Beaucoup de droit, pas assez de juristes ! avec Pierre Berlioz, Professeur de droit privé à l'Université Paris Cité.
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00:00On poursuit ce Lex Inside, on va parler de l'ouvrage
00:13Beaucoup de droits, pas assez de juristes, publié aux éditions Dialogue
00:17avec son auteur Pierre Berlioz, professeur de droit à l'université Paris-Cité.
00:23Pierre Berlioz, bonjour.
00:24Bonjour Arnaud.
00:25Alors dans cet ouvrage, vous soulignez que la culture juridique française, malheureusement,
00:31fait défaut beaucoup dans notre société.
00:34Alors comment développer cette culture juridique ?
00:38Effectivement, je pense que la culture du droit en France n'est pas assez répandue parmi nos concitoyens.
00:45C'est le titre, beaucoup de droits, pas assez de juristes, pas des juristes techniciens,
00:49mais des juristes de tous les jours, des citoyens juristes.
00:56Je l'illustre notamment par un certain nombre d'expressions qu'on a parmi nos concitoyens.
01:04Traîner en justice, par exemple, une image du droit qui est très négative
01:08et finalement le droit qui est une forme de repoussoir.
01:11Alors comment développer cette culture ?
01:13Je crois que c'est tout simplement l'éducation.
01:15On a des cours d'éducation civique au collège et au lycée, d'ailleurs qui sont parfois un peu évités par nos collègues du secondaire,
01:26sans doute parce que les programmes ne sont peut-être pas bien configurés.
01:31Mais pas d'enseignement du droit.
01:32C'est une dimension juridique, alors que l'idée c'est les notions simples.
01:37La propriété par exemple, moi quand je commence un cours de droit des biens,
01:41je dis aux étudiants, vous avez un enfant face à vous de 3 ans,
01:45vous lui donnez un jouet, vous revenez 2 minutes après,
01:49vous voulez lui reprendre et il vous dira non c'est à moi.
01:51Je dis moi je vais vous faire le cours du c'est à moi, de la propriété le c'est à moi.
01:56Voilà, expliquez simplement les grands principes du droit, ce qui fait le liant dans nos vies.
02:03Et c'est ça qui est important, c'est qu'on place le droit comme il faut,
02:08c'est à dire comme un outil qui nous permette de bien vivre ensemble.
02:11Et c'est de ça qu'on a besoin parce que c'est ça aussi qui va solidifier l'état de droit.
02:17Moi je dis il n'y a pas d'état de droit sans une nation de droit,
02:20c'est à dire des citoyens qui sont imprégnés de cette culture juridique.
02:24Et l'enseignement du droit c'est plutôt dans le secondaire vous imaginez ?
02:28Je pense quand on commence à avoir une certaine culture politique,
02:31une certaine culture aussi du lien social,
02:36je pense qu'il faut une certaine maturité,
02:39ou en tout cas pour qu'on enseigne le droit en tant que tel.
02:42Après je pense que nos enfants à l'école,
02:46on peut aussi leur apprendre un certain nombre de choses,
02:48le respect de la propriété, le respect de la parole donnée,
02:51et leur dire que tout ça, aussi leur faire comprendre que tout ça c'est du droit.
02:56Tout ça, le droit c'est pas qu'une matière technique,
02:58c'est pas un truc aride pour les techniciens que nous sommes,
03:01ça peut l'être évidemment, mais ça, ça nous est réservé.
03:04Bien sûr.
03:05Le droit en revanche pour les citoyens,
03:07c'est ce qui nous permet de vivre ensemble encore une fois.
03:10Je trouve que c'est pas mal d'apprendre ça aux enfants.
03:12Tout à fait.
03:13Alors un autre constat, c'est l'hypertrophie du droit.
03:18Effectivement, il y a une inflation normative.
03:21Quelles conséquences cette surabondance de normes a-t-elle
03:24sur la compréhension du droit et sur l'application du droit ?
03:28Oui, c'est vrai qu'on produit beaucoup de droits.
03:30On ne le connaît pas forcément, on n'en est pas imprégné en culture,
03:32mais on en produit beaucoup, de plus en plus, beaucoup trop.
03:36Quel effet ?
03:37D'abord un effet, je pense, de rejet.
03:39Un effet de rejet parce qu'on voit s'accumuler cette masse de règles
03:45auxquelles on ne comprend pas grand-chose,
03:47parce qu'en plus, il est très technique.
03:49De plus en plus technique, de plus en plus détaillé.
03:52Et donc, je pense qu'il y a un effet de rejet,
03:55saturation, incompréhension, donc rejet.
03:59Et donc, phénomène de se dire,
04:01tout ça, on en a marre, on veut s'en débarrasser.
04:04Et ça veut dire aussi qu'on ne va pas l'appliquer
04:06et qu'on cherche à l'éviter.
04:09Et on le voit aujourd'hui sur des, pourtant,
04:12des textes dont on pourrait penser qu'ils recueilleraient l'adhésion,
04:17sur le développement durable, par exemple,
04:19où il y a un phénomène de rejet parce que c'est assimilé
04:21à de la bureaucratie, ce qui est une manière de dire du droit inutile, en fait.
04:26D'accord.
04:26Voilà.
04:27Donc, je pense qu'il y a ce phénomène de rejet.
04:29Et si on veut que le droit soit plus accepté,
04:34il faut aussi qu'on le rende plus accessible,
04:38plus compréhensible,
04:40et donc qu'on développe l'adhésion.
04:43On parle beaucoup aujourd'hui de soft law.
04:45Le soft law, c'est quoi ?
04:46C'est juste du droit auquel on adhère.
04:48En fait, la hard law devrait aussi être de la soft law
04:51parce qu'on y adhère.
04:53Et finalement, le schéma de contrainte serait moins nécessaire.
04:56Alors, dans l'ouvrage, vous vous intéressez aussi à la justice.
05:00Vous faites le constat d'une justice qui est sacralisée, mais délaissée.
05:04Alors, comment redonner sa place à la justice
05:07et restaurer la confiance dans la justice ?
05:10Oui, ça, je crois que c'est absolument fondamental
05:14parce qu'on a une présentation de la justice
05:18qui convient en fait à une partie de ses fonctions.
05:22On assimile la justice à l'autorité.
05:26Et on a des palais pour ça, on a un cérémonial,
05:29on a beaucoup de choses qui insistent sur des dimensions d'autorité.
05:32C'est très bien pour le pénal.
05:34Mais est-ce que ça convient à la justice civile ?
05:37Personnellement, je n'en suis pas convaincu.
05:40La justice civile est souvent oubliée des politiques
05:42des différents gardes des Sceaux.
05:44Tout à fait.
05:44La justice du quotidien, c'est quelque chose
05:47qu'on oublie un petit peu.
05:49On parle beaucoup de pénal,
05:50mais c'est vrai dans les médias aussi.
05:52C'est quelque chose qu'on développe énormément.
05:55Et l'hypertrophie juridique, elle est liée à ça aussi.
05:58Et donc, on n'a pas cette dimension pour la justice civile
06:02de service public.
06:04Ce qui n'est pas forcément la vocation première
06:06de la justice pénale, bien sûr.
06:09C'est l'autorité.
06:10Mais la justice civile, elle sert à quoi ?
06:12Régler des différends entre les gens.
06:15Et ça, c'est une dimension de service public.
06:18Mais ça veut dire que dans cette perspective-là,
06:20le juge doit être accessible.
06:22On doit le percevoir comme quelqu'un qui est là
06:26pour nous aider, pour faciliter le règlement de situations compliquées.
06:35Et donc, on doit avoir le réflexe,
06:38on doit aller le voir facilement.
06:40Et ça, je crois que quand on met la justice dans un palais,
06:44on l'isole et on ne permet pas cet accès facilité.
06:47Et donc, moi, je suis effectivement pour une désacralisation
06:50de la justice civile,
06:51pour qu'elle soit au plus près des lieux de vie,
06:54au plus près des sujets,
06:56et pour que nos citoyens aillent facilement la voir.
06:59Vous voyez, une chose qui m'a frappé à la période Covid,
07:02c'est la renégociation du PGE.
07:05Ça a été confié à la médiation des entreprises
07:07parce qu'on se disait
07:08les gens ne vont pas aller au tribunal de commerce
07:10parce qu'il y a le mot tribunal.
07:12Alors pourtant, que ce sont des juges élus,
07:14qu'ils sont proches des justiciables.
07:16Mais même malgré ça,
07:17parce que tribunal,
07:18il faut qu'on redonne un autre sens à tribunal
07:22avec cette idée que c'est l'arbitre de nos différents
07:25et qu'il est là pour nous.
07:27Et beaucoup de magistrats, je suis sûr,
07:30sont dans cette idée-là.
07:32Mais il faut, ça suppose évidemment beaucoup de choses
07:34pour le permettre.
07:35Mais je crois qu'il faut vraiment qu'on tente vers ça.
07:38Et donc bien distinguer la justice pénale,
07:40la justice civile,
07:41une fonction d'autorité,
07:43une fonction de service public.
07:44Ça me paraît essentiel.
07:45Pour terminer,
07:46vous êtes également intéressé aux professions du droit.
07:49Vous dites qu'elles sont dépassées par l'époque,
07:51par l'économie, par elles-mêmes.
07:52Alors, que doivent-elles faire pour se réinventer ?
07:55Oui, les professions du droit,
07:57d'une certaine façon,
07:58elles sont pour certaines un peu entraînées
07:59par ce mouvement qui est lié à l'image du droit,
08:04à l'image de la justice,
08:05avec un droit qui fait peur,
08:09qui va être considéré comme étant un repoussoir.
08:12Et on le voit sur l'activité
08:15d'un certain nombre de professionnels du droit,
08:16comment les consultants, finalement,
08:18emportent des marchés.
08:19Alors pourtant,
08:20il y a une dimension juridique qui est très forte
08:22on est à la limite du périmètre du droit.
08:25Et je ne dis pas de quel côté de la limite on est.
08:27Mais finalement,
08:28on sait que pour gagner un marché
08:29auprès d'une entreprise,
08:31auprès d'une collectivité,
08:32il vaut mieux rentrer via un consultant
08:35et après gagner la confiance du client.
08:38Et comme ça,
08:39on va arriver à lui montrer que,
08:41en fait,
08:41le professionnel du droit,
08:42il a une réelle plus-value.
08:43et je crois qu'il faut qu'on change
08:48de perception nous-mêmes
08:51de ce qu'est un professionnel du droit
08:53pour changer la perception
08:54du client ou du justiciable.
08:58Et cette perception,
08:59c'est l'idée qu'on est des sachants.
09:02Et si on se présente comme des sachants,
09:04on est reclus dans notre tour d'ivoire.
09:07Alors qu'en fait,
09:08on l'est de moins en moins
09:09et avec l'IA,
09:10on le sera encore moins.
09:12On n'est pas des sachants,
09:13on est des accompagnants.
09:16On est là pour faciliter
09:18le passage du fait au droit
09:20et du droit au fait,
09:21faire que le droit soit
09:22un outil du quotidien
09:24qui permet de gérer
09:26nos situations de vie.
09:28Et ça, je crois que c'est
09:29une vraie révolution culturelle.
09:30On va conclure là-dessus.
09:32Merci Pierre Berlioz.
09:33Je rappelle que vous êtes professeur de droit
09:35à l'Université Paris-Cité.
09:36Merci Arnaud.
09:37C'est la fin de cette émission.
09:38Merci de votre fidélité.
09:40Restez curieux et informés.
09:42A très bientôt sur Bsmart for Change.