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00:00Bienvenue au Coeur du Crime, un podcast ici des Archives d'Europe 1.
00:08Savez-vous que plus d'un tiers des crimes et délits commis en France sont traités par la gendarmerie nationale ?
00:18Je m'appelle Jan Kermadek, je suis commandant de gendarmerie.
00:27Je dirige une section de recherche dont la mission essentielle est une mission de police judiciaire.
00:42L'histoire que je vais vous raconter est une histoire vraie.
00:46Tous les faits sont réels et se sont déroulés en France.
00:50Seuls les noms des personnes et des lieux ont été changés.
00:56Lorsqu'on tient une boutique d'occasion, on peut entendre des histoires qui défient toute logique.
01:05Les vieux objets transportent parfois des légendes inattendues et provoquent des drames que l'on ne soupçonnerait pas chez les personnes qui les possèdent.
01:15Johnny Hammer passe la majeure partie de sa journée dans son arrière-boutique à astiquer les dernières reliques qu'il a acquises.
01:23Vases de jade, bijoux, figurines en porcelaine, assiettes décoratives et parfois même quelques petits meubles.
01:31Elles sont nombreuses à venir lui apporter au compte-gouttes leurs objets chéris, les petites vieilles du quartier.
01:38Il faut dire qu'il leur fait une cour assidue.
01:41Une anecdote en appelle une autre et Johnny Hammer sait accorder l'attention qu'il convient,
01:47prêter une oreille attentive à ce passé en miettes qui est le leur.
01:51Mais des miettes qui recèlent parfois des petits trésors.
01:56— Dites-moi, madame Holmes, si vous m'apportiez la paire de boucles d'oreilles de votre tante Alice pour que j'y jette un petit coup d'œil,
02:04je suis sûr qu'elle vaut son pesant d'or et que vous êtes loin de l'imaginer.
02:09Elle se montre rarement rétive à cette proposition.
02:13En général, elles s'empressent dès le lendemain de réapparaître dans la petite boutique
02:18en brandissant, dont on ne sait quelle partie secrète de leurs toilettes, un bijou de famille
02:23ou bien de leurs cabas, un objet précieux enrobé de papiers journaux.
02:28Johnny Hammer se félicite souvent de bien savoir s'y prendre avec elles.
02:33Il lui en faudra toujours des petites vieilles pour que vive son modeste commerce.
02:38Car ça n'est pas en comptant sur son paresseux d'associé Harry Walters qu'il ferait beaucoup d'affaires.
02:47Ils se sont connus au régiment, et Harry se croit pour cela tout permis.
02:53Il n'entend pas le réveil sonner et rate l'heure d'ouverture du magasin sans parler de la tournée des marchés qui les scamote.
03:00Il en revient le plus souvent en bredouille.
03:03Une fois, il est même allé jusqu'à dire qu'on lui avait volé le vase chinois qu'il venait d'acheter.
03:09Il a mis l'argent dans sa poche, s'est dit Johnny, pour emmener une de ses petites amies en week-end à la campagne
03:15ou bien pour s'acheter une nouvelle chemise de soie.
03:18Mais quelle preuve pouvait-il avoir pour l'accuser ?
03:22Il tient quand même à conserver des relations respirables avec son amie.
03:27Il lui a proposé naïvement de devenir son associé parce que Harry rêvait de gagner beaucoup d'argent chez un antiquaire.
03:34« Eh bien, tu peux commencer dès à présent en devenant mon associé. »
03:38« En effet, a-t-il répondu, aujourd'hui c'est une boutique d'occasion, mais dans quelques années, qui sait ? »
03:45Au début, il s'est montré très désireux d'apprendre.
03:50Mais au bout d'un an, Johnny Hammer a commencé à ne plus tellement dormir sur ses deux oreilles.
03:57Ses soupçons grandissent de jour en jour. Il lui semble, par de menus détails, que son amie le vole.
04:05Le rapport de comptabilité révèle que l'affaire marche de moins en moins bien et les comptes ne tombent plus justes depuis au moins six mois.
04:13Lorsqu'il en parle à Harry, celui-ci répond « Mais les vieilles nous font languir, il faudra les relancer chez elles. »
04:19Johnny hausse les épaules.
04:22Il sort de sa vieille blouse poussiéreuse le petit carnet sur lequel il comptabilise le nombre de visites de chacune d'elles,
04:29en notant scrupuleusement tous les objets en instance qu'elles lui ont promis.
04:33Le sablier de l'oncle Paul, le pupitre du petit Gilbert, la liste est longue, longue.
04:40« Tu te trompes, Harry. Elles sont plus généreuses que jamais. Je ne comprends pas. »
04:46Harry trouve toujours quelque chose à faire dans ces cas-là et laisse son amie en train de se ronger les ongles.
04:52Depuis quelques temps, il a même pris l'habitude de prendre des airs arrogants avec Johnny et de répondre d'une façon irritante aux questions qu'il lui pose.
05:01« Mais tu devrais t'habiller mieux et fréquenter un peu plus les femmes au lieu de passer ton temps à refaire les comptes et cirer des meubles. »
05:09Johnny laisse faire.
05:11Johnny a une nature conciliante, pourvu que Harry n'aille pas trop loin, mais ce matin, c'en est trop, vraiment, c'en est trop.
05:19Voilà qu'il chasse les clients maintenant.
05:22Une pauvre vieille entre dans la boutique pour acheter un vase de cinquante francs qui se trouve là, à l'adventure.
05:28Johnny, du fond de l'arrière-boutique, a entendu la cloche de la porte tintée, mais lorsqu'il arrive, Harry s'est déjà approché d'elle.
05:35Il fait mine alors de se retirer, mais reste et écoute.
05:40Peut-être va-t-il enfin le prendre en flagrant délit de vol.
05:44C'est facile, il suffit qu'il lui annonce un prix plus élevé que celui qu'ils avaient convenu ensemble et il empoche la différence.
05:53Johnny n'a jamais été partisan de coller des étiquettes de prix sur les objets, non.
05:58Comme ça, ça oblige les gens à entrer dans la boutique pour demander.
06:03La petite dame s'attarde et hésite.
06:06Ça représente une somme pour elle, cinquante francs.
06:10Et voilà qu'Harry se met à lui parler sur un ton hargneux, si bien qu'elle sort finalement toute honteuse de la boutique.
06:18Johnny débouche alors du petit corridor et, pour la première fois, il réprimande Harry vertement.
06:23Ah, tu as eu ce que tu voulais, hein ? Elle ne reviendra plus jamais ici.
06:26Qu'est-ce que ça peut faire ?
06:28Elle n'arrivait pas à se décider à dépenser cinquante francs.
06:31À quoi bon perdre son temps avec des gens comme ça ?
06:33Je t'en prie, Harry, je t'en prie, cesse de prendre tes grands airs.
06:37Cette vieille femme est venue ici avec l'intention de dépenser cinquante francs.
06:41Le choix de ce vase avait pour elle autant d'importance qu'aurais-tu, pour une duchesse, le choix d'un Ming.
06:46Par contre, je suis sûr que si ça avait été une belle et jeune femme, tu aurais pris tout ton temps.
06:52Et en plus, tu lui aurais fait un cadeau.
06:56La cloche de la porte d'entrée tinte à nouveau aux oreilles des deux hommes.
07:01Un homme grand et habillé en marin pénètre dans la boutique.
07:07Il ne s'est pas rasé depuis plusieurs jours et dégage une forte odeur de whisky.
07:13Si Johnny avait rencontré un tel individu dans la rue, il aurait changé de trottoir pour l'éviter.
07:19Son instinct le pousserait à s'en débarrasser.
07:23Mais après la remarque qu'il vient de faire à Harry, que peut-il lui dire ?
07:28Il veut au contraire lui donner une leçon, et il avance vers le marin.
07:32« Que puis-je faire pour vous, monsieur ? »
07:35De la poche de sa veste toute graisseuse, le marin sort une photo qu'il met sous le nez de Johnny.
07:43« Combien me donnerez-vous pour ça ? »
07:46La photo représente une statue de seize centimètres environ sculptée dans une pierre jaune.
07:53Il s'agit d'un homme accroupi, les jambes croisées, les mains sur les genoux et le buste bien droit.
08:00Il n'a pas de visage, la tête forme simplement un crâne.
08:05Cette statue sculptée avec beaucoup de finesse doit être l'œuvre d'un artisan chinois très habile.
08:13« Oh, c'est un horrible démon ! » s'exclame Johnny.
08:17« Oui. C'est vrai, il est affreux, mais il vaut de l'argent. »
08:22« Pour moi, observe Johnny, ça ne vaut pas grand-chose. D'où provient cette statue ? »
08:29Avant que le marin ne commence l'histoire de l'objet,
08:32Harry fait un signe à Johnny qu'il est l'heure de son déjeuner et quitte précipitamment la boutique.
08:39« Son nom est Cheng Yu, reprend l'homme, le dieu des pirates.
08:44Ce Cheng Yu glisse dans les airs à la recherche des hommes méchants.
08:50Lorsqu'il en découvre un, il fonce, invisible naturellement, et marque cet homme d'une tâche verte.
08:58Cette tâche verte, il la fait exclusivement sur les voleurs ou les assassins en puissance.
09:06Aussi, lorsque les pirates attaquaient un vaisseau,
09:10ils épargnaient tout homme porteur de cette tâche verte et l'engageaient dans leur rang comme un des leurs.
09:19Johnny a entendu toutes sortes d'histoires dans son métier,
09:24mais c'est bien la première fois qu'on lui en raconte une comme ça.
09:29Cet objet n'est manifestement pas comme les autres.
09:33Il ne s'inscrit pas dans une histoire de famille.
09:37Cependant, Johnny Hammer est terriblement intrigué.
09:42Le vieux marin a très bien pu inventer cette histoire,
09:46mais Johnny ne résiste pas à l'envie d'acheter l'objet sans savoir encore très bien pourquoi.
09:52Il regarde l'homme qui attend que Johnny annonce son prix
09:56et il réalise qu'il va peut-être enfin savoir si Harry est un voleur grâce à ce test de la marque verte.
10:04C'est un moyen sûr et définitif, après tout, qui lui coûtera peu d'efforts.
10:09Il suffira qu'il la lui mette entre les mains et le tour sera joué.
10:17Johnny Hammer va-t-il pouvoir acheter la statue magique
10:20qui lui permettra enfin de prouver que Harry, son associé, n'est qu'un voleur ?
10:25Ça dépend du prix. Nous serons fixés dans quelques instants.
10:39Johnny Hammer, propriétaire d'un magasin d'antiquité, soupçonne son associé Harry Walters de le voler.
10:48Johnny va-t-il aller jusqu'à acheter une statue magique
10:51qui lui dira si Harry en veut vraiment à son argent ?
10:57« Mille francs ! » lance Johnny à la tête du marin abasourdi, pensant être très généreux.
11:03« Non mais vous plaisantez, là ! Je compte bien la vendre vingt fois plus cher !
11:08Vingt mille, c'est bien ce que ça vaut ! »
11:11Cette fois-ci, c'est à Johnny d'être frappé de stupeur.
11:14« Mais vous n'y pensez pas ! Cette statuette n'a aucune valeur
11:18et elle ne se rattache à aucune tradition artistique précise.
11:22Cette statue a un pouvoir réel auquel les Chinois croient depuis des millénaires.
11:28Elle peut rendre des services incontestables.
11:31Imaginez un peu, si les policiers n'avaient pas un esprit aussi matérialiste,
11:36ce que ça pourrait faire gagner comme temps.
11:39Mais enfin, comment pouvez-vous tenir des propos pareils ?
11:42Vous vous rendez compte à peu près quel genre de pratiques dangereuses on arriverait ?
11:45Il n'y a aucune preuve scientifique à ce que vous avancez. »
11:49Johnny n'est pas tellement d'accord pour se servir de la statuette à un niveau national.
11:55Il trouve ça immoral, mais pour son usage personnel, alors là, c'est une autre histoire.
12:01Il laisserait bien volontiers sur Harry Walters.
12:04Le prix que lui en demande le marin en vaut-il la peine ?
12:08Combien le sacrifice devra-t-il faire pour payer toute cette somme ?
12:12L'homme en face de Johnny semble deviner son hésitation.
12:15Malgré ce qu'il vient de lui dire, le marin attend tranquillement au lieu de reprendre la photo.
12:21« Ceci dit, » reprend Johnny Hammer,
12:25« il est vrai que cette statuette fait vivre une légende vieille de plusieurs millénaires.
12:30Je peux aller jusqu'à dix mille. »
12:33« Non, j'ai dit vingt mille, » répète le marin sans concession.
12:40Johnny comprend tout à coup à qui il a affaire.
12:44Il n'est pas du tout du genre à se laisser impressionner.
12:49Et sans plus tergiverser, il lui demande « Bon, alors, m'accorderiez-vous un crédit, alors ? »
12:55« Un délai sans plus, monsieur, pour que vous puissiez réunir la somme en liquide. »
13:01Quelques gouttes de sueur perlent sur le front de Johnny.
13:06L'individu n'est vraiment pas commode.
13:08Dans sa tête défilent alors tous les biens personnels dont il va devoir se séparer.
13:14Les quatre chaises Napoléon III, l'armoire Louis XVI, plus la bibliothèque Charles X vont y passer.
13:24« Bien. Mardi, j'aurai l'argent. Si vous voulez repasser, monsieur... »
13:30« Monsieur Links. »
13:32Monsieur Links ôte sa casquette de marin, se gratte la tête et remet la photo dans sa poche.
13:40« Je serai au rendez-vous mardi en huit avec l'objet. Au revoir, monsieur. »
13:46Johnny a fort à faire à présent pour réunir l'argent.
13:50S'il a enfin la preuve qu'Harry le vole, il saura quoi faire pour se débarrasser de lui
13:56plutôt que de rester dans une incertitude qu'il ronge.
14:00Il engagera alors une véritable enquête et le prendra en flagrant délit.
14:06Le mardi suivant, le marin est de retour comme prévu.
14:11Johnny s'est arrangé pour être seul un moment.
14:15Le globe qui recouvre la statue est volumineux.
14:19On la voit en transparence.
14:22Et c'est bien celle qui était sur la photo.
14:26Johnny Hammer lui tend les billets, l'homme se met à compter.
14:31« Merci, monsieur. Y'a le compte. »
14:35Johnny prend à peine le temps de lui dire au revoir
14:39et il s'empare du globe pour le mettre en évidence sur le petit guéridon Art Deco.
14:46« Mon Dieu, qu'elle est laide ! » pense-t-il en reculant d'un pas pour la contempler.
14:52Puis il regarde sa montre.
14:54Harry va bientôt revenir.
14:57Johnny va dans le petit vestiaire et prend soin de refermer la porte derrière lui.
15:02Dans le noir, il fait une petite prière.
15:05Enfin, la cloche de la porte a teinté.
15:09Il reconnaît le pas lent mais confiant de son associé qui s'arrête brusquement.
15:15Johnny entre-ouvre la porte juste pour y glisser un œil.
15:20Harry est debout devant la statue.
15:23Il l'entend dire à mi-voix.
15:25« Mais qu'est-ce que c'est que ce machin-là ? »
15:30Il s'en approche, se penche et ôte le globe pour se saisir de l'objet.
15:37En un instant, Johnny est près de lui.
15:40« Oh, tu as les mains vertes ! Regarde, tu as les mains vertes ! »
15:43« J'avais raison ! » s'écrit-il, le visage brusquement radieux en s'emparant à son tour de Jenny-Hoo.
15:48Il embrasse sur son crâne tout lisse en le serrant très fort contre lui.
15:52Harry l'observe stupéfait. Il ne l'a jamais vu aussi heureux.
15:56« J'ai peut-être les mains sales, mais ça vaut mieux que d'être tout barbouillé et tout vert comme tu l'es.
16:01Quand je te vois aussi dégoûtant, je me demande si j'ai bien fait de m'associer avec toi. » soupire-t-il.
16:07Johnny lève les yeux et s'approche du miroir au-dessus de la cheminée.
16:12Il se met à trembler de rage.
16:14« Enfin, ce n'est pas possible ! » bredouille-t-il.
16:18« Il sait bien qu'il n'a pas toujours vendu sa marchandise à son juste prix, mais là, quand même, ce chéniou exagère ! »
16:25De l'autre côté de la petite rue, juste en face, l'homme en habit de marin, adossé contre la vitrine du boulanger,
16:34se délecte de la scène qu'il est en train d'observer.
16:39« Ces statues qui déteignent, non seulement ça rapporte gros, mais en plus, c'est toujours aussi drôle ! » se dit-il en poufant de rire.

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