après coup,
20:06 ça n'a rien à voir avec de la démocratie.
20:08 - Alors ça, c'est...
20:10 Non mais c'est bien de poser le sujet
20:12 comme ça, effectivement,
20:14 mais ça laisse à la fois
20:16 un peu rêveur,
20:18 parce que justement, vous montrez ce que n'est pas la démocratie.
20:20 Vous avez montré
20:22 philosophiquement et en termes,
20:24 et je dirais, sémantiquement,
20:26 ce qu'est la démocratie.
20:28 Mais aujourd'hui, alors je vous pose la question,
20:30 Barbara Stiegler,
20:32 est-ce qu'on est en quel type
20:34 de régime aujourd'hui ?
20:36 - Aujourd'hui, on a affaire
20:38 à ce qui s'appelle
20:40 le gouvernement représentatif.
20:42 Ce gouvernement représentatif
20:44 est très souvent défaillant
20:46 dans le sens
20:48 où il représente mal
20:50 ce qu'il est censé représenter.
20:52 Mais en tout cas, le gouvernement représentatif,
20:54 c'est un régime électif avec une aristocratie élective
20:56 qui, dans le meilleur des cas,
20:58 correspond à une république
21:00 aristocratique et élective,
21:02 dans le sens où il y a un effort pour saisir
21:04 l'intérêt général,
21:06 et dans le pire des cas, est corrompu
21:08 et on est très loin de la république.
21:10 Alors, je laisse
21:12 chacun apprécier. Moi, j'ai l'impression
21:14 qu'on est aujourd'hui extrêmement loin
21:16 de l'intérêt général. - Est-ce que vous pensez qu'on est
21:18 dans une république bananière
21:20 comme on parlait de monarchie bananière ?
21:22 - Je pense en tout cas qu'on a affaire à une plutocratie.
21:24 En France, c'est très net.
21:26 J'ai connu un pays dans lequel
21:28 les institutions républicaines fonctionnaient
21:30 plus ou moins bien, avec beaucoup d'imperfections
21:32 bien sûr, mais plus ou moins bien.
21:34 Elles sont toutes en train de se détraquer à travers
21:36 la destruction délibérée et orchestrée
21:38 des services publics.
21:40 Il n'y a pas de république
21:42 sans services publics. Et donc, à la fin,
21:44 c'est une clique,
21:46 un entre-soi plutocratique,
21:48 d'ailleurs mal éduqué,
21:50 incompétent. Moi, quand je vois le niveau
21:52 des ministres actuels, je suis effaré
21:54 sur leur niveau scolaire, intellectuel.
21:56 La population générale
21:58 est infiniment plus
22:00 éduquée, raffinée que
22:02 les gens qui, brutalement, nous imposent
22:04 des réformes qui n'ont aucun sens
22:06 et qui ne correspondent pas à ce que nous souhaitons.
22:08 Donc oui, aujourd'hui, là, en France, on est arrivé
22:10 à vraiment un état de liquidation
22:12 générale, même de l'intérêt,
22:14 de la notion même d'intérêt général.
22:16 Mais c'est encore un autre sujet.
22:18 - Oui, mais c'est important quand même
22:20 de le dire,
22:22 de dire ce que vous en pensez, aussi, vous êtes citoyenne
22:24 comme les autres, et philosophe
22:26 pas comme les autres. On va peut-être prendre
22:28 des éliteurs. - Oui, puisque vous êtes beaucoup
22:30 à nous appeler. On a Christophe qui nous appelle d'Angers.
22:32 Bonjour Christophe. - Bonjour Christophe.
22:34 - Bonjour André, bonjour madame Stigler.
22:36 Alors moi, je suis
22:38 assez agacé
22:40 par des journalistes
22:42 et les commentateurs politiques, qui doivent avoir
22:44 une culture politique bien plus importante que la mienne,
22:46 parce qu'on ne peut plus être de gauche ou de droite,
22:48 maintenant on est soit d'extrême-droite, soit d'extrême-gauche.
22:50 Et c'est déjà une confiscation
22:52 un peu de la démocratie, me semble-t-il.
22:54 Pourquoi ? Parce qu'il me semble
22:56 que le conservatisme
22:58 de droite, ça ne veut pas dire d'extrême-droite.
23:00 Et quant à la gauche, elle a subi
23:02 des mutations qui font que, bon,
23:04 l'étranger est une figure magnifiée,
23:06 le déracinement,
23:08 la lutte contre les pots d'échappement,
23:10 plutôt que contre la lutte des classes.
23:12 Mais dans le discours
23:14 médiatique, il n'y a que
23:16 extrême-gauche et extrême-droite, ce qui fait qu'on est
23:18 convoqué à une radicalité
23:20 qui nous enferme, nous.
23:22 Vous voyez ce que je veux dire ?
23:24 Et ça, c'est pitoyable
23:26 et nul, quoi.
23:28 Parce que quand on s'intéresse un peu
23:30 à l'histoire de la pensée politique,
23:32 l'histoire des droites, des gauches,
23:34 c'est pas ça, me semble-t-il.
23:36 - On va en parler. Merci, Christophe.
23:38 Barbara Stiegler.
23:40 L'extrémisation de la...
23:42 - Oui, je peux en témoigner, moi, à titre personnel.
23:44 Comme vous savez, je me suis inscrite
23:46 quelque part dans le champ
23:48 politique actuel. Je pense que
23:50 vous avez dû vous renseigner.
23:52 On n'est pas dans les mêmes
23:54 lieux que l'auditeur, vous-même
23:56 et moi. Et moi, je trouve
23:58 très important, justement, que des gens comme nous,
24:00 qui ne sommes pas dans le même endroit de l'échiquier politique,
24:02 puissions nous parler sans nous insulter
24:04 et en essayant de rester rationnels.
24:06 Donc c'est pour ça que je suis très contente
24:08 et que j'ai accepté sans hésitation votre invitation
24:10 et je suis très contente d'être ici.
24:12 Je vais donc témoigner
24:14 depuis
24:16 les...
24:18 disons, le lieu où je me trouve aujourd'hui
24:20 dans mes soutiens politiques.
24:22 J'ai soutenu la candidature de Jean-Luc Mélenchon.
24:24 Aujourd'hui,
24:26 quand vous soutenez
24:28 la candidature de Jean-Luc Mélenchon, vous êtes
24:30 considéré comme extrémiste.
24:32 - On vous a qualifié
24:34 d'extrémiste. - Oui, vous êtes considéré
24:36 comme appartenant à l'extrême-gauche. Cela n'a,
24:38 comme le dit cet auditeur,
24:40 strictement aucun sens sur le plan historique.
24:42 L'extrême-gauche existe en France,
24:44 je la respecte, je discute
24:46 avec des camarades d'extrême-gauche,
24:48 c'est leur choix, c'est leur ancrage politique,
24:50 ce n'est pas le mien et ce n'est pas celui
24:52 non plus de la France insoumise
24:54 que j'ai soutenu aux dernières élections présidentielles.
24:56 Pourquoi ? Parce que
24:58 le discours, le corpus idéologique
25:00 de Jean-Luc Mélenchon
25:02 correspond à peu près
25:04 au socialisme français républicain qui s'est
25:06 constitué à la fin du XIXe siècle, autour de figures
25:08 comme Jean Jaurès.
25:10 Il s'est ensuite agrégé
25:12 d'autres questions, des questions décoloniales,
25:14 etc. Certains le déplorent,
25:16 d'autres en sont ravis, c'est encore une autre question.
25:18 Mais le cœur doctrinal
25:20 de la gauche
25:22 incarnée par la France insoumise,
25:24 c'est le
25:26 socialisme républicain.
25:28 - Cela dit, oui, cela dit on... - C'est-à-dire, je développe,
25:30 lutter contre le système
25:32 capitaliste par des voies
25:34 qui ne sont pas celles
25:36 de la révolution dans la rue,
25:38 mais aussi par le système électif,
25:40 par des réformes, etc.
25:42 Bref, tout ça pour dire que
25:44 classé, on en est aujourd'hui,
25:46 il y a un tel déport vers
25:48 non seulement la droite,
25:50 mais les positions justement. Alors là,
25:52 pour le coup, de l'extrême droite, que
25:54 tous ceux qui ne sont pas
25:56 allés de ce côté-là
25:58 apparaissent comme d'extrême gauche. - C'est vrai. Mais Barbara Sigler,
26:00 on pourrait vous répondre de la même façon.
26:02 Le nombre de gens qui ont des positions
26:04 un peu différentes, qui sont qualifiés d'extrême droite
26:06 est totalement imbécile
26:08 aussi. C'est-à-dire que vous avez les deux côtés.
26:10 Parce que, mais on ne va pas avoir l'exclusion
26:12 sur Mélenchon, on l'aura une autre fois.
26:14 Parce qu'il n'y a pas que Mélenchon, il y a autour de Mélenchon
26:16 un certain nombre de gens qui partent,
26:18 à mon avis, dans tous les sens. Mais moi, je trouve
26:20 absolument, et je suis d'accord avec vous,
26:22 mais je trouve le pire,
26:24 c'est, attendez, d'où tu parles ?
26:26 Mais qui sait dire d'où tu parles ? Excusez-moi,
26:28 vous êtes Barbara Sigler avant d'avoir une étiquette.
26:30 Vous avez vos convictions,
26:32 vous les étayez, etc. C'est ça qui compte.
26:34 Moi, je me fous totalement,
26:36 et je vous dis, les gens que je reçois,
26:38 je ne regarde pas leur étiquette avant de les recevoir.
26:40 Mais qu'ils soient d'extrême gauche, j'ai reçu des gens
26:42 d'extrême gauche, j'ai reçu des intégristes comme
26:44 Kémy Séba, et c'est très bien.
26:46 Je veux dire, ce n'est pas un problème, même si je ne suis pas d'accord.
26:48 L'imbécilité,
26:50 et je dis aussi bien chez les Mélenchonistes
26:52 que chez les
26:54 Rassemblements Nationaux ou autres, c'est quand
26:56 avant de discuter, vous dites
26:58 que vous êtes d'extrême droite. Et ça, ça frappe tout le monde,
27:00 y compris chez les Mélenchonistes. C'est ça qui ne va pas.
27:02 C'est que ces gens-là,
27:04 chosifient, ce sont des âmes
27:06 aélières, pardon de le dire aussi,
27:08 et je dis aussi bien à gauche qu'à droite.
27:10 Quand vous avez ça, quand vous avez ce genre
27:12 de discussions, c'est fini, il n'y a plus de discussion.
27:14 Il y a, les gens sont là,
27:16 alors moi je suis dans un camp, je suis content,
27:18 j'ai mes béquilles, je suis content.
27:20 - Il faut parler de la chose elle-même.
27:22 Ce qu'on appelle en philosophie la chose même.
27:24 Par exemple, actuellement,
27:26 dans le cas du conflit actuel,
27:28 Israëlo-Arabe qui reprend, ou plutôt Israëlo-Palestinien,
27:30 pour nommer les choses de manière plus rigoureuse,
27:32 je vous assistais
27:34 aujourd'hui, depuis deux ou trois jours,
27:36 à ce phénomène extraordinaire.
27:38 Jean-Louis Bourlange, par exemple,
27:40 qui est considéré
27:42 comme faisant partie
27:44 du camp de la raison,
27:46 va avoir toute une série d'énoncés,
27:48 qui seront en gros exactement les mêmes que
27:50 ceux de la France Insoumise ou de l'éditorial
27:52 de Haaretz. - Oui.
27:54 - Quand c'est Jean-Louis Bourlange qui le dit,
27:56 on va vous dire "oui, là, il est en train
27:58 d'expliquer, mais il ne justifie pas".
28:00 Quand c'est l'éditorial
28:02 d'Haaretz, qui est accablant
28:04 pour Netanyahou, on va dire
28:06 "il explique, mais il ne justifie pas".
28:08 Et quand c'est des partisans de la France Insoumise
28:10 qui font exactement la même opération,
28:12 "ah, il justifie parce qu'il cherche
28:14 des électeurs". Mais c'est
28:16 affolant, c'est-à-dire que c'est une forme d'attitude
28:18 macartiste. C'est-à-dire qu'on
28:20 essaie de regarder, effectivement,
28:22 quelles sont vos intentions cachées au lieu
28:24 d'écouter ce que vous êtes en train de raconter.
28:26 Et ça, ça détruit tout espace public.
28:28 - C'est vrai, mais le problème, c'est qu'il ne faudrait pas que les gens
28:30 qui disent ça, s'adonnent
28:32 à l'exercice avec leurs adversaires politiques.
28:34 Et le problème, c'est qu'ils le font des deux côtés.
28:36 - Oui, mais tout à fait, c'est une attitude extrêmement
28:38 répandue.
28:40 - On se reparle après une petite pause.
28:42 - Oui, on marque une courte pause sur Sud Radio
28:44 et puis on aura Philippe qui nous appelle
28:46 à tout de suite sur Sud Radio.
28:48 Retour dans la face-à-face sur Sud Radio.
28:50 Nous sommes ensemble jusqu'à 14h
28:52 avec Barbara Stiegler qui est notre invitée du jour.
28:54 Et puis, nous recevons Philippe qui nous appelle
28:56 depuis Caen. Bonjour Philippe.
28:58 - Bonjour Philippe. - Oui, bonjour André.
29:00 Bonjour Madame Stiegler. Merci de votre franchise.
29:02 J'aimerais juste,
29:04 avant de commencer, faire quelque chose
29:06 de remarque. Condoléances au peuple juif
29:08 qui, pour moi, est aussi une grande démocratie.
29:10 Pour info.
29:12 Moi, il y a un symbole
29:14 qui peut aussi fédérer les gens.
29:16 C'est quand je vois la flamme olympique.
29:18 Pour moi, ça inspire en tout cas.
29:20 Pour moi, la démocratie est un symbole
29:22 de liberté.
29:24 - La flamme olympique, vous dites ?
29:26 - Oui, la flamme olympique.
29:28 On va dire qu'elle est universelle.
29:30 Elle est un symbole de liberté.
29:33 Madame Stiegler, je vous pose juste une question.
29:35 Comment, d'après vous,
29:37 accéder, vous pourrez dire ça comme ça,
29:40 à une démocratie de type
29:43 fédéral, confédéral,
29:46 que connaît la Suisse, par exemple ?
29:48 - Merci de votre question.
29:52 La Confédération suisse,
29:54 ça correspond à plusieurs langues.
29:56 C'est vraiment très loin de notre histoire.
29:59 Notre histoire, nous, en France,
30:01 si votre question porte sur la France,
30:03 et pas sur l'Union européenne,
30:05 ou alors elle porte sur l'Union européenne,
30:07 ce qui est encore autre chose.
30:09 - Votre question porte sur la France ?
30:11 - Oui, tout à fait, affirmative.
30:13 - D'accord. - Alors, si votre question porte sur la France,
30:16 ce que je trouve très intéressant
30:18 dans l'expérience démocratique suisse,
30:20 que malheureusement je connais mal,
30:22 mais à laquelle j'essaie de m'initier depuis peu,
30:24 je vais en Suisse,
30:26 et je cultive des relations avec des Suisses
30:28 pour justement, et de même,
30:30 la même chose avec les Belges,
30:31 qui sont dans un espace francophone en Wallonie,
30:33 qui ont une pratique politique très différente
30:35 de la nôtre, d'ailleurs, et de la Suisse.
30:37 Ce que je trouve intéressant,
30:39 c'est l'idée d'assembler.
30:41 D'assembler permanente,
30:44 récurrente, que les gens prennent l'habitude
30:46 de s'assembler, qui prennent l'habitude
30:48 de délibérer, qui prennent l'habitude
30:50 de se gouverner eux-mêmes par le fait
30:52 de s'assembler, de délibérer,
30:54 et de décider ensemble, et de suivre la décision
30:56 collective. Alors, la votation suisse, etc.
30:59 a été récritiquée par les Suisses,
31:01 parce qu'il y a plein de versions dégradées
31:03 de la chose, du fait aussi d'un espace médiatique
31:05 qui n'est pas idéal. - Mais le fait de s'assembler,
31:07 délibérer... - Mais en tout cas, ça, ça donne une voix
31:09 sur le fait que... Vous savez, les Athéniens,
31:11 André Bercoff me demandait tout à l'heure, hors micro,
31:13 comment on fait la démocratie.
31:15 Les Athéniens, ils la faisaient
31:17 en refusant de désigner
31:19 un grand homme. Périclès n'est pas
31:21 le chef d'Athènes, il n'a jamais été.
31:23 Il a une fonction militaire,
31:25 il est consulté, mais c'est pas lui qui décide.
31:27 Ils s'en sortaient
31:29 en laissant délibérer,
31:31 en demandant à un collectif
31:33 permanent de délibérer sur la colline
31:35 de la Pnyx, qui a délibéré
31:37 pendant deux siècles. - Colline d'Athènes, quoi.
31:39 - Voilà, la colline d'Athènes, en face de l'acropole,
31:41 qui, une journée entière,
31:43 vous étiez invité
31:45 à aller sur la Pnyx. - Chaque combien ?
31:47 Une journée entière ? - À peu près tous les dix jours.
31:49 - D'accord. - Pendant deux siècles,
31:51 vous imaginez, c'est complètement fou.
31:53 Et toutes les personnes qui appartenaient
31:55 au corps,
31:57 au collectif délibérant,
31:59 ayant capacité de voter, de prendre des décisions,
32:01 étaient invitées à venir.
32:03 Donc, quand on arrivait à 6000, on considérait
32:05 qu'il y avait le quorum, et commençait la délibération.
32:07 - À 6000 ? - Oui.
32:09 - C'est formidable, quel rêve !
32:11 - On écoutait pendant toute une journée des prises
32:13 de parole, ensuite on tranchait.
32:15 Pour répondre à votre question,
32:17 il serait aberrant de reprendre ce modèle
32:19 en se disant
32:21 que la Pnyx
32:23 serait place de la Concorde.
32:25 De même qu'il serait aberrant
32:27 d'en mettre au milieu de la France
32:29 ou sur la Méditerranée.
32:31 Votre question
32:33 propose celle de la pluralité
32:35 de ces collectifs délibérants et comment ils s'articulent
32:37 entre eux. Et je crois que la voie est là.
32:39 Aujourd'hui, si vous prenez l'échelle
32:41 du département, qui est une échelle à laquelle je suis
32:43 profondément attachée, et qui est aujourd'hui
32:45 menacée de destruction par nos
32:47 réformateurs. L'échelle du département
32:49 est très importante, parce que c'est l'échelle qui a été inventée
32:51 par les révolutionnaires, et ce n'est pas pour rien.
32:53 D'ailleurs, les Français y sont très attachés.
32:55 Cette échelle du département,
32:57 c'est une échelle relativement à taille humaine,
32:59 qui correspond à peu près à la taille
33:01 de la cité athénienne,
33:03 qui est une région, en fait, qui est un territoire
33:05 latique. Et
33:07 on peut très bien imaginer
33:09 une délibération permanente et récurrente
33:11 à l'échelle des départements, que
33:13 ces collectifs délibérants
33:15 soient contraints de
33:17 s'accorder entre eux à une échelle nationale
33:19 pour trancher sur toutes les grandes questions.
33:21 C'est tout à fait envisageable. Il n'y a
33:23 absolument rien qui nous empêche
33:25 de le faire. Nous en avons la conviction.
33:27 - Et de le faire dans la même... Comme les Athéniens tous les 10 jours.
33:29 - Oui. La seule chose
33:31 à quoi il faudrait éviter,
33:33 évidemment, ce serait qu'il y ait une centralité.
33:35 Et les révolutionnaires français se sont
33:37 complètement
33:39 confrontés à cette problématique, avec la tension
33:41 entre un centre unique qui serait l'Assemblée
33:43 nationale, qui a voyagé
33:45 entre Versailles, les Tuileries, etc.
33:47 et qu'aujourd'hui au Palais-Bourbon,
33:49 et ce qu'on a appelé les "communes insurrectionnelles".
33:51 Les communes
33:53 qui demandaient, avec la
33:55 sans-culotterie, à décider pour
33:57 eux-mêmes et qui étaient dans une tension plus ou moins
33:59 fructueuse avec l'Assemblée.
34:01 Là, on a des voix historiques, extrêmement
34:03 précises et sérieuses. - Et on a communiqué ça à la commune
34:05 de Paris. - Oui, la commune insurrectionnelle de
34:07 Paris, qui a eu un rôle fondamental dans la révolution française,
34:09 mais il y a eu d'autres communes, à Lyon, à Bordeaux,
34:11 etc. Et ensuite, il y a eu
34:13 les aristocrates et
34:15 les contre-révolutionnaires
34:17 ont orchestré, ont mis
34:19 en place une immense guerre civile
34:21 et se sont alliés
34:23 avec les étrangers qui souhaitaient
34:25 bloquer la révolution. Et évidemment,
34:27 on a basculé dans un tel niveau
34:29 de guerre que tout ça a
34:31 aussi capoté pour ces raisons. - Mais vous vous dites
34:33 que c'est possible aujourd'hui. - Il faut reprendre ces chantiers.
34:35 - Et surtout qu'on a un grand allié, quand même,
34:37 à Brassil, Internet. - Exactement.
34:39 - Ils ne l'avaient pas, les révolutionnaires. - Alors, c'est intéressant,
34:41 mais à manier avec prudence.
34:43 Moi, je manie beaucoup l'outil Internet.
34:45 Puisque j'ai ouvert un compte Twitter,
34:47 maintenant, je ne voulais pas aller sur ce
34:49 terrain. J'avais le confort,
34:51 étant invitée un peu partout, de l'éviter.
34:53 Mais comme petit à petit, mon discours
34:55 peut gêner, indisposer certaines
34:57 radios publiques,
34:59 certaines chaînes privées, au bout d'un moment,
35:01 on vous retire le micro.
35:03 - Donc, c'est bien les réseaux sociaux,
35:05 de ce point de vue-là. - J'ai été invitée et violemment désinvitée
35:07 par les mêmes, qui ont eu une intervention
35:09 de je ne sais qui pour que Barbara Stiegler ne doit pas venir
35:11 parce que ce qu'elle raconte est problématique,
35:13 parce que ça serait un peu trop révolutionnaire.
35:15 Vous voyez, on en est là, aujourd'hui.
35:17 Un peu poussée dans mes retranchements,
35:19 j'ai ouvert un compte Twitter pour me défendre.
35:21 Oui, c'est intéressant, mais
35:23 ça ne suffit pas. C'est-à-dire que
35:25 c'est dangereux aussi de passer sa vie
35:27 à s'imaginer qu'on pourrait faire une e-lutte
35:29 ou une e-démocratie derrière son écran.
35:31 - Je dis Internet à l'aide et à point
35:33 avec ces rencontres-là. - Évidemment,
35:35 c'est plus puissant que
35:37 l'outil téléphonique ou l'outil messager
35:39 qu'on avait pendant l'Antiquité. Donc,
35:41 la coordination de
35:43 ces collectifs délibérants
35:45 est parfaitement possible.
35:47 - Alors voilà, vous venez d'assister à un bel exercice
35:49 de démocratie pendant
35:51 de 13 à 14 heures avec
35:53 Barbara Stiegler et je vous assure qu'on
35:55 réitérera cet exercice.
35:57 - Merci d'avoir été avec nous, Barbara Stiegler.
35:59 On rappelle ce livre en vrai.
36:01 "Démocratie manifeste", c'est publié aux éditions
36:03 du Bordeaux. André...
36:05 - Il faut s'adapter, folio
36:07 essai, réédition. - André Bercoff