L’influence des grandes affaires criminelles sur le droit avec Basile Ader, Associé, August Debouzy.
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00:00On commence tout de suite ce Lex Inside et on va parler de l'ouvrage collectif
00:14l'influence des grandes affaires criminelles sur le droit, un ouvrage
00:17édité chez Dalloz et j'ai le plaisir de recevoir pour en parler l'un des
00:21co-auteurs Basile Hadder associé au sein du cabinet Auguste Debouzy.
00:26Basile Hadder bonjour, les grandes affaires criminelles ont souvent joué un
00:31rôle de catalyseur dans l'évolution du droit pénal et de la procédure pénale
00:35on va voir ensemble comment ces grandes affaires criminelles ont façonné
00:40l'évolution du droit pénal et de la procédure pénale. Pouvez-vous nous
00:44parler de ces grandes tendances, de cette évolution ? Depuis qu'on fait des
00:50doigts sur un mode républicain évidemment que les grandes affaires
00:53criminelles sont des révélateurs, sont des révélateurs de ce que la réponse
01:00pénale qu'il faut apporter à certaines déviances, à certains crimes etc.
01:07Et puis dans leur déroulement nécessairement elles sont aussi des
01:11révélateurs des dysfonctionnements de la procédure. Parce que ces grandes
01:15affaires attirent beaucoup de curiosités publiques, elles sont une espèce de
01:21vitrine de la justice et ce faisant les législateurs ne peuvent pas se
01:24désintéresser de savoir comment ça se passe, si on le juge bien, si on juge vite,
01:28si on juge équitablement et c'est comme ça qu'on voit ponctuellement depuis
01:33plus de deux siècles les grandes affaires bouleverser la législation
01:37pénale surtout sur le terrain de la procédure.
01:39Alors évoquons ces grandes affaires, pouvez-vous nous citer quelques affaires
01:43emblématiques ? Les deux auxquelles on pense le plus
01:48naturellement ce sont les deux des années 70 qui ont provoqué des lois
01:52fondamentales dans notre histoire républicaine.
01:55Le procès de Bobigny ou Gisèle Halimi a renversé l'accusation en faisant
02:04venir des témoins qui ne connaissaient rien de l'affaire autre que ce qu'on en
02:07avait dit dans la presse mais qui venaient dire combien cette loi était
02:10injuste, combien elle était contraire à la condition féminine et ça a provoqué
02:15la loi de 75, la loi Veil, trois ans après et on a revu à peu près la même
02:23chose avec le procès de Patrick Henry que tout indiquait parce que
02:28c'était la tendance et que le président de la république ne graciait plus
02:31quoi très très épisodiquement les grands criminels que Patrick Henry était
02:36promis à la guillotine et Robert Badinter et le bâtonnier Boquillon qui
02:42avait assumé localement la défense depuis le départ avec beaucoup de
02:46courage ont repris un peu le même système de mise en accusation de la loi
02:51et un procès va naturellement dans le sens de l'accusation.
02:55On le sait quand on est en défense tout nous accable, on remonte un courant et
03:00donc d'avoir trouvé le système qui consiste à accuser à son tour sur le
03:04bord de la défense renversait en quelque sorte le sens naturel du procès et il a
03:09fait venir des témoins qui sont venus dire tout ce qu'il fallait penser de
03:12la peine de mort. Il a obtenu qu'il ne soit pas condamné à mort et c'est sans
03:17doute ce qu'il fit à ce jour là en sauvant la tête de Patrick Henry qu'il
03:24a amené à être le ministre de la justice, le garde des sceaux de
03:29François Mitterrand qui a aboli symboliquement la peine de mort trois
03:32ans plus tard là aussi. Alors souvent ces grandes affaires elles marquent
03:36l'opinion et souvent le politique il est tenté de réagir par une loi pour
03:43justement marquer son action politique. Quel est le rôle du pouvoir politique
03:49dans la réponse législative aux grandes affaires criminelles ?
03:52Alors moi j'aime beaucoup cette phrase de Montesquieu, il ne faut toucher aux
03:56lois qu'une main tremblante parce qu'une loi c'est non seulement un
03:59consensus politique à un moment T mais c'est surtout une règle qui va
04:06se polir avec les ans, avec la jurisprudence, avec l'usage qu'on va en
04:10faire, avec l'interprétation qu'on va en faire et donc plus une loi avance dans
04:14le temps meilleur elle est. Vouloir en changer toutes les cinq minutes c'est
04:18une aberration et je ne suis pas le premier à le dénoncer, dès qu'il y a un fait
04:24d'hiver qui émeut l'opinion on considère que si le fait d'hiver a
04:29été arrivé c'est parce qu'il n'y avait pas une loi, ce qui le plus souvent est
04:32inexact et donc le législateur se sent obligé pour calmer l'opinion mais ce
04:37sont des faits de communication essentiellement de dire rassurez-vous
04:41désormais ça n'arrivera plus parce qu'on va faire une loi qui ? Alors que la
04:44loi existe et tout. Donc ça c'est un peu le côté pervers du système
04:48effectivement les affaires font avancer les lois à cet égard mais ce ne sont pas
04:53les bonnes lois auxquelles je pensais. Ça ne va pas forcément dans le bon sens et
04:58quel est le rôle justement, on évoque cette pression médiatique de l'opinion
05:02publique, quel est le rôle de l'opinion dans l'évolution du droit ?
05:06Alors là vous touchez à quelque chose d'encore plus parce que c'est un triptyque
05:10si vous voulez il y a la justice, il y a l'opinion, il y a le parlementaire, bien sûr que la
05:17justice, elles se doivent l'une à l'autre la justice et l'opinion c'est à dire que
05:21la justice rendue au nom de tous doit être en accord avec l'opinion
05:26fondamentalement parce que sinon elle ne représente pas, elle applique les lois
05:30bien entendu mais elle ne peut pas être insensible à l'opinion mais il faut
05:33qu'elle s'en défende parce qu'une opinion trop marquée sur la culpabilité
05:38de quelqu'un ou l'innocence, on l'a vu dans des affaires où l'opinion a tellement
05:44que les juges se sentaient dans l'interdiction de condamner alors même
05:48qu'il y avait tous les éléments de condamnation donc c'est un jeu où elles
05:54se doivent l'une à l'autre mais elles doivent se protéger, en tout cas on doit
05:57protéger la justice de l'opinion. Alors on va s'intéresser à un autre sujet, vous
06:03avez rédigé la partie sur l'interdiction des salles d'audience aux
06:06photographes et aux caméramans dans l'ouvrage, pouvez-vous revenir sur les
06:10grandes évolutions ? En fait c'était libre pendant très longtemps, c'est grâce à ça
06:16qu'on a des images d'audience fixes le plus souvent parce que d'abord les
06:19photographes qui sont arrivés depuis le procès du maréchal Bazaine après
06:27la défaite de Sedan, le procès, le deuxième procès devant le conseil de
06:32guerre à Rennes d'Alfred Dreyfus et puis toutes les grandes affaires dont on a
06:38des photos, j'ai fait un livre à cette occasion avec le musée du Barreau de Paris
06:41mais puis sont venus les caméras, les caméras de film d'ailleurs c'était des
06:48actualités cinématographiques qui rapportaient régulièrement des
06:51extraits d'audience dans les affaires qui intéressaient
06:56l'opinion, tous les procès de l'épuration on les a en film grâce à ça,
07:02le procès Pétain, le procès Laval etc les photos du procès Brasillac et puis les
07:09caméras ont pris tellement de place, les flashs ont tellement perturbé deux
07:12audiences particulièrement celle de Marie Bénard à Poitiers et surtout
07:16celle de Dominici dans la Grande Assise de Digne, toute petite salle, que
07:23l'égislateur a dit ça suffit, la justice ne peut pas être bien rendue et a
07:28donné une interdiction formelle en 1954 sur laquelle on est revenu, je vais
07:34rapidement donner les étapes puisque c'est ça votre question, donc il y avait
07:37une interdiction du jour au lendemain alors tout était permis, tout était
07:40interdit, caméras comme photographes dans les salles d'audience et on est revenu
07:49avec une loi Badinter qui au moment où on a arrêté Barbie a trouvé que c'était
07:54se priver d'un document historique fondamental que de pouvoir filmer le
07:58procès qui allait se tenir à Lyon, l'idée c'est d'avoir des archives,
08:02donc c'est une loi d'ailleurs des archives de la justice qui s'intitule
08:05comme telle, qui a autorisé avec des conditions très strictes de prise de vue
08:10en 1985 les procès qui avaient valeur historique, on ne pouvait consulter que
08:1550 ans après, sauf autorisation du garde des Sceaux, etc.
08:18Comme ça qu'on a eu une dizaine de procès, essentiellement les procès de la
08:23deuxième épuration, Papon, Touvier et Barbie, les procès de terrorisme, certains
08:30grands procès. Et après il y a la loi Dupont-Moretti. Et puis alors il y a eu une
08:35commission, la communauté de l'INDED avait recommandé avec beaucoup de
08:39cahiers des charges très particuliers sur les prises de vue, le non montage, le
08:44respect des anonymats, etc. Et puis ça n'a rien donné. Et c'est donc la loi de
08:512021, qui est la loi ce qu'on appelle Dupont-Moretti, qui a réouvert mais très
08:56timidement puisque c'est simplement, là aussi avec beaucoup de conditions, d'octroi
09:01d'autorisation, de... Avec dans le but d'un intérêt pédagogique, c'est ça ?
09:05Dans un intérêt pédagogique. Donc aujourd'hui vous avez toujours une
09:07interdiction, avec deux exceptions, l'exception historique et l'exception
09:11pédagogique. On va conclure là-dessus. Merci Basile Hadder d'être venu sur notre
09:16plateau. Je rappelle que vous êtes avocat associé au sein d'Auguste Debouzy.
09:19On poursuit tout de suite l'émission et on va parler d'un autre sujet, des risques
09:23juridiques liés aux incendies.