Pérenniser les investissements durables, bien qu’aux États-Unis et en Europe, les objectifs environnementaux et sociétaux sont revus à la baisse, permettre la transition écologique dans les pays émergents, réunir l’ensemble des classes sociales pour la planète… C’est un ensemble de défis que tente de relever Bertrand Badré. L’ancien directeur des finances de la Banque Mondiale et fondateur du fonds d’investissement Blue like an Orange est l’invité de ce grand entretien.
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00:00BISMART
00:03Êtes-vous prêt pour l'impact ?
00:06Chaque semaine, je pose cette question à une personnalité qui compte dans notre économie 26 minutes d'entretien avec Bertrand Badré.
00:13Bonjour.
00:13Bonjour.
00:14Heureux de vous accueillir, ancien directeur financier de la Banque mondiale, créateur du fonds d'investissement Blue Like and Arrange.
00:19L'impact, je pose souvent cette question pour ouvrir le grand entretien.
00:23C'est vrai que c'est un mot qui est sur ce mur, qu'on met un peu à toutes les sauces.
00:27Quel sens il a pour vous ?
00:28Il a un sens émotionnel et un sens réglementaire.
00:31Il faut trouver la bonne focale entre les deux angles.
00:35Il a un sens émotionnel dans le sens où avoir de l'impact, c'est laisser sa trace, faire que le monde est un peu différent après que vous ayez agi qu'avant.
00:42C'est vrai que tout petit, je me suis toujours dit, j'espère que je laisserai une petite trace derrière moi.
00:48Et puis il a un aspect réglementaire qui est aussi important aujourd'hui.
00:52Il ne suffit pas de dire je fais de l'impact pour faire de l'impact.
00:54Ce n'était pas forcément le cas il y a une dizaine d'années.
00:56Quand on a commencé Blue, Light and Orange, c'était un peu le Far West.
01:00Il suffisait de s'auto-proclamer je fais de l'impact pour dire je fais de l'impact parce que je fais de l'impact et donc je fais de l'impact.
01:05Donc aujourd'hui, il y a tout un appareil qui s'est mis en place, notamment en Europe.
01:08Mais si je veux vraiment revenir au cœur par rapport à tout ce qu'on évoque aujourd'hui sur l'ESG, donc la prise en compte des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance.
01:19Dans ce cas-là, si je veux être un peu simpliste et en faisant du franglais, c'est des best efforts.
01:22C'est-à-dire qu'on va faire les meilleurs efforts pour prendre en compte une dimension environnementale, une dimension sociale, une dimension de gouvernance.
01:29C'est déjà bien.
01:29C'est déjà bien. Mais ça, ce n'est pas un changement de modèle.
01:31L'impact, en revanche, c'est dire par mon action, je fais la différence, on va peut-être de l'additionnalité.
01:37C'est-à-dire que sans moi, ça ne se serait pas fait que je dise ce que je souhaite.
01:40Je souhaite qu'on s'occupe de tant de personnes, de tant d'enfants, qu'on change telle ou telle situation, qu'on diminue les émissions de CO2, peu importe.
01:48Et on se met en position d'être évalué sur l'objectif qu'on a pris.
01:53Et donc, on rentre dans une dynamique assez vertueuse d'engagement et de mesure de cet engagement.
01:57Avec une notion, si on pousse le curseur, c'est le fait de, par exemple, partir dans une logique de SBTI, c'est-à-dire d'engagement basé sur la science.
02:10C'est quoi ?
02:11Dans le cas de l'environnement, c'est le cas.
02:14Mais je veux dire, quand on part sur une politique d'égalité homme-femme, ce n'est pas forcément basé sur la science.
02:18C'est basé sur l'indicateur de mesure, des conditions de travail, des rémunérations, des responsabilités à l'entreprise.
02:23Mais le sens de ma question, c'est qu'il faut des métriques, d'une certaine façon.
02:26L'impact, c'est un engagement qui est exigeant.
02:29Encore une fois, il ne suffit pas de dire, j'ai de l'impact parce que grâce à moi, des enfants se portent mieux, il y a moins de CO2.
02:34C'est super, ça.
02:35Moins de CO2, combien ?
02:37Les enfants que vous avez soignés, combien ?
02:39L'agriculture régénérative, combien ?
02:41Il faut rentrer dans une logique de mesure.
02:44Et en fait, ce que je dis depuis un certain nombre d'années, c'est finalement modifier l'équation que tous les financiers connaissent bien,
02:50qui est l'équation risque-rendement, en lui ajoutant cette dimension d'impact.
02:53Et en réalité, c'est un saut qui est à la fois gigantesque et pas gigantesque.
02:57Quand on a mis en place ces équations risque-rendement, les années 50 à l'université de Chicago, c'était assez simple.
03:02Combien ont tracé ces courbes ? Il n'y avait pas encore Excel, on faisait ça à la main.
03:06On disait, ben voilà, j'investis sur 10 ans, ça va me rapporter tant.
03:09Et depuis aujourd'hui, grâce à Excel entre autres, on a complexifié le modèle.
03:12On intègre déjà des tas de dimensions.
03:14Donc d'en intégrer davantage, ce n'est pas un problème en soi.
03:17Simplement, il faut le faire.
03:18Pas seulement la tonne de CO2.
03:19Comment est-ce qu'on va intégrer d'autres dimensions dans cette équation risque-rendement ?
03:24En octobre 2016, vous avez publié Money Honey.
03:27Et si la finance sauvait le monde, on est 8 ans, 8 ans et demi plus tard.
03:31Qu'est-ce que vous répondez à la question ?
03:33Je répondrai ce que je réponds depuis toujours.
03:35La finance, elle peut sauver le monde, mais pas toute seule.
03:38C'est-à-dire que la finance, c'est un outil extraordinaire.
03:40On est tous les deux dans ce studio et sans bouger, on peut, à partir de là, en sortant mon téléphone, on peut investir pour dans 20 ans à 10 000 kilomètres d'ici.
03:48Il y a assez peu de choses qui permettent ça quand même.
03:50Bon, la question, c'est qu'est-ce qu'on fait de ce pouvoir ?
03:52C'est comme dans les séries télévisées, on a le super pouvoir.
03:54Qu'est-ce qu'on en fait ?
03:56Est-ce qu'on l'a utilisé comme je l'espérais il y a 8 ans ?
04:00Pas vraiment.
04:01C'est-à-dire qu'on a fait des progrès.
04:02Je ne veux pas dire qu'il ne s'est rien passé.
04:03Il y a quand même un certain nombre de choses qui sont faites.
04:05On voit quand même que les préoccupations dont on parle, même s'il y a un peu de backlash, de retour en arrière en ce moment,
04:11il y a quand même un certain nombre de choses qui se sont faites.
04:13On ne peut plus faire comme si ça n'existait pas.
04:15Mais en même temps, quand on regarde les engagements, on va fêter cette année les 10 ans des accords de Paris.
04:20On va fêter cette année les 10 ans des objectifs de développement durable.
04:23C'est le PINSE, on me demande encore ce que c'est, les 17 objectifs adoptés aux Nations Unies.
04:27Et on va fêter, c'est un peu moins connu, les 10 ans du partenariat pour le développement.
04:30On voit bien avec ce qui se passe aux États-Unis ou même en France, c'est un peu compliqué.
04:32En gros, on a pris des engagements il y a 10 ans, 10 ans après où on en est.
04:36Les Nations Unies avaient publié, je crois, l'année dernière, une espèce d'évaluation,
04:40en disant que sur plus de 80% des engagements pris, on était soit en retard, soit en marche arrière.
04:45Donc ce n'est même pas l'épaisseur du trait, c'est-à-dire qu'on n'y est pas, point barre.
04:48Donc voilà, il y a encore un peu de boulot.
04:49On a cet instrument extraordinaire de la finance.
04:52Qu'est-ce qu'on en fait ?
04:52Mais alors quand vous voyez, c'est un exemple très récent, l'Alliance des banques pour le climat,
04:57revoir ses objectifs à la baisse après le départ des banques américaines,
05:01qu'est-ce que ça vous inspire ? Du dépit, de la colère, l'envie de se retrousser encore plus les manches ?
05:07Non, pas de dépit ou de colère.
05:10Je pense qu'il faut être réaliste.
05:14C'est-à-dire qu'il s'est aussi passé des choses depuis 10 ans.
05:16Ce n'est pas comme si on n'avait pas eu le Covid, ce n'est pas comme s'il n'y avait pas eu la guerre,
05:21ce n'est pas comme s'il n'y avait pas eu des mouvements sur les taux,
05:22ce n'est pas comme s'il y avait une vague populiste un peu partout, dont les États-Unis, etc.
05:26Donc il faut aussi se regarder dans la glace.
05:28Est-ce qu'on a bien vendu tout ça ?
05:29Oui.
05:30Et je pense que c'est le moment où il faut ne pas nier les nouvelles dimensions.
05:34Aujourd'hui, vous êtes patron d'une boîte aujourd'hui, vous avez effectivement ce souci de poursuivre.
05:39Parce que c'est un choix stratégique d'être durable,
05:41mais vous devez aussi faire attention à la souveraineté, à la sécurité et à un certain nombre d'autres dimensions.
05:46Donc comment est-ce qu'on remet ça ensemble ?
05:49C'est ça qui est, je pense, le défi auquel, à tous les niveaux, on est confrontés aujourd'hui.
05:55Ça ne veut pas dire que c'est impossible, ça veut dire que c'est un peu plus difficile.
05:58En 2017, vous avez créé ce fonds Blue Like an Arrange,
06:01avec pour ambition de devenir, je cite, une référence en matière d'investissement durable
06:05et à un pacte dans les pays émergents et en développement.
06:09On va faire, en quelque sorte, le bilan, 8 ans après la création.
06:12Et pour ça, on va passer par la question que, celle qui était assise à votre place il y a quelques jours,
06:17Virginie Gattin, la directrice RSE du groupe Legrand, a choisi de vous poser.
06:21On écoute tout de suite Virginie Gattin.
06:25Bonjour M. Badré.
06:26On voit en ce moment beaucoup de problématiques autour des engagements RSE.
06:32Il y a beaucoup de challenges venant des États-Unis notamment, mais aussi en Europe avec l'omnibus.
06:36Donc on sent que c'est quand même un sujet plus compliqué qu'il y a 2-3 ans.
06:41Est-ce que vous voyez, est-ce que cela impacte ou est-ce que cela influence vos investissements dans votre métier ? Merci.
06:48Avant de répondre à la question de Virginie Gattin, il faut peut-être réexpliquer ce qu'est ce fonds d'investissement, Blue Like an Orange.
06:53Alors, ce fonds d'investissement, en fait, je l'ai créé avec mes associés, vous l'avez dit, il y a 8 ans.
06:58Après avoir quitté la Banque mondiale, avoir été très engagé dans tous les engagements que j'ai rappelés en 2015, ce qui était intéressant dans ces engagements, c'est qu'on s'est beaucoup mobilisés sur les objectifs.
07:091,5 degré, éradiquer la pauvreté, accéder à la santé, enfin tous ces sujets-là, qui au fond, si je suis un peu provocateur, c'est assez facile.
07:19Vous et moi, on va se mettre d'accord, on a plutôt envie que la population mondiale se porte mieux que plus mal.
07:24Voilà, donc se mettre d'accord sur les objectifs, c'est assez simple.
07:27Là où on a fait un peu l'impasse, c'est de savoir combien ça coûte, qui paye, est-ce que notre système est prêt à supporter ça.
07:33On a fait le pari un peu pascalien de dire, comme les objectifs sont nobles et généreux, la main invisible va aller dans la bonne direction.
07:40Tout le monde va y aller.
07:40Voilà, mais en fait, non, ça ne s'est pas passé comme ça.
07:43On ne devrait pas être complètement surpris, mais c'est vrai qu'à l'époque, on y a cru.
07:46On a eu notamment, vous le savez peut-être, à l'automne 2015, une poignée de main, ça paraît très très très ancienne, entre Barack Obama et Xi Jinping, sur le thème « on va y arriver ».
07:54Bon, évidemment, on sait ce qui s'est passé par la suite.
07:56Donc, on a eu ce mouvement très très généreux, planétaire, enfin vraiment, il y a eu un élan en 2015, qu'il ne faut pas nier, et qui s'est malheureusement fracassé un peu après.
08:05Donc, Blue Lake and Orange, ça naît de ça.
08:07C'est de se dire, les engagements qu'on a pris, que ce soit sur le climat ou plus généralement sur les objectifs de développement durable,
08:13ces engagements, ils sont universels.
08:15Ce n'est pas un engagement pour la France, l'Allemagne, la Suède, les États-Unis.
08:17C'est un engagement pour la Colombie, pour le Brésil, pour le Nigeria, pour l'Inde.
08:22Et donc, vous investissez dans ces pays-là sur des projets spécifiques ?
08:25Absolument.
08:26Pour moi, la clé, prenons l'exemple du climat, mais on peut le prendre sur tous les sujets.
08:31Le combat pour le climat, il ne sera pas gagné juste en France.
08:34C'est d'ailleurs une des questions compliquées, parce que les Français disent, on demande de faire des efforts, et pendant ce temps-là, l'Inde ne fait pas d'efforts.
08:40Mais en même temps, on n'investit pas beaucoup dans ces pays.
08:41Il y a plein de contradictions qu'on a du mal à résoudre.
08:45Donc, pour moi, la clé, c'était de dire qu'il faut qu'on puisse investir dans ces pays avec la même décontraction, d'une certaine manière,
08:50donc les mêmes métriques, les mêmes mesures, les mêmes instruments, que ce qu'on peut faire dans Paris VIIIe.
08:55Et pour moi, c'est clé.
08:56Si on ne réussit pas dans ces pays-là, dans les pays Amérique latine, Asie, Afrique, on ne réussira pas au niveau mondial.
09:03Point barre.
09:04C'est vrai qu'à l'époque, je partais, encore, une mondialisation assez ouverte,
09:08où, finalement, les flux de capitaux, notamment, allait.
09:12Malheureusement, on se heurte à un certain nombre de réalités géopolitiques aujourd'hui, qui fait que c'est un peu plus difficile.
09:16Et alors, effectivement, ça permet de répondre à la question de Virginie Gattin.
09:20Comment vous, vraiment, dans vos choix, dans vos investissements, éventuellement dans les partenariats que vous pouvez avoir,
09:26est-ce que vous sentez ce coup de frein, ce backlash, pour reprendre l'expression américaine ?
09:31C'est très intéressant, parce qu'on a des mouvements qui vont en sens contraire.
09:35C'est-à-dire que, du côté de nos investissements, on a plutôt un appel d'air impact.
09:39C'est-à-dire que le chef d'entreprise qu'on finance en Amérique latine ou en Afrique,
09:42j'étais récemment au Kenya, où j'ai vu deux Américains, dont un médecin diplômé de Harvard,
09:47et son épouse avec un MBA, qui ont créé une série de dispensaires pour les quartiers difficiles de Nairobi.
09:55Incroyable. Incroyable. Business model fantastique.
09:58Ils utilisent l'IA. Ils ont passé un accord avec OpenAI qui leur a fait de l'IA pour que, dans le dispensaire,
10:03le médecin puisse regarder à la fin de son diagnostic, vérifier avec l'IA, que l'IA dit
10:07« Ben oui, ton diagnostic est bon ou pas bon ? Est-ce que ta prescrit est bon ou pas bon ? »
10:10Tout ça pour 2 dollars pour la visite. Je ne suis pas sûr que tous les médecins français aient le même outil en France.
10:15Donc voilà. Donc ça, il y a une demande d'impact.
10:17On a beaucoup des gens chez qui on investit, qui ont entre 30 et 40 ans, et qui veulent de l'impact.
10:22Il y a 10 ans, les gens cherchaient du financement, et si l'impact était le prix à payer, ils payaient le prix à impact.
10:28Aujourd'hui, ils viennent autant pour chercher de l'impact que du financement.
10:30Et donc ces gens-là, ils sont sur ce chemin ?
10:31Alors là, on n'a pas de problème.
10:33Ils y vont ?
10:33On trouve des projets, on n'a aucun souci du côté de l'investissement, et y compris du côté de la rentabilité de l'investissement.
10:39Là où c'est plus difficile, c'est que le contexte du côté de la levée de fonds,
10:42au-delà des difficultés générales de levée de fonds que tous les secteurs connaissent en ce moment,
10:45aujourd'hui, on a un petit sujet, notamment aux Etats-Unis, vous ne pouvez pas lever de l'argent sur ces thématiques aux Etats-Unis aujourd'hui.
10:53Point barre, le marché est fermé.
10:54C'est quand même un petit problème.
10:57Et en Europe, il y a la concurrence de la défense, etc.
11:00Et puis c'est vrai que dans un monde où USAID, l'organisme d'aide américaine, supprime ses financements à un certain nombre de pays,
11:08il n'y a pas un climat qui est porteur pour le Sud.
11:12D'ailleurs, ça a des conséquences aussi géopolitiques.
11:14C'est qu'on a un Sud qui est un peu agacé du comportement du Nord, agacé probablement à Neufémis.
11:20Donc voilà, on voit tout ça.
11:21Donc moi, sur le fond, je n'ai plutôt pas changé, et on a plutôt renforcé notre dynamique d'impact.
11:26Je trouve que les deals qu'on fait maintenant ont probablement plus d'impact que ceux qu'on faisait au début,
11:31parce qu'on apprend aussi, mais dans un environnement qui est plus difficile.
11:35On peut prendre quelques exemples.
11:36Vous avez parlé du Kenya, vous en revenez, mais le dernier gros projet sur lequel vous investissez, c'était celui-là ?
11:45J'en ai vu un autre, par exemple, ça se passe au Pérou.
11:4815 millions de dollars investis pour soutenir l'accès à Internet au débit au Pérou.
11:53Pourquoi vous vous lancez dans un projet comme ça ?
11:54Je vois bien ce que ça peut provoquer.
11:58Souvent, quand je dis que je fais de l'investissement développement durable dans les pays émergents,
12:02les gens ont parfois deux idées un peu opposées.
12:04Soit ils croient qu'on fait du panneau solaire au kilomètre, soit ils croient qu'on fait de l'humanitaire.
12:08On fait un peu de panneau solaire, mais ce n'est pas de l'humanitaire.
12:11On cherche des investissements rentables qui ont un impact.
12:14Et donc il faut que, quand on regarde un comité d'investissement à dossier,
12:18il faut qu'il passe les deux barres, la barre financière et la barre impact.
12:21Si je prends l'exemple de celui-là, mais il y en a d'autres, aujourd'hui on voit bien,
12:26le numérique fait partie de la vie de tous les jours.
12:29Ce n'est pas parce que vous êtes dans un pays émergent qu'on n'a pas accès au numérique.
12:31Au contraire, d'ailleurs ça va même souvent plus vite.
12:33On prend l'exemple en Afrique, c'est au Kenya précisément,
12:37que les développements de la monnaie sur téléphone ont été les plus rapides au monde.
12:41Donc voilà.
12:42Donc pour nous c'est très important.
12:43Il y a des étapes qu'on n'est pas obligé de repasser, d'une certaine façon.
12:45Ça s'appelle le leapfrog, on saute, on passe l'étape du fil de cuir, on va directement, voilà.
12:49Et alors là au Pérou, quand l'internet à haut débit arrive dans un village un peu reculé,
12:54qu'est-ce qui se passe ?
12:55Ça change tout.
12:56C'est ça ce que vous racontez.
12:57Ça change tout, c'est l'accès à un certain nombre de choses, de produits, de services, etc.
13:02D'éducation ?
13:03Éducation, accès à des produits financiers, peu importe.
13:05L'exemple amusant qui date de la Banque mondiale, mais qui vous donnera une image,
13:10enfin pour moi ça avait été vraiment l'image, une des plus frappantes.
13:13J'avais été en voyage officiel en Mongolie.
13:16Alors la Mongolie c'est très grand, mais la moitié de la population ou l'embêteur,
13:19l'autre moitié dans la steppe.
13:20Ils vivent dans ce que nous en français on appelle yourte et qu'ils appellent gure.
13:24Donc je suis allé dans la steppe, et effectivement on voit de loin en loin des gens sous leur tente.
13:28Et là vous rentrez dans la tente, et là vous avez l'écran plat.
13:31Et vous avez, un des produits qu'on a fait, c'est proposer l'accès à internet.
13:37Et grâce à cet accès à internet sur leur téléphone,
13:39ils peuvent acheter une assurance pour leur bétail, pour le yak.
13:42Donc vous avez une photo, vous arrivez, le cheval, la tente, comme Jean Giscan.
13:46Mais vous avez l'accès, et des gens qui peuvent protéger leur récolte et leurs animaux.
13:51Ce qui rendait l'émission de Frédéric Lopez à l'époque,
13:54Rendez-vous au terrain inconnue, de plus en plus difficile à réaliser pour trouver les endroits où il y a fait...
13:59Ce qui est formidable, c'est dans ces pays-là,
14:00On peut faire justement ce saut et apporter directement des services plutôt bon marché.
14:05On a regardé au Guatemala, un peu dans le même genre,
14:10des gens qui proposent à ce qu'on a...
14:12Lesquels ont nos bureaux de tabac ici, en gros le petit commerce dans les villages,
14:16qui proposent à une boîte d'accès, je ne sais pas si Starlink ou autre chose,
14:21d'accès à internet où les gens peuvent aller tous les soirs faire le plein.
14:25Donc ils ont accès au monde comme ça.
14:27Est-ce que... Votre objectif, ce n'est pas d'investir en France, mais est-ce que vous pourriez le faire ?
14:35Ou est-ce que vous dites qu'il n'y a pas suffisamment de fonds qui travaillent là-dessus, ça ne sert à rien ?
14:40Je pourrais le faire. Parfois j'ai des regrets parce que ça aurait été infiniment plus simple.
14:43Mais il y a des gens qui le font.
14:47Même dans des... Parce qu'il y a aussi la diagonale du vide, il y a aussi des lieux en France où on se sent un peu abandonné, etc.
14:55Ce que je fais, c'est que quand les gens me demandent des conseils, je leur donne.
14:57Quand ils me demandent de les aider, je leur donne un coup de main, ça n'y a pas de problème.
15:00Mais voilà. Moi, je crois fondamentalement que dans les pays émergents, pour le coup, il y a vraiment des besoins gigantesques.
15:08Il n'y a pas beaucoup de monde. C'est là que j'ai acquis mon expérience, ma crédibilité, etc.
15:13Donc à un moment donné, il faut se concentrer sur ce qu'on aime et qu'on sait faire.
15:17Je voudrais qu'on revienne sur une question très importante. Vous l'avez évoquée tout à l'heure, la question de l'acceptabilité de cette transformation environnementale et sociétale.
15:26Et le fait qu'on l'ait sans doute loupé explique la situation dans laquelle on est.
15:31Je vais m'appuyer sur une citation de notre livre, Mona Hony.
15:34Qui que nous soyons, nous avons le pouvoir d'influer sur le cours des choses en tant que consommateurs, investisseurs, comme citoyens ou dans notre travail.
15:42Non pas les pauvres contre les riches, non pas le peuple contre les élites.
15:45Mais tous ensemble, pour le bien de tous, c'est celui de notre planète.
15:49Pourquoi on n'a pas réussi ce tous ensemble, pour le bien de tous et pour la planète ?
15:55Alors, on a eu une forme d'élan en 2015.
15:58Et c'est vrai que Mona Hony et puis l'inverse américaine un peu améliorée que j'ai sorti deux ans plus tard, Can Finance Save the World,
16:04elle était sur cette vague.
16:06Il y avait le côté, c'est formidable, on a des objectifs universels, on va y arriver.
16:10On n'a jamais eu autant de moyens en commun, de ressources financières, d'intellect, etc.
16:15Donc il y avait une forme de, je dirais, peut-être de naïveté.
16:20Et c'est vrai que...
16:22On n'a pas su trouver le bon récit, un récit de désirabilité, alors qu'on était beaucoup dans la culpabilité.
16:29Oui, la culpabilité ou le risque ou la crise, le scénario d'apocalypse, etc.
16:34On n'a pas réussi à dire, ça sera quand même mieux après, s'il y a moins de pollution, moins de carbone,
16:39si l'eau est plus propre, si on est moins malade, c'est quand même un monde meilleur.
16:42Si on obtient tous les objectifs de développement durable, on pourra quand même dire qu'on vit collectivement un peu mieux.
16:48Je pense que quand je réfléchis à cette période, et j'en prends ma part, puisque je faisais partie,
16:52même si j'étais un de ceux qui a poussé sur « il faut qu'on parle d'argent », on a en fait vendu tout ça avec un discours un peu inoffensif sur le thème
17:04« ça va être une transition, la croissance verte, etc. Donc tout le monde va en bénéficier.
17:11Il suffit de baisser nos émissions de CO2 de 1 ou 2% par an, n'oubliez de dire que c'était pendant 30 ans.
17:16Il suffit de réallouer notre épargne de 1 ou 2% par an, virgule, pendant 30 ans.
17:19Je fais parfois la comparaison avec un régime, il suffit de perdre 100 grammes, virgule, tous les jours pendant 3 mois.
17:25Et donc on a dit que ça serait finalement assez facile.
17:28Tous les jours vous allez faire un petit pas, puis vous allez vous retourner, vous aurez fait le travail, même pas mal.
17:33Et en fait on se rend compte que ça n'a pas marché comme ça.
17:35Parce que même réallouer 2% de son épargne, c'est beaucoup, il y a des tas de règles dans tous les sens, c'est assez difficile.
17:41Même, on l'a vu avec le Covid, il a fallu le Covid pour qu'on se rende compte de ce que ça voulait dire, baisser les émissions de CO2.
17:45Et donc le constat qu'on fait 10 ans plus tard, c'est que cette transition, ce n'est pas une transition, c'est une transformation.
17:53Transformation qui touche le consommateur, l'investisseur, etc.
17:56Et dans cette transformation, il y a des gens qui gagnent, et ceux-là en général, ils se taisent.
18:01Et il y a des gens qui perdent, et ceux-là en général, ils ne sont pas contents et le font savoir.
18:04Et ils votent.
18:04Et ils votent comme les agriculteurs par exemple.
18:06Et donc on arrive à ce moment où on a laissé croire que c'était bénéfique pour tout le monde, alors qu'en fait, c'est comme tous les changements de régime,
18:15les gagnants, les perdants, il y a des coûts, ça crée de l'inflation.
18:18Mais donc c'est quoi ? C'est une question de budget, de moyens alloués finalement à l'aide à ceux qui ne peuvent pas se payer des légumes bio ou une voiture électrique.
18:28C'est pas seulement une question de budget, c'est une question de dire en face, ça sera mieux demain, mais ça coûte d'y aller, et il faut partager les efforts.
18:37Parce qu'il y a quand même des gains, il y a quand même des gens qui gagnent dans cette affaire.
18:40Enfin, je ne dis pas qu'il faut prendre tous les gains des gens qui gagnent et les données de tous les gens qui perdent.
18:44Il faut reconnaître ça et expliquer qu'on y va ensemble. Et ça, probablement, on ne l'a pas bien fait.
18:49Avec des outils qui sont aussi des outils réglementaires.
18:52Alors là, je voudrais qu'on rentre dans un chapitre un peu plus européen, puisqu'il y a notamment la CSRD, la directrice sur le bilan extra-financier,
19:01qui, depuis que les parlementaires européens ont voté, finalement, on a appuyé sur le frein très clairement.
19:09C'est-à-dire que c'est deux ans de plus pour le mettre en œuvre. Sur la CS3D, c'est un an de plus.
19:14Alors là aussi, on peut dire, écoutez, les électeurs ont voté en juin dernier. On tient compte de ce qu'ils nous ont demandé.
19:23Mais c'est un peu ce que je disais tout à l'heure. C'est qu'on a avancé à marche forcée.
19:28Encore une fois, les outils qu'on a mis en place. Et c'est vrai que l'Europe, elle a eu une approche totalement holistique des choses.
19:33Parce qu'il y a non seulement CSRD, mais il y a des directives sur les fonds, ce qu'on dit aux épargnants, partout.
19:39On a eu une approche qui englobait l'ensemble du sujet.
19:42Avec peut-être trop de règlements ?
19:44C'est un côté marche forcée, rapide. Et l'Europe fait ce qu'elle sait faire, c'est-à-dire du réglementaire, de la norme.
19:51Et on voit bien que c'est là qu'on se heurte à la réalité.
19:55Je ne crois pas qu'il faille abandonner les objectifs.
19:57Ce qui est très intéressant dans les forums dans lesquels je suis aujourd'hui,
20:00et je pense notamment, je suis au Board of Trustees de la fondation IFRS,
20:05qui nous rappelle à l'ordre aujourd'hui, à votre avis, les Asiatiques.
20:09C'est très intéressant. Les Asiatiques, qui en général ne sont pas ceux qui parlent le plus,
20:14vous disent, attendez, on comprend que les Américains disent au revoir,
20:17mais vous les Européens, qu'est-ce que vous faites ? Nous, on continue.
20:21D'ailleurs, le billion extra-financier, il est quasiment en train de se mettre en place en Chine, c'est ça ?
20:26Bien sûr, ils vont plus vite.
20:28Et quand vous êtes l'Indonés... La Chine, alors évidemment, la Chine, ils ont choisi résolument,
20:31c'est d'ailleurs intéressant, de dire, on sera l'arsenal de la transition,
20:34avec tout ce que ça comporte. Alors, on est très agacé, etc.
20:37N'empêche qu'on aurait pu faire la même chose, c'est pas...
20:40Mais vous êtes l'Indonésie, vous allez devoir déménager votre capitale,
20:42parce que la vôtre part sous l'eau.
20:44Vous êtes le Vietnam avec un delta du Mekong qui est menacé.
20:46Ben oui, c'est pas une vision de l'esprit.
20:49Donc c'est intéressant de voir, on a un discours qui est un peu centré sur notre Occident,
20:54et on oublie que le reste du monde dit, on y va.
20:55Sur ces sujets-là, on est pressé par le reste du monde.
20:58Mais ça veut dire que ça pourrait même, ou ça devrait même être un avantage économique pour l'Europe,
21:05de garder ce cas.
21:06Bien sûr, alors il faut le faire, et je pense qu'effectivement,
21:08les débats sur le caractère bureaucratique, lourd, coûteux, etc.
21:12Et c'est vrai qu'il y a beaucoup de gens qui en ont profité pour facturer dans tout ça.
21:16Voilà, c'est comme ça, on est arrivé là.
21:20Mais ce que je crois, et on voit bien, on revient à la géopolitique,
21:23c'est qu'aujourd'hui, l'Europe, elle a vraiment un avantage naturel à aller parler à l'Asie,
21:28à aller parler au Brésil, à aller parler à l'Afrique, en disant on peut travailler ensemble,
21:31en étant un peu moins, entre guillemets, donneur de leçons, et un peu plus en tendant la main.
21:36Est-ce que vous, quand vous arrivez dans l'un de ces pays dans lesquels vous investissez,
21:42on vous tient ce type de discours ?
21:45C'est-à-dire, attention à l'arrogance européenne, ou à l'arrogance française.
21:49Vous arrivez, vous êtes persuadé d'avoir la solution.
21:50Non, non, très clairement, des mots que je n'avais jamais entendu comme colonialisme vert,
21:56oui, ça existe, oui.
21:58Donc il y a le côté, vous nous faites la morale, les flux privés restent très limités et baissent,
22:02les flux publics, il n'y a pas que USAID, le budget français de l'aide au développement a baissé,
22:07les Anglais ont fait un peu de bruit en disant on va passer de 0,5 à 0,3%, 40% de baisse,
22:11les Britanniques, le contrat de coalition allemand dit la même chose,
22:16les Suédois, tout le monde baisse.
22:17Donc les gens disent, vous nous mettez un certain nombre de règles, vous nous dites que ce n'est pas bien,
22:22les flux privés, on n'en voit pas beaucoup, les flux publics, ils baissent,
22:25et en plus vous voulez qu'on vous embrasse sur la bouche, c'est beaucoup.
22:28On peut reprendre d'autres exemples de projets pour bien comprendre ce que vous faites,
22:33parce qu'on est dans le concret, on n'est pas dans la stratégie, on va dire, dans le jus de crâne.
22:39Par exemple, j'en ai noté plein, une entreprise de VTC pour des zones mal desservies en Amérique latine.
22:45Alors c'est quoi ce projet-là ?
22:47C'est une entreprise de VTC qui desserre, c'est l'équivalent, je ne vais pas faire de publicité pour des concurrents comme Uber,
22:52mais ça parlera peut-être plus à l'Université.
22:53Oui, on va comprendre qu'on parle.
22:55Mais c'est l'équivalent pour l'Amérique latine.
22:58Et c'est vrai, quand on a discuté avec eux, ce qui était très intéressant quand on a investi avec eux,
23:01c'est qu'on a un patron qui vit par l'impact.
23:04Quand on l'a présenté à nos investisseurs, ils ont été retournés, les gens m'ont dit,
23:06c'est comme une drôle idée, tu fais de l'impact et tu veux investir dans du VTC, c'est grotesque.
23:11Et quand ils ont vu le gars, ils ont compris qu'eux.
23:13Et donc il y a plusieurs dimensions à l'impact.
23:15Une des dimensions qui n'a pas été très intéressante, c'est que dans leurs algorithmes, etc.,
23:21on a des grandes villes américaines qui sont des mégalopoles.
23:24C'est vraiment des villes de dizaines de millions d'habitants.
23:26Pensez à Mexico, à San Paolo, etc.
23:29Il y a des transports en commun, mais limités.
23:32Et il y a des zones absolument pas desservies.
23:34Et donc il y avait deux axes qui nous ont plu dans cette entreprise.
23:37Le premier, c'est de faire en sorte qu'il y ait plus de voitures qui vadrouillent,
23:41qui maraudent d'une certaine manière dans ces zones non desservies.
23:43Et par ailleurs, un programme intéressant, il faut des conducteurs femmes pour des passagers femmes.
23:48Ce qui paraît ça, c'est pas forcément un truc auquel on penserait.
23:51Mais c'est vrai qu'un certain nombre de villes, il y a des femmes qui n'osent pas prendre un VTC
23:54pour toutes les raisons que vous imaginez.
23:56Donc si elles savent que ce sera une femme qui ira aller chercher, elles sont plus détendues.
23:59Et puis derrière, ils ont depuis, ils sont passés à l'électrification de leur flotte comme tout le monde.
24:02Mais quand le gars pense impact, il y a plein d'options.
24:06Et pendant le Covid, cette même entreprise a mobilisé, et ça leur a coûté,
24:10ses chauffeurs pour emmener les patients à l'hôpital.
24:13Dernier mot, il nous reste une minute.
24:16On va recevoir la semaine prochaine le fondateur de la Convention des entreprises pour le climat.
24:21Est-ce qu'il y a une...
24:22Alors on a vraiment beaucoup travaillé avec eux ici.
24:26On avait beaucoup d'entreprises qui étaient en train de modifier leur modèle, justement, leur modèle économique.
24:31La finance, elle rentre où dans cette révolution ?
24:36Je suis ravi que vous travailliez avec Éric Duverger.
24:39Alors comme on dénonce ces conflits d'intérêts, j'ai un conflit d'intérêts.
24:42Je le connais, il était venu me présenter ses projets dès l'origine.
24:46Et je suis le parrain de la Convention des entreprises pour le climat, pour le secteur financier.
24:49J'ai été le parrain la première année.
24:50Ils vont lancer la deuxième année et je suis toujours parrain.
24:52Et donc j'ai trouvé ça très intéressant qu'il y ait une approche spécifique sur les finances.
24:58Et donc avec, comme toujours dans cette convention, l'objectif d'être concret.
25:03C'est-à-dire qu'ils se mettent en groupe et ils proposent des choses dans leurs entreprises.
25:06Et donc je ne sais pas si j'ai une question ou un bravo à lui dire.
25:09Mais en tout cas, je suis admiratif de cette capacité à faire ce travail à la base.
25:15Et je lui dis, un, je suis heureux de t'accompagner.
25:18Deux, ne lâche pas.
25:19Et trois, continue à étendre dans tous les secteurs.
25:21Voilà, quels sont tes projets pour la suite ?
25:24Merci beaucoup Bertrand Badré.
25:27Et à bientôt sur Bsmart4Change.
25:29On passe tout de suite à notre rubrique Startup.
25:31Sous-titrage Société Radio-Canada