• il y a 5 mois
En 2023 les cours criminelles sont généralisées en France. Ces instances visant à désengorger les cours d'assise ont fait l'objet d'une expérimentation dans différents départements et traitent principalement d'affaires de viols. Mais alors quel bilan tirer de ces années d'expérimentation ? Les objectifs sont-ils atteints ? Pour en débattre Jean-Pierre Gratien reçoit l'avocate Laure Heinich, la magistrate Laëtitia Dhervilly ainsi que le journaliste Mathieu Delahousse.

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Transcription
00:00:00Générique
00:00:02...
00:00:16Bienvenue à tous.
00:00:17Débat doc vous propose aujourd'hui un voyage
00:00:19au coeur d'une nouvelle instance judiciaire,
00:00:22les cours criminels départementales.
00:00:24Direction le Calvados, pour commencer,
00:00:27à Caen, où le documentaire qui suit
00:00:29a été tourné à l'occasion d'un procès
00:00:31se déroulant dans l'une de ces cours criminels.
00:00:34Particularité majeure de ces dernières,
00:00:36vous allez le voir, elles ne comprennent pas
00:00:39de jury populaire, elles ne jugent par ailleurs
00:00:41que des crimes punis de 20 ans de prison maximum,
00:00:44principalement des affaires de viol et d'inceste,
00:00:47comme c'est le cas ici.
00:00:49Je vous laisse découvrir ce film réalisé par Laetitia Onona,
00:00:52sobrement intitulé
00:00:54Cours criminels, en vous précisant néanmoins
00:00:57que certains propos tenus lors de ce procès
00:01:00peuvent heurter votre sensibilité.
00:01:02Je vous retrouverai juste après, sur ce plateau,
00:01:05en compagnie de la magistrate Laetitia Dervilli,
00:01:08de l'avocate Laure Hennick
00:01:10et du journaliste Mathieu Delahousse.
00:01:13Avec eux, nous tirerons un premier bilan
00:01:16de ces cours criminels,
00:01:17un an et demi après leur généralisation en France.
00:01:21Bon doc.
00:01:27...
00:01:36Musique douce
00:02:08...
00:02:12Le son d'une cloche
00:02:15...
00:02:23L'audience est ouverte, nous pouvons nous asseoir.
00:02:29Les faits.
00:02:31Le 27 mai, madame s'est présentée au commissariat de police
00:02:34pour déposer plainte à l'encontre de son mari
00:02:37pour violences psychologiques et économiques.
00:02:39Insultes répétées, paroles humiliantes.
00:02:43Elle a également dénoncé des faits de menaces avec arme,
00:02:46de chantage et de viol.
00:02:49Le 20 août, madame a de nouveau contacté
00:02:51les militaires de la gendarmerie,
00:02:53à propos cette fois de son fils âgé de 7 ans,
00:02:57qui venait de lui révéler qu'il avait été violé par son père.
00:03:01L'enfant avait mimé devant elle une scène de sodomie.
00:03:05Fait qualifié de crime de viol sur mineur de 15 ans par ascendant,
00:03:09qualifié d'incestueux.
00:03:11La peine maximale prévue par la loi pour ce crime
00:03:14est celle de 20 ans de réclusion criminelle.
00:03:17...
00:03:19Depuis leur création, en 2019,
00:03:21les cours criminels ont jugé 92 % d'affaires de viol.
00:03:25Plus de la moitié ont été commises sur des mineurs.
00:03:29Est-ce que vous pouvez déjà, aujourd'hui, nous redire,
00:03:32c'est la procédure orale qui le veut,
00:03:34nous redire de quoi vous vous accusez, monsieur ?
00:03:36J'accuse monsieur.
00:03:39J'accuse monsieur d'avoir violé mon fils.
00:03:43En moins de 2 reprises.
00:03:48Pouvez-vous nous redire dans quelles circonstances
00:03:51vous avez appris ce qui se serait passé ?
00:03:54Un soir, en récupérant mon fils,
00:03:58il me dit que je n'ai pas été lavé chez papa,
00:04:01donc ce serait mieux de prendre un bain chez mamie
00:04:04parce que ça lave mieux.
00:04:07Je ne m'attendais pas du tout à ce qu'il me dise ça.
00:04:09Il me dit que j'ai les fesses rouges.
00:04:12Je dis qu'on ne peut pas être à mine fessée,
00:04:14mais je n'ai pas pensé à ça.
00:04:16Et là, il me dit que non, papa, il a mis sa quéquette dans les fesses.
00:04:20Il me dit, à toi, maman, je te montre avec le dinosaure.
00:04:25Il me dit que ça, c'est le grand-papa,
00:04:28c'est le papa, le grand dinosaure.
00:04:30Et le petit dinosaure, c'est moi et papa.
00:04:33Il a bien mimé.
00:04:36Il a fait quel geste ? Qu'avez-vous vu ?
00:04:39Le papa dinosaure, la queue en arrière, comme ça.
00:04:44Et le petit, comme ça.
00:04:46Avec des gestes comme ça, il faisait bouger le gros.
00:04:50Et comment il était quand il expliquait ça ?
00:04:53Je rappelle...
00:04:54Ce n'était pas quelque chose de mal pour lui.
00:04:56Il allait avoir 7 ans.
00:04:59Il n'avait pas l'air de souffrir.
00:05:03Il m'a dit, t'inquiète pas, maman, c'est la première fois que ça fait mal.
00:05:20Je reprends la chronologie, elle est importante.
00:05:23Il vous montre alors ce qui serait passé
00:05:25en mimant la scène avec deux petits dinosaures,
00:05:29petits jouets flottant dans le bain, c'est ça ?
00:05:33Oui.
00:05:34Là, qu'est-ce que vous faites, madame ?
00:05:36Je n'y crois pas.
00:05:37Vous n'y croyez pas, oui.
00:05:39J'appelle ma mère, qui est dans la pièce à côté.
00:05:42D'accord.
00:05:44Pour qu'elle prenne le relais, que peut-être tu lui parles.
00:05:47Et lui a répété la même chose.
00:05:49D'accord. Je vous remercie de ces premières précisions.
00:05:52Maître Gigné.
00:05:53Aujourd'hui, devant cette cour,
00:05:56vous expliquez que vous avez voulu le provoquer parce que,
00:05:59je vous cite,
00:06:00« personne ne nous croit ».
00:06:03Je voudrais que vous nous disiez, c'est qui, « personne ne nous croit » ?
00:06:06Je vais vous le dire.
00:06:07Quand on va à la gendarmerie, on passe pour la femme célibataire
00:06:10qui veut absolument son enfant quitte Cocoute.
00:06:14Les questions sont de telle manière
00:06:16qu'on nous fait comprendre à chaque fois
00:06:19que ce n'est pas vrai, que c'est nous qui avons inventé.
00:06:22Et du coup...
00:06:23Donc ce sont les professionnels qui vous ne croient pas ?
00:06:26Oui, les professionnels, mais je ne suis pas la seule partie civile
00:06:29à devoir ressentir ça, je pense.
00:06:32Finalement, on est accusé de...
00:06:35On est accusé d'inventer les choses
00:06:39pour nuire...
00:06:42à la défense.
00:06:43C'est ce que vous allez essayer de faire aujourd'hui.
00:06:46Votre métier, c'est normal.
00:06:47Ça sera demain pour moi, plutôt.
00:06:49J'ai pas d'autres questions.
00:06:51La cour criminelle, comme la cour d'assises, reste un théâtre.
00:06:54Tout est identique à l'exception de la présence des jurés.
00:06:57La cour, composée ici de cinq juges,
00:06:59l'avocat général, qui représente les intérêts de la société,
00:07:03la partie civile, qui a apporté plainte,
00:07:05et la défense, donc l'accusé.
00:07:08On a beaucoup parlé, peut-être, de la perte du cérémonial,
00:07:13des rituels, des côtés un peu sacrés.
00:07:16La cour d'assises emprunte beaucoup au vocabulaire religieux.
00:07:20Je finis par me demander si c'est...
00:07:23Là, l'important, est-ce que l'important,
00:07:26c'est de faire peur, c'est d'impressionner,
00:07:29ou est-ce que l'important, c'est qu'on prenne le temps qu'il faut
00:07:35pour permettre à chacun de parler ?
00:07:38Nous allons, donc, monsieur, procéder
00:07:42à votre interrogatoire de personnalité.
00:07:46La loi prévoit que, pour juger dignement
00:07:50et de façon éclairée un accusé,
00:07:53la cour doit connaître son histoire.
00:07:56Vous avez la parole, monsieur.
00:07:57J'ai pas eu une jeunesse, ce qu'on peut dire, heureuse.
00:08:01J'étais certainement d'Icarus.
00:08:04Dès qu'il y avait quelque chose dans la famille, c'était moi qui prenais.
00:08:07Au niveau de mon caractère, je suis quelqu'un
00:08:10qui est vrai qu'impulsif, qui était impulsif.
00:08:12C'est vrai que j'ai eu tendance à m'énerver pour pas grand-chose.
00:08:17Quand elle a porté plainte contre moi, j'ai pas compris.
00:08:20Qu'elle veut partir, oui, parce que j'aurais été à sa place.
00:08:24Je suis parti depuis même depuis très longtemps.
00:08:26Et puis après, pour les faits qui se sont reprochés, non,
00:08:29j'ai jamais fait de mal.
00:08:30Aux mes enfants, aucun des deux.
00:08:32Mes enfants, c'est ma raison de vivre.
00:08:34Je comprends pas les accusations qu'ils portent contre moi,
00:08:37mais c'est mon fils et je l'aime, quoi.
00:08:41L'étude à l'audience criminelle de la personnalité de l'accusé
00:08:45prend quelquefois du temps.
00:08:47Moi, j'explique, on est là pour juger des actes
00:08:50commis par un homme, un individu ou une femme.
00:08:52Ça va peut-être être long pour les parties civiles,
00:08:54ce temps qu'on va passer,
00:08:56parce que la partie civile a l'impression, il me semble,
00:08:59que tout ce qui va être dit sur la personnalité de l'auteur
00:09:03va avoir tendance à emmener la clémence.
00:09:06Mais c'est pas forcément facile non plus pour un auteur
00:09:09de voir toute sa vie disséquée de sa naissance au moment du procès,
00:09:15en passant par qu'il était maltraité par ses parents,
00:09:18que ses parents étaient alcooliques,
00:09:20que les parents n'avaient pas d'argent.
00:09:22Tout ça, ça fait partie de l'étude de la personnalité.
00:09:26Ce qui vous est reproché, là, aujourd'hui,
00:09:28c'est des faits d'inceste.
00:09:31On parle encore et toujours de sexe.
00:09:34Est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots
00:09:36quelle part vous avez accordé, dans le passé,
00:09:41à cet aspect de la vie, c'est-à-dire l'activité sexuelle ?
00:09:46Pour moi, l'activité sexuelle fait partie de la vie.
00:09:50Je suis un acteur, c'est du plaisir qu'on prend.
00:09:54D'accord. Ma question était peut-être insuffisamment précise.
00:09:59Est-ce que vous pensez que vous avez accordé
00:10:02ou que vous accordez à cet aspect de la vie humaine
00:10:06une importance peut-être plus grande que d'autres personnes ?
00:10:08Est-ce que vous avez plus de demandes, d'idées ?
00:10:13Non.
00:10:15Non ?
00:10:16Pour moi, c'est non.
00:10:17Pour certaines personnes qui ont pu être entendues dans ce dossier,
00:10:20la réponse à cette question, c'est oui, monsieur.
00:10:22Il est vraiment très, très là-dedans.
00:10:24C'est un obsédé sexuel, il ne pense qu'à ça.
00:10:29Ben non.
00:10:30En cours criminel,
00:10:32les débats sont menés par un président de cour d'assise.
00:10:36Les mêmes règles y sont appliquées,
00:10:37à commencer par la première, essentielle,
00:10:40l'oralité des débats.
00:10:42On parle, on se contredit.
00:10:46Le président fait fonctionner ce qu'on appelle le contradictoire,
00:10:50c'est-à-dire vous dites, maître,
00:10:52vous produisez telle preuve ou telle allégation.
00:10:56En face, qu'est-ce qu'on en dit ?
00:10:59On met tout dans le débat et les choses se disent.
00:11:01Alors, les partis civils, les questions, monsieur ?
00:11:03Vous aviez dit, oui, cela est arrivé,
00:11:05que je regardais des films porno gays et normaux dans le salon
00:11:09et qu'il jouait sur la console dans sa chambre.
00:11:11Il ne dormait pas, il était dans sa chambre
00:11:13et qu'il a pu me regarder voir ça.
00:11:15Voilà vos déclarations.
00:11:16Aujourd'hui, vous nous dites que vous êtes plutôt adepte
00:11:18de films romantiques pour vous endormir.
00:11:20Ce sont des films, monsieur ?
00:11:21Les films romantiques, ça a pu m'arriver d'en regarder.
00:11:23Non, les porno gays, monsieur.
00:11:24Les porno gays, oui.
00:11:25Ça m'est arrivé d'organiser des porno gays.
00:11:28Mais jamais j'ai regardé un porno gay quand il n'y avait que mon fils.
00:11:31D'accord, une autre question, maître ?
00:11:32Ce n'est pas une question.
00:11:33Maître Lemaréchal.
00:11:34Non, je n'ai pas de question.
00:11:36Monsieur l'avocat général ?
00:11:38Vous vous placez, c'est l'expert qui parle,
00:11:41vous vous placez aisément en victime.
00:11:43Oui.
00:11:44Oui, parce que je n'ai rien fait.
00:11:46D'accord, donc vous estimez être victime de qui et de quoi ?
00:11:50Victime, déjà, aujourd'hui, d'être ici.
00:11:54Et puis d'être victime, c'est que...
00:11:56Comme j'ai toujours dit dans l'histoire,
00:11:57qu'on me fasse du mal à moi,
00:11:59j'arrive à un âge où je m'en fiche, j'ai vécu.
00:12:02Par contre, qu'on me prive de mes enfants,
00:12:04parce que ça a eu une importance.
00:12:07Vous ne pensez pas, monsieur, que les victimes sont là ?
00:12:11Pour ce que j'ai fait à un homme, oui.
00:12:13Dès que je l'ai insulté, je l'ai rablaissé, oui.
00:12:14Je ne lui ai rien fait.
00:12:16C'est ce que constate l'expert,
00:12:18que vous vous présentez toujours comme victime,
00:12:20alors que vous êtes poursuivi aujourd'hui comme auteur, monsieur.
00:12:25Un procès d'assises peut durer de deux jours à plusieurs semaines.
00:12:28Les cours criminels permettent de gagner en moyenne
00:12:30une journée d'audience,
00:12:32notamment parce que seuls les témoins et experts jugés essentiels
00:12:35sont entendus.
00:12:38Donc, vous êtes la compagne actuelle de l'accusé.
00:12:41Madame, qu'est-ce que vous pouvez nous dire
00:12:43sur la personnalité de votre compagnon ?
00:12:48C'est une personne qui est calme, qui est doux,
00:12:51qui est très attentionnée, qui n'est pas agressif,
00:12:54qui n'est pas impulsif non plus.
00:12:57Donc, c'est une personne...
00:12:59Peut-être qu'il était comme ça avant,
00:13:01mais moi, je sais que depuis qu'on est ensemble,
00:13:04on vit ensemble, il n'y a pas de...
00:13:06Il n'y a rien de tout ça, quoi.
00:13:07Vous avez dit qu'effectivement, vous en parliez
00:13:10parce que ça travaille, c'est votre expression.
00:13:13Est-ce que vous pourriez être un petit peu plus précise ?
00:13:16Ça le touche énormément,
00:13:17parce que c'est une histoire qui est vraiment bizarre,
00:13:22parce qu'on l'accuse d'une chose qu'il n'a pas faite.
00:13:26Est-ce qu'il vous a fait part de sa souffrance
00:13:29d'être séparé de son fils depuis toutes ces années ?
00:13:32Il ne parle pas beaucoup,
00:13:34mais je vois bien qu'en lui, ça lui fait très mal,
00:13:36parce qu'il ne peut pas le voir, il ne peut pas...
00:13:40C'est très dur.
00:13:42C'est-à-dire qu'on va mieux juger en jugeant plus vite,
00:13:45parce qu'on entendra moins de monde,
00:13:46ça m'a apparu être une aberration,
00:13:49parce que, de mon expérience de cour d'assises,
00:13:52il se passe des choses à l'audience.
00:13:54Un témoin qui était, chez les gendarmes,
00:13:57persuadé d'avoir vu quelque chose,
00:13:58le sera beaucoup moins à la barre,
00:14:01et vice-versa.
00:14:02Il y a des gens qui sont beaucoup plus sûrs des années après,
00:14:04ça peut être surprenant,
00:14:05et ça ne se passe que parce qu'il y a l'oralité.
00:14:08Bonjour, madame.
00:14:09Vous êtes devant la cour criminelle à Caen.
00:14:13Vous avez été sa compagne, vous avez avec lui un fils.
00:14:18Qu'est-ce que vous pouvez nous dire sur la sexualité de monsieur...
00:14:23On le faisait de temps en temps.
00:14:26Des fois, comme je voulais pas,
00:14:27des fois, il me demandait un petit peu qu'on le faisait,
00:14:30mais quand je disais non, c'était non.
00:14:32Il arrêtait, il forçait pas.
00:14:34Vous avez dit, était-il doux aux violences ?
00:14:37C'était la question, ça dépendait des fois.
00:14:39Lorsque je ne voulais pas, il me forçait un peu.
00:14:40Il me forçait à le faire, il me tenait les deux bras
00:14:43jusqu'à temps que je dise oui, et j'acceptais,
00:14:45car sinon, il aurait tout le temps insisté,
00:14:46il m'aurait empêché de dormir.
00:14:49Et vous avez terminé en disant que vous considériez pas
00:14:52que c'était un viol, mais la question se discuterait.
00:14:56Vous confirmez ces épisodes ?
00:14:58– Oui. – D'accord.
00:14:59La seule chose qu'on nous avait dite
00:15:02lors de la présentation de cette réforme, c'était,
00:15:05oh, ça va, la procédure est écrite,
00:15:07grosse différence avec la cour d'assises,
00:15:08les magistrats connaissent le dossier,
00:15:10donc il n'est pas nécessaire de citer tous les témoins et experts.
00:15:13On est entre professionnels, on aura lu le dossier.
00:15:15Et je me souviens que mon associé et moi-même,
00:15:17nous nous étions insurgés en disant,
00:15:18mais ça ne se passera pas comme ça, on refusera.
00:15:21On va faire citer tous les témoins et experts
00:15:23que l'on souhaite citer comme aux assises.
00:15:25Et jusqu'à présent, sur les affaires de cour criminelle
00:15:28de camp auxquelles j'ai pu participer,
00:15:31eh bien, nous avons passé, je pense, le même temps, quasiment,
00:15:35que si l'affaire avait été audiencée devant une cour d'assises.
00:15:37Les experts étaient là, les témoins étaient là.
00:15:40– Pour certaines affaires, on a pu réduire le temps d'audience.
00:15:44Ça peut être critiqué, on a peur de la justice expéditive,
00:15:49on n'a pas envie, effectivement, que les choses soient faites à la va-vite.
00:15:53J'ai, en ce qui me concerne, le sentiment que lorsque l'on a jugé des affaires,
00:15:58par exemple, sur une journée, c'est-à-dire en commençant à 9h
00:16:02et en terminant au plus tard à 22h,
00:16:05ce qui, pour des magistrats professionnels, est tout à fait tenable.
00:16:10Et donc, on a pu le faire parce qu'on a fait le choix,
00:16:14qu'on ne fait pas en cour d'assises, de renoncer à certains témoins
00:16:18dont la parole est jamais inintéressante, bien sûr.
00:16:23Mais la question, c'est qu'est-ce qui est essentiellement utile,
00:16:27utile et pour la victime,
00:16:31la personne qui se plaint de quelque chose, et pour l'accusé.
00:16:35– Tout comme certains témoins jugés indispensables,
00:16:40les expertises continuent d'occuper une place centrale en cour criminelle.
00:16:44Elles viennent éclairer l'existence ou non de preuves matérielles,
00:16:47tout autant que la personnalité de la partie civile et de l'accusé.
00:16:52– Pour résumer ou synthétiser un petit peu les choses,
00:16:54on met en évidence quand même des troubles graves de la personnalité,
00:16:58on a quand même la violence, peu de culpabilité,
00:17:01il est peu dans l'émotion, donc il n'est pas intimidable,
00:17:05je reprends séducteur, en fait c'est quelqu'un qui dégage quand même,
00:17:10je dirais, un potentiel d'emprise.
00:17:12Et je recommande, compte tenu de la nature des faits qui lui sont prochés,
00:17:16s'il est condamné, bien entendu, à une injonction de soin
00:17:19dans le cadre du suivi socio-judiciaire.
00:17:21– Est-ce qu'il y a des questions de la cour à poser ?
00:17:23Allez-y monsieur.
00:17:25– Docteur, l'entretien date d'un début de 3 ans, je suis pas sûr,
00:17:28est-ce qu'il évoquait des violences sexuelles à l'égard de son épouse
00:17:32à l'occasion de l'entretien que… ?
00:17:34– Absolument pas, non, il y a un déni pour tout ce qui est sexuel.
00:17:39– Tant pour l'épouse que pour l'enfant ?
00:17:40– Absolument.
00:17:41– A bientôt, au revoir docteur.
00:17:43– Au revoir monsieur.
00:17:47– Vous voulez bien venir à la barre monsieur ?
00:17:49On connaît votre position,
00:17:50j'ai oublié de vous la demander officiellement tout à l'heure,
00:17:54comme la loi l'exige, mais vous plaidez, comme on dit, non coupable.
00:18:00Juste une chose comme ça qui me vient à l'esprit,
00:18:02c'est que madame, elle avait dit que vous aviez essayé les actes de sodomie,
00:18:06qu'elle n'était pas favorable et que ça ne s'était pas reproduit,
00:18:09bon là on voit qu'on a affaire à une…
00:18:12dans le récit en tout cas qui est fait, à un acte de sodomie,
00:18:15est-ce que vous étiez frustré de ce genre d'actes ?
00:18:19– Non, je ne peux pas faire de sodomie,
00:18:22j'ai une érection qui ne permet pas de faire de sodomie.
00:18:25– Vous avez une érection qui ne permet pas,
00:18:29bon vous avez des problèmes d'érection complet,
00:18:31vous n'arrivez pas à avoir une érection totale ?
00:18:36– Je n'ai pas une érection totale,
00:18:37c'est-à-dire que j'arrive à avoir une érection, mais elle n'est pas totale.
00:18:40– Si vous voulez bien vous lever madame, mais en restant à votre place,
00:18:42monsieur dit de toute façon, je ne peux pas,
00:18:45techniquement, qu'est-ce que vous pouvez,
00:18:47je suis désolée de rentrer dans ces…
00:18:49mais on savait bien que ça se passerait comme ça,
00:18:51est-ce que vous vous souvenez si votre mari pouvait quand même avoir
00:18:55une érection semi… – Non, dure.
00:18:58– Dure ? – Dure.
00:19:00– Vous n'êtes pas d'accord avec ce qu'elle dit alors ?
00:19:02Quand vous faisiez venir ces hommes-là, c'était pour qu'ils viennent
00:19:07avoir des relations sexuelles avec votre femme sous vos yeux ?
00:19:10– Oui. – Bon, c'était pour faire quoi ça, monsieur ?
00:19:14– Bah déjà, pour essayer de…
00:19:17en faisant ça, peut-être que ça va pouvoir m'exciter,
00:19:19et pour avoir un rapport.
00:19:21– Pour avoir cette idée-là, il faut encore avoir de la libido,
00:19:23il faut encore avoir un minimum,
00:19:25si c'est complètement mort et que ça ne marche pas,
00:19:27on n'a même pas ce genre d'idée-là.
00:19:29– Je ne dis pas que ça ne marche pas, je peux éjaculer,
00:19:32je peux avoir une érection, mais ce n'est pas une érection
00:19:34comme j'avais avant, qui est bien dure.
00:19:37– D'accord monsieur, mais quand il s'agit de rentrer
00:19:40dans un adulte et d'un enfant de 7 ans,
00:19:43de toute façon, l'adulte, il n'y va pas non plus
00:19:46comme avec un copain homosexuel.
00:19:49Ce dont vous êtes accusé, sur un plan purement matériel,
00:19:54ça pourrait très bien avoir lieu,
00:19:56même avec une érection insatisfaisante pour vous.
00:20:01– Ah d'accord, je peux être d'accord avec vous,
00:20:02mais moi, je n'ai pas solidisé mon fils.
00:20:06– De tous les crimes, le viol est sans doute celui
00:20:09qui pose le plus de difficultés en matière de preuves.
00:20:13Sans aveu, les dossiers sont faits d'éléments matériels
00:20:16qui peuvent dire tout et son contraire.
00:20:19– Alors le problème des affaires de viol,
00:20:21c'est d'abord l'absence de témoins.
00:20:23Dans la plupart des cas, c'est tout à fait exceptionnel
00:20:25que quelqu'un ait vu ces scènes de crimes.
00:20:30Donc, on va se trouver devant, souvent, deux versions.
00:20:36Les accusations portées par la victime et puis les dénégations.
00:20:40Alors, il va falloir essayer de trouver des éléments de preuves autres.
00:20:45D'essayer de trouver au plan médical,
00:20:47voir si on a des traces qui ont été laissées,
00:20:50au plan psychologie de la victime, est-ce que ses propos sont crédibles ?
00:20:55Donc, toute une série d'éléments complémentaires
00:20:58qui vont permettre d'étoffer l'accusation.
00:21:02– Bonjour docteur, vous avez procédé à l'examen de cet enfant.
00:21:08– Tout à fait.
00:21:09– Donc, je vous laisse faire votre rapport.
00:21:11– Les organes génitaux étaient sans particularité.
00:21:13On voyait l'examen anal, donc une fissure ancienne.
00:21:19C'est vrai que c'est compliqué de faire des examens proctologiques
00:21:22parce que les fissures anales sont très banales chez l'enfant.
00:21:26Toutefois, la maman ne nous évoquait pas de constipation.
00:21:31En tout cas, cette fissure est d'origine traumatique,
00:21:36a priori, sans rapport avec une constipation
00:21:38puisqu'elle ne nous était pas rapportée et on ne pouvait pas l'établir.
00:21:43Mais c'est possible que ce soit en rapport
00:21:44avec des pénétrations péniennes anales.
00:21:46– Donc, vous redites que pour vous, cet examen ne permet pas
00:21:50de confirmer ou d'affirmer l'effet allégué.
00:21:54Pas d'autres questions ? On peut laisser repartir l'expert.
00:21:57Merci beaucoup, madame l'expert, à bientôt.
00:22:02– Quand les éléments matériels ne sont pas probants,
00:22:05il reste la parole de l'enfant et la valeur qu'on lui accorde.
00:22:09– Pour la qualité des investigations dans ce type d'affaires,
00:22:12quand il y a des mineurs qui sont victimes, je crois qu'on est attentif.
00:22:18On ne prend pas ce qui est dit comme vérité absolue.
00:22:23On essaie, à partir de ces accusations,
00:22:25on essaie de monter un dossier avec des éléments.
00:22:29Voilà, c'est ça qui est important, la justice c'est ça aussi.
00:22:32Ce ne sont pas des a priori, c'est un travail de construction,
00:22:36de réunir des présomptions, de faire qu'elles soient plus fortes
00:22:40que les doutes et donc de faire qu'on peut aller
00:22:43jusqu'à une déclaration de culpabilité.
00:22:46– Bonjour docteur, vous êtes en direct à la cour criminelle de Caen.
00:22:51Vous avez pratiqué un examen pédopsychiatrique de l'enfant.
00:22:55Vous aviez pour mission de relever les aspects de sa personnalité,
00:22:59de décrire le retentissement éventuel
00:23:02et les modifications de la vie psychique depuis les faits,
00:23:06dire s'il pouvait être évocateur d'abus sexuels.
00:23:09– C'est vrai que j'étais assez perplexe après avoir vu cet enfant,
00:23:13ce que je dis de manière très nette.
00:23:17– Quand on dit qu'il y a des éléments en défaveur,
00:23:18ça veut dire que, du coup, comment on en arrive là ?
00:23:21Pour un enfant de 7 ans, comment on en arrive à ce genre de choses ?
00:23:25– La représentation pour un enfant, elle peut être effectivement
00:23:30induite par ce qu'il a vu et entendu.
00:23:34Quand un enfant voit, il n'y a pas d'émotion quand il en parle.
00:23:40Quand un enfant subit, il y a l'émotion quand il en parle.
00:23:44– Vous, on sent que c'est ce manque d'émotion qui vous a particulièrement frappé ?
00:23:49– Oui.
00:23:50– D'accord.
00:23:50Vous penchez plutôt en faveur quand même de quelque chose qui ne colle pas
00:23:55par rapport au schéma habituel que vous connaissez
00:24:00des enfants victimes de ce genre de choses ?
00:24:03Il y a quelque chose qui ne colle pas ?
00:24:04Vous n'allez pas vous avancer à nous dire,
00:24:07à mon sens, s'il a plutôt… c'est lui qui invente tout
00:24:10ou alors il a été poussé par quelqu'un à… ?
00:24:13– Non, justement, j'avoue que je ne sais pas.
00:24:16– Madame l'expert, la Cour vous remercie grandement
00:24:19pour votre intervention et vous libère de votre mission.
00:24:23Au revoir.
00:24:25– Au revoir.
00:24:26– Alors, avant de faire une pause, je propose qu'on écoute
00:24:29juste quelques minutes de l'audition de l'enfant à la gendarmerie.
00:24:35– Tu es prêt ?
00:24:36– Pas encore.
00:24:38– Ah !
00:24:40– Je n'arrive pas à sortir les mots.
00:24:43– Je n'arrive pas à sortir les mots.
00:24:45– Sinon, tu peux nous montrer comment ça s'est passé ?
00:24:48Tu peux prendre ce que tu veux.
00:24:49C'est à ta disposition. Tu veux des petits doudous ?
00:24:51Tiens, vas-y.
00:24:55Alors, vas-y, explique-moi.
00:24:57– Là, c'est moi et là, c'est papa.
00:24:59– D'accord. Donc, le violet, c'est toi et ça, c'est papa.
00:25:02Vous êtes où, là ?
00:25:04– Chez moi.
00:25:06– Chez nous.
00:25:07Chez vous, donc chez ton papa, c'est ça ?
00:25:10Et dans quelle pièce ?
00:25:12– Dans la chambre.
00:25:13– Dans la chambre.
00:25:14Donc là, toi, tu es où, exactement, dans la chambre ?
00:25:18– Sur le lit.
00:25:19– Et papa, il est où, lui ? Il n'est pas sur le lit ?
00:25:22– Il est sur le lit.
00:25:24– Et toi, tu es tout nu ou pas ? Tout nu, tout nu ?
00:25:28Tu n'as même pas un T-shirt ? Rien du tout.
00:25:31Donc, tout nu. Et papa, il est comment, lui ?
00:25:33– Pareil.
00:25:34– Pareil ?
00:25:35Ça ne sera plus très long, après, ne t'inquiète pas.
00:25:39Ça va aller ?
00:25:41Non, ça ne va pas ?
00:25:44Tu veux faire une pause ?
00:25:48Comment ?
00:25:49– Non, pas du tout.
00:25:50– Ça ne va pas du tout.
00:25:52– Moi, ce que je relève, c'est qu'on voit que ce petit enfant
00:25:54est gêné et qu'il y a une relative émotion, quand même.
00:25:56Enfin, voilà, au niveau temporel, c'est trois semaines
00:25:59avant l'audition par le docteur Gulpil qu'on vient d'entendre.
00:26:03Alors, c'est le 8 septembre.
00:26:06– Voilà, et que l'expertise, c'était de 28.
00:26:09Donc, trois semaines avant, ce petit garçon,
00:26:10il n'a l'air quand même pas super bien.
00:26:13Voilà, et qu'il y a des émotions et qu'il dit,
00:26:15ça ne va pas du tout, on l'a vu le passage.
00:26:18– On va peut-être, pour cette audition, en rester là.
00:26:23Un procès est un véritable ascenseur émotionnel.
00:26:27Selon la personne qui passe à la barre,
00:26:29la conviction peut basculer d'un côté à l'autre,
00:26:32surtout face à des expertises contradictoires.
00:26:35– Il y avait effectivement une question sur laquelle
00:26:37j'étais revenue avec le docteur Gulpil,
00:26:39c'était cette absence d'affect.
00:26:41Elle expliquait que, quel que soit l'âge de l'enfant,
00:26:45elle expliquait que l'enfant qui a réellement vécu quelque chose
00:26:49exprime une souffrance.
00:26:51– Alors, madame la présidente, sur ce que j'ai vu,
00:26:55de la position devant le gendarme,
00:26:57on ne peut pas dire qu'il n'exprime pas l'affect.
00:27:01Quand on est clinicien, et qu'on regarde ça,
00:27:04on voit bien qu'il y a quelque chose qui se joue ici.
00:27:09Il a du mal, il est dans la retenue, il contient.
00:27:17C'est un mécanisme de défense comme un autre,
00:27:20pour mettre à distance les affects, les émotions, les choses comme ça.
00:27:26Moi, je ne peux pas dire qu'il n'est pas l'affect.
00:27:28Donc, pour vous, ce genre de comportement,
00:27:30pour un enfant de cet âge, dans ce genre de contexte,
00:27:32c'est plutôt indicatif, de moyen de défense,
00:27:36et ça va plutôt dans le sens de la crédibilité du discours.
00:27:41– Le doute, les impressions d'audience mitigées
00:27:44donnent au procès une forte charge émotionnelle.
00:27:47Mais l'impact est moindre sur les cinq juges
00:27:49qui composent la cour criminelle
00:27:51que sur des jurés citoyens de cour d'assise.
00:27:53– Les avocats pénalistes sont très attachés à la cour d'assise.
00:28:00Pourquoi ?
00:28:01Ils sont très attachés parce que devant une cour d'assise,
00:28:04on peut faire éventuellement basculer les choses.
00:28:07Par des fois, l'émotion, par des fois, des pratiques,
00:28:12peut-être des fois un peu contestables,
00:28:13de pression sur les témoins, on peut semer le doute, créer le doute,
00:28:18et donc amener les jurés à être hésitants.
00:28:21Et quand ils sont hésitants, c'est vrai qu'il y a un principe,
00:28:24le doute est favorable à l'accusé, mais c'est beaucoup plus facile quand même,
00:28:29c'est beaucoup plus facile de débousculer que des professionnels.
00:28:32– Vous êtes donc devant la cour criminelle, vous savez pourquoi ?
00:28:35– Oui.
00:28:36– Qu'est-ce qui se passe aujourd'hui et demain ?
00:28:38– C'est pour…
00:28:40vous demandez à mon père pour agression sexuelle sur mon petit frère.
00:28:43– C'est ça, le jugement de votre père,
00:28:45alors c'est pas agression sexuelle qu'on lui reproche, c'est viol.
00:28:50– Donc en fait, c'est votre père et son avocat qui ont demandé
00:28:53à ce que vous soyez entendu comme témoin,
00:28:56est-ce que vous pouvez nous parler un petit peu de tout ça ?
00:28:59Comment il est comme papa, comme père ?
00:29:02– Il m'est très bien, il s'occupe de moi, il est très enthousiaste avec moi et tout.
00:29:08– Mais votre vérité, c'est quoi ?
00:29:10– Pour moi, c'est que je sais qu'il a rien fait.
00:29:13– Pour vous, votre vérité, c'est qu'il a rien fait ?
00:29:15– C'est ce que je sais.
00:29:17– Maître Gillier ?
00:29:17– Peut-être juste une question,
00:29:18parce que vous avez déjà posé certaines questions que j'avais en tête.
00:29:24Vous avez bien conscience que, comme ça a été dit tout à l'heure,
00:29:28c'est important de dire la vérité pour tout le monde.
00:29:31Donc, lorsqu'aujourd'hui, vous dites, devant cette cour,
00:29:35que pour vous, ce n'est pas possible
00:29:37que votre père ait commis les faits qu'on lui reproche,
00:29:40c'est bien la vérité, d'accord.
00:29:43Est-ce que vous avez aussi conscience
00:29:45que les faits qu'on reproche à votre père sont très graves
00:29:49et qu'il risque la prison pour cela ?
00:29:50– Oui, je sais.
00:29:51– D'accord.
00:29:52Qu'est-ce qui se passerait pour vous, dans votre tête,
00:29:54si votre père devait être condamné ?
00:29:57– Ça serait très mal.
00:29:58– Oui ?
00:30:00– Ça serait très mal.
00:30:02– Pourquoi ?
00:30:02– Parce que j'aime bien, il s'est toujours occupé de moi et tout.
00:30:06Je serais très triste.
00:30:07– D'accord.
00:30:09Vous n'avez pas envie de voir votre père en prison, c'est ça ?
00:30:10– Non.
00:30:11– D'accord.
00:30:12– Est-ce qu'un avocat de la défense va s'adresser de la même façon
00:30:18aux magistrats de la cour criminelle qu'à la cour d'assises ?
00:30:20Clairement non.
00:30:22Face à un jury populaire,
00:30:24il me semble que l'avocat de la défense aura plus facilement tendance
00:30:27à disséquer, à venir chercher ce qui,
00:30:31dans l'attitude de la partie civile ou dans sa personnalité,
00:30:34peut rééquilibrer un peu la balance par rapport à ce qu'on reproche à son client.
00:30:40Devant des magistrats professionnels,
00:30:44la défense aura peut-être tendance à dire moins d'horreur sur les victimes
00:30:49parce que les magistrats professionnels ont l'habitude
00:30:52et savent que salir la victime, c'est vraiment très très peu efficace.
00:30:58– Je vais vous demander de vous lever, monsieur, venez à la barre s'il vous plaît.
00:31:05Alors, vos réactions, vos déclarations sur ce qui vient de se dire ?
00:31:10– Je suis choqué, mais je n'ai jamais fait de mal à mon fils.
00:31:13Le fils, c'est ce qu'il y a de plus cher pour moi au monde.
00:31:16Je n'aurais jamais fait de mal à mon fils, ni l'un ni l'autre.
00:31:19Et au niveau des rapports sexuels, j'ai quand même 54 ans,
00:31:23mais quand je me suis mis avec madame, je n'avais jamais de problème
00:31:25pour avoir des relations avec des femmes ou avec des hommes,
00:31:28donc pourquoi je m'en serais pris à mon fils ?
00:31:31– En fait, il y a trois solutions, soit il a dit ça parce que c'est vrai,
00:31:35soit il a dit ça parce que sa mère, on va être clair,
00:31:39lui a demandé de raconter et elle a tout organisé depuis le début,
00:31:43donc elle, elle ment, la grand-mère ment,
00:31:47et elles ont piloté l'enfant pour qu'il dit ça, est-ce que c'est votre… ?
00:31:52– C'est ce que j'ai pensé.
00:31:54– La troisième solution étant que, effectivement,
00:31:56il y a des tas de choses qui se mélangent dans sa tête,
00:31:59qu'il ait vu des choses ou subi des choses par quelqu'un d'autre,
00:32:04mais qu'il accuse papa, donc laquelle de ces trois versions vous… ?
00:32:09– Je ne peux pas lui dire si c'est vrai, s'il l'a inventé,
00:32:12ou s'il a vu ou s'il a fait ça par quelqu'un d'autre,
00:32:16après, est-ce que sa mère lui a… ? Je ne sais pas.
00:32:20Je ne sais pas, je ne peux pas accuser quelqu'un sans avoir de preuves, sans savoir.
00:32:24– Est-ce qu'il y a des questions du côté de la cour ?
00:32:29Mesdames, monsieur l'avocat général.
00:32:32– Pas de questions particulières en l'état.
00:32:34– Maitre Gillet. – Pas de questions pour l'instant.
00:32:36– Alors, vous pouvez retourner vous asseoir, monsieur.
00:32:38Bon, en tout cas, on se retrouve demain pour la poursuite des débats.
00:32:41L'audience est suspendue, reprise demain à 9h.
00:32:44
00:32:52La création de la cour criminelle répondait à une urgence majeure,
00:32:56désengorger les cours d'assises.
00:32:59En l'état actuel du système judiciaire,
00:33:01il faut attendre 3 ou 4 ans, parfois plus, avant d'être jugé.
00:33:04
00:33:08– Ce dont on s'est rendu compte au fil des années,
00:33:10c'est que le système assise était complètement embouteillé.
00:33:15Ce que les gens attendent qu'ils soient accusés ou partis civils,
00:33:18c'est d'avoir une réponse judiciaire et ne pas juger les gens
00:33:22parce qu'il y a un flux d'affaires trop important.
00:33:24C'est une sorte de déni de justice pour les gens
00:33:26et une source de souffrance incroyable.
00:33:29
00:33:32– La cour criminelle réduit de 2 à 3 fois les délais
00:33:35pour être jugé par rapport à une cour d'assises.
00:33:38L'autre objectif majeur de la loi,
00:33:40c'est de cesser une pratique très courante jusque-là
00:33:42pour juger plus vite la correctionnalisation.
00:33:46– Depuis de nombreuses années, il y avait beaucoup d'abus sexuels
00:33:51qui étaient accompagnés d'actes de pénétration
00:33:53par violence, menace, contrainte ou surprise,
00:33:55donc légalement des viols,
00:33:58qui étaient ce qu'on appelle correctionnalisés.
00:34:00En fait, pour de mauvaises raisons,
00:34:02qui sont des raisons qui tiennent au temps judiciaire,
00:34:05on laissait tomber la circonstance de pénétration
00:34:09et on habillait ces faits d'une qualification délictuelle
00:34:13pour les faire passer, comme on dit, devant le tribunal correctionnel.
00:34:16Justement, la cour criminelle,
00:34:18des deux objectifs de sa création,
00:34:21jugeait plus vite et jugeait des viols
00:34:24qui jusqu'à présent étaient correctionnalisés.
00:34:27Alors, véritable qualification, juger un viol pour ce qu'il est.
00:34:33– Au fil du temps, dans les cabinets d'instruction
00:34:36qui décident où seront jugés les viols,
00:34:38une sorte d'échelle de gravité s'est mise en place
00:34:40pour décider lesquels méritent les assises
00:34:42ou peuvent se contenter d'un tribunal correctionnel.
00:34:46– Les critères qui peuvent être retenus par les parties
00:34:48pour envisager une correctionnalisation sont très variables
00:34:50et à mon sens tous éminemment critiquables.
00:34:53Certains sont amenés à envisager différemment une pénétration digitale,
00:34:56une pénétration par objet ou une pénétration sexuelle.
00:35:00Certains sont amenés à considérer qu'un viol conjugal
00:35:03serait moins grave qu'un viol entre inconnus.
00:35:07Ça paraît complètement fou.
00:35:09Et pourtant, c'est ce qui est fait régulièrement.
00:35:11Il faut quand même savoir que, quand même,
00:35:14si la justice avait les moyens de fonctionner tel qu'elle a été pensée
00:35:17et si elle avait les moyens d'audiencer
00:35:19dans des délais raisonnables des dossiers criminels,
00:35:22personne ne se poserait ces questions.
00:35:24– L'une des conséquences directes de la création des cours criminels,
00:35:27c'est qu'en restituant au viol sa véritable qualification de crime,
00:35:31elle permet de voir arriver des affaires
00:35:33qui n'auraient jamais atterri aux assises.
00:35:35– Récemment, en cours criminel,
00:35:38un homme comparaît pour agression sexuelle et viol sur sa femme.
00:35:43Ils ont 30 ans de vie commune,
00:35:45un couple où, au final, la communication ne passe plus,
00:35:48plus trop de relations intimes entre eux.
00:35:51Le monsieur est très frustré sexuellement.
00:35:53Il va, de façon très ponctuelle, passer à l'acte sur sa femme.
00:35:59Depuis quelques jours ou semaines,
00:36:02il l'embêtait, il lui touchait les seins dans la cuisine.
00:36:05Quand elle passait, il montrait sa frustration et elle l'envoyait promener.
00:36:08Puis un jour, il n'y tient plus et il va effectivement l'agresser,
00:36:12mais avec un acte sexuel très réduit
00:36:15qui est une pénétration de son doigt dans son sexe.
00:36:20Et ça, ça arrive en cours criminel.
00:36:22La cour criminelle n'aurait pas existé,
00:36:26ça aurait été, comme on dit, correctionnalisé.
00:36:29Le doigt, on l'aurait un petit peu oublié
00:36:31et puis ça serait passé en correctionnel sur des violences.
00:36:35Il a reconnu, il reconnaissait, il a été déclaré coupable
00:36:39et il a été condamné à 3 ans de prison.
00:36:42Il a été condamné à 3 ans, dont je crois 2 avec sursis.
00:36:47Une peine finalement très mesurée.
00:36:51Mais en tout cas, il y a eu une journée quand même
00:36:53où on aurait passé une heure et demie en correctionnel.
00:36:58Mais ça valait le coup, c'était l'histoire d'un couple.
00:37:01Au bout du compte, la peine n'est pas très lourde.
00:37:04Mais pour moi, ça, c'est bien.
00:37:13Belle chanson
00:37:16...
00:37:25L'audience reprend à huit clos.
00:37:27Nous pouvons nous asseoir.
00:37:29...
00:37:32Maître Lebray, vous avez la parole pour la partie civile.
00:37:35Oui, madame la présidente, madame, messieurs de la cour,
00:37:39on entend parfois...
00:37:43Ce résumé des dossiers d'agression sexuelle ou de viol,
00:37:47ces paroles contre paroles, on ne pourra jamais le démontrer.
00:37:50Le doute bénéficie à l'accusé.
00:37:55Sur sa description des actes, ce petit enfant, très précis,
00:37:59parce que là, il l'a vécu dans sa chair.
00:38:01Et il explique bien les choses. A la fois, il les mime.
00:38:05Et quand il en parle...
00:38:07Il parle, il dit clairement,
00:38:09quequette, fesse, on n'a aucun doute sur ce qui a pu se passer,
00:38:13que ça a pu faire mal.
00:38:15Ça, c'est très clair et très précis.
00:38:17Et surtout, il le dit à sa mère, dès le début, il va le répéter.
00:38:20C'est que non seulement il a eu mal,
00:38:23mais dès que son père s'est arrêté, il a eu envie de faire caca.
00:38:26Il a envie d'aller aux toilettes.
00:38:28Et ça, dans aucun film porno, on vous décrit ça.
00:38:30Après les scènes de sodomie, il ne part pas aux toilettes.
00:38:33Très clairement, madame...
00:38:35On marcherait sur la tête,
00:38:36on inventait tout et n'importe quoi pour une défense.
00:38:39Imaginez que sa maman lui aurait dit,
00:38:41tu diras bien qu'une fois que la sodomie était terminée,
00:38:44t'as eu envie d'aller aux toilettes
00:38:46et qu'il y avait du caca sur le sexe de ton père.
00:38:49C'est tellement spontané, naturel et vrai.
00:38:53C'est tellement un vécu qu'un enfant ne peut pas avoir inventé
00:38:56et qui ne peut pas répéter comme ça tout au long d'une procédure.
00:39:00Cette sensation dans sa chair de la réalité, de la pénétration,
00:39:04par le sexe de son père, c'est indiscutable.
00:39:07Sur l'émotion...
00:39:10En fait, comme je ne feins pas mes plaidoiries
00:39:13et que je ne fais pas semblant d'y croire ou d'en rajouter
00:39:16pour toucher un jury,
00:39:18je n'ai pas l'impression de plaider très différemment.
00:39:21Je pense qu'il y a que la sincérité qui fonctionne,
00:39:23outre le droit, il y a des droits à faire devant une cour d'assises.
00:39:27Lorsqu'on est sincère, on est parfois ému.
00:39:31On est parfois en colère.
00:39:32Je pense que ça doit être la même chose
00:39:34devant des magistrats professionnels.
00:39:36J'ai l'impression que je plaide de la même façon.
00:39:39Est-ce que tout garçon peut être victime de fait par quelqu'un d'autre ?
00:39:42Rien ne converge vers un tiers.
00:39:45Par contre, il y a plein de choses qui laissent à penser que c'est monsieur.
00:39:48Plein d'éléments.
00:39:50Tout d'abord, le premier élément, c'est sa personnalité en général
00:39:53et son goût prononcé pour le sexe.
00:39:55Ce n'est pas un défaut.
00:39:57C'est juste une infraction quand ça se porte sur les enfants.
00:40:00Donc, je vous demande bien évidemment d'entrer en voie de condamnation
00:40:03et de redonner à ce petit enfant.
00:40:05On va pouvoir lui dire, en sortant,
00:40:07qu'on t'a cru.
00:40:09Ça a une vraie importance pour ce petit garçon.
00:40:12Et ça aura une importance pour qu'il puisse se reconstruire.
00:40:15Mais il y a quand même une partie de sa vie
00:40:17qui est liée à ce qu'il a vécu avec son père
00:40:19et qui est entachée par l'effet de viol dont il a été victime.
00:40:23Merci, maître Lebrère.
00:40:26Monsieur l'avocat général, vous avez la parole pour vos réquisitions
00:40:29sur l'intérêt de la société.
00:40:31Oui, madame la présidente,
00:40:34madame et messieurs les assesseurs.
00:40:37Comme vous le savez, par expérience,
00:40:42beaucoup d'affaires d'agression sexuelle
00:40:45ou de viol sur mineurs
00:40:48sont particulièrement difficiles à établir.
00:40:52Et il est souvent extrêmement long
00:40:58de trouver des éléments de preuve
00:41:01qui permettent d'asseoir
00:41:05les déclarations, les accusations d'un jeune enfant.
00:41:09C'est d'autant plus difficile que nous sommes dans une affaire,
00:41:11comme souvent,
00:41:13où vous avez la parole de l'enfant
00:41:18et vous avez les dénégations de la personne mise en cause.
00:41:24Devant des professionnels, je n'ai pas les mêmes réquisitions.
00:41:28Le fond, si, c'est identique,
00:41:31mais je n'ai pas les mêmes réquisitions que devant un jury populaire,
00:41:34où je fais de la pédagogie, où je fais de la répétition
00:41:38pour essayer de bien faire entrer les arguments majeurs
00:41:41que je veux développer.
00:41:43Et donc, ça, je ne le fais pas devant des professionnels.
00:41:46Je ne suis pas aussi radical que le penseraient les partis civils.
00:41:53J'ai le souci, comme vous,
00:41:55devant des faits de cette nature,
00:41:59de ne rien laisser passer.
00:42:01Ce sont des faits graves,
00:42:04ce sont des faits pris
00:42:07de par leur qualification,
00:42:09inacceptables.
00:42:11Ce sont des faits qui nécessitent
00:42:13que l'on soit très attentif
00:42:16à la réponse pénale que l'on peut apporter.
00:42:19Alors, je ne vous le cacherai pas, c'est exceptionnel.
00:42:23Il m'arrive rarement de m'en remettre
00:42:27à la sagesse de la cour,
00:42:29que ce soit la cour criminelle ou la cour d'assises.
00:42:32Ça m'arrive très exceptionnellement.
00:42:35C'est à vous de trancher aujourd'hui.
00:42:38Je sais que vous en tirerez les conséquences
00:42:40que vous estimerez répondre à votre intime conviction.
00:42:46Merci, M. l'Advocat général.
00:42:49L'intime conviction, cette responsabilité
00:42:51qui pèse sur les jurés d'assises en leur âme et conscience.
00:42:55En cour criminelle, le jury populaire
00:42:57laisse la place à cinq juges professionnels,
00:42:59posant ainsi la question quasiment philosophique
00:43:02de la participation des citoyens à la justice.
00:43:05Les cours d'assises avec jury populaire,
00:43:07personne tiré au sort sur les listes électorales,
00:43:09c'est un acquis de la Révolution française,
00:43:11comme beaucoup d'acquis fondamentaux de notre démocratie.
00:43:14Je trouve qu'aujourd'hui,
00:43:15les faire quitter l'enceinte judiciaire,
00:43:17c'est éloigner encore le peuple de la justice.
00:43:21Tous les jurés qui peuvent être entendus
00:43:24après avoir participé à des assises
00:43:26vont dire que c'est une grande expérience.
00:43:28Dure, on n'est pas prêts à ça,
00:43:30à rencontrer toute la lourdeur de ces situations criminelles,
00:43:34mais c'est une véritable expérience qui les a confortés
00:43:37dans l'idée qu'on ne fait pas n'importe quoi
00:43:38et qu'on ne juge pas la va-vite.
00:43:39Je trouve que supprimer le jury populaire,
00:43:41c'est faire un pas dans l'éloignement du juge et du justiciable.
00:43:47On a un attachement assez fort au principe du jury populaire.
00:43:51De manière générale, ça va au-delà de cette question.
00:43:55On a compris, évidemment, quelles étaient les motivations,
00:43:59en tout cas, les raisons, plus ou moins avouées,
00:44:01de ce changement en termes d'économie.
00:44:05Évidemment, le coût d'une cour criminelle,
00:44:08en comparaison de celui d'une cour d'assises, n'est pas le même.
00:44:11Je considère, pour ma part, que la justice doit prendre son temps
00:44:13spécialement sur des affaires de cette nature.
00:44:15Vous devrez vous rappeler que, dans ce dossier,
00:44:19il n'y a pas d'élément matériel.
00:44:23Il n'y a pas d'élément matériel, je le rappelais.
00:44:28Le rapport d'expertise médico-légale
00:44:31ne permet d'aboutir à aucune conclusion.
00:44:34On peut penser ce qu'on veut de monsieur,
00:44:36que c'est un sale type,
00:44:37qu'on n'a pas envie de passer une soirée avec lui,
00:44:40qu'on préfère l'avoir loin de soi.
00:44:42Ça n'en fait certainement pas pour autant.
00:44:45Il n'est pas incoupable, devant votre cour,
00:44:47des faits qui lui sont aujourd'hui reprochés.
00:44:50C'est pourquoi, au terme de ces débats,
00:44:52qui, finalement, n'ont rien à porter d'inédit,
00:44:56n'ont rien à porter de nouveau,
00:44:58raison pour laquelle, bien évidemment,
00:45:00c'est l'acquittement que je sollicite,
00:45:03avec confiance, vous l'acquitterez, et ce sera justice.
00:45:06Merci, maître Jullier.
00:45:09La présence d'hommes et de femmes jurés dans une cour
00:45:14répondait à la volonté de mettre en acte
00:45:16le fait que la justice est rendue au nom du peuple.
00:45:19Mais on observe qu'il s'agit uniquement de justice pénale.
00:45:22On ne demande pas à des jurés
00:45:26d'aller prononcer des divorces ou des condamnations
00:45:29dans des affaires de construction, etc.
00:45:31C'est pourtant la justice qui est encore plus quotidienne.
00:45:34Et c'est quand il s'agit de dire ce qui est bien et mal,
00:45:38ce qui est autorisé ou pas, ce qui mérite de la prison,
00:45:40c'est là qu'on a encore besoin des jurés.
00:45:43Et c'est ça qui peut, à mon avis, être réinterrogé.
00:45:46Est-ce qu'on fait appel à eux
00:45:49pour, effectivement, faire connaître la justice,
00:45:53ou est-ce qu'on fait appel à eux parce qu'on a besoin d'eux
00:45:56pour rendre une bonne justice ?
00:45:58Monsieur, levez-vous, je vous prie.
00:46:00Est-ce que vous souhaitez ajouter quelque chose à votre défense ?
00:46:04Je vous redis ce que j'ai dit depuis cinq ans.
00:46:06Je suis triste de ce que mon fils dit sur moi,
00:46:10mais je n'ai rien fait. Je ne lui ai jamais fait de mal.
00:46:13Je l'aime, c'est mon fils.
00:46:14Malgré tout ce que j'ai entendu, ça restera mon fils.
00:46:18Même si je ne le vois plus jamais, c'est mon fils, je l'aime.
00:46:21Mais je n'ai jamais violé mon fils, je ne l'ai jamais touché.
00:46:26Vous pouvez retourner vous asseoir, monsieur.
00:46:28Les débats sont clos.
00:46:30Nous allons nous rendre maintenant dans la chambre du Conseil
00:46:33pour délibérer. Nous ne pourrons sortir
00:46:35qu'après avoir pris notre décision.
00:46:38Monsieur, vous êtes libre, mais néanmoins,
00:46:40en application de l'article 354 du code de procédure pénale,
00:46:45je vais demander à ce que vous soyez gardé
00:46:47pendant la durée du délibéré par le service d'ordre.
00:46:52L'audience est suspendue.
00:46:58Une journée d'audience en cours criminel
00:47:00coûte moitié moins cher qu'en cours d'assises.
00:47:02Cette économie est en grande partie due à l'absence des jurés.
00:47:05Pas de tirage au sort, des débats moins longs, moins de frais
00:47:09et des délibérations beaucoup plus courtes entre professionnels.
00:47:18Être président d'assises avec les jurés,
00:47:20c'est être dans l'humain,
00:47:21avec ce que ça peut avoir de grand,
00:47:24quelquefois de très agaçant aussi, de complexe.
00:47:27Il va encore falloir expliquer ce que c'est qu'un viol.
00:47:29C'est fatigant, hein ?
00:47:31C'est fatigant.
00:47:32C'est plus... C'est évidemment plus simple de délibérer
00:47:35et de travailler avec quatre collègues
00:47:38dans le cadre de la cour criminelle.
00:47:40C'est plus facile de délibérer avec des juges
00:47:44qu'avec des jurés sur un plan technique.
00:47:46Les délibérés de cours criminels durent moins longtemps.
00:47:49En moyenne, ils durent deux heures contre quatre, cinq heures aux assises.
00:47:53Mais cela dit, la discussion,
00:47:56notamment juridique ou sur les questions de culpabilité
00:48:00et aussi sur la peine,
00:48:01ne sont pas nécessairement lisses
00:48:04et on n'est pas toujours d'accord, heureusement.
00:48:08...
00:48:14L'audience reprend. Nous pouvons nous asseoir.
00:48:17Voici les réponses aux questions posées
00:48:19et l'arrêt délibéré en commun.
00:48:22Monsieur, est-il coupable d'avoir, par violence, contrainte,
00:48:25menace ou surprise, commis un acte de pénétration sexuelle
00:48:28sur la personne de son fils ?
00:48:30La réponse de la cour est oui.
00:48:33En conséquence, la cour criminelle le condamne à la majorité
00:48:36à la peine de sept années d'emprisonnement.
00:48:39Lui fait interdiction d'exercer une activité
00:48:42le mettant en contact avec des mineurs pendant dix ans.
00:48:46Constate son inscription au fichier des auteurs d'infractions sexuelles.
00:48:50Prononce en outre le retrait total de son autorité parentale
00:48:54relativement à son enfant.
00:48:56Monsieur, cet arrêt de condamnation
00:48:59est susceptible de recours d'un appel dans le délai de dix jours.
00:49:04Je ne sais pas quels sont les arguments
00:49:07qui ont été majeurs pour la décision de culpabilité.
00:49:10Moi, j'avais des incertitudes, j'avais un doute,
00:49:15donc je l'ai fait connaître.
00:49:17Après, les magistrats professionnels qui ont jugé,
00:49:20ils en ont discuté.
00:49:22La conviction de la cour s'appuie sur les éléments suivants.
00:49:26Il est établi que l'enfant a pu décrire, par des mots et des gestes,
00:49:31l'acte que son père lui avait fait subir, à savoir une sodomie,
00:49:36la réalité de cet acte ne faisant pas de doute
00:49:38au regard de la précision donnée par l'enfant en ces termes,
00:49:42« Normalement, ça sentait mauvais car j'avais envie d'aller aux toilettes. »
00:49:47Le fait que ces circonstances soient incompatibles
00:49:50avec l'idée d'une machination,
00:49:52ourdie par la mère et ou la grand-mère,
00:49:55compte tenu du détail particulièrement scabreux ci-dessus
00:49:59et, d'autre part, de l'authenticité des témoignages des deux femmes,
00:50:04le fait que l'expertise psychologique
00:50:07ait exclu l'hypothèse d'une affabulation de l'enfant,
00:50:12enfin, la personnalité de monsieur, à savoir,
00:50:15celle d'un homme manipulateur, pouvant être violent,
00:50:19présentant une particulière appétence pour le sexe,
00:50:23y compris à connotation perverse.
00:50:26Je me suis dit, en entendant cette motivation,
00:50:30que, typiquement, sur ce dossier-là,
00:50:33on n'avait pas un raisonnement qui serait exclusivement juridique.
00:50:38C'est-à-dire que la Cour s'est appuyée sur des impressions,
00:50:42s'est forgée une conviction à partir d'éléments humains,
00:50:45mais pas d'éléments factuels,
00:50:47pas d'éléments de nature juridique. C'était une surprise.
00:50:50J'ai tendance à penser que, en tout cas en ce qui me concerne,
00:50:54la Cour criminelle laisse moins de place à l'acquittement
00:50:57que ne peut le faire une Cour d'assises.
00:51:03Est-ce qu'une Cour criminelle est plus ou moins sévère qu'une Cour d'assises ?
00:51:06C'est la question qui peut se poser.
00:51:10Il me semble que la tendance serait peut-être plutôt
00:51:13à une moins grande sévérité, en fait, de la Cour criminelle.
00:51:18Plus de reconnaissance de culpabilité,
00:51:20peut-être moins d'acquittement en Cour criminelle,
00:51:23mais avec des peines qui sont peut-être, pour certaines,
00:51:26plus faibles.
00:51:31Pour l'instant, sur les 15 départements test,
00:51:33le taux d'acquittement est de 5 % des verdicts,
00:51:36comme en Cour d'assises.
00:51:41Ca va pas être très long, monsieur,
00:51:42c'est juste une notice individuelle,
00:51:45pour me permettre de donner à la maison d'arrêt
00:51:47des informations concernant vous, d'informations importantes.
00:51:50On me demande, la personne devant vous tient-elle
00:51:53des propos suicidaires ?
00:51:55Là, quand vous pensez à ce qui vient de se passer,
00:51:57à la décision qui a été prise,
00:51:59est-ce que vous avez des idées noires ?
00:52:01Vous vous dites, je vais me ficher en l'air
00:52:03en arrivant à la maison d'arrêt ?
00:52:05Est-ce que vous allez supporter le choc et faire ce qu'il faut pour...
00:52:09Non, non.
00:52:11Attendez, la décision pouvait être d'un côté que de l'autre.
00:52:14On va faire appel.
00:52:15J'ai pas envie de me suicider, je vais me battre.
00:52:19Quand un condamné par une cour criminelle fait appel,
00:52:22il passe un à deux ans plus tard
00:52:23devant une Cour d'assises d'appel classique,
00:52:26composée d'un jury populaire.
00:52:28Passer en appel d'une cour criminelle
00:52:30à une Cour d'assises d'appel, avec neuf jurés,
00:52:32c'est inédit pour moi, c'est mon premier appel en Cour criminelle.
00:52:36Je ne suis pas si inquiète que cela,
00:52:38en ce sens qu'on n'est pas sur des faits
00:52:41où la victime est une mauvaise victime.
00:52:43C'est un petit garçon fragile,
00:52:45qui a aujourd'hui une dizaine d'années,
00:52:47un jeune adolescent qui avait sept ou huit ans.
00:52:50On peut pas dire qu'il l'a cherché, soyons clairs.
00:52:53Donc on va pas remettre en cause ça.
00:52:55La question dans ce dossier, c'est s'il s'est passé ou pas.
00:52:58S'il s'est passé, il était pas consentant.
00:53:00S'il s'est pas passé, on ira vers un acquittement.
00:53:03Je pense qu'on se présente pas devant une Cour d'assises
00:53:06ou une Cour criminelle en faisant des paris
00:53:10sur la confiance qu'on peut mettre dans une juridiction.
00:53:14C'est un autre débat, ou un nouveau débat qui va se tenir.
00:53:19Certainement différent,
00:53:22nécessairement même différent du premier.
00:53:26Des choses changeront dans la stratégie de la défense,
00:53:29de toute évidence.
00:53:30Il peut toujours y avoir des éléments nouveaux.
00:53:32Au terme de l'expérimentation,
00:53:34les acteurs les plus réfractaires à la réforme,
00:53:37tout comme les observateurs extérieurs
00:53:39de ces cours criminels, en tirent un bilan globalement positif.
00:53:43De ce que nous avons observé en Cour criminelle
00:53:46et devant les Cours d'assises,
00:53:48la construction de la vérité est du même niveau d'exigence
00:53:52dans les deux cas.
00:53:53On a eu le sentiment que tous les éléments étaient débattus
00:53:57à la fois devant les Cours criminels et les Cours d'assises.
00:54:00Les avocats qui étaient contre la réforme,
00:54:04clairement,
00:54:05finalement, dans tout ce que nous avons pu observer
00:54:08dans les différentes cours,
00:54:11ils ont été un élément clé
00:54:14pour le bon fonctionnement de cette réforme.
00:54:17Ils sont quand même plutôt favorables aujourd'hui
00:54:19parce qu'ils ont été surpris, sans doute comme nous,
00:54:22de la bonne qualité de ce débat devant les Cours criminels.
00:54:33Cette réforme de la justice pourrait aboutir à plus long terme
00:54:37à un système où les décisions de première instance
00:54:39seraient rendues par la Cour criminelle pour tous les crimes
00:54:42et où le dernier mot reviendrait aux jurys populaires
00:54:45en Cour d'assises d'appel.
00:54:47Si la Cour criminelle était compétente
00:54:50pour l'ensemble des crimes,
00:54:52la règle serait, me semble-t-il, plus simple.
00:54:54Sinon, la Cour criminelle va devenir la Cour spécialisée
00:54:57en matière de viol.
00:54:59Est-ce que c'est ça qu'on veut ? Est-ce que c'est une bonne chose ?
00:55:02Ca me semble vraiment la question.
00:55:05Et effectivement, se dire, bon, quelle que soit l'effet reproché,
00:55:08la première décision vient de magistrats professionnels
00:55:12ou apparentés,
00:55:14et le dernier mot reviendra à des magistrats,
00:55:18mais cette fois accompagnés du jury populaire,
00:55:20si, effectivement, on continue à penser
00:55:23que le jury populaire est le gage forcément d'une bonne justice.
00:55:39Musique douce
00:55:41...
00:55:51On en sait donc désormais beaucoup plus
00:55:53sur cette nouvelle instance judiciaire
00:55:55que sont les Cours criminelles,
00:55:57à la suite de ce documentaire réalisé par Laetitia Onona,
00:56:01elle qui, contrairement aux Cours d'assises,
00:56:03ne comprennent pas de jury populaire,
00:56:05mais cinq magistrats professionnels,
00:56:08après leur généralisation,
00:56:10faisant suite à trois années d'expérimentation,
00:56:13quel premier bilan tiré de ces Cours criminels ?
00:56:16Les objectifs initiaux sont-ils atteints ?
00:56:19Avec quelles conséquences pour les victimes et les justiciables ?
00:56:23Nous allons poser ces questions à nos invités
00:56:25présents aujourd'hui sur ce plateau de Débat d'Occ,
00:56:28en commençant par vous, Laetitia Dervilly.
00:56:31Vous êtes magistrate chargée depuis deux ans
00:56:33de l'égalité femmes-hommes au sein du ministère de la Justice.
00:56:38Vous êtes, par ailleurs, engagée depuis longtemps
00:56:42en faveur de la lutte des violences faites aux femmes.
00:56:45Laure Hennig est également avec nous.
00:56:47Bienvenue. Vous êtes avocate pénaliste
00:56:50au barreau de Paris.
00:56:51Vous avez déjà plaidé en Cours criminelle.
00:56:54Votre dernier ouvrage s'intitule
00:56:56La justice contre les hommes,
00:56:58publié aux éditions Flammarion.
00:57:01Un souvenir, un seul, peut-être, le premier que vous ayez eu
00:57:04à la suite d'un procès auquel vous avez assisté
00:57:07en Cours criminelle ?
00:57:09La première chose, quand on rentre
00:57:11dans une salle de Cours criminelle,
00:57:14qui sont les salles qui étaient celles des Cours d'assises,
00:57:18en réalité, on est forcément choqués,
00:57:20parce que les salles sont remplies de jurés, d'abord,
00:57:23qui doivent être tirés au sort.
00:57:25Vous avez 50, 60 personnes qui sont là,
00:57:28qui sont des citoyens, qui ont été appelés,
00:57:31dont six vont monter pour siéger.
00:57:33Là, c'est tout à fait vide, il n'y a plus personne.
00:57:36On a l'impression que la société a totalement déserté
00:57:38les Cours d'assises et les tribunaux aussi,
00:57:41et peut-être même la société,
00:57:43parce que personne n'y comprend vraiment rien.
00:57:46Il faut dire que les lois se compliquent aussi
00:57:49de plus en plus.
00:57:50Cette absence de jury populaire,
00:57:52qui a beaucoup fait polémique
00:57:53au moment de la création de ces Cours criminelles,
00:57:56on y reviendra peut-être.
00:57:58Mathieu Delahousse est également avec nous.
00:58:00Bienvenue. Vous êtes journaliste,
00:58:02grand reporter spécialisé dans les questions judiciaires
00:58:05au sein du magazine Le Nouvel Obs.
00:58:07Votre dernier ouvrage s'intitule
00:58:09Le prix de nos larmes,
00:58:10disponible, lui, aux éditions de l'Observatoire.
00:58:13Vous aussi, vous avez assisté à un certain nombre de procès
00:58:16dans ces fameuses Cours criminelles.
00:58:18Vous avez peut-être un souvenir
00:58:19qui, d'emblée, vous revient à l'esprit
00:58:22lorsqu'on parle de ces Cours criminelles.
00:58:24C'est sans doute un souvenir qui se complète,
00:58:26mais c'est un vertige différent.
00:58:28Ce qu'on découvre, c'est que la justice
00:58:30a un flux extrêmement important d'affaires de viols.
00:58:33C'est le quotidien des cours d'assises d'hier et de ces cours-là.
00:58:37J'étais allé à mon tout premier procès
00:58:39devant une Cour criminelle départementale à Versailles
00:58:42en expérimentation. La salle était vide.
00:58:44J'étais le seul membre du public sur les bancs qui sont derrière.
00:58:48J'ai cette scène à la fois cocasse,
00:58:50mais qui révèle beaucoup de choses.
00:58:52Un expert que je connais était venu témoigner à la barre.
00:58:55Il avait délivré son expertise.
00:58:57En se retournant pour partir de la barre,
00:58:59il m'avait vu tout seul.
00:59:01Il m'a dit que c'était une audience absolument banale
00:59:04et sans intérêt.
00:59:05On était sortis.
00:59:06Je lui avais expliqué que c'était la première
00:59:09Cour d'assises départementales.
00:59:10Il m'avait dit que ce n'était pas comme d'habitude.
00:59:13Effectivement, ça rejoint ça.
00:59:15Il n'y avait pas de juré, mais le cérémonial est le même.
00:59:18Cette espèce de quotidien de cette justice criminelle
00:59:21que même la presse ne raconte plus tellement elle était difficile,
00:59:25comme une série de viols d'un aide-soignant dans des EHPAD,
00:59:28c'était à la limite du racontable,
00:59:30un peu dans ce qu'on a vu aux assises.
00:59:32Le sentiment de vide se rejoint.
00:59:34Le sentiment, en revanche, de rapidité ne se rejoint pas.
00:59:37C'était un dossier qui avait été jugé rapidement,
00:59:40ce qui est le gros avantage de ces juridictions.
00:59:43Ca faisait aussi partie des objectifs.
00:59:45Nous allons essayer de tirer ensemble
00:59:47le bilan de ces cours criminels.
00:59:49Ils ont été créés, on le rappelle,
00:59:51il y a cinq ans.
00:59:52C'est très récent.
00:59:53C'était en mars 2019.
00:59:55D'abord, à travers sept départements.
00:59:58C'est une expérimentation qui sera élargie
01:00:00à 15 départements en 2022.
01:00:02Et puis, la généralisation est votée, au final,
01:00:06à partir du 1er janvier 2023,
01:00:10un an et demi, maintenant.
01:00:1190 % de ces affaires jugées dans les cours criminels
01:00:15concernent des viols,
01:00:16dont plus de la moitié commis sur des mineurs.
01:00:19On va écouter un premier extrait du documentaire
01:00:22que nous venons de voir.
01:00:24Il s'agit des objectifs de ces cours criminels.
01:00:27On en reparle juste après.
01:00:29Depuis de nombreuses années,
01:00:31il y avait beaucoup d'abus sexuels
01:00:34qui étaient accompagnés d'actes de pénétration
01:00:36par violences, menaces, contraintes ou surprises,
01:00:39donc, légalement, des viols,
01:00:41qui étaient ce qu'on appelle correctionnalisés.
01:00:44En fait, pour de mauvaises raisons,
01:00:46qui sont des raisons qui tiennent au temps judiciaire,
01:00:49on laissait tomber la circonstance de pénétration
01:00:52et on habillait ces faits d'une qualification délictuelle
01:00:55pour les faire passer, comme on dit,
01:00:57devant le tribunal correctionnel.
01:00:59Justement, la cour criminelle,
01:01:01les deux objectifs de sa création,
01:01:04jugeait plus vite et jugeait des viols
01:01:07qui, jusqu'à présent, étaient correctionnalisés
01:01:10à leur véritable qualification.
01:01:12Jugeait un viol pour ce qu'il est.
01:01:14Est-ce que ce n'est pas l'une des grandes réussites
01:01:17de l'instauration de ces cours criminels ?
01:01:19Éviter la correctionnalisation
01:01:21des affaires de violences sexuelles ?
01:01:23Autrement dit, peut-être restituer au viol
01:01:27sa véritable qualification de crime.
01:01:31Alors, c'était l'un des objectifs,
01:01:33parce que cette correctionnalisation,
01:01:36qui est toujours pratiquée,
01:01:38parce qu'elle est toujours possible,
01:01:40aujourd'hui, dans la loi française...
01:01:42Je vais peut-être compléter ce qui vient d'être dit
01:01:46sur l'objectif de correctionnalisation
01:01:48liée au délai de jugement.
01:01:52La correctionnalisation est aussi à relier
01:01:54aux difficultés probatoires.
01:01:56Et moi, je l'ai vécue lorsque j'étais procureure,
01:02:00où j'ai beaucoup pratiqué de correctionnalisation,
01:02:03notamment dans les affaires de violences sexuelles,
01:02:06et on peut le voir dans le documentaire sur l'inceste,
01:02:09où toute la problématique judiciaire,
01:02:12avant de pouvoir déclarer coupable,
01:02:14c'est de pouvoir établir la preuve de cette culpabilité.
01:02:19Cette culpabilité, bien sûr.
01:02:21Et en matière de violences sexuelles,
01:02:23la difficulté, lorsqu'il n'y a pas
01:02:25ce qu'on appelle des éléments matériels
01:02:28et qu'on se retrouve, l'un des protagonistes
01:02:30du documentaire le dit,
01:02:34dans l'affrontement entre parole contre parole.
01:02:37Et la correctionnalisation était pratiquée
01:02:41avec, peut-être, le fait d'échapper
01:02:45à l'aléa, de ce point de vue-là,
01:02:47pour renvoyer des affaires particulièrement complexes
01:02:50de violences sexuelles,
01:02:52quand il n'y a plus que la parole de l'un contre la parole de l'autre,
01:02:56devant des magistrats professionnels, aguerris,
01:02:58qui sont formés, non seulement au raisonnement juridique,
01:03:02mais également à la capacité de pouvoir apprécier
01:03:06le cheminement, le recueil de la parole,
01:03:09les confidents, les témoignages, les expertises,
01:03:12les expertises médicales, qui peuvent être contradictoires.
01:03:15Il y avait aussi ce lien, dans la question
01:03:17des correctionnalisations, autour des qualifications
01:03:21à retenir et, justement,
01:03:23dans des affaires très, très complexes à juger,
01:03:27où il faut parfois des années de formation
01:03:30pour pouvoir établir ou conclure aux doutes
01:03:33et donc à l'acquittement devant les cours d'assises.
01:03:36Pour répondre à ma question,
01:03:38est-ce que, sur ce point-là,
01:03:40vous considérez que c'est une réussite,
01:03:42qu'enfin, les affaires de viol ont trouvé
01:03:44une instance pour être traitées
01:03:48dans les meilleures conditions,
01:03:50à la fois pour les justiciables et les victimes ?
01:03:52Elles avaient une instance, la cour d'assises.
01:03:55La cour d'assises, c'est la vitrine de la justice.
01:03:58Il y a pas grand-chose qui fonctionne très bien
01:04:00dans la justice, mais la cour d'assises,
01:04:02ça fonctionne très bien. On choisit de réparer ce qui marche
01:04:06ou de détruire ce qui marche.
01:04:07Pour vous répondre non, on était très bien à la cour d'assises.
01:04:11S'il y a un problème de délai, c'est un problème de moyens.
01:04:14M. Belloubet, qui était ministre de la Justice
01:04:17avant Éric Dupond-Moretti,
01:04:18et qui a lancé cette idée des cours criminelles,
01:04:21a dit que ce serait pour les petits crimes.
01:04:23C'était dit comme ça.
01:04:25Ca catégorisait tout de suite le viol comme un petit crime.
01:04:28Des petits crimes sans juré.
01:04:30Déjà, c'est dire quelque chose aux femmes.
01:04:32C'est un affront épipaque aux femmes,
01:04:34à la société entière, donc on catégorise.
01:04:37On y va tellement vers le bas
01:04:38que votre documentaire se termine
01:04:40par la présidente de la cour d'assises
01:04:42qui dit que pour ne pas cueillir cette différence,
01:04:45on a qu'à tout faire en cours criminelle.
01:04:47On marche sur la tête, quand même,
01:04:50et c'est évidemment ce qui va finir par arriver.
01:04:53Et moi, aujourd'hui, très régulièrement...
01:04:56C'est d'avoir fait ces fameuses cours criminelles,
01:04:58des cours spécialisés...
01:05:00Pour les viols, et de ne pas le dire.
01:05:03Voilà, c'est une cour qui est faite pour les viols.
01:05:06On dit aux femmes,
01:05:08écoutez, vous avez été victime d'un viol,
01:05:11normalement, vous devriez passer devant la cour d'assises,
01:05:14c'était comme ça que se passaient les correctionnalisations,
01:05:17et qu'elles se passent toujours comme ça.
01:05:20Vous avez été victime d'un viol,
01:05:21vous devriez être jugée par une cour d'assises
01:05:24ou par une cour criminelle.
01:05:26Si on choisit cette voie-là, on vous pose la question,
01:05:29vous aurez votre jugement dans deux ans.
01:05:31Mais si vous acceptez la correctionnalisation,
01:05:34c'est-à-dire le fait qu'on gomme la pénétration,
01:05:36vous aurez votre jugement dans deux mois.
01:05:39Alors qu'on avait passé outre leur consentement,
01:05:41c'est ça, quand même, l'agression sexuelle,
01:05:44c'est qu'on contraint un consentement,
01:05:46et là, on recommence, mais c'est la justice qui recommence
01:05:49à dire à leur dire, prenez votre responsabilité,
01:05:52ou vous êtes d'accord et on enlève la pénétration,
01:05:55et c'est dans deux mois, ou vous n'êtes pas d'accord,
01:05:58et c'est dans deux ans que votre agresseur soit relâché.
01:06:01C'est ça, la réalité.
01:06:02Est-ce que vous êtes d'accord avec ce qui vient d'être dit ?
01:06:05Je pense que c'est difficile,
01:06:07parce qu'il est en balancement très fort
01:06:09entre la réalité fonctionnelle et numérique
01:06:12et quasiment mathématique de la justice,
01:06:14et tout ce qui vient d'être dit et qui porte la justice
01:06:17beaucoup dans nos yeux, c'est le symbole.
01:06:20La cour d'assises, c'est un symbole évident,
01:06:22car tout le monde comprend le fonctionnement
01:06:25de la cour d'assises, et tout le monde a plus de mal
01:06:28à comprendre les données numériques,
01:06:30les données de délai, et on peut ajouter un point
01:06:33difficile à comprendre, c'est qu'il y a tellement de dossiers
01:06:36qui engorgent toutes les juridictions
01:06:38que dans les dossiers décrits tout à l'heure,
01:06:41qui sont sans certitude,
01:06:42quand il y a une culpabilité qui ne se dessine pas
01:06:45avec une évidence absolue,
01:06:46souvent, l'accusé est en détention provisoire
01:06:49dans ces dossiers-là.
01:06:50Quand la culpabilité n'est pas sûre,
01:06:52il est au contraire laissé en liberté,
01:06:55et ce sont des dossiers qui ne sont plus prioritaires
01:06:57sur le rôle, le programme des procès,
01:07:00et les audiences arrivent quelques fois deux ans,
01:07:02trois ans après, il arrive que des personnes
01:07:05placées en liberté sont réincarcérées
01:07:07au moment du procès, alors que l'histoire est passée.
01:07:10On est dans une espèce de cacophonie
01:07:12où ce symbole des assises, qui était un symbole net
01:07:15et qui se retrouve sur cette notion de consentement,
01:07:18sur la parole de la victime, est très importante.
01:07:20C'est un conflit de valeurs extrêmement important
01:07:23entre une justice plus rapide, plus efficace,
01:07:25peut-être plus lisible,
01:07:27parce qu'on dirait un mot des jurés,
01:07:29mais j'avais travaillé sur ça,
01:07:30la place du juré est malgré tout essentielle.
01:07:33Je voulais revenir sur une chose
01:07:35au-delà des aspects de bilan quantitatif et de délai.
01:07:40Ce qui est important,
01:07:42c'est effectivement sur les aspects qualitatifs.
01:07:44Il n'était pas question de renoncer
01:07:47à cette justice criminelle
01:07:50qui a toujours été considérée
01:07:52comme l'une des justices d'excellence,
01:07:55parce qu'on prend du temps,
01:07:57parce qu'effectivement, il y a la présence
01:08:00des jurés et du jury populaire,
01:08:02c'est une véritable révolution.
01:08:03On y reviendra sur cette absence ou cette présence.
01:08:06Elle est maintenue, les cours d'assises.
01:08:09On en est encore là.
01:08:10Cinq ans après la mise en place de ces cours,
01:08:12on s'interroge toujours sur cette question
01:08:15qui faisait déjà polémique.
01:08:16En revanche, il était extrêmement important
01:08:19de s'assurer de la qualité de cette justice
01:08:22et de la manière dont elle pouvait être rendue
01:08:24devant les cours criminels.
01:08:26Et si l'on se place pour reprendre et compléter
01:08:29les propos du point de vue de la place de la victime,
01:08:32et notamment des femmes victimes,
01:08:34ou des enfants, comme dans ce documentaire,
01:08:37c'est-à-dire une particulière vulnérabilité.
01:08:39Je l'ai vécue à de nombreuses reprises
01:08:41devant les cours d'assises, c'est impressionnant.
01:08:44Et l'aléa que l'on confie, on parle dans ce documentaire,
01:08:47et c'est très intéressant, de l'émotion.
01:08:50D'ailleurs, certains des avocats peuvent le dire
01:08:53en disant qu'on ne plaide pas de la même façon
01:08:55devant une cour d'assises ou une cour criminelle départementale.
01:08:59Nous avons pris en compte, dans le comité d'évaluation,
01:09:02et ce n'est pas fini, puisque la généralisation
01:09:04va nous apporter, et on est encore dans les premiers mois
01:09:08de cette généralisation, des compléments sur cette évaluation,
01:09:11on a pris en compte comment les victimes ont vécu.
01:09:15Et chacune des parties, les accusées comme les victimes,
01:09:19la possibilité... C'est très violent, un procès.
01:09:23Vous le précisiez tout à l'heure en disant...
01:09:26Il peut y avoir des propos...
01:09:27-"Ceux qui n'ont jamais assisté à un procès
01:09:30ont pu vivre cette violence."
01:09:32-...témoigner devant une cour criminelle
01:09:34ou une cour d'assises. La qualité de la manière
01:09:37dont la parole est recueillie a bien été maintenue,
01:09:40et ça a été vérifié en interrogeant l'ensemble des partis.
01:09:43Donc, ça, c'est extrêmement important.
01:09:46Parfois même, quand vous allez jusqu'au bout
01:09:49de la manière dont on recueille cette parole
01:09:51et dont elle peut être déposée dans un instant judiciaire,
01:09:55on le sait, la première parole et les premiers intervenants
01:09:58qui interviennent auprès des victimes de violences sexuelles,
01:10:01c'est difficile et il faut l'accompagner.
01:10:04Les avocats le disent dans le documentaire,
01:10:06notamment de la partie civile.
01:10:08Peut-être, les avocats de la défense le disent eux-mêmes,
01:10:13sont moins virulents à l'égard de la victime,
01:10:15de son passé et de la manière.
01:10:17Donc, il y a tous ces éléments à mettre en balance,
01:10:20au-delà des effets attendus de ces cours criminels départementales,
01:10:24qui permettent, tout de même,
01:10:27de réduire, une fois que l'enquête est terminée,
01:10:30que l'instruction est terminée,
01:10:32délai d'audiencement, je veux juste citer un chiffre.
01:10:35Délai moyen devant les cours d'assises, 18 mois.
01:10:37Aujourd'hui, depuis la généralisation,
01:10:40parce qu'on avait un premier bilan sur la première année,
01:10:43on est autour de neuf mois de délai,
01:10:47ce qui est considérable dans la réduction
01:10:49et dans l'attente, évidemment, du procès
01:10:52pour l'accusé comme pour la victime.
01:10:54Ca, c'est un des objectifs, réduire les délais pour les jugements
01:10:58et donc faire des économies, au final, également,
01:11:01pour le ministère de la Justice.
01:11:03Néanmoins, on pouvait aussi s'interroger
01:11:05sur une autre question,
01:11:07est-ce que ça allait influencer sur les jugements ?
01:11:10Il y a autant d'acquittements, nous disent documentaires,
01:11:13que le nombre d'acquittements dans les cours d'assises
01:11:16est de l'ordre de 5 à 5,5 % d'acquittements.
01:11:19Est-ce qu'il y a eu une conséquence sur les jugements
01:11:21qui ont été donnés à la sortie de ces affaires
01:11:24par rapport à ce qu'ils auraient pu être
01:11:26s'ils avaient été jugés dans les cours d'assises ?
01:11:29Selon le rapport rendu, les peines sont plus basses,
01:11:32ce qui est, a priori, étonnant,
01:11:35et il y a plus d'appels.
01:11:37Vous voyez, quand on dit qu'on veut gagner du temps, des délais,
01:11:41s'il y a plus d'appels, vous les perdez, bien sûr,
01:11:44parce que vous avez deux procès.
01:11:45Vous avez plus d'appels aujourd'hui à la sortie des jugements
01:11:50alors même que les peines sont plus basses.
01:11:52C'est drôlement intéressant,
01:11:54parce que ça veut dire que c'est pas en fonction de la peine
01:11:57que vous faites l'appel, mais de la façon dont vous êtes jugé.
01:12:01Ca vient contradire ce que vous dites.
01:12:03Quand on est devant un jury populaire
01:12:06qui prend son temps, quand on a un débat pédagogique,
01:12:09bien sûr que les avocats ne prêtent plus de la même manière
01:12:12et que les avocats généraux ne requièrent plus de la même manière,
01:12:15il faut être pédagogique, c'est l'oralité.
01:12:18Celui qui est jugé comprend que la société prend son temps
01:12:22et lui accorde ce droit d'être jugé aussi,
01:12:25parce qu'il fait partie de la société.
01:12:27Donc, il n'interjette pas l'appel.
01:12:29On a compris que les appels ont lieu, eux, en cour d'assise.
01:12:33Dans ce documentaire, et d'ailleurs, l'accusé, en l'occurrence...
01:12:36Il y a eu un juge à 7 ans de prison et 9 ans de prison en appel.
01:12:40Je suis pas du tout d'accord, parce qu'il faut savoir
01:12:44qu'on a évalué, au bout de quelques mois seulement,
01:12:46et seulement sur les cours expérimentales,
01:12:49c'est-à-dire 7, puis 15.
01:12:50La généralisation et les derniers mois
01:12:52nous démontrent qu'on a exactement le même taux d'appel.
01:12:56Et on verra, il faudra faire, après une année,
01:12:58deux années de généralisation sur l'ensemble des cours,
01:13:01parce que c'est aussi une question de volume.
01:13:04Je permets de relativiser cette option.
01:13:06Et puis, les critères qui permettent, à chaque partie,
01:13:10de faire appel, notamment à l'accusé et à l'accusation
01:13:14qu'a l'avocat général, dépassent largement
01:13:17la satisfaction autour de la peine et les quantums de peine.
01:13:21Le délai moyen, le quantum moyen sur les violences sexuelles,
01:13:25toutes décisions criminelles confondues, est de 11 ans.
01:13:28Et on se situe, et je pense que là,
01:13:30on a le témoignage d'une cour criminelle,
01:13:32d'une présidente, par rapport à des peines prononcées,
01:13:36à des culpabilités. Chaque situation,
01:13:38chaque procès va engendrer un questionnement
01:13:40et un positionnement autour,
01:13:42est-ce que je suis satisfait ou non de la peine ?
01:13:45J'aimerais écouter Mathieu Delahousse.
01:13:47Ce que je trouve intéressant,
01:13:49c'est que surgit un peu dans ce documentaire
01:13:51et beaucoup lors de ce débat, le non-dit sur la place des jurés.
01:13:55Peu de magistrats, aujourd'hui, osent, de façon virulente,
01:13:58remettre en cause la place même des jurés,
01:14:01alors qu'on voit bien que c'est le mouvement général
01:14:04de la justice, de réduire la place des jurés.
01:14:06Les jurés, en France, c'est pas très récent.
01:14:09Dans les cours d'assises, c'est 1978.
01:14:11C'est pas hier, mais c'est pas non plus
01:14:13totalement ancien.
01:14:15C'est vrai qu'aujourd'hui, les magistrats les critiquent
01:14:18dans des termes voilés, parce que tout le monde a considéré
01:14:22que c'était une vitrine de la cour d'assises
01:14:24et que c'était un parcours initiatique important
01:14:27pour tous les citoyens qui comprennent la justice.
01:14:30Mais on retrouve, soit en off, comme on dit,
01:14:32soit dans des textes un peu anciens,
01:14:34des critiques extrêmement virulentes
01:14:36de la part de professionnels contre l'introduction des jurés
01:14:40et la façon dont ils se laissent trop influencer
01:14:42par les avocats de la défense.
01:14:44Il faut crever l'abcès. Le débat est bien entendu là.
01:14:47J'ai le souvenir d'un vieux texte,
01:14:49de Xavier Vercidi, président des Assises.
01:14:51On peut faire basculer, lorsqu'on a un avocat de la défense,
01:14:54un procès en Assises, et c'est moins le cas.
01:14:57Vous venez de dire qu'il y a le même nombre d'acquittements.
01:15:00C'est autre chose.
01:15:02Juste sur cet aspect, pour terminer l'anecdote,
01:15:04des présidents de cour d'assises, en off,
01:15:07peuvent critiquer beaucoup la façon dont les jurés
01:15:09peuvent se faire manipuler par les avocats de la défense,
01:15:12qui étaient spécialistes des acquittements.
01:15:15Il y a quand même cet aspect-là qui existe
01:15:17dans l'atmosphère autour des cour d'assises
01:15:19et des cours criminels départementales.
01:15:22Dans ces critiques, en tout cas, qui avaient éclaté
01:15:25dans les années 70, des magistrats qui avaient des paroles
01:15:28inacceptables, mettaient en avant le fait
01:15:30que quand ils voyaient des délibérés,
01:15:32ils avaient des jurés qui avaient le niveau
01:15:35d'un professeur du Collège de France
01:15:37et d'autres idiots du village.
01:15:39Ce débat sous-jacent sur la place de jurés
01:15:41qui, finalement, verraient moins bien
01:15:43la réalité d'une affaire criminelle
01:15:45que des magistrats professionnels qui en ont l'habitude,
01:15:48qui, effectivement, peuvent faire attention
01:15:51à cette expression d'aléas que vous avez prononcée
01:15:54tout à l'heure, mais qui est très intéressante
01:15:57par rapport à des jugements rendus au nom du peuple français.
01:16:00Dans ce débat, il y a cette question de la place du juré
01:16:04et ce mouvement d'élimination progressive
01:16:07du citoyen des cours de justice
01:16:09qui existe, il existe dans le terrorisme depuis 1986
01:16:12et il existe progressivement sur ce qu'on évoque,
01:16:15par exemple, sur la criminalité organisée,
01:16:17en disant que c'est des dossiers trop compliqués
01:16:20pour les confier à des citoyens ordinaires.
01:16:22C'est un débat fondamental.
01:16:24Si je peux me permettre, je nuancerais la question
01:16:27du mouvement. Les jurés populaires
01:16:29et maintenus, ça a été souhaité par le garde des Sceaux,
01:16:32ça a été souhaité par le législateur,
01:16:34et l'importance et la pédagogie devant les cours d'assises
01:16:37de la présence.
01:16:39Moi, j'ai énormément soutenu l'accusation
01:16:41ancienne de cours d'assises, qui existe toujours,
01:16:44mais en présence du juré populaire.
01:16:46Vous n'entendrez pas, ni du point de vue de la chancellerie,
01:16:49du garde des Sceaux et de mon expérience,
01:16:52ce mouvement d'élimination,
01:16:54parce qu'il n'est absolument pas soutenu,
01:16:56bien au contraire.
01:16:58Il faut le maintenir et je reviens sur l'intérêt de la pédagogie.
01:17:01C'est soulevé par la présidente de la cour d'assises
01:17:04où elle interroge en disant est-ce que c'est pour cette raison
01:17:08une bonne décision, une décision et une justice de qualité ?
01:17:12Je pense que les deux font partie de la réponse.
01:17:16Par ailleurs, je voulais simplement préciser
01:17:19le contexte qui nous a permis de voir
01:17:22et de la réalisation de ce documentaire,
01:17:24c'est la même loi, c'est la loi confiance,
01:17:27en 2021, où on permet de filmer ses audiences
01:17:29dans des conditions qui permettent le respect,
01:17:34évidemment, de certaines exigences,
01:17:36avec l'acceptation de l'ensemble des partis,
01:17:39mais le fait de filmer, le garde des Sceaux avait soutenu
01:17:42devant le Parlement cette loi et cet article d'importance
01:17:45où il dit qu'il faut que la justice rentre
01:17:48dans le salon des Français.
01:17:49C'est le cas avec ces documentaires
01:17:51et notamment sur cette justice criminelle
01:17:54où on pourra voir des cours criminels
01:17:56mais aussi des cours d'assises,
01:17:57qui sont bien sûr maintenus et le jury populaire
01:18:00a sa place pour longtemps pour rendre des décisions criminelles,
01:18:04y compris en matière de violence sexuelle.
01:18:06La présidente, elle dit le contraire.
01:18:08Elle dit qu'on va retirer le jury populaire
01:18:11d'une manière globale.
01:18:13On entend dire que vraiment, c'est une justice
01:18:15qui sera faite pour les femmes.
01:18:17Quand j'entends le président...
01:18:19Ca a été confirmé par le ministère de la Justice.
01:18:22Elle émet une possibilité.
01:18:23Oui, elle émet une possibilité que tout le monde voit venir.
01:18:27Quand on dit qu'on met dans la balance
01:18:29le fait qu'on peut y faire des documentaires
01:18:31et qu'on enlève le jury populaire de l'autre côté.
01:18:34Le viol, c'est le crime sans témoin.
01:18:36C'est vraiment la définition du viol.
01:18:38C'est ça, le problème probatoire.
01:18:40Qu'est-ce qu'on fait, la justice ?
01:18:42Elle retire les témoins citoyens des jurés.
01:18:45Il y a 6 000 jurés qui ont disparu par an.
01:18:47Vous allez me dire que c'est pas grand-chose.
01:18:50C'était 6 000 témoins de ces cours d'assises.
01:18:52Ces gens-là, effectivement,
01:18:54avaient fait une expérience très forte de la cour d'assises.
01:18:57Quand ils rentraient chez eux, ils allaient dire
01:19:00que les viols, c'est pas dans les parkings.
01:19:03Ils le disaient à leur femme, à leur fils, à leur frère,
01:19:06et ça se sédimentait.
01:19:07Ca ne faisait pas que 6 000 témoins,
01:19:09ça en faisait beaucoup plus, des citoyens.
01:19:11Quand on parle de pédagogie,
01:19:13c'est vrai que cette pédagogie-là était importante.
01:19:16Je termine juste un dernier mot.
01:19:18On entend Mme le président dire qu'on gagne du temps
01:19:21et on réussit à faire parfois en une seule journée.
01:19:24Elle dit que c'est tenable.
01:19:26Voyez-vous l'exigence de la justice
01:19:28en disant que c'est tenable sur une journée,
01:19:30jusqu'à 22h, dit-elle.
01:19:32Mais il faut se mettre à la place des victimes.
01:19:34Vous trouvez normal que votre avocat,
01:19:36alors que vous avez attendu des années,
01:19:39et que c'est le crime que vous avez vécu,
01:19:41plaide à 22h ?
01:19:42Alors, justement,
01:19:43l'autre objectif, et un objectif affiché,
01:19:46c'était de désengorger ces fameuses cours d'assises,
01:19:49raccourcir les délais,
01:19:51évidemment, pour les jugements.
01:19:53Ces cours criminels auraient permis
01:19:56d'économiser une journée d'audience.
01:19:59Selon le site d'Alloz,
01:20:00le coût moyen d'une journée d'audience
01:20:02en cours criminel est estimé à 1 100 euros
01:20:05contre 2 060 euros aux assises.
01:20:09Donc, on est du simple au double,
01:20:11à la vue de ces chiffres.
01:20:13Le temps d'audience devant une CDD
01:20:16sera à contentieux identique,
01:20:17environ 12 % moins long que celui
01:20:19devant une cour d'assises.
01:20:22Bon, voilà, ça, ce sont les chiffres.
01:20:24Est-ce que cet objectif-là a été justifié ?
01:20:28Baisser les coûts, baisser les temps
01:20:31nécessaires aux jugements,
01:20:33est-ce que ça se justifiait d'avoir
01:20:35de tels objectifs, aujourd'hui,
01:20:37compte tenu de l'estat de notre justice ?
01:20:39Sur le constat, tout le monde sera d'accord
01:20:42sur le fait que les délais étaient extrêmement longs,
01:20:44les cours d'assises sont engorgés,
01:20:46il y a beaucoup de dossiers, on ne sait pas comment les aiguiller,
01:20:50par ailleurs, au-delà des chiffres,
01:20:52parce que la justice s'est beaucoup résumée
01:20:55à des questions de statistiques,
01:20:56parce que la justice a été étouffée
01:20:58par une masse de contentieux
01:21:00et un nombre insuffisant de personnes
01:21:02pour les gérer, mais toutes ces histoires,
01:21:05c'est effectivement, à chaque fois,
01:21:07dans les deux cas, et moi, je ne veux pas faire
01:21:10l'arbitre neutre et naïf de tout ça,
01:21:14mais on a des victimes qui réclament justice,
01:21:16c'est une évidence, mais de l'autre côté,
01:21:19il y a parfois aussi des auteurs, des suspects
01:21:21qui réclament également justice,
01:21:23donc cette confrontation, elle est parfois extrêmement urgente,
01:21:27réclamée par les deux parties
01:21:30sans avoir des semaines et des mois à attendre,
01:21:33donc le constat qu'il fallait changer ce système,
01:21:36il fallait trouver des solutions.
01:21:38Ceux qui critiquent la mise en place de ces cours
01:21:40disent qu'on a aujourd'hui une justice expéditive,
01:21:43et pourquoi ? Pour économiser...
01:21:45Mais on aurait pu doubler le nombre de cours d'assises,
01:21:49mais c'est une solution que personne n'a réussi à trouver
01:21:52pour des raisons budgétaires.
01:21:53Après, la question, pour moi, qui ne suis ni avocat ni magistrat
01:21:57et qui observe la justice, c'est qu'il n'y a pas de critères
01:22:00pour définir la belle et la bonne justice.
01:22:03Il y a des justices qui se déroulent en une seule journée
01:22:06et on voit que le magistrat fait son boulot,
01:22:08et il y a des fois, des choses qui traînent tellement en longueur
01:22:13avec des inattentions...
01:22:15Le temps n'est pas le seul critère,
01:22:17pour être extrêmement synthétique là-dessus.
01:22:20Donc, l'efficacité, l'efficience de la justice,
01:22:23sur chaque affaire, est très difficilement mesurable
01:22:26au niveau des chiffres, ce qui est très important,
01:22:29et là, je me place uniquement sur mon siège d'observateur,
01:22:33c'est effectivement cette notion de justice avec ou sans témoin.
01:22:37Faut-il avoir un procès rapide ?
01:22:39Le procès auquel j'avais assisté de Versailles
01:22:41et auquel j'ai évoqué les détails tout à l'heure,
01:22:44c'était un an après les faits, ce qui était extrêmement rapide,
01:22:48mais, évidemment, le fait est que cette justice,
01:22:51elle doit se rendre de façon satisfaisante
01:22:54pour chacune des parties,
01:22:57avec une exigence de voir le dossier totalement mis sur la table
01:23:01en termes de phénomène de société et en termes individuels.
01:23:04Cette justice sans témoin,
01:23:06puisque les journalistes y vont moins,
01:23:08également pour ces raisons de chaudron des assises,
01:23:11c'est un véritable problème.
01:23:13Je vais vous laisser le mot de la fin.
01:23:15L'objectif affiché par le ministère de la Justice
01:23:19était de réduire les dossiers d'assises
01:23:22de 57 % à terme
01:23:24et espère obtenir des cours criminels,
01:23:27qu'elle le prononce, 900 condamnations par an.
01:23:31Est-ce que ces objectifs sont toujours à l'ordre du jour ?
01:23:35Est-ce qu'ils sont atteignables,
01:23:37compte tenu de la généralisation qui a eu lieu
01:23:40maintenant, il y a un an et demi ?
01:23:42En réalité, ce qu'on a vu...
01:23:44Et les réserves qui ont été émises.
01:23:46Il faut les entendre et, encore une fois,
01:23:48il faut appréhender complètement le processus judiciaire criminel
01:23:52et, à la fois, analyser la poursuite
01:23:54de cette généralisation
01:23:55devant les cours criminels départementales.
01:23:58Évidemment, par nature,
01:24:01le fait d'avoir une peine encourue de 20 ans
01:24:03fait qu'on a des jours d'audience moins importants
01:24:06que pour des peines encourues qui vont jusqu'à perpétuité,
01:24:09qui sont des procès des affaires bien plus complexes
01:24:12qui nécessitent plusieurs jours d'audience.
01:24:15Un des objectifs, c'est que,
01:24:16vous savez qu'en matière de violences sexuelles,
01:24:19il y a un mouvement de libération de la parole,
01:24:22fort heureusement, personne ne peut y échapper,
01:24:25et la justice est confrontée
01:24:26à un accroissement du nombre d'affaires.
01:24:29Tant mieux.
01:24:30Depuis 2017, on est passé,
01:24:32pour les affaires qui sont transmises,
01:24:34qui arrivent aux portes d'un tribunal,
01:24:36d'abord au procureur de la République,
01:24:38de 12 000 en 2017 à plus de 23 000 affaires criminelles
01:24:41de violences, de viols, de violences sexuelles,
01:24:44qui peuvent se retrouver devant les cours criminels.
01:24:47Il y a plus de plaintes, plus de jugements.
01:24:49Depuis la généralisation, donc janvier 2023,
01:24:52est-ce qu'on a 50 % de plus de décisions criminelles
01:24:56en matière de violences sexuelles ?
01:24:58Donc, on est aussi...
01:25:00C'est important qu'on puisse assurer
01:25:02l'augmentation de cette capacité
01:25:04dans les meilleures conditions possibles
01:25:06et dans les conditions exigeantes
01:25:08où le rituel judiciaire et le débat, l'oralité, est permis.
01:25:11Je suis désolé, on aurait vraiment souhaité
01:25:14passer un peu plus de temps avec vous
01:25:16pour parler de ce bilan de ces cours criminels.
01:25:18Un grand merci à tous les trois, après ce film,
01:25:21sur ce qui a été un des procès de la cour criminelle de Caen,
01:25:24en l'occurrence, avec le film que nous vous avons présenté
01:25:28dans cette émission.
01:25:29Vos réactions, ce sera sur hashtag débadoc.
01:25:31Merci à Félicité Gavalda et Macumf,
01:25:33qui m'ont aidé à préparer cette émission.
01:25:35On se retrouvera pour un prochain Débat d'Occ,
01:25:38avec son documentaire et son débat.
01:25:40A très bientôt.

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