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Pour son interview d’actualité, Télématin reçoit le linguiste Rémi Soulé.
Pour son interview d’actualité, Télématin reçoit le linguiste Rémi Soulé.
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00:00C'est le moment de retrouver l'invité d'actualité, Maya, vous recevez ce matin Rémi Soulé, docteur en sciences du langage à la Sorbonne Université
00:07et fondateur de l'association Neolect qui analyse les variations de la langue française, notamment auprès des jeunes.
00:13Wesh, ça va frère ?
00:14Ça va et vous ?
00:16Bah nickel !
00:17C'est la semaine de la langue française, elle débute aujourd'hui, on risque d'énerver ou alors peut-être de convaincre les partisans d'un langage châtié, classique
00:26pour évoquer le lexique adolescent et pas seulement, auquel on ne comprend pas toujours grand chose.
00:31D'abord, pourquoi la plupart du temps, ça ne fonctionne pas quand les parents ou les grands-parents piquent le vocabulaire des enfants
00:38à l'image de ce que je viens de faire et si mes enfants sont devant la télé, ils vont me dire que je suis gênante.
00:42Donc pourquoi ça ne fonctionne pas ?
00:44Alors, une petite précision tout de même sur cette idée de langage des enfants
00:49pour rappeler que les enfants n'ont pas un langage particulier et qu'ils parlent français
00:54et même s'il y a certains traits qui peuvent être distinctifs, globalement, ça reste du français.
00:59C'est un lexique ou c'est du vocabulaire, peut-être ?
01:02Voilà, ça peut être des structures, des choses comme ça, mais c'est quelque chose qui est assez mineur finalement dans la totalité du langage.
01:12Mais pour répondre à la question, pourquoi est-ce que ça ne fonctionne pas toujours ?
01:17Parce que le but de ces nouveautés dans la langue française, c'est notamment aussi de se distinguer,
01:24d'apporter quelque chose de nouveau et pour les jeunes, de pouvoir s'identifier en tant que jeunes.
01:29Et de pouvoir faire en sorte que les parents ne comprennent pas aussi la même langue.
01:33Potentiellement, c'était l'essentiel de l'intérêt du Verlan, c'était ça, de ne pas être compris par les plus âgés et maintenant tout le monde comprend.
01:41Il y a les nouveaux mots qui viennent des réseaux sociaux, des jeux vidéo, POV, PNJ, Aura plus 1000,
01:48il y a des mots d'argot qui peuvent revenir, je pense à Blaz, Charo, Gadjo.
01:55Comment est-ce qu'on comprend ces mouvements de la langue française, cette espèce de ressac dans l'histoire ?
02:02Alors, ces nouveaux mots qui apparaissent, ils peuvent avoir toutes sortes d'origines et toutes sortes de modes de création.
02:09Et ça, c'est quelque chose qui est assez permanent.
02:12Et effectivement, on a des mots qui apparaissent dans les habitudes des jeunes aujourd'hui
02:18et qui sont formés de la même façon que de nombreux mots sont formés au cours de l'histoire.
02:23On va avoir des sigles, des emprunts des langues étrangères, des troncations, des dérivations, des mots composés.
02:30C'est des choses qui sont très habituelles.
02:32Avec certains qui vont disparaître très vite et d'autres qui vont s'installer.
02:35Et ça, c'est vraiment à l'usage finalement ?
02:37Tout à fait.
02:38Que ça s'installe ou pas ?
02:39C'est assez imprévisible et c'est tout à fait normal que certains mots puissent plaire plus que d'autres.
02:47Et on a du mal à expliquer parfois la raison du succès d'un mot qui s'installe dans le langage courant
02:55et qui finit par transcender ses écarts générationnels.
02:59Et d'autres qui, en quelques mois, disparaissent.
03:02Je pense à Kouakoubé par exemple.
03:04Vous avez signé cette semaine une tribune dans Le Monde, nous encourageant à remercier nos enfants de dire wesh.
03:10En gros, c'est quoi ? C'est l'idée de dire qu'ils enrichissent et ils font vivre notre langue ?
03:16Oui, il y a plusieurs choses.
03:18La première chose, c'est déjà, là c'est la semaine de la langue française,
03:23de rappeler que la langue française se porte bien, qu'il n'y a pas lieu de s'inquiéter
03:28et que les discours alarmistes ne reposent pas vraiment sur des données en réalité.
03:33Déjà, de rappeler ce fait qui est très connu des linguistes mais qui n'est pas toujours connu du grand public.
03:40Et effectivement, il y a cette idée que les jeunes qui utilisent des mots qui sont méconnus de leurs parents,
03:49c'est que quelque chose qui est normal, qui est perpétuel,
03:51on peut trouver des traces de ce discours-là vraiment au moins depuis le XVIIe siècle.
03:56Comment vous pouvez expliquer cette peur de dénaturer la langue française quand on la voit évoluer ?
04:05Notamment, monsieur Damien Thévenot qui disait tout à l'heure,
04:09il faut faire attention, il faut protéger notre langue française.
04:15Quel est votre point de vue là-dessus ?
04:18En réalité, ce serait une mauvaise manière de protéger la langue française
04:23que d'empêcher l'utilisation de certains mots.
04:26C'est plutôt le contraire qui serait le plus pertinent en fait,
04:29de laisser les gens parler puisque c'est en parlant.
04:32Et là, ça ne concerne pas seulement les jeunes
04:34puisque finalement tout le monde a ses propres habitudes en fonction des groupes auxquels ils appartiennent.
04:40Et la meilleure façon de faire vivre cette langue, c'est de laisser parler ceux qui inventent des nouveaux mots.
04:48Donc les jeunes en font partie, ce ne sont pas les seuls mais en font partie.
04:51Et pour rester sur les jeunes, ça j'imagine aussi encourage la plasticité du cerveau
04:55puisqu'ils s'adaptent aussi et c'est une richesse de pouvoir s'adapter à son interlocuteur
04:59avec un vocabulaire approprié à chaque situation.
05:02Ils vont parler entre eux mais ils parleront différemment à l'école ou à leurs parents j'imagine.
05:05Oui, tout le monde s'adapte, tout le monde a de nombreuses façons de parler.
05:10Les jeunes comme tous les autres en fait,
05:13personne ne parle de la même manière à tout le monde et dans toutes les situations.
05:19Cette capacité d'adaptation, elle est aussi soumise à d'autres facteurs.
05:25Il peut y avoir des inégalités par rapport à ça entre les jeunes
05:29ou certains qui vont être confrontés très jeunes dans leur famille à la norme scolaire
05:34vont pouvoir être avantagés justement dans le milieu scolaire.
05:39Et c'est important aussi de valoriser ces innovations
05:44parce que ces innovations dans le langage,
05:48c'est un terrain sur lequel les jeunes sont beaucoup plus égaux
05:51et qui permet de montrer en fait qu'ils ont les compétences,
05:54ils ont une grammaire, ils ont un vocabulaire, ils sont capables d'inventer des choses
05:58et donc en fait ils sont capables de parler français tout simplement.
06:02Juste une dernière petite question,
06:04on évoque beaucoup de vocabulaire dans la construction des phrases.
06:07Il y a une phrase que disent les jeunes et les plus âgés aussi,
06:11je ne sais pas c'est quoi, tu sais c'est où,
06:14c'est vrai que ça peut chatouiller les oreilles,
06:16ça vient d'où cette façon de reconstruire les phrases ?
06:19Cet exemple en particulier, c'est un exemple qui n'est pas du tout nouveau,
06:23c'est quelque chose qu'on trouve aussi vraiment depuis des décennies
06:27et on a tendance à focaliser aussi,
06:30parce qu'il y a une confusion entre l'oral et l'écrit,
06:33on a tendance à focaliser sur certains éléments qui en fait sont perpétuels.
06:39C'est comme le nœud de négation,
06:41en fait le nœud de négation à l'oral, on l'oublie depuis le XIe siècle.
06:46C'est vrai.
06:47Merci beaucoup pour cet éclairage Rémi Soulé,
06:49linguiste spécialiste de l'évolution du langage.
06:51Merci à vous.
06:52Et laissez les enfants dire wesh frère !