Eva Rami, une femme forte avec ses cicatrices, ces marques invisibles mais indélébiles qui racontent son histoire. Chaque cicatrice est le souvenir d'une épreuve, d'une douleur passée, mais aussi d'une résilience qui ne faiblit pas. Plutôt que de se laisser écraser par ce passé, elle choisit de l'accepter, de le comprendre et de le mettre en scène. Parce qu'au fond, chaque cicatrice est une victoire sur l'adversité, une preuve qu'elle a survécu, qu'elle a grandi. Pour Eva, c'est en rendant hommage à ses blessures qu'elle s'affirme, qu'elle se libère et qu'elle avance vers l'avenir avec un sourire audacieux.
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00:00J'habitais dans un petit village de l'arrière-pays niçois,
00:03et en fait, il y avait une salle des fêtes.
00:05Mon père était le directeur de l'école, j'habitais dans l'école,
00:08c'était mon prof, et il organisait notamment des sortes d'événements,
00:12et il y avait des spectacles qui venaient.
00:13La mairie aussi organisait des spectacles dans cette salle des fêtes-là.
00:18Et donc, j'ai vu mes premiers spectacles là-bas.
00:19Tu sais que j'ai un souvenir vraiment sensoriel, en fait.
00:22Je ne pourrais pas te dire de quoi ça parlait précisément,
00:27mais j'ai des souvenirs vraiment très organiques de ces passages-là de spectacles.
00:31Je me rappelle avoir vu Mado à la Niçois, ça je m'en rappelle très bien.
00:34J'ai une image d'elle en train de faire le grand écart,
00:36et en train de voir toute la salle qui rit, et moi avec,
00:38et me dire, mais c'est génial, je veux faire ça, moi aussi.
00:41Et après, le premier amour de ma vie, c'est Ilikaku.
00:44Donc vraiment, c'est lui, je pense, qui a allumé la petite flamme
00:49que j'ai encore là aujourd'hui, et c'est lui qui l'a allumé, ça c'est sûr.
00:52Je regardais tous ses sketchs et j'ai des vidéos de ma mère
00:55qui me filment dans le salon où je dois avoir 5-6 ans,
01:01et où je fais le sketch de « you wash, you wash »,
01:05et c'est émouvant parce que je me dis qu'il y avait ça qui était là très tôt.
01:09Cette envie, ce plaisir du travestissement, de changer de corps, de changer de voix,
01:15je l'avais tôt, en fait.
01:16Et j'avais vu une émission, ça s'appelait…
01:20il faisait un reportage sur les sales gosses.
01:22Ces élèves-là passaient à la télé parce qu'ils faisaient des sketchs d'Ilikaku,
01:25c'est dans mon souvenir, en fait, c'est ça.
01:27Et je sais qu'à la suite de ça, ma mère m'a emmenée,
01:31je voulais faire du théâtre, mais j'habitais dans un village,
01:33donc c'était un peu compliqué.
01:35Et on est allé dans le centre de Nice, on a essayé de trouver des écoles,
01:38mais mes parents… j'ai personne, moi, dans ma famille qui fait ce métier.
01:40Moi, j'ai une famille du côté de mon père, c'est famille d'ouvriers,
01:44il y avait ce truc-là, je pense aussi, de…
01:47« connais pas, quoi ».
01:48Et quand tu connais pas, t'as peur, tu sais pas dans quoi tu t'embarques,
01:51et ça coûte cher, donc c'était pas pour tout de suite.
01:55Il m'a dit « déjà, tu te concentres sur les études,
01:58et t'as un toit sur la tête, et après, on verra ».
02:00J'ai vu juste une dame qui est venue faire des cours de théâtre
02:03pendant trois mois dans la mairie du village,
02:05et ça a été une grande frustration parce qu'elle est partie du jour au lendemain.
02:08C'était un peu une énigme, elle est partie avec la caisse,
02:10enfin, il y a eu un truc trop bizarre.
02:11On s'est dit « bon, d'accord », mais ça a juste mis la petite graine en moi.
02:16Jusqu'à ce qu'on déménage et qu'on aille dans le centre de Nice,
02:19et je pense que ça a été…
02:22J'ai fait du café-théâtre au début, je dois avoir 13 ans.
02:26À cet âge-là, en tout cas, nous, ce qu'on faisait,
02:28c'était qu'on avait des textes à apprendre de sketchs qui existaient déjà.
02:32Je crois qu'à l'époque, il y avait déjà un gars et une fille,
02:35si je dis pas une bêtise, donc c'était des choses comme ça qu'on nous donnait à apprendre.
02:39Ou alors, on improvisait des petites choses,
02:40mais bon, je pense que c'était surtout, principalement, des textes connus.
02:44On reprenait les sketchs des Nikaku et on les jouait.
02:46Mais en fait, on avait des spectacles de fin d'année, tout simplement.
02:49Donc, on avait des spectacles à plusieurs moments de l'année,
02:52et là, c'était l'occasion d'inviter les amis, les copains.
02:55La seule chose dont je me rappelle bien, c'est que j'adorais faire rire.
03:00Et ça, c'est un…
03:01Et même encore maintenant, c'est quelque chose sur lequel je travaille,
03:05des fois, d'accepter de faire passer des émotions par, justement, un autre biais,
03:11qui va être peut-être plus triste, plus tragique.
03:17Ça me demande un effort, mais c'est surtout que ça…
03:19Le rire, c'est comme un adoubement, tu vois ?
03:22Il y a un truc où tu sais que t'as une réaction directe du public.
03:25Ou d'un coup, on dit « ça rit », tu te dis « bon, ok, ils sont là, je suis acceptée », quoi.
03:31Je pense que ça, c'est un rapport de légitimité aussi.
03:33C'est dur de faire rire, ouais.
03:35Ouais, c'est dur de faire rire.
03:36C'est vraiment une histoire de rythmique.
03:38Beaucoup, c'est de la musique, en fait, beaucoup.
03:40Il faut évidemment un texte.
03:41Moi, en tout cas, j'écris, donc je sais que je suis sensible à ça.
03:44Mais c'est de la rythmique, c'est pas évident.
03:48Je sais que j'ai ce plaisir-là depuis toute petite.
03:50J'ai un souvenir dans la cour de l'école de m'amuser même à inventer des histoires,
03:54à transformer ma vie pour qu'elle fasse rire, les copains.
03:59Je pense qu'il y a un besoin d'être aimée fort.
04:00Peut-être parce que je suis fille unique aussi, je pense que ça joue.
04:03Parce que c'est à la fois merveilleux et en même temps, c'est un poids.
04:08C'est un poids parce que toutes les énergies convergent vers nous.
04:13Et du coup, j'ai l'impression qu'il y a une responsabilité,
04:17peut-être de ne pas décevoir,
04:20d'être à la hauteur de peut-être ce que les parents, les grands-parents,
04:24la famille projettent sur soi.
04:27Je me dis que quand on a une famille nombreuse,
04:30la tension, elle peut aussi être dirigée aussi ailleurs.
04:33Moi, j'ai l'impression qu'il y avait vraiment les lumières justement braquées dessus.
04:36Il fallait que j'aie envie d'être à la hauteur de ce que je sentais qu'on attendait de moi.
04:41Je n'avais pas du tout le caractère que j'ai maintenant.
04:44Loin de là, ça c'est le théâtre qui m'a apporté une sorte d'aisance,
04:50qui m'apporte une sorte de légitimité aussi, d'exister franchement.
04:54Mes petites, j'étais très timide.
04:56Moi, j'étais quelqu'un de très introverti.
04:58Dès que je parlais à un adulte, je devenais écarlate.
05:00C'était très compliqué pour moi.
05:02La sensation toujours de ne pas me sentir légitime, de me sentir inférieure,
05:07d'être impressionnée très facilement.
05:12Et un petit complexe d'infériorité, je pense.
05:14Quand tu joues un personnage, il y a quelque part où tu sors de toi, c'est pas toi.
05:19Et il n'y a rien de plus dur pour moi, même que là, de faire l'exercice qu'on est en train de faire.
05:24Et je pense que c'est l'endroit sur scène, c'était peut-être le seul endroit où je me sentais,
05:29encore une fois, j'y reviens, mais légitime, je crois.
05:32Vraiment.
05:32Où je me disais, là, ça rit, mais c'est un moi plus plus, c'est pas vraiment...
05:38C'est pas...
05:40Et les gens sont là pour assister, pour regarder.
05:45J'ai pas l'impression de devoir le voler peut-être à quelqu'un,
05:48ou de devoir m'imposer.
05:50C'est ça, surtout.
05:52À côté du théâtre, c'est un peu...
05:54Je crois que je commence à faire du...
05:56J'ai très vite conscience qu'il faut que je...
06:00Si je veux faire ce métier-là, ou si en tout cas j'ai envie de développer le théâtre,
06:04je peux pas faire que de l'humour.
06:05Je sentais qu'il fallait que j'ai quelque chose de très complet.
06:07Et je ne sais pas d'où ça vient cette chose-là, mais j'avais déjà cette sensation-là très tôt.
06:11Donc je suis rentrée, j'ai fait encore un peu de café...
06:14Après le café-théâtre, j'ai fait du théâtre privé.
06:18Je suis rentrée au conservatoire de Nice parce que j'avais un pote qui l'avait passé,
06:22qui était dedans et qui était avec moi dans le cours de théâtre que je faisais juste avant.
06:27On l'a passé ensemble, et cette période-là, elle est...
06:31Je vivais un gros chagrin d'amour à ce moment-là.
06:34Aussi, des choses, on va dire, familiales que je commençais à apprendre.
06:38C'est une espèce de... Je crois qu'à 14-15 ans, il y a un truc...
06:43De toute façon, je suis pas bien dans mon corps.
06:45À cet âge-là, je suis pas bien.
06:47J'ai une pilosité très forte par rapport à la majorité des gens.
06:50C'est sûr, moi aussi, je me dis que c'est mes origines méditerranéennes, mais pas que.
06:53Il y avait quelque chose d'hormonal aussi.
06:55Et je suis tout le temps décalée.
06:56J'ai pas encore de seins, que mes copines ont déjà des soutiens-gorge.
06:59J'ai mes règles très tard.
07:02J'avais l'impression toujours d'être un peu décalée.
07:04Et j'ai mon premier... Le premier amour déchirant, je l'ai à 15-16 ans.
07:10Et c'est d'une violence.
07:12C'est d'une violence parce que je comprends pas ce qui se passe et pourquoi...
07:18Comment on peut ne...
07:21C'est-à-dire que je me demande même, avec le recul,
07:24maintenant, aujourd'hui, si aussi je n'aimais pas cette personne,
07:26parce qu'aussi, il ne m'aimait plus aussi, quelque part.
07:29Et que c'était dur à accepter, quoi.
07:32Je me demandais plus, en fait, comment je pouvais aimer quelqu'un à ce point-là.
07:36Comment on avait pu vivre autant de choses et être balayée comme ça, quoi.
07:39Ouais, la fin était pas très jolie parce que, en fait,
07:42moi, j'étais prête à accepter n'importe quoi pour être aimée.
07:44Donc, en fait, j'étais prête à accepter de le voir un petit week-end,
07:47vite fait, entre ces deux petites répètes,
07:50et à prendre les morceaux qui restaient.
07:52Je suis dans ce besoin-là, mais d'être aimée à tout prix, quoi.
07:56Une chose qui est arrivée à quelqu'un de ma famille
07:58dont je n'ai pas forcément envie de parler,
08:00mais je pense que c'est une approche d'un coup assez très tôt,
08:02de la mort, de la maladie,
08:07et de la peur de l'abandon, sûrement.
08:12Et on va dire non, en tout cas, oui, l'événement dont je parle,
08:16notamment dans mon spectacle aussi aujourd'hui, dans On va aimer.
08:19Et d'ailleurs, je ne parle pas moi, je fais parler les autres.
08:22Je fais parler ma grand-mère, qui n'accepte pas cette réalité-là,
08:27qui ne veut pas l'entendre, puisqu'il est question d'inceste.
08:30Je fais parler la réception de ma mère de cet aveu-là.
08:35Mais je ne me fais pas parler moi,
08:36et je fais en sorte de fictionaliser pour que ça soit digeste pour les autres,
08:43pour que les messages passent bien.
08:46Et moi, pour me protéger aussi.
08:48Ils sont au courant du texte que j'écris,
08:50je leur envoie, donc ils sont tout à fait au fait de ce que je dis.
08:56Et au-delà de ça, je joue des personnages.
08:59C'est ce que je disais au tout début,
09:01c'est-à-dire que je suis cachée aussi derrière un personnage.
09:04Les personnages sont la synthétisation de plusieurs personnages,
09:09c'est-à-dire que je vais tirer certains traits
09:10qui dramaturgiquement vont m'intéresser,
09:13et que même physiquement, physiologiquement, énergétiquement,
09:16ce n'est pas eux.
09:18Ma mère est dans la vie quelqu'un de sportive, de dynamique.
09:23C'est pas du tout, contrairement au spectacle, quelqu'un...
09:26Là, je fais une femme bourgeoise, qui est fumeuse chronique,
09:29qui a un côté un peu au perché,
09:31qui est un peu border au niveau des émotions,
09:35et elle n'est pas du tout comme ça.
09:36Elle ne dit rien en fait.
09:38Elle a juste, dans mon spectacle, une réception.
09:41Elle ne dit rien.
09:42Elle reçoit.
09:43Il n'y a pas de mots, clairement, qui sont dits.
09:45Elle reçoit l'aveu, qui n'est pas dit non plus.
09:49C'est-à-dire qu'en fait, je la joue.
09:51Dans ce spectacle-là, il y a une sorte de petite lampe,
09:59qui pourrait être une sorte de micro un peu vinyle,
10:02qui représente à la fois un oiseau,
10:05un oiseau qui m'a été donné par ma grand-mère à la mort de mon grand-père,
10:09et en même temps, cette lumière-là représente aussi plein d'autres choses.
10:14C'est aussi le personnage d'Elsa, c'est son âme, c'est son secret.
10:17Elsa, c'est mon avatar scénique, ouais.
10:18Et en fait, dans ce moment-là d'aveu, en tout cas,
10:22je joue la mère qui voit sa fille pleurer,
10:25mais qui commente et qui dit pourquoi tu pleures ?
10:26Qu'est-ce qui se passe ?
10:27Qu'est-ce qu'il y a ?
10:28C'est quoi ? C'est sur quoi ? C'est sur qui ?
10:29Parce que là, c'est très dur pour moi de résumer ça crûment,
10:33alors que c'est un chemin, mais tellement long.
10:42Pardon.
10:43Mais je ne donne pas de révélation, c'est comment te dire ?
10:45En plus, c'est-à-dire que l'inceste, c'est un point de départ.
10:52Mais c'est un point de départ pour, j'ai envie de dire, énormément de victimes en fait.
10:57Et ce spectacle-là, il y a cette thématique-là.
11:02Mais c'est surtout pour montrer les mécanismes, je pense, de reconstruction aussi,
11:09mais aussi les mécanismes dans lesquels on tombe quand on a été fragilisé enfant
11:13et comment ensuite derrière, tout déconne.
11:15Et quand on n'a pas les codes et quand on ne sait pas ce qui nous arrive.
11:22Parce que j'en parle dans le spectacle aussi, ça fait partie du spectacle, on va dire.
11:27Évidemment que le point de départ, c'est l'inceste,
11:31mais il n'est pas question que de ça dans ce spectacle-là.
11:34Ça c'est important pour moi de le dire, c'est un spectacle avant tout,
11:37franchement, sur la sororité, sur l'émancipation, sur la libération.
11:41Non, moi j'ai été une fille un peu pas garçon manqué,
11:45parce que je n'aime pas trop cette expression.
11:48D'ailleurs, elle n'est vraiment pas bien du tout cette expression.
11:53J'étais une jeune fille qui traînait beaucoup avec les garçons.
11:57En fait, j'aimais aussi être avec eux.
12:02Et puis c'est fond, mais ça s'est fait aussi comme ça.
12:04C'est qu'il y avait une espèce de...
12:06J'avais un côté un peu aussi, je pense que je me cachais aussi dans un truc un peu...
12:13Je ne sais pas comment dire, peut-être un peu viril pour moi aussi, me protéger aussi.
12:17Ce spectacle-là, il est né, c'est pour ça que je vais te parler plutôt de ça.
12:22Mais ce spectacle-là, il est né, déjà parce qu'il y a un mouvement
12:28qui s'appelle le mouvement Me Too, qui a été pour moi une claque bienfaisante,
12:36parce qu'en fait, d'un coup, je me suis dit,
12:39« Waouh ! En fait, là, qu'est-ce qui se passe ? »
12:42Du coup, j'ai pu m'analyser, j'ai pu en parler avec les amis,
12:45j'ai pu faire un chemin, j'ai pu aller voir, j'ai pu en parler autour de moi
12:51et avec des amis très proches.
12:52Donc il y a ce mouvement-là, évidemment, donc c'est un spectacle post-Me Too,
12:55ça, c'est indéniable.
12:59Il y a aussi des années de thérapie aussi, en fait, qui ont commencé à payer.
13:02Et il y a eu un énième abus.
13:04Il y a eu un énième abus, qui est un viol.
13:11Et en fait, à ce moment-là, j'avais notamment une amie,
13:21qui était au courant et qui très vite étant passée par là,
13:25parce qu'en fait, bon, maintenant, je pense que tout le monde le sait,
13:28au vu des statistiques, ça n'est pas des exceptions.
13:31C'était nécessaire pour me rendre justice, en fait,
13:33et ne pas attendre que la justice le fasse aussi.
13:36Parce que malheureusement, j'ai accompagné aussi des amis très proches
13:39dans ce processus-là.
13:41Et en fait, c'est d'une violence.
13:45Il faut avoir les témoins,
13:47il faut avoir affaire aussi à la bonne personne en face,
13:52qui va vraiment écouter et considérer cette chose-là.
13:54Et puis souvent, la majorité du temps, c'est des acquittements, des non-lieux.
14:00Donc, c'est hyper violent, en fait.
14:02Et ayant accompagné aussi, malheureusement,
14:06deux de mes meilleurs amis dans cette tempête,
14:12je ne me sentais pas de le faire.
14:15Et je me suis dit, il faut que j'en fasse quelque chose.
14:17Sinon, j'étais en train de m'éteindre à petit feu.
14:21Et ce spectacle-là me permet de me rendre justice, en fait.
14:25Et surtout, et je l'espère de tout mon cœur, qu'il éveille.
14:30C'est pour ça qu'en fait, tout n'est pas dit.
14:32Et quand tu me demandais, en effet, alors comment c'est dit ?
14:36Est-ce que c'est toi qui le dis ?
14:37Je fais en sorte, en fait, de donner des clés, un maximum,
14:41mais pas de mâcher, parce que j'ai envie que les gens s'identifient un maximum,
14:44que ce soit des hommes ou des femmes.
14:45J'ai envie qu'il y ait une identification la plus large possible,
14:49la plus universelle possible.
14:51Et c'est pour ça que j'essaie de choisir dans ce spectacle
14:54comment je vais le dire, comment je vais le mettre en scène,
14:56comment les mots, chaque mot que j'utilise sont réfléchis
15:00et ont été pensés pendant des jours et même des années, en fait.
15:06J'ai commencé à écrire en 2020.
15:10On va dire que ça a commencé pendant le confinement.
15:12J'ai commencé à l'écrire seule, j'écris seule.
15:15Au début, mais ça n'avait rien à voir.
15:16Au début, j'étais encore même moi dans un déni.
15:18C'est pour ça que le chemin, il est très long et que j'ai même là du mal à en parler.
15:21Parce que je pense que j'ai écrit ce spectacle en même temps que j'étais en train de faire une...
15:26En même temps que j'étais en train de conscientiser les mécanismes sociétaux
15:32et par conséquent le mien aussi.
15:35Et j'ai commencé au début, c'était...
15:38Il faut savoir que ce seul en scène-là, il s'inscrit dans un triptyque.
15:42Il s'inscrit... D'abord, j'ai écrit « Vol » il y a dix ans.
15:45Et c'était... On est toujours sur une injonction.
15:48Et c'est le passage de l'adolescence à l'âge adulte.
15:50C'est la mort de ma grand-mère paternelle.
15:54Il y a cette obsession-là de la transmission forte.
15:58Qu'est-ce qu'on se transmet de femme en femme ?
16:00Moi, je pense qu'on se transmet énormément de choses,
16:03mais malheureusement, on se transmet aussi des traumas,
16:05surtout quand ils ne sont pas dits, surtout quand ils sont tûs.
16:09Et ce spectacle-là, aujourd'hui, va aimer aussi.
16:12C'est ça. J'avais envie de casser une chaîne.
16:14« Vol », ça arrive à 25 ans.
16:16Ça arrive à un moment où, en effet, aussi,
16:20j'essaye de me détacher d'une relation, d'emprise.
16:25Mais en fait, je pense que l'art, pour moi, c'est vraiment...
16:28Et surtout écrire, et le fait de m'écrire aussi.
16:31Mais seul en scène, c'est vraiment une...
16:34C'est cathartique, quoi.
16:35Il y a quelque chose... Et aussi un processus sûrement aussi thérapeutique.
16:38C'est-à-dire qu'en même temps que je reçois la tempête, la violence,
16:43j'en sors quelque chose.
16:45Mais j'aurais pu être chanteuse.
16:47J'écoutais encore Zao Tsagazi, on a qu'il en parlait.
16:50Mais voilà, elle s'est aperçue à quel point chanter lui permettait de lâcher,
17:01en fait, ce qu'on n'arrive pas, des fois, à expliquer.
17:04Moi, je suis une hypersensible.
17:06Comme je disais, j'étais petite, j'étais écarlate, quoi.
17:09Donc, je n'arrivais pas à expliquer ce qui débordait de moi,
17:12comme ça, ce qui était...
17:13Au moment de vol, c'est le deuil.
17:17Il est question de deuil, il est question de cette grand-mère qui s'en va.
17:19Il est question de ce corps, et de ce corps-là aussi.
17:22J'en parle dans Vol, mais aussi d'avoir du mal avec l'intérieur du corps,
17:26tout ce qui concerne l'intérieur.
17:28Les organes, l'intérieur, les organes, les boyaux, les tripes,
17:34le fait qu'il y a quelque chose qu'on n'est pas qu'une enveloppe, en fait.
17:40Et surtout, je pense qu'il y a vraiment la mort,
17:43et il y a cette histoire de transmission de ce qu'on nous donne,
17:45et de ce complexe-là.
17:47Je parle du complexe des poils, je parle du complexe des seins,
17:49je parle des premiers garçons aussi, des premières violences aussi,
17:52des garçons à cet âge-là.
17:54Non, moi, j'avais une grand-mère paternelle très tradition,
17:58qui ne parlait pas beaucoup.
18:00Et je le dis dans Vol, mais je n'osais pas lui dire
18:03que j'étais en couple, même avec un garçon,
18:05parce que je pense qu'elle n'aurait pas compris,
18:08ou alors pour elle, déjà très tôt, elle me l'a dit,
18:10une phrase dont je me rappelle très bien, elle me disait
18:13de faire attention avec les garçons, parce que si je vais, en gros,
18:20à droite à gauche, mon mari me prendra pour un tcharafi,
18:24ça c'est une expression nichoise.
18:25Tcharafi, c'est une serpillère, c'est moins que rien.
18:29C'est vraiment, c'est quelqu'un qui ne prend pas soin,
18:34ça peut être plein de choses, ça peut prendre différentes formes,
18:36mais c'est vraiment, on dit, c'est un tcharafi, il ne prend pas soin.
18:41Ma grand-mère, elle a été adoptée, elle a 13 frères et sœurs,
18:45elle est née en Italie.
18:47Elle a été adoptée par une femme qui habitait à Monaco,
18:51et c'est pour ça qu'elle s'est retrouvée en France,
18:54et qu'il y avait une petite épicerie.
18:56Je pense que ça agit, en tout cas, même sur ce spectacle-là,
18:59que je suis en train de jouer.
19:00Au début, elle est partie, je n'ai pas compris.
19:02Aujourd'hui, je sais aussi les choses qu'on avait en lien.
19:04Oui, elle me parlait, il y a des choses qui sont très floues.
19:06Elle m'a parlé d'une période aussi,
19:07où je sais qu'elle s'est cachée pendant trois jours dans un placard.
19:11Je me demande si ce n'était pas une période...
19:15Je me demande, je ne sais pas si c'était en Italie,
19:18je ne sais plus si c'était un contexte, on va dire, politique.
19:22Je ne sais pas, je n'ai pas de clé à ce moment-là.
19:24Mais cette image-là, elle m'est restée.
19:27Cette phrase-là m'est restée, et dans Va aimer,
19:31je sais que je parle de mon rapport aussi à la cachette.
19:34Et mon rapport au fait de se cacher,
19:36c'est d'avoir un endroit de se cacher.
19:38Pour moi, c'est un endroit d'être, un endroit de sécurité,
19:40où on ne va pas pouvoir me faire de mal.
19:44Et en effet, oui, j'ai des images aussi très claires,
19:47je pense, petites aussi, de...
19:54de me voir me cacher sous le lit,
19:55parce que je ne sais pas encore l'expliquer, encore,
19:59mais j'ai peur de mon grand-père.
20:04Je comprendrai plus tard pourquoi.
20:05Parce que le cerveau est complètement dingue,
20:08et maintenant, voilà, heureusement,
20:10il y a plein de scientifiques qui sont passés par là,
20:13dont Muriel Salmona, qui est extraordinaire.
20:15Et moi, je me suis énormément inspirée d'elle,
20:17et j'ai lu des articles, j'ai lu des ouvrages sur la mémoire traumatique,
20:21et la capacité du cerveau, en fait, à faire rideau.
20:25Et en fait, quand il reçoit un choc,
20:29il baisse, et il se protège, en fait.
20:31Sinon, il meurt. On peut mourir de stress.
20:34On peut mourir de stress.
20:35Donc, en fait, quand il y a un choc trop violent,
20:37le cerveau, il dit ceci, il se protège.
20:39Non, je pense que ça n'a rien à voir,
20:41et que je le fais en toute maîtrise et en toute préparation,
20:44quand je joue.
20:46Par contre, oui, il y a quelque chose de l'ordre de la transe.
20:50Il y a quelque chose de l'ordre de la transe quand on joue.
20:52Et c'est ces fameuses représentations.
20:54Des fois, on se dit, putain, je ne sais pas ce qui s'est passé,
20:56mais j'étais...
20:57Putain, j'avais l'impression de voler, quoi.
20:59Je ne me rappelle pas trop ce qui s'est passé.
21:01J'ai le texte défilé.
21:03J'étais dans...
21:06Ouais, j'ai un peu une sensation de planer,
21:09et que tout est facile, quoi, que tout découle, que tout roule, que tout...
21:13Mais en effet, non, je ne peux pas utiliser le même mot.
21:16C'est parce que ce n'est pas un choc de jouer.
21:18Jouer, c'est une adrénaline.
21:20Je pense que c'est l'adrénaline qui provoque un planage, quoi.
21:23Et au même titre que ceux qui font du saut en parachute
21:28ou de l'alpinisme ou des sports extrêmes,
21:30il y a une adrénaline qui nous est envoyée et qui fait que...
21:34On est...
21:35C'est un soi plus plus.
21:37C'est inspiré de mon histoire.
21:39C'est-à-dire que même dans ce spectacle-là,
21:41il y a un personnage qui s'appelle Charles
21:43et qui incarne plusieurs violences que j'ai pu recevoir d'hommes différents.
21:47La réalité, c'est que les violences que j'ai pu recevoir,
21:50physiques ou psychiques, ont été principalement faites par des hommes.
21:55En fait, même le spectacle est créé comme ça.
21:57C'est-à-dire que toute la première partie du spectacle,
21:59on est sur quelque chose de...
22:00J'essaie de les emmener.
22:01La première partie, c'est que je les embarque avec moi dans un immense vagin.
22:06Et on est dans une classe, dans une sortie scolaire.
22:08Et en fait, je suis avec plein d'élèves.
22:10Et du coup, ils posent plein de questions.
22:11Et qu'est-ce qui se passe ? Et pourquoi, machin ?
22:12Et qu'est-ce qu'il est en train...
22:13Et en fait, du coup, j'avais un besoin aussi d'amener les gens
22:16dans un humour aussi au début.
22:17De leur dire, allez, je vous prends par la main, on y va.
22:20Et on va d'abord rigoler.
22:22Et quand on sera bien, là, je vais donner d'autres petites clés.
22:25Et je vais pouvoir commencer à avoir des thématiques plus profondes.
22:30Même si tout le début du spectacle, on est vraiment sur...
22:32C'est une histoire d'éducation affective et sexuelle.
22:36Donc, tout le spectacle, c'est les premières déceptions amoureuses.
22:41Les premières relations à son corps.
22:44Les premières...
22:45C'est quoi la masturbation ?
22:47Comment c'est les films porno ?
22:49Tout ce qu'on nous envoie, je trouve,
22:51même encore plus aujourd'hui qu'à l'époque.
22:53Parce que nous, c'était quand même les cassettes et les magnétos.
22:57On n'avait pas à taper sur Internet
22:59et tout de suite tomber sur des images pornographiques.
23:04Et en fait, ça raconte tout ça aussi.
23:08C'est cet éveil-là, ce spectacle-là.
23:10Et en effet, après, au bout d'un moment, la prise de conscience.
23:12La prise de conscience parce qu'il y a un thérapeute
23:14qui est très présent aussi dans le spectacle,
23:16mais qui est à la fois thérapeute, psychologue,
23:19médium, énergéticien, acupuncteureux, enfin voilà.
23:23C'est pareil, c'est pour ça que je parlais de Charles aussi,
23:26qui incarne plusieurs hommes
23:30avec lesquels j'ai pu subir des violences.
23:33Et ce personnage-là, en effet, du psy aussi,
23:36incarne aussi un bon nombre de médecines parallèles
23:39que j'ai pu tester aussi.
23:42Et que je continue à pratiquer
23:46pour continuer à tenir debout
23:51dans cette vie et dans ce monde-là
23:54qui peut être parfois violent.
23:56En effet, Vol, c'est la disparition du coup de la grand-mère paternelle.
24:00Tais-toi, en fait, c'est plus une commande.
24:03C'est une commande d'une directrice
24:05qui s'appelle... d'une directrice d'un festival de théâtre
24:09et qui est aussi comédienne, qui s'appelle Françoise Nahon.
24:12Et cette femme-là, en fait, elle m'a fait une commande
24:14en me disant, voilà, dans huit mois,
24:17il y a le Festival Femmes en scène, c'est les dix ans,
24:19c'est Hôtel National de Nice,
24:21la marraine, c'est Irina Brouk, est-ce que tu as quelque chose sous l'aile ?
24:25Et à ce moment-là, Vol, c'était tellement bien passé
24:28que j'avais peur, en fait, que ce soit un coup de bol
24:31et de me dire, bon, maintenant, il faut y retourner,
24:33ça va être... qu'est-ce que je fais, quoi ?
24:36Et il y a eu comme une évidence de parler du...
24:40on va dire du parcours professionnel aussi.
24:43Je pense que je suis...
24:45que j'ai toujours eu une espèce de tristesse et de nostalgie.
24:48Je pense qu'il y a des choses dont on hérite.
24:50Et je pense que j'hérite de choses aussi qui ne m'appartiennent pas.
24:55Et toute la fin du spectacle, en effet, tu vois, il y a ce procès
24:58et surtout, à la fin, il y a une parole du personnage d'Elsa
25:02et en effet, aussi, surtout pour dire, en fait,
25:08tu n'es plus toute seule, en fait.
25:10Elsa n'est plus toute seule, mais on n'est plus toute seule.
25:13Enfermée, cachée dans notre petit truc, maintenant,
25:16j'ai l'impression qu'il y a encore du chemin à faire.
25:19Mais il y a une écoute qui n'est plus la même.
25:21Pourquoi ? Parce qu'aussi, il y a d'autres femmes qui parlent depuis
25:23et des femmes qui sont influentes dans le métier aussi
25:26et qui donnent la force et le courage de pouvoir se dire,
25:30OK, je ne serai pas...
25:34Peut-être qu'à un endroit, peut-être que je serai entendue, en fait, cette fois.
25:38Et ce spectacle-là, c'est vraiment tout un cheminement,
25:41toute une conscientisation de ce qu'a pu être cette construction-là à travers.
25:50Bien sûr, évidemment, plein de moments de joie, bien sûr, et ça, voilà.
25:53Mais aussi, en effet, des violences de la plus petite, on va dire,
25:58de la plus anodine, ça peut être, je ne sais pas,
26:01de la plus anodine, ça peut être avec des réflexions
26:05qu'on a pu avoir quand on était au collège ou quoi.
26:07Moi, j'ai des souvenirs, franchement, c'était hyper dur.
26:09Moi, comme j'avais vraiment une toute petite poitrine,
26:12j'ai des souvenirs même d'avoir du mal à me sentir femme, à me sentir...
26:16Et je sais qu'à cet âge-là, purée, les garçons sont sans pitié, quoi.
26:22Mais parce que je pense que c'est vraiment ça aussi.
26:24J'en parle dans le spectacle, mais je pense que ça se passe à l'école aussi.
26:28Je pense qu'il faudrait, ce serait vraiment...
26:32Et c'est pour ça que je le fais avec une prof au début, où je dis
26:34« Allez les enfants, on y va ! »
26:35Et puis, on part dans l'exploration de ce vagin démesuré
26:40pour parler du plaisir aussi, de comment est composé l'intérieur,
26:46et du plaisir, de la jouissance aussi.
26:49Et je pense que ça se passe dès l'école, en fait, cette éducation-là.
26:55Et ce serait merveilleux que l'on ait, dès l'école, en fait...
26:59J'ai des souvenirs d'éducation civique.
27:01Alors, je n'ai pas d'enfant, donc je ne sais pas
27:03qu'est-ce qu'il en est aujourd'hui dans les collèges,
27:05mais il faudrait qu'on ait des cours d'éducation affective et sexuelle, en fait.
27:12Je pense qu'on peut ramener un enfant de 12 ans à ce spectacle,
27:18mais pas avant, parce que c'est un âge que j'ai donné aussi pour les autres,
27:24mais c'est pour qu'il y ait une compréhension aussi,
27:27parce qu'il y a quand même du texte aussi.
27:30Et peut-être qu'avant, il ne comprendrait pas,
27:36ou alors il y aurait peut-être des choses qui seraient...
27:38Peut-être un peu pour les protéger,
27:39parce qu'il y a des choses, en effet, où je me dis chaque chose en son temps aussi.
27:42Et on est tellement dans une société où, je trouve,
27:44on a accès à beaucoup de violences visuelles très tôt maintenant,
27:48par les réseaux aussi beaucoup, par Internet, quoi.
27:52Et je me dis, en fait, chaque chose aussi en son temps,
27:54et à 12 ans, je me dis là, un enfant de 12 ans peut entendre et faire son chemin.
28:01Et je fais en sorte, en plus, dans le spectacle,
28:03que les thématiques abordées soient plus profondes
28:10que l'éducation affective et sexuelle que tout un chacun peut rencontrer.
28:14Les thématiques plus profondes de consentement, d'inceste, de violence sexuelle,
28:21du coup, que ce soit, comment dire, qu'on comprenne,
28:28sans que les mots soient dits vraiment crûment,
28:32et que chacun et que le spectateur puisse faire son chemin intérieur aussi.
28:37Ce qui est trop fort, c'est qu'en fait, je le vois,
28:41mais par les retours que j'ai, en fait, écrits de personnes,
28:44de femmes et d'hommes aussi.
28:47Et ça, c'est, comment dire, quand une femme me dit merci,
28:52parce qu'en fait, je me sens moins seule.
28:54Et là, ça m'ouvre aussi sur des choses que j'ai vécues aussi,
28:58qui font écho, en fait, à ce dont tu parles.
29:01Et c'est vrai que c'est aussi tout autant bouleversant, en fait,
29:04d'avoir des hommes, et j'en ai eu, qui m'ont écrit en me disant merci.
29:07Merci de nous inclure aussi à l'intérieur de sa sang.
29:12Il y a un message qui t'a marqué en particulier.
29:14Ah ouais, j'en ai reçu un, là, il n'y a pas longtemps.
29:16C'était un homme qui me disait qu'il était venu, je crois, avec sa sœur
29:20et qu'ils sont restés, après le spectacle, dans la salle pendant un moment,
29:24à être dans les bras tous les deux l'un de l'autre
29:26et à ne pas réussir à sortir de la salle.
29:29Il m'a dit merci pour elle.
29:31Merci de le faire avec cette délicatesse-là, avec cette finesse-là.
29:36Merci de me faire rendre compte que peut-être aussi,
29:38même moi, dans ma vie d'homme, j'ai peut-être pas été exemplaire aussi
29:42envers les femmes à certains moments de ma vie.
29:46Et merci parce qu'il m'a dit, j'ai une petite fille aussi de 4-5 ans
29:51et avec laquelle, de par ce que tu dis aussi,
29:54je vais tout faire pour pouvoir l'éduquer au mieux
29:57et essayer de la prévenir et de lui donner des clés
30:00et de lui dire ce qui n'est pas normal et qu'elle se respecte, en fait.
30:04Et je pense que ça vient de là et de se respecter suffisamment
30:10pour pouvoir mettre les limites, en fait.
30:12C'est ça, ce spectacle aussi.
30:14Moi, je pense que c'est ça.
30:14Pendant des années, je ne savais pas mettre les limites
30:17parce que je pense qu'en effet, quand on a subi une violence très tôt,
30:21si on ne comprend pas ce qu'il est en train de se passer,
30:25comment dire, il y a un brouillage, une sorte de...
30:31et entre...
30:34même de la notion d'amour, en fait.
30:36Qu'est-ce que c'est ?
30:37En fait, aimer, c'est hyper large, mais il y a tellement de façons d'aimer.
30:44Et pour moi, le vrai amour, il est dans le respect
30:46et dans le consentement mutuel.
30:48Je pense que cette conscientisation-là, je l'ai eue grâce à mes amis
30:53et malheureusement aussi à des amis qui avaient déjà vécu des violences aussi.
30:58Donc, ces femmes-là qui avaient déjà fait ce chemin-là ont pu m'aider
31:02et m'accompagner à la prise de conscience de ce qui m'était arrivé
31:08et de ce que je n'arrivais pas encore à expliquer.
31:11Et la thérapie, bien sûr, évidemment.
31:14Ça, ça a été un moment vraiment crucial aussi de...
31:17Ben justement, en fait, c'est toute la...
31:19Je pense que c'est la...
31:21On va dire, c'est pas que c'est ma patte,
31:23mais c'est ce que j'ai commencé à développer dans tes toits.
31:26Mais c'est un... Moi, je viens du clown et du masque.
31:28Donc, j'ai un plaisir, vraiment.
31:30Et c'est ce que m'a inspiré aussi, je pense, Elikakou très fort,
31:32qui jouait des hommes, des femmes, des humanoïdes,
31:38qui jouaient vraiment à changer de corps et de voix.
31:41Et moi, j'ai ce plaisir-là, cette délectation-là
31:44que j'ai découvert justement à l'ESSA.
31:46C'était l'école que j'ai faite quand je suis arrivée à Paris.
31:49On avait plusieurs cours.
31:50On avait du chant, du clown, de la danse, des cours d'improvisation, des cours de...
31:55Et j'ai eu un cours de masque.
31:57Et là, je me suis dit, waouh, en fait, il y a un cadre vraiment clair.
32:01Je suis masquée, donc je suis quand même un peu cachée quelque part.
32:05Et du coup, j'ai une liberté d'improvisation et de changer de corps et de voix.
32:10Et c'est vrai que c'est une des spécificités, je pense, de « Tais-toi » et de « Va aimer ».
32:14C'est, je pense, la vitesse ou la façon de passer d'un personnage à l'autre.
32:22Je change de corps et de voix en une fraction de seconde.
32:25Et c'est un peu le...
32:26Je les fais dialoguer entre eux.
32:29Et ça, c'est une grande jouissance, ça.
32:33C'est quand même épuisant aussi.
32:35C'est épuisant aussi, ouais.
32:36C'est un spectacle qui me demande beaucoup.
32:38Je me prépare énormément.
32:39Je viens en général à peu près deux heures avant le spectacle.
32:42J'échauffe la voix pendant vingt minutes.
32:45Après, je fais un espace de yoga, training, respiration pendant une demi-heure.
32:51Je fais des prières aussi pour avoir la force d'y aller et de continuer à apporter cette parole-là.
32:58Parce qu'il est question, et c'est pour ça, c'est...
33:01C'est dur d'en parler, on va dire, crûment, parce que...
33:08Parce que tout au long de ce spectacle-là, je fais en sorte, je change de voix et de corps.
33:13Je fais dire des choses qui me sont arrivées à d'autres personnages aussi.
33:15Je le distribue dans d'autres.
33:19Et du coup, quelque part aussi, un peu, je me cache un peu aussi.
33:22Même s'il y a tout un moment aussi où il y a mon personnage d'Elsa,
33:24qui a une parole intime et frontale directe avec le public.
33:28Mais c'est aussi une Elsa qui a déjà fait ce chemin-là.
33:37Eh bien en fait, au début, le spectacle était parti sur...
33:41Il y avait toujours cet oiseau-là.
33:43Parce que c'est quand même aussi l'intrigue de ce spectacle de Va Aimer.
33:49C'est qu'il y a un oiseau qui est donné par ma grand-mère,
33:53héritée du grand-père qui est mort, elle me donne cet oiseau-là.
33:56L'oiseau, c'est le secret, c'est plein de choses.
34:01Ça peut être le secret, c'est ce qui se transmet, c'est l'âme,
34:06c'est la lumière aussi, c'est la résilience, c'est plein de choses.
34:12Il correspond à plein de choses.
34:13Et d'ailleurs, dans le spectacle, ce symbole-là bouge.
34:17Et à des moments, c'est moi, à des moments, c'est l'oiseau,
34:20à des moments, ça peut être ce fameux secret qui ne sort pas.
34:25C'est cette petite Elsa aussi, petite fille aussi.
34:28C'est tout ça, cette petite lumière, oiseau, micro.
34:33Et en même temps, c'est l'endroit de la parole.
34:35Et c'est vrai que je fais en sorte...
34:39Moi, vraiment, ce que j'espère avec ce spectacle,
34:41c'est de pouvoir toucher un maximum de personnes.
34:45Ça qui est beau aussi, c'est que dans le public,
34:47j'ai des jeunes, j'ai des personnes moins jeunes.
34:49Il y a des hommes, il y a des femmes.
34:50Et ça, c'est trop bien.
34:51Maintenant, je pense qu'ils savent,
34:53parce qu'en effet, dans le résumé,
34:55il y a marqué clairement qu'il est question aussi de consentement
34:59et que c'est l'histoire aussi de la construction éducative,
35:04affective, sexuelle du personnage principal,
35:07avec en effet aussi les violences
35:10que ce personnage a pu rencontrer dans sa vie
35:12et comment aussi se soigner aussi.
35:19Ça passe par une libération de la parole.
35:22Et les mots sont tellement importants.
35:26Et c'est vrai que je finis par cette phrase où je dis
35:27« tu n'es plus toute seule ».
35:29Et ça, c'est trop important aussi pour moi.
35:32Je me suis sentie seule.
35:34Et je pense qu'il y a beaucoup de femmes aussi, et d'hommes,
35:36parce que ça arrive aux hommes aussi, il faut le dire,
35:38qui se sentent seules face à ces violences-là.
35:46Parce qu'on a peur, parce qu'on a peur de...
35:48Moi, j'avais peur d'être mise de côté.
35:52J'avais peur d'être exclue.
35:53J'avais peur que ma famille ne le supporte pas.
35:55J'avais peur aussi de perdre mon travail.
36:01C'est mon petit caillou pour tout ensemble, et tous ensemble,
36:07parce que c'est important aussi pour moi
36:08que les hommes viennent voir ce spectacle.
36:10Je veux que les hommes viennent voir aussi ce spectacle, bien sûr,
36:14parce que c'est tous ensemble qu'on va réussir à déplacer un peu les lignes
36:20et à faire en sorte que ces violences-là ne soient plus tues.
36:28Qu'on arrête de se taire, en fait, par peur,
36:30parce qu'en fait, même là, moi, je suis admirative aussi,
36:32mais toutes ces femmes qui sont en train de parler aussi,
36:34que ce soit Judith Gaudrèche la plus récemment, on va dire tout récemment,
36:39mais c'est un risque, en fait.
36:42C'est un risque, c'est un risque d'être aussi...
36:44On n'a pas envie d'être tamponnées victimes.
36:47En fait, je pense que ce spectacle, il est à l'image,
36:50parce qu'en fait, de la conscientisation de trauma,
36:55et en fait, même dans le processus de création, ça s'est passé comme ça.
37:00Au début, j'étais partie sur un truc qui n'avait rien à voir.
37:03Il y avait cet oiseau qui était présent.
37:04Non, il y avait le personnage d'Elsa, en fait,
37:06qui rentrait dans une sorte de clinique.
37:09C'était un truc un peu futuriste.
37:11Et en fait, elle allait faire une symbiote avec un animal, avec un oiseau,
37:15parce que sur terre, parce qu'en effet, écologiquement,
37:23ce n'est plus vivable et que du coup, pour avoir une sorte de régulation
37:29de la population, mais c'est inspiré aussi d'un film qui s'appelle L'Auteur.
37:34Et en fait, il fallait choisir une symbiote, peut-être avec un animal.
37:40Et en fait, au début, ça partait là-dessus.
37:42Et petit à petit, je pense que le fait d'avoir eu cet énième abus-là
37:48a commencé à processer en moi la thérapie.
37:53Et au bout d'un moment, je me suis dit non, mais en fait, Eva,
37:55ce qui est en train, vraiment, ce qu'il y a là en ligne de fond,
37:58en fait, c'est ça. C'est trop malade.
38:01Le spectacle aussi, c'est un espoir aussi.
38:03C'est un espoir de se dire, en fait, tu peux parler, rester debout.
38:08Et en plus, par l'art, moi, l'art, c'est ce qui me permet
38:16aujourd'hui d'être là et de pouvoir parler.
38:20Non, je pense qu'en effet, il y a une tristesse et une peur
38:24qui, encore une fois, est quelque chose, je pense, de l'ordre d'un héritage aussi,
38:30mais aussi sûrement, en effet, de violences peut-être subito
38:34qui fait qu'on est malheureux et on ne sait pas d'où ça vient, en fait.
38:40Espèce de truc qu'on se trimballe là et qu'on se dit,
38:42mais pourquoi je suis triste tout le temps ?
38:45Pourquoi j'ai une espèce de...
38:47On appelle ça aussi un peu la saudade au Brésil.
38:50C'est vraiment cette...
38:53Parce que j'y suis allée énormément.
38:54Moi, j'ai grandi en Argentine, donc j'ai un rapport à l'Amérique latine très fort
38:57et notamment au Brésil parce que j'y suis allée plein de fois.
38:59Et ce mot-là, je trouve, la saudade, il résume bien un état,
39:03une espèce de joie mélangée à une tristesse, une nostalgie,
39:08un manque de quelque chose qu'on n'arrive pas à expliquer
39:12et que, moi, le théâtre m'a permis de combler.
39:15Et le fait en plus d'écrire et d'arrêter de passer sujet, en fait.
39:23D'arrêter d'être objet et de passer sujet.
39:27Et ça, pour moi, c'est vraiment...
39:29Je pense que c'est ça qui se passe avec ce spectacle-là.
39:31Et je crois que c'est peut-être la différence
39:33parce que c'est vrai que je me dis, bon, ça fait dix ans que j'écris,
39:35ça fait dix ans que je joue.
39:36Il y a eu vol, il y a eu tétoie.
39:38Tétoie, en plus, c'était déjà là.
39:39Il y a des clés dans les deux premiers.
39:42J'ai eu aussi la réaction d'une mère, que peut-être n'ont pas beaucoup de mères.
39:46Ma mère m'a crue.
39:49Et j'ai mes amis proches aussi, quand j'ai parlé d'autres violences, qui m'ont crue.
39:53Et ça, c'est le point de départ.
39:57Dans le spectacle, il y a un moment où elle prend conscience...
40:00C'est ses deux amis, en fait, qui l'aident à mettre des mots dessus,
40:03qui l'accompagnent en lui disant, hier, t'étais où ? Qu'est-ce que t'as fait ?
40:06Et donc, t'es rentré avec lui.
40:07Et après, qu'est-ce qui s'est passé ? D'accord.
40:09Et tu as des souvenirs de ça ? Non, t'as pas de souvenirs.
40:12D'accord.
40:12Et petit à petit, de dire, mais qu'est-ce qui se passe ?
40:15Vous avez fait quelque chose ?
40:16Et l'ami qui dit, mais je pense que tu sais, elle était ivre.
40:19Donc, en fait, elle a disjoncté.
40:22Enfin, on ne peut pas parler de libre arbitre dans ces cas-là.
40:25Donc, toute cette histoire-là même de consentement sans dire le mot consentement,
40:28sans dire le mot viol, sans dire...
40:31On comprend.
40:32On comprend ce qu'il est en train de se jouer
40:33et c'est ses amis qui vont l'aider, en fait, à processer.
40:37Et du coup, on comprend sans que ce soit dit.
40:41J'ai fait en sorte de pouvoir parler de ces traumas-là
40:44de façon artistique, en fait, et avec des mots choisis,
40:48des personnages choisis, des corps, des voix choisis
40:51qui me mettent à un endroit de sécurité.
40:53Et en fait, il y a plein de gens qui...
40:56En fait, on ne sait pas finalement ce qui est vrai et pas vrai dans ce spectacle.
40:59Et ça me va très bien.
41:00Ça me va très bien.
41:02Mais de toute façon, bien sûr que je suis à l'épuisée.
41:05Ce n'est pas que j'ai brouillé les pistes, c'est que j'ai choisi.
41:07Et en fait, je veux dire, comme il n'y a pas qu'un rapport frontal
41:09et je ne suis pas là face à un micro à dire, voilà, il m'est arrivé ça, j'ai vécu ça.
41:14Comme de toute façon, c'est très fictionnalisé
41:17parce qu'il y a des scènes entre plusieurs personnages.
41:20Du coup, c'est une façon de...
41:22C'est une façon de pouvoir raconter une histoire et qu'un maximum,
41:27pour que ce soit universel, un maximum.
41:30Et qu'on ne se dise pas juste, ah oui, c'est son histoire à elle.
41:32Et puis voilà, c'est son histoire.
41:34Mon travail, vraiment, c'était de me dire, je pars de moi
41:37et comment je vais faire pour qu'il y ait une cohérence
41:39et pour que ça touche un maximum de gens.
41:42Ce que j'aimerais vraiment, peut-être, qu'on garde de ce spectacle aussi,
41:47c'est la lumière, c'est l'espoir.
41:52Moi, je sais que j'ai été inspirée de femmes comme Andrea Bescon,
41:57comme Adèle Haenel qui s'est levée,
42:00et bien d'autres encore, comme Vanessa Springora, comme Kouchner.
42:03Comme...
42:04Et en fait, il y a cette chose-là où je me dis, s'il y a un endroit...
42:10En fait, peut-être que ce spectacle-là,
42:12s'il peut inspirer aussi une libération de la parole à d'autres,
42:17ben voilà, je me dis que j'aurais bien fait mon job.