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Lucky Love est un artiste aux multiples expressions : chanteur, auteur, compositeur, performeur, comédien, mannequin... Il se fait connaître, dès 2022, pour son titre « Masculinity » dont il a d'ailleurs interprété une adaptation - « My own ability » - à l'occasion de la cérémonie d'ouverture des Jeux Paralympiques de Paris 2024.
Né sans bras gauche, Lucky Love ne le voit pas comme un handicap mais plutôt une différence. Homosexuel et séropositif, il décrit sa condition comme politique. C'est notamment de ces différences que provient sa soif de vivre.
De son enfance, Lucky Love raconte des moments avec sa famille d'origine kabyle. Très jeune, on lui inculque l'humilité, une valeur centrale. Lui, qui a commencé sa carrière au cabaret Madame Arthur, avait envie de liberté. La transcendance de la scène lui a permis de se découvrir, s'exprimer et devenir l'homme qu'il est aujourd'hui.
L'univers du chanteur s'inspire de l'amour : « Comment avez-vous découvert l'amour ? » demande-t-il aux personnes qu'il rencontre et apprend à connaître. Lui l'a appris à travers des auteurs et intellectuels tels que Verlaine, Rimbaud ou encore Barthes. Lucky Love qualifie son premier album comme une prise de parole. Il ne veut plus qu'on le voit mais qu'on le regarde, ni qu'on ne l'entende mais plutôt qu'on l'écoute.

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Transcription
00:00Do I walk like a boy ? Do I speak like a boy ? Do I stand like a boy ? Sorry babe, you keep asking
00:07Do I kiss like a boy ? Should I speak like a boy ? May I fuck all the boys ? Tell me baby, baby, my flesh to gel my soul
00:17Bonjour Lucky Love !
00:19Bonjour !
00:20Vous êtes auteur, compositeur, interprète, performeur, comédien, mannequin.
00:25Vous êtes un artiste multiple, protéiforme et vous sortez votre premier album comme un jeune débutant.
00:32C'est une sorte d'accomplissement de sortir un premier album après avoir fait autant de choses dans sa vie artistique ?
00:40Eh bien je pense que sortir cet objet, le premier album, je pense que ça doit toujours être un moment très important
00:49parce que c'est la première prise de parole. Moi j'ai été beaucoup au service de l'écriture d'autres personnes
00:56qu'elle soit une écriture chorégraphique ou théâtrale ou même cinématographique
01:00et je pense que toute cette expérience au préalable m'a permis de finalement savoir ce que moi j'avais à dire, ce que j'avais envie de dire
01:10et grâce à tous les outils que j'ai pu aller chercher ici et là dans toutes ces disciplines
01:16ça m'a permis de rendre finalement ma parole assez fluide au travers de la musique et de pouvoir aussi m'en amuser totalement
01:24puisque la musique c'est le seul endroit qui réunit tout ce que j'ai appris à faire et tout ce que j'aime faire dans un seul et même médium.
01:33Du coup ça c'est vraiment jubilatoire.
01:36Alors votre nom d'artiste c'est Luc Ilove, votre nom à l'état civil c'est Luc Bruyère.
01:42Je me suis demandé avec cette année olympique en ce qui vous concerne qui s'est déroulée,
01:48qu'est-ce qui reste de Luc Bruyère au quotidien chez vous ? Votre nom donc à l'état civil.
01:54En ce moment j'avoue qu'il ne reste plus grand chose et que ça me va quand même.
02:00Moi j'adore l'idée de la transcendance, j'adore l'idée de devenir plus que de rester
02:06et je crois vraiment que je suis en train de devenir Luc Ilove à temps plein, même dans ma vie personnelle.
02:12Je pense qu'en fait Luc Ilove c'est une entité qui n'est pas du tout étrangère à ce que je suis,
02:16je la vois un peu comme une hyperbole de tous mes traits, de toutes mes pensées, toutes mes peurs, mes joies, mes peines,
02:27elles sont exacerbées grâce à Luc Ilove et Luc Ilove c'est aussi la figure qui m'a permis la vulnérabilité
02:33et c'est un endroit de vertige très agréable.
02:38Alors je l'incorpore dans ma vie personnelle en ce moment, je me nourris de Luc Ilove beaucoup.
02:44Luc Bruyère est né à Lille, d'une maman cabile, qu'est-ce qu'il y a de cabile en vous ?
02:50Qu'est-ce qui résonne encore de la cabilie en vous ?
02:53Tout, tout parce que j'ai grandi en plus vraiment avec du coup que des femmes maghrébines,
02:59mes tantes, ma grand-mère, ma mère, qui sont des femmes très fortes, qui m'ont appris,
03:05chacune m'a offert quelque chose, cette veste elle est l'héritage de la coquetterie de ma grand-mère,
03:11et ces lunettes c'est l'élégance de ma tante, ma façon de parler ou même la littérature,
03:18mon amour pour la littérature vient d'une autre de mes tantes,
03:22moi la musique je l'ai connue sur ce qu'on appelait les dimanches dansants,
03:26avec ma grande sœur on appelait ça comme ça parce que c'était un moment où mes tantes, ma mère faisaient le ménage chez ma grand-mère,
03:33et en même temps on passait toutes les musiques de Oum Kalthoum,
03:37et du coup tout le monde dansait en faisant le ménage,
03:40et donc moi c'est aussi à travers ça que j'ai découvert la musique,
03:44c'est des souvenirs qui sont vraiment restés en moi,
03:48et puis je pense que c'est aussi une culture qui moi m'a appris beaucoup l'humilité,
03:54je pense que c'est surtout ça que j'ai gardé de mes origines,
03:59c'est réellement l'humilité aussi de mes grands-parents,
04:05l'humilité qu'il faut pour justement entrer dans un nouveau pays,
04:09s'y acclimater et garder son identité, j'ai vu ma grand-mère faire ça,
04:14et du coup je pense que j'en ai gardé aussi l'habilité peut-être.
04:20Elle fait partie de cette génération de l'immigration qui ne parlait pas,
04:25qui ne la ramenait pas pour mieux s'intégrer, c'est ça que vous êtes en train de nous dire ?
04:29Clairement, oui, et puis je pense qu'ils avaient un vrai désir d'intégration
04:34et que ce qu'on appelait à l'époque l'intégration
04:37impliquait peut-être un effacement un peu de nos racines,
04:41ce qui est magnifique c'est qu'ils ont su garder ces racines-là
04:45une fois la porte close, une fois la porte fermée,
04:48on était en plein cœur de Clemson, mais dès la porte ouverte,
04:52on se retrouvait bel et bien dans le nord de la France.
04:54Ça qui était magique, c'est que c'était un secret,
04:57mais moi je n'y ai pas vu un secret de honte, c'était plus un trésor,
05:01c'était comme un trésor caché, et puis c'est plus tard,
05:05je pense grâce justement aux générations qui ont suivi celles de mes grands-parents,
05:12ma mère a hérité déjà un peu de ce besoin d'intégration,
05:16et nous, beaucoup moins, la troisième génération,
05:18on en a beaucoup moins hérité, nous, au contraire,
05:21on célèbre vraiment nos origines, on a envie d'en savoir plus,
05:24et donc je pense que c'est une très belle boucle,
05:29et je pense que par exemple aujourd'hui, c'est maman qui m'a dit ça
05:33après la cérémonie des paralympiques, c'est que je pense que ma grand-mère
05:39aurait été très fière, parce que ça y est, je suis bel et bien français.
05:45C'est ça, j'allais vous poser la question,
05:47l'identité française dont on nous rabat les oreilles au quotidien,
05:52pour vous, ça a un sens ?
05:54Est-ce que ça a un sens ? Pas vraiment.
05:57Moi, je ne parle pas d'identité française, j'aime bien la culture d'un pays,
06:00l'identité, je pense qu'elle n'est pas basée du tout sur le pays
06:04dans lequel on a grandi, simplement j'aime l'idée de la culture française
06:08parce que partout où je vais, je vais être très honnête avec vous,
06:13j'ai cette question, pour toutes les personnes avec qui je partage une intimité,
06:18je demande toujours comment ils ont appris l'amour,
06:21parce que je trouve que c'est le plus grand privilège de la France,
06:24c'est qu'aux Etats-Unis, par exemple, je pense que quand on grandit,
06:28le rêve américain, on le connaît tous, le rêve finalement d'un Français,
06:35en tout cas moi, le rêve que la France m'a offert,
06:38c'est d'aimer toujours plus fort, je suis entouré de symboles amoureux,
06:45je vis au cœur de Pigalle, à côté du Moulin Rouge,
06:48qui est un endroit qui a nourri tous mes premiers fantasmes amoureux,
06:51et puis j'ai eu la chance de lire des auteurs incroyables comme Roland Barthes.
06:57Oui, parce que le fragment du discours amoureux, c'est un peu votre bible,
07:01vous y retournez tout le temps.
07:03Je pense que c'est un livre qui est toujours dans mon sac,
07:06j'ai un amour de la littérature et des livres, c'est mes premiers amis,
07:10mais il y a des auteurs comme ça qui peuvent nous prendre un peu en otage,
07:14qui nous font attendre, je trouve que Roland Barthes,
07:17il offre tout ce qu'il a à offrir dès la première page,
07:20et qu'importe la page qu'on ouvre dans ce livre,
07:22elle offre un nouveau voyage, c'est pour ça que je ne m'en lasse pas de ce bouquin.
07:25Mais même de lui, j'ai appris l'amour à travers Arthur Rimbaud et Paul Verlaine,
07:31c'est nos symboles, et moi, c'est ça que je retiens de la France,
07:35c'est qu'elle m'a offert de comprendre que la plus grande des valeurs, c'était l'amour.
07:39Vous avez bien choisi votre blase Lucky Love,
07:42il y a une certaine logique dans votre engagement.
07:45Vous êtes né sans un bras, vous êtes homosexuel, vous êtes séropositif,
07:51ces trois paramètres d'une condition humaine,
07:55quel est celui qui est le plus politique pour vous ?
07:58Je pense que ce qui est le plus politique, c'est de les faire cohabiter.
08:01Comme je suis né sans mon bras gauche, mon existence elle-même est politique,
08:06j'ai un corps politisé, j'ai un corps qui porte en lui une dramaturgie.
08:11Simplement, ce que je trouve fou, c'est que comme mon état est politique,
08:17moi-même, je n'ai pas besoin de l'être, et je n'ai jamais ressenti le besoin de l'être.
08:22Je pense que la seule valeur politique que je représente, c'est la liberté à tout prix.
08:28Voilà tout.
08:29Tout ce que je comporte, à savoir ce qu'on pourrait appeler un handicap,
08:33ce n'est pas tant que je suis plus fort ou plus intelligent que les autres,
08:37c'est que j'ai eu la chance simplement d'avoir une vision sur ce bras
08:40grâce à mon éducation à la danse, grâce à Caroline,
08:43grâce en gros, finalement, toujours à l'accueil du...
08:45Caroline Carlson.
08:46Caroline Carlson, exactement, qui m'a appris à danser.
08:48J'ai eu la chance très tôt de comprendre que finalement, mon bras n'était pas un handicap,
08:53qu'il était une occasion, l'occasion de peut-être délivrer des messages plus grands que mon corps lui-même,
09:00de sortir de moi, de me mettre au service d'eux,
09:04et du coup, de découvrir par là-même l'idée d'humilité.
09:10Moi, j'ai toujours adoré l'idée de...
09:14Je déteste faire le français qui parle l'anglais,
09:16mais de bend-over, de...
09:18Comment est-ce que vous diriez ça ?
09:21De m'agenouiller.
09:23J'aime l'idée d'être face à quelque chose qui est plus grand que moi.
09:27Et mon bras, il m'a offert ça, très tôt.
09:29Et puis ensuite, ma sexualité, elle m'a offert finalement une liberté de sortir de mon handicap.
09:34C'est-à-dire que quand j'ai compris que j'aimais aussi les hommes,
09:37je me suis rendu compte que finalement, mon bras n'allait pas être ma seule différence.
09:42Et du coup, c'était assez libérateur.
09:44Il y a quelque chose de très libérateur dans ma sexualité.
09:47C'était bien de multiplier les différences.
09:49Exactement.
09:50Ça me permettait de sortir de ma condition, justement,
09:53de personne qui porte un handicap.
09:56Et puis ensuite, ma sérologie,
09:59alors là, la sérologie, elle m'a offert le plus beau des cadeaux.
10:04Vous vous rendez compte de ce que vous dites ?
10:06Ma sérologie m'a offert.
10:08C'est-à-dire que cette petite mort qui s'est installée en vous,
10:12elle vous a offert la vie ?
10:14Oui.
10:15Elle m'a offert d'en voir la beauté,
10:19d'en voir l'unicité
10:21et d'avoir une soif de vie monstrueuse.
10:27Parce qu'en plus, je suis chanceux.
10:29C'est-à-dire que quand j'ai appris que j'étais séropositif,
10:32bien évidemment, quand on apprend qu'on est séropositif,
10:34la première chose qui nous vient en tête, c'est les images que la culture nous a offertes.
10:37À savoir la peur, le kaposi, les années 90, les homosexuels.
10:42C'est le symbole qui a été offert pendant des années à la masse.
10:48C'était aussi la militance, l'activisme de Act Up.
10:51Vous étiez en solidarité avec cet activisme-là ou pas ?
10:55Je pense que c'était un activisme qui était un activisme de réaction.
10:59Radical.
11:00Qui était nécessaire, radical.
11:01Mais parce que c'était une réaction, je pense que
11:03à chaque phénomène de société, à chaque traumatisme
11:06que nos sociétés peuvent subir,
11:09il y a ce besoin de réaction.
11:11Comme avec le féminisme, il y a un besoin de radical.
11:14Pour ensuite pouvoir arriver à un dialogue
11:17qui peut-être amène à quelque chose qui se fluidifie.
11:22C'est-à-dire qu'en ce qui concerne le VIH,
11:25cette radicalité a permis qu'on se concentre
11:28et qu'on se rende compte que des gens sont en train de mourir
11:32et qu'il fallait les aider.
11:33Du coup, ça m'a permis, moi, aujourd'hui, d'être assis en face de vous.
11:37Parce qu'aujourd'hui, on a des traitements
11:39qui permettent de vivre totalement normalement.
11:41J'ai la même espérance de vie que quelqu'un de séronégatif.
11:43Je suis sûr et certain de ne pas transmettre le VIH à qui que ce soit.
11:48Et donc, du coup, de garder mon acte d'amour comme un acte d'amour.
11:52Et ça, en fait, ce qui est terrible,
11:55c'est qu'encore aujourd'hui, quand on apprend qu'on est séropositif,
11:58on ne le sait pas, forcément.
12:00Et ce que je regrette, c'est que...
12:02Je dis toujours ça, mais je pense que quand on veut voir une version de l'amour,
12:06on va au cinéma et peut-être un million de versions de l'amour nous sont proposées.
12:10Quand on veut regarder un film sur le VIH
12:12ou écouter une chanson qui parlerait du VIH,
12:15c'est toujours la même histoire.
12:17C'est toujours les homosexuels, les années 90, la mort...
12:21Et je trouve ça un peu dommage que...
12:23Parce qu'aujourd'hui, le VIH ne tue plus, on n'en parle plus.
12:27Parce que ce serait génial que les gens sachent qu'il ne tue plus.
12:30Parce que la sérophobie, par contre, tue encore.
12:33Et c'est des petites morts psychologiques,
12:35mais moi, je suis très chanceux.
12:38C'est vraiment... J'ai jamais fait face à de la sérophobie.
12:43C'est d'ailleurs pour ça que je n'ai aucun problème
12:45dans le fait de parler de ma sérologie.
12:47Et moi, effectivement, ça a été un appel à la vie fou.
12:50Et je suis fan d'un auteur qui s'appelle Coppy,
12:54que j'ai beaucoup joué au théâtre.
12:56Auteur de théâtre, essentiellement.
12:58Et en fait, j'ai beaucoup aimé Coppy pour cette raison,
13:01parce que tous ces personnages sont toujours à la ligne de la mort.
13:05Et parce qu'ils sont à la ligne de la mort,
13:06ça leur permet une liberté de vie qui est folle.
13:10Et ça permet du coup à ces personnages d'être flamboyants de vie.
13:13Et c'est comme ça que j'ai décidé de vivre la mienne.
13:15Et toujours très politique.
13:17C'est étrange que vous parliez de Coppy,
13:19parce que c'est un poète insensé, d'une liberté absolue,
13:23mais qui a toujours été assimilée à une radicalité politique.
13:27On parlait de votre sérologie, je parlais d'act up,
13:30il y avait un très beau slogan qui disait
13:32danser égale vivre.
13:35Ça veut dire que le corps est une arme politique.
13:38Et vous, vous avez éprouvé cette arme aussi
13:41dans un cabaret transformiste, Mme Arthur,
13:44qui a vu bien des légendes débuter,
13:46comme Gainsbourg ou le papa de Gainsbourg,
13:48qui ont débuté chez Mme Arthur.
13:50En quoi un cabaret de nuit est un terrain de jeu politique ?
13:54Un cabaret de nuit, c'est un terrain de jeu d'abord tout court.
13:59Et c'est un terrain de jeu politique simplement
14:02parce que c'est un endroit, surtout Mme Arthur,
14:05c'est un endroit qui se fait porteur d'un héritage,
14:11l'héritage que vous venez de citer.
14:14Il y en a bien d'autres.
14:16Je connais des anecdotes magnifiques
14:18avec Jean Marais, la Calas.
14:20Il s'est vraiment passé de très belles choses dans ce lieu.
14:22Et c'est un lieu qui, du coup, force à la liberté.
14:24Il ne force peut-être pas la politique,
14:26mais il force à la liberté.
14:27Je pense que c'est cette liberté même
14:29qui appelle la politique.
14:30Mais en réalité, Mme Arthur, c'est un endroit
14:33qui, moi, m'a permis déjà de créer un laboratoire,
14:37d'apprendre à chanter,
14:39et puis surtout d'incarner la Vénus de mille hommes,
14:43qui était le personnage que j'ai incarné chez Mme Arthur.
14:45Magnifique.
14:46La Vénus de mille hommes.
14:48Oui, c'était la Vénus de mille hommes.
14:50En plus, ce qui était incroyable,
14:52c'est vraiment que ce personnage,
14:54il est arrivé vraiment au fur et à mesure.
14:56C'était comme un rôle de composition,
14:57puisque j'y ai travaillé cinq ans chez Mme Arthur.
14:59Et donc, c'est un rôle de composition
15:01qui s'est travaillé sur vraiment le long terme.
15:04Et au cabaret, il n'y a pas de quatrième mur.
15:08Au cabaret, il n'y a pas de règles.
15:10Au cabaret, un public peut monter sur la scène.
15:13On est là pour être,
15:15non seulement nous déranger,
15:17mais pour aussi vous déranger.
15:19Et on peut se déranger avec la joie,
15:22la peine, la violence.
15:24Mais l'idée, c'est de venir se déranger l'un l'autre.
15:26C'est ça, l'idée d'un cabaret.
15:28C'est venir se bousculer.
15:30Et en ça, j'ai appris énormément dans ce lieu,
15:33simplement parce qu'il m'a permis
15:35d'être tout ce que je ne m'étais jamais permis d'être.
15:38Et du coup, ça m'a permis de trouver,
15:40dans cette Vénus,
15:44peut-être de trouver l'homme que j'allais devenir.
15:46C'est vraiment cette femme-là,
15:48c'est la rencontre avec cette femme
15:50qui m'a permis de devenir l'homme que je suis.
15:52Et justement, moi j'ai la sensation,
15:54moi qui vous connais un petit peu maintenant,
15:56qui ai bien travaillé votre parcours,
15:59que ce moment clé chez Madame Arthur
16:03nous amène directement à Masculinity.
16:05Cette chanson ne serait peut-être pas née
16:07s'il n'y avait pas eu cette expérience-là,
16:09parce que finalement, vous avez pu redéfinir
16:11l'identité masculine,
16:13l'interroger de façon multiple
16:15à partir de cette expérience-là.
16:17Alors Masculinity, c'est une chanson,
16:19je pense que dans l'histoire de la chanson,
16:21il y a très peu de chansons qui ont un tel destin,
16:23puisqu'elle a un destin en plusieurs étapes finalement.
16:26Elle devient l'hymne des transgarçons aux Etats-Unis,
16:30sans que vous fassiez quoi que ce soit finalement.
16:33Dans un deuxième temps,
16:35elle devient la chanson emblème
16:37des blessés de guerre en Ukraine,
16:39ou en Iran, peut-être pas les blessés de guerre,
16:41mais en tout cas une symbolique de résistance.
16:44Et elle devient l'hymne des Paralympiques,
16:48en la faisant basculer un petit peu
16:51de Masculinity à My Ability.
16:54C'est une chanson incroyable.
16:56Quel est celui qui vous touche le plus
16:58finalement dans ces trois destins ?
17:00Je ne choisirai aucun des trois,
17:02parce que Masculinity appartient aux trois.
17:04Et qu'une chanson, une fois qu'elle est faite,
17:06elle ne m'appartient plus.
17:08Ce qui est magnifique avec cette chanson,
17:10comme vous l'avez dit,
17:12c'est que ça s'est fait en plusieurs étapes
17:14et qu'elle a eu plusieurs vies,
17:16comme plusieurs éclosions.
17:18C'est plusieurs chansons en une, finalement.
17:20Elle a éclos plusieurs fois.
17:22Et ce que je trouve magnifique
17:24dans le simple fait qu'elle touche
17:26autant de personnes
17:28et de communautés différentes,
17:30c'est que c'est ma propre mission
17:32en tant qu'artiste.
17:34J'ai toujours pensé qu'un artiste
17:36devait être le témoin de son époque.
17:38Et le fait qu'une chanson si personnelle
17:40que j'ai écrite vraiment,
17:42nue, dans mon salon,
17:44à deux heures du matin,
17:46puisse résonner dans la poitrine
17:48de tant de personnes,
17:50ça me fait me sentir à ma place.
17:52Cette chanson m'a permis
17:54de me rendre compte que j'étais
17:56là où je devais être
17:58et que j'étais bel et bien
18:00un témoin de mon époque.
18:02Et que j'appartiens à cette époque.
18:04Mais vous vous êtes quand même interrogé
18:06sur le troisième destin de cette chanson.
18:08Vous n'avez pas dit immédiatement
18:10oui à Thomas Joly.
18:12Vous avez même eu un peu de résistance.
18:14Être l'emblème, comme ça,
18:16du coup, des porteurs de handicap,
18:18ce n'était pas votre choix de vie, finalement.
18:20En fait, ce qui était compliqué dans cette...
18:22Dans cette décision,
18:24c'est juste que moi, je me suis jamais considéré
18:26comme une personne handicapée,
18:28puisque justement, je n'ai jamais connu mon bras.
18:30Il ne me manque strictement rien.
18:32Et mon corps est différent, certes.
18:34Mais pour moi, la notion de handicap,
18:36étymologiquement même, ça me pose un problème
18:38parce que c'est empêché d'eux.
18:40Quelqu'un qui est empêché d'eux.
18:42Moi, ça m'a libéré.
18:44Je ne vois vraiment pas mon bras comme un handicap.
18:46Ce n'est réellement pas...
18:48Je veux dire, ce n'est pas du body positif
18:50ce que je suis en train de faire.
18:52Je n'essaie pas de dire que si on accepte
18:54cette différence, finalement, ce n'est plus un handicap.
18:56Pas du tout. Je dis simplement que dans mon cas,
18:58il s'avère que mon handicap
19:00n'existe que dans les yeux des autres.
19:02Dans mon corps, il n'est pas ressenti
19:04en tant que tel.
19:06Et donc, j'avais très peur que le message soit erroné.
19:08Et puis, finalement...
19:12Finalement, quand j'ai vu
19:14la joie autour de la cérémonie
19:16des Jeux olympiques,
19:18et que j'ai vu la diversité qui était déjà présente là,
19:20je me suis dit,
19:22oh là là, je veux en être,
19:24je veux pouvoir en être.
19:26Et donc, du coup,
19:28je me suis ravisé.
19:30Je réfléchis toujours. Je ne prends jamais
19:32de décision comme ça.
19:34En général,
19:36j'ai besoin quand même
19:38de comprendre ce qui va me pousser
19:40à prendre une décision plutôt qu'une autre.
19:42Et puis, dès que je l'ai prise, par contre, je suis
19:44lion. Alors, dès que j'ai pris ma décision,
19:46je fonce.
19:48Et en fait, le vivre
19:50comme je l'ai vécu, justement, et être accueilli
19:52comme j'ai été accueilli, prouve
19:54que j'avais raison. Prouve que j'avais raison
19:56de le faire, et prouve que j'avais
19:58raison aussi de penser que, non, je ne suis pas
20:00handicapé. Et là où,
20:02par contre, je me suis fait avoir, c'est
20:04simplement parce que, quand j'ai découvert
20:06tous ces danseurs,
20:08je me suis dit qu'en fait, la notion
20:10de handicap, elle existe
20:12aussi dans mes yeux. Quand je vois
20:14quelqu'un qui a un handicap différent du mien,
20:16et en réalité, elle n'est pas plus
20:18réelle pour eux que pour moi.
20:20Et c'est fort, ça.
20:22Parce que ça vous a même...
20:24Je me suis fait attraper.
20:26Je me suis totalement fait attraper et je me suis dit
20:28quel imbécile tu fais.
20:30Mais finalement, c'est relié, pardon
20:32de vous interrompre, mais à cette phrase
20:34que je trouve magnifique, ce jour-là,
20:36peut-être après avoir pris la décision
20:38de dire oui à Thomas Joly,
20:40vous vous êtes dit, sur cette scène
20:42de la Concorde, il va falloir
20:44qu'on arrête de me voir
20:46et que l'on me regarde.
20:48C'est ça, en fait.
20:50Il fallait transformer la vision en regard.
20:52C'était le plus important.
20:54Parce qu'il fallait que je puisse
20:56en une performance
20:58offrir un spectacle
21:00qui nous permettrait
21:04de nous rendre compte
21:06de notre unicité,
21:08de ce qu'il y a de commun en nous,
21:10plutôt que de ce qu'il y a de différent.
21:12Il fallait qu'on me regarde.
21:14Et il fallait qu'on regarde tout.
21:16C'est pour ça, d'ailleurs, que je me suis dénudé.
21:18C'est parce que je voulais qu'on me regarde,
21:20qu'on regarde bien,
21:22qu'avec cette caméra,
21:24on ait l'occasion
21:26de voir ce corps,
21:28d'en voir la beauté,
21:30et de ne pas pouvoir détourner le regard.
21:32Et finalement,
21:34en plus d'être accompagné
21:36ce jour-là par cette danseuse magnifique
21:38et d'offrir, du coup,
21:40une image
21:42comme ça d'union totale,
21:44c'était vraiment
21:46un moment incroyable
21:48pour moi, incroyable.
21:50Et le fait
21:52que ça ait été partagé
21:54par tant de monde comme ça
21:56me fait me dire que
21:58je suis bel et bien
22:00un habitant de cette planète.
22:02Je ne sais pas comment expliquer ça, mais quand on est né
22:04en marge,
22:06ça a été ma plus grande quête,
22:08le besoin d'appartenance,
22:10le besoin de savoir
22:12que oui, je fais bien
22:14partie de cette humanité.
22:16Voilà.
22:18C'était le plus beau des cadeaux.
22:20Votre album s'intitule
22:22« I don't care if it burns ».
22:24Nous sommes à l'Assemblée nationale
22:26Lucky Love. Je m'en fous
22:28si ça brûle. Ce lieu
22:30dans lequel nous sommes est un
22:32lieu où ça brûle souvent.
22:34Vous êtes sensible à la politique
22:36politicienne, aux débats.
22:38Est-ce que lors de la dernière séquence
22:40politique qu'on vient de traverser,
22:42que vous nous avez admirablement soigné
22:44grâce à votre performance
22:46au Paralympique, est-ce que c'est des choses
22:48qui vous traversent ou
22:50est-ce que vous auriez
22:52envie de leur dire
22:54écoutez mon album,
22:56ne l'entendez pas, écoutez mon album
22:58et vous y verrez que dans l'amour,
23:00sans être un bisounours,
23:02et dans l'altérité,
23:04on arrive à soigner le monde.
23:08Merci. C'est génial
23:10que vous disiez ça.
23:12Je sais pas pourquoi, mais moi,
23:14c'est exactement comme ça que je le vois.
23:16Je me fous totalement de la politique
23:18politisée parce que je m'y retrouve pas,
23:20que j'en comprends pas les codes,
23:22j'en comprends pas non plus...
23:24En fait, pour moi, la politique, je le vois aujourd'hui
23:26réellement comme une... En plus, fort de mon
23:28expérience dans la mode et
23:30du coup dans l'image, je vois ça
23:32vraiment plutôt comme un grand cirque
23:34médiatique
23:36et marketing, comme une réelle
23:38interrogation
23:40sur notre besoin
23:42en tant que société.
23:44Et quand je dis société,
23:46évidemment, on peut penser à un pays,
23:48on peut penser à une association
23:50de pays, on peut penser à des
23:52continents entiers ou
23:54peut-être zoom out, peut-être
23:56regarder la très grande image et se rendre
23:58compte que finalement, on a des toutes
24:00petites choses qui sont sur un grand caillou, qui flottent
24:02au milieu de nulle part et que
24:04peut-être que comme
24:06vous le disiez, la seule réponse
24:08en tout cas, moi, que je trouve à ça, c'est
24:10effectivement l'amour, et pas l'amour d'un bisonours
24:12en effet, parce que si on va chercher
24:14dans l'amour,
24:16non pas ce que nos sociétés en ont fait, mais
24:18dans le fondement,
24:20le fondamental de l'amour, c'est réellement
24:22l'idée même de
24:24de l'empathie,
24:26de
24:28ce qui fait de nous
24:30des êtres liés.
24:32Et je pense
24:34sincèrement qu'un geste d'amour,
24:36nous, quand on parle de geste d'amour, on a l'impression
24:38qu'il s'agit d'une étreinte ou d'un baiser,
24:40mais
24:44ne pas juger une personne qui est
24:46très différente de nous,
24:48et simplement avoir l'humilité de s'interroger
24:50sur son quotidien,
24:52ça pour moi, c'est un geste d'amour.
24:54Regarder la chorégraphie d'une
24:56femme à Barbès qui porte
24:58son fils
25:00au milieu de son ventre comme ça
25:02et en apprécier la grâce, ça pour moi,
25:04c'est de l'amour.
25:06Voir ce qu'il y a de beau en ce qu'il y a de différent,
25:08ça, c'est de l'amour.
25:10Et puis, fort de mes voyages,
25:12parce que j'ai le privilège d'avoir énormément voyagé
25:14dans ma vie,
25:16et du coup, j'ai pu voir
25:18au travers non seulement de mes histoires
25:20amoureuses, mais aussi de toutes les personnes
25:22que j'ai pu rencontrer, finalement,
25:24ce fil rouge d'humanité.
25:28Et je me souviendrai toujours à Berlin
25:30une fois, j'ai rencontré un vieil homme
25:32qui m'a dit,
25:34il y a très peu de différence entre nous.
25:36En réalité,
25:38nous naissons de la terre, nous mourons
25:40dans la terre, et la seule différence
25:42entre toi et moi, c'est la trajectoire sur cette
25:44terre. C'est le chemin
25:46que tes pieds vont faire et le chemin que les
25:48miens vont faire.
25:50Et ça m'a permis réellement de me rendre compte
25:52de ce besoin que j'ai, moi.
25:54Et c'est un besoin politique,
25:56je pense, mais d'être ensemble.
25:58D'être ensemble
26:00pleinement, de ne pas avoir
26:02à éteindre
26:06ou à mettre en silence
26:08une certaine partie d'identité
26:10pour pouvoir faire vivre la mienne,
26:12ou pour pouvoir faire vivre celle de la
26:14personne à côté de moi. J'adore
26:16l'idée que
26:18toutes nos identités puissent être
26:20représentées et vivre ensemble.
26:22Et puis j'adore l'idée que
26:24finalement, l'amour soit la réponse.
26:26Je ne sais même pas si c'est la réponse.
26:28Mais en tout cas, c'est ce qui permet de poser la question.
26:30Merci infiniment,
26:32Lucky Love. Je pense que ça a permis
26:34aux téléspectatrices, aux téléspectateurs
26:36de bien vous regarder,
26:38non pas de vous voir. Et maintenant, il va
26:40falloir qu'ils écoutent et non pas qu'ils entendent
26:42votre album. Merci infiniment.
26:44Merci beaucoup.

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