Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Lundi 7 avril 2025 : le médecin, diplomate et auteur Jean-Christophe Rufin. Il publie "Le revenant d'Albanie", aux éditions Calmann-Levy.
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00:00Bonjour Jean-Christophe Ruffin. Bonjour Élodie. Vous êtes médecin et l'un des pionniers du mouvement humanitaire.
00:04Vous avez d'ailleurs parcouru dans ce cadre-là de nombreux pays en crise.
00:08Vous avez longtemps occupé des fonctions diplomatiques.
00:10Vous avez notamment été attaché de coopération au Brésil, ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie.
00:15Vous êtes membre de l'Académie française depuis 2008, mais votre passion c'est l'écriture.
00:19Il y a le besoin de faire vivre Aurel, votre devenu, votre devenu nôtre finalement consul au fil du temps.
00:27Je précise que vous avez reçu le prix Goncourt pour votre roman Rouge Brésil.
00:31Vos expériences nourrissent vos romans et les aventures d'Aurel.
00:34Il y a beaucoup d'actualité autour de vous avec la parution en livre de poche de notre otage à Acapulco.
00:42Et la sortie de votre petit dernier, Le revenant d'Albanie chez Calman Levy.
00:46Effectivement, vous n'arrêtez jamais.
00:49Au travers d'Aurel, on vous découvre toujours un peu plus avec ce besoin de remettre sur le devant de la scène
00:54les événements et l'histoire des pays traversés par le consul.
00:58Recontextualiser finalement Jean-Christophe Ruffin, c'est essentiel ?
01:04Oui, moi, j'ai pris cette règle depuis très longtemps de ne jamais parler d'un pays sans y être allé.
01:11Je pense qu'on ne peut pas se rendre compte à la fois de la situation, du climat, des gens sans y être allé.
01:18Donc, par exemple, pour les deux livres que vous citez, Acapulco, j'y suis allé, bien que ce soit assez dangereux, d'ailleurs, au Mexique.
01:30Ville des gangs, ville du crime, quand même.
01:33– Qui sont d'ailleurs au cœur de cet ouvrage, des cartels.
01:36– Et puis l'Albanie, c'est pareil, j'y suis allé aussi plusieurs fois pour m'imprégner un peu de ce pays.
01:43Et à chaque fois, je mets le consul au milieu, je voyage avec lui, en quelque sorte.
01:50Au fond, quand je suis rentré du Sénégal, j'avais des tas d'histoires à raconter,
01:53mais je ne pouvais pas le faire à la première personne,
01:56parce que, vous savez, il y a ce devoir de réserve pour les diplomates quand ils rentrent.
02:01J'ai pris ce petit personnage, et au fond, c'est un peu mon double, finalement.
02:06Et à chaque fois, je le place dans des situations qui permettent de révéler un pays,
02:12un peu dans ce qu'il a d'intense.
02:14– Aurel est promu avec cet ouvrage, il va presque en Europe, entre la Grèce et l'Italie.
02:22Vous recontextualisez effectivement beaucoup.
02:25Ironiquement, c'est une quête qui l'amène, encore une fois, à s'intéresser aux autres,
02:33à prendre effectivement les choses en main.
02:36Et il a besoin d'aller chercher là où les autres n'ont pas forcément envie de chercher,
02:41d'où vient cet homme qui est décédé, il se rend compte qu'il a une double identité,
02:47et que la France lui a scellé justement un nom de famille qui n'était pas celui initial.
02:52Il y a un travail aussi là-dessus, d'essayer de comprendre géopolitiquement,
02:56en parlant l'histoire d'un pays et l'histoire des personnages que vous incarnez.
03:01– Dans cette série d'Aurel, il y a toujours deux plans.
03:05Il y a toujours un premier plan, on pourrait dire intimiste, très humain,
03:09entre deux, trois personnages qu'Aurel va essayer de fouiller pour comprendre qui ils sont.
03:17Et puis il y a un deuxième plan qu'on découvre à mesure qu'on entre dans l'histoire,
03:24et à travers ce que l'enquête montre.
03:28Et ce plan, c'est celui du contexte, c'est celui du pays, c'est celui de l'histoire aussi,
03:35l'histoire récente, l'histoire de l'Albanie est absolument incroyable.
03:38La première fois que je suis allé en Albanie, c'était juste à la fin du communisme,
03:42quand le pays venait d'ouvrir, qu'il y avait eu cette dictature épouvantable d'Enver Hoxha
03:49qui avait duré 50 ans, enfin qui avait fermé le pays.
03:54Les gens étaient vraiment dans une espèce de prison, si vous voulez.
03:58Et puis tout d'un coup, ça s'est ouvert, et là, des choses extraordinaires sont arrivées.
04:02C'est-à-dire que le capitalisme, il ne savait pas ce que c'était,
04:05donc des choses dingues se sont produites,
04:07des banques qui promettaient 50% par mois de rendement, etc.
04:11Tout ça s'est effondré, il y a eu la guerre civile.
04:14Tout ça, si vous voulez, c'est une histoire qu'on découvre,
04:17mais au lieu de faire un cours magistral et d'ennuyer tout le monde,
04:21on les découvre avec Corel, c'est-à-dire en tirant ce fil humain du premier plan.
04:25Le plus important en tout cas, c'est qu'Orel, c'est une énorme partie de vous de plus en plus,
04:29Jean-Christophe Ruffin, comme si vous ne vous protégiez plus de quoi que ce soit,
04:33même dans les émotions, c'est-à-dire, on a l'impression de voir vos yeux en fait.
04:38L'écriture devient vos yeux.
04:41C'est très agréable d'avoir cette possibilité de jouer sur deux claviers, si vous voulez.
04:48Moi, j'aime bien conserver l'idée et conserver la possibilité d'écrire des livres qui n'ont rien à voir.
04:53Mais cette petite série qui, au début, était un peu une plaisanterie,
04:57c'était quelque chose que j'ai fait pour m'amuser.
04:59D'ailleurs, l'éditeur, au début, m'a regardé en disant « qu'est-ce que c'est que ça ? »
05:04Et finalement, a trouvé son public d'abord.
05:07Il y a beaucoup de gens qui me demandent quand est-ce qu'il paraît le prochain, etc.
05:10Et puis, il accompagne ma vie, c'est-à-dire que maintenant, quand je m'en vais quelque part,
05:15quand je bouge, quand je visite un pays, ce personnage est avec moi.
05:20Et donc, évidemment, je l'amplie de mes propres émotions.
05:25C'est une expérience assez étonnante d'avoir ce double registre
05:29et de vivre pour une partie de mon temps, j'allais dire, avec ce personnage.
05:35Parce que quand je vais quelque part, je mets Aurel là-dedans et je sais qu'il en ressortira un livre.
05:41Le point de départ, c'était effectivement ses grands-parents qui vous ont élevé, Jean-Christophe Ruffin.
05:46C'est important de le comprendre, parce que dans votre écriture, il y a toute cette histoire-là familiale.
05:52Ce grand-père avait soigné les combattants pendant la Première Guerre mondiale.
05:56Pendant la seconde, malheureusement, il a été déporté à Buchenwald parce qu'il avait caché des résistants.
06:03C'était ça, en fait.
06:04– Oui, c'était partie d'un réseau, oui.
06:05– Voilà, des faits de résistance.
06:07À 15 ans, vous avez vécu aussi la première transplantation cardiaque.
06:11Ça, c'était un moment très fort pour vous.
06:12On est en 1967.
06:14– Roger Cabrol, oui.
06:15– C'est de là que vous avez souhaité devenir médecin, c'est-à-dire aider les autres.
06:20L'idée, c'était d'aider les autres.
06:22– Oui, c'est-à-dire c'est un rapport aux autres.
06:26Quand on a 15 ans et qu'on choisit effectivement sa voie,
06:33on ne sait pas très bien ce qu'on va trouver.
06:35La seule chose qu'on puisse choisir, c'est effectivement le rapport qu'on va avoir avec les autres.
06:41Est-ce qu'on veut les juger, par exemple ?
06:42Est-ce qu'on veut faire du droit ?
06:44Est-ce qu'on veut les défendre ?
06:47Est-ce qu'on veut être militaire ?
06:49Est-ce qu'on veut simplement les comprendre et éventuellement les soigner ?
06:53C'est-à-dire les comprendre pour qu'ils aillent mieux.
06:57Au départ, c'est ça.
06:58Après, on comprend ce que c'est que la médecine, la technique, les différentes fonctions et tout.
07:03Effectivement, c'est ce que j'ai choisi.
07:05Mais avec aussi toujours l'idée, déjà à ce moment-là, de partager et de raconter.
07:12Très tôt, j'avais envie de pouvoir faire de ma vie quelque chose qui soit un support pour l'écriture.
07:22Très tôt.
07:23Parce que d'abord, je lisais beaucoup quand j'étais gamin.
07:26Je veux dire que je n'avais pas grand-chose d'autre à faire à l'époque où j'étais.
07:31Donc le fait de pouvoir moi-même peut-être nourrir avec ma vie des romans,
07:41c'était un rêve finalement et c'est toujours un rêve de pouvoir le réaliser d'ailleurs aujourd'hui.
07:46Vous avez des regrets ou pas, Jean-Christophe Ruffin ?
07:50Oui, forcément.
07:52Peut-être le regret au fond de ne pas avoir eu une vie médicale plus raisonnable,
08:00plus devenue professeur de médecine, parce que j'étais programmé pour ça.
08:05Moi, très tôt, j'ai fait des études, j'ai passé les internats, etc.
08:10Des études de clinique ? Vous avez travaillé en neurologie, en psychiatrie ?
08:13Oui, mais tout ça, normalement, peut-être que ça aurait été plus calme.