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00:00Bienvenue dans les récits extraordinaires de Pierre Bellemare, un podcast issu des archives d'Europe 1.
00:12Pendant plus de vingt ans, celui dont nous allons parler aujourd'hui fit la joie des chroniqueurs et des journalistes de France et d'ailleurs.
00:20Il eut droit successivement à toutes les rubriques, les faits divers, les comptes rendus d'audience de justice, les bandes dessinées en dernière page et même,
00:27vers la fin, il eut droit aux éditoriaux et aux articles de fond.
00:32Il finit par être considéré comme un phénomène social, une sorte de vedette mondaine, symbole d'une société en voie de décadence.
00:42Sa vie se termina de façon ignominieuse, au service de l'Allemagne des nazis, aux côtés des tristement célèbres Bonnie et Lafon,
00:50mais c'est un autre épisode de sa carrière qui nous intéressera aujourd'hui.
00:54Un moment où pour tous, il était encore Serge Delens, gentleman cambrioleur.
01:02Serge Delens, voleur de charme.
01:06Serge Delens.
01:09Tel était le nom de ce personnage, un nom qui sonnait tellement bien que l'on aurait cru un nom d'artiste, un pseudonyme, comme ceux que les vedettes aimaient à se choisir.
01:19Mais c'était pourtant le sien, il s'appelait véritablement Serge Delens.
01:25C'était un authentique fils de famille, et s'il se complut tout au long de sa vie dans la débauche,
01:31il a été considéré comme un homme d'honneur, un homme d'honneur, un homme d'honneur, un homme d'honneur, un homme d'honneur, un homme d'honneur, un homme d'honneur, un homme d'honneur, un homme d'honneur.
01:40Véritablement Serge Delens.
01:43C'était un authentique fils de famille, et s'il se complut tout au long de sa vie dans la débauche,
01:48jamais rien, ni le vice, ni les années passées derrière les barreaux, jamais rien n'altéra sa prestance, son allure et la noblesse de ses traits.
01:56Tout au long de sa vie, il garda cette allure de jeune premier, paraissant toujours quinze ans de moins que son âge véritable.
02:03Chacune de ses apparitions, que ce soit dans un grand hôtel ou dans le box des accusés, faisait tomber en pamoison les belles dames à manteau de fourrues.
02:11On commence à suivre la carrière de Serge Delens et ses premiers démêlés avec la justice, tout de suite après la guerre de 14.
02:17Il avait vingt ans, et il évoluait sur les pistes de danse les mieux fréquentées avec une grâce sans pareille.
02:24On ne comptait déjà plus le nombre des femmes qui attendaient, frémissantes, la faveur d'un tour de valse entre les bras du beau Serge.
02:31Mais quand il quittait les bars des grands hôtels et les tables des restaurants coûteux, quand la valse s'arrêtait,
02:37eh bien Serge Delens échangeait les escarpins vernis du danseur de société pour les chaussures à semelle de crêpe du casseur furtif.
02:47Il visitait, rossignol à la main et sac à l'épaule, les belles villas délaissées pour les longs week-ends par les domestiques et leurs maîtres,
02:55et il s'appropriait silencieusement objets de valeur, bijoux, tableaux, titres aux porteurs appartenant à ceux-là même qu'il touchait du coude en valsant avec leurs femmes.
03:04Mais la première fois qu'il comparut en correctionnel, au lendemain donc de la grande guerre, l'aspect mondain et sentimental de son procès fit quand même un tant soit peu sourire.
03:15En effet, il avait à ses côtés sa petite amie, qu'il appelait familièrement Fanoche, et Fanoche avait soixante-dix ans.
03:27Les actes d'accusation, dont le langage un peu sec manque souvent de galanterie envers les dames, proclamaient sans pudeur cet âge que la Fanoche en question s'ingéniait à cacher, assez bien d'ailleurs.
03:37L'acte d'accusation mentionnait également son état civil véritable, et on l'a nommé dans le prétoire à voix haute « Femme Fanny Robert ».
03:45Cependant, nombre de vieux messieurs, canapomo et gandantilope, venus dans la salle pour la soutenir de leur chaude amitié,
03:52nombre de ces vieux parisiens la connaissaient plutôt sous son nom de bataille « la Comtesse de Tessancourt ».
03:59À l'heure où le maréchal de Mac Mahon prononçait une ou deux bourdes historiques, c'est-à-dire quelques belles années auparavant,
04:05« la Comtesse de Tessancourt » avait été ce qu'un journaliste appelait plaisamment « une ravissante horizontale ».
04:12C'est dans cette position plutôt agréable qu'elle s'était constituée un assez joli magot, dont il lui restait quelques rentes, petites, et un hôtel à Neuilly pas grand non plus.
04:22Le gracieux Serge Delens venait s'y reposer entre deux casses, la nourriture y était bonne, les lits moelleux,
04:29et la vénérable demi-mondaine pas trop regardante quant aux fréquentations de son bouillant jeune ami.
04:35Sa myopie volontaire, à la telle jusqu'à ignorer que sa demeure servait aussi d'entrepôt à la ville montant l'air pour y remiser son butin,
04:42on ne le sut jamais, et les juges, indulgents envers elle, qui représentaient une page parfumée de l'histoire parisienne,
04:49firent semblant de croire à sa bonne foi. Elle ne fut pas condamnée pour recel, le tribunal la déclara simplement imprudente,
04:56mais le beau Serge, lui, en prit pour quelques années. Il s'était rendu coupable de quarante cambriolages, ni plus ni moins.
05:05Cette première peine purgée, il reprend une existence assez tenitruante qui lui fait faire connaissance à son trentième anniversaire avec la prison centrale de Meulins.
05:16Cette fois, il en aura pour dix ans. Dix ans de réclusion doublés par dix années supplémentaires d'interdiction de séjour.
05:23En centrale, Serge Delens mène une vie de prisonnier exemplaire, et il travaille. Il travaille à l'imprimerie de la prison,
05:32imprimerie chargée de ravitailler en formulaire administratif l'ensemble des prisons françaises. Serge typographe, pourquoi pas ?
05:42Je viens de dire une vie de prisonnier modèle. En fait, l'expression modèle ne désigne peut-être pas dans le langage des prisons exactement ce à quoi on peut s'attendre.
05:50Sa journée de typographe terminée, Serge Delens, qui joue les princes de la débauche auprès de ses co-détenus, rejoint sa cellule.
05:58Une cellule, tenez-vous bien, qu'il a entièrement décorée en fixant au mur quelques dizaines de fouets de toutes tailles et de formes variées.
06:09Fouets, confectionnés à l'aide de chemises découpées en lanières et tressées.
06:14À quoi peuvent donc lui servir ces fouets, me demanderont ceux d'entre vous qui veulent conserver un esprit emprunt d'innocence.
06:20Eh bien, nous dirons que, prisonnier typographe le jour, Serge Delens se donne, durant les longues nuits cellulaires, pour un disciple du marquis de Sade,
06:29ou bien pour un émule de sachet masoche, tout cela dépend du compagnon d'infortune que l'administration lui donne.
06:35Il faut croire que le sado-masochisme devait être considéré comme faisant partie des mœurs de la hôte,
06:40car Serge Delens réussit à maintenir son personnage et à rester un monsieur aux yeux des autres prisonniers.
06:47Détenu modèle, il fut donc, bien que...
06:51Ah, chers amis, vous allez penser que j'ai beaucoup de difficulté à le voir parer de toutes les vertus pénitentiaires,
06:56mais il y eut dans cette centrale de Melun un événement digne de l'imagination d'un romancier.
07:01L'établissement possédait un coffre-fort, dont le poids confortable semblait le mettre à l'abri des menaces,
07:07et puis, dans une prison quand même, qui songerait à commettre un vol dans un endroit aussi bien gardé ?
07:13Or, l'on y songea.
07:15Et des personnages peu délicats venus de l'extérieur s'emparèrent du coffre-fort de la centrale de Melun,
07:21et bien évidemment de la somme plus qu'intéressante qu'il contenait.
07:25Ce vol sans précédent n'avait pu être réalisé qu'avec de solides complicités auprès des détenus.
07:30Serge Delens ne fut pourtant pas inquiété, et on le laissa comme par magie à l'écart de cette affaire.
07:36Cependant, tout à l'heure, à la lumière d'un autre de ces exploits que je vous raconterai,
07:41vous ne pourrez pas vous empêcher de repenser au coffre-fort en cavale de la centrale de Melun,
07:46et de vous poser quelques questions.
07:48Les questions, on ne s'en posa pas tellement au sujet du gentleman cambrioleur,
07:52puisque sa conduite irréprochable le fit libérer au bout de huit ans seulement.
07:57Comment aurait-on pu garder plus longtemps un homme qui semblait se repentir à un tel point,
08:02et qui, en dehors de ses amusements sans malice, avec ses petits fouets,
08:06allait à la messe des prisonniers le dimanche, chanter des psaumes,
08:10et confesser à ses gardiens les fautes commises par ses petits camarades ?
08:15Ce n'est pas joli joli, mais croyez-moi, c'est une méthode qui a fait ses preuves.
08:20Allait-il se retrouver seul à sa levée d'écrous ?
08:23Loin de là, car il avait réussi à intéresser à sa personne une œuvre pour prisonnier libéré.
08:29Cette œuvre le prit en main, l'habilla fort décemment,
08:32comme le jeune homme bien sage dont il savait avoir mine quand il le voulait bien.
08:37Serge de Lens disparut pour laisser la place à Serge de Fontès, du nom de jeune fille de sa mère.
08:45Un homme fort important consacrait beaucoup de temps à cette œuvre pour prisonnier.
08:49C'est cet homme qui se chargea lui-même de Serge de Fontès pour tenter de lui refaire une nouvelle vie.
08:55Mais Serge de Fontès avait quand même le casier judiciaire de Serge de Lens,
08:59et ne l'oublions pas, dix ans d'interdiction de séjour, dix ans de tric, comme l'on dit.
09:04En vertu de cette condamnation, il ne pouvait plus mettre les pieds dans la capitale.
09:08C'est donc auprès d'un industriel de Dieppe que l'œuvre pour prisonnier le fit recommander.
09:14Quant au casier judiciaire, chacun sait qu'on ne le demande pas pour engager un jeune homme
09:18avec un nom à particules qui a été recommandé directement par le président d'une société.
09:23Serge de Fontès, enfant d'excellente famille, ayant eu des revers de fortune,
09:28débarqua donc à Dieppe au mois d'août avec en poche quelques milliers de francs,
09:32gagnés en huit ans de typographie à la centrale de Meule.
09:35Il paraissait environ vingt-cinq ans, son nez racé, son visage rasé de près,
09:40étaient ceux d'un garçon sérieux, son tendre sourire et ses yeux de velours
09:44trahissaient une immense gentillesse. On pouvait lui faire confiance.
09:48Serge de Lens était prêt à recommencer ses méfaits.
10:04La tranquille ville de Dieppe avait bien entendu, comme toute la France,
10:07lue huit ans auparavant, et dix-huit ans plus tôt aussi, ne l'oublions pas,
10:11le récit des exploits d'un certain Serge de Lens, gentleman cambrioleur.
10:15Tout cela était bien loin, oublié depuis longtemps,
10:19et il aurait fallu un fanatique des faits divers pour se souvenir de cette histoire.
10:23Serge de Fontès, alias Serge de Lens, débarque donc à Dieppe au mois d'août.
10:30Il procède à la location d'une petite chambre meublée dans laquelle il transporte ses bagages,
10:35des valises qui, par le contenu de costumes plus que corrects
10:39et de cravates discrètes, sont le signe d'une bonne éducation.
10:43Leur nombre montre que l'on a affaire à un jeune homme qui a eu du bien et une vie plutôt aisée.
10:48La modestie du logement qu'il s'est choisi accrédite parfaitement la thèse du revers de fortune.
10:54Un brave garçon donc, précédé par des recommandations élogieuses à un très haut niveau,
10:59un brave garçon qui ne manque pas de courage car il n'hésite pas
11:03à revêtir le bourgeon de l'ouvrier pour apprendre un métier.
11:07Et un métier difficile.
11:09Serge de Fontès vient en effet pour travailler,
11:12pour travailler dans une usine de réfrigération de macros.
11:15Afin de se familiariser avec l'industrie du froid,
11:17apprendre à faire fonctionner lui-même les machines et installer,
11:20murmure-t-on, une usine à son compte dans le centre de la France.
11:24Et il travaille, il travaille avec conscience et assiduité.
11:28Au glacier de Dieppe, on n'a que des compliments à faire sur cet ouvrier hors du commun.
11:32Ce garçon de famille sait en plus se faire des amis partout, dans tous les milieux, car il n'est pas fier.
11:37Il n'hésite jamais un jour de paix à offrir une tournée sur le comptoir à ses collègues de l'usine.
11:42Il n'est pas le dernier à lever son verre et il plaisante en argot comme s'il n'avait fait que cela toute sa vie.
11:47Mais ce n'est là que l'un de ses visages.
11:51Serge de Fontès n'a pas oublié Serge Delens et il joue sur tous les tableaux.
11:57Il mène une double vie. Oh, que dis-je, une double vie !
12:00Il mène trois, quatre vies parallèlement.
12:03Serge fait la cour à une sage demoiselle, fille d'un fonctionnaire de la police de Dieppe.
12:08Il en vient même à la demander en mariage à son père et il est ainsi officiellement reçu dans la famille.
12:13Voici qu'il met donc à l'abri des surveillances et des ragots, car enfin,
12:16on ne peut rien penser de mal à Dieppe, du futur gendre d'un policier.
12:20Entre-temps, il apprit pour maîtresse une femme mariée, une belle et honorable bourgeoise,
12:25dont le beau Serge galamentera toujours le nom.
12:27Il ne la mentionnera que sous l'appellation de la poule au manteau de vison.
12:31Chacun peut avoir sa propre notion de la galanterie.
12:34Parallèlement à cela, les bourgeois de Dieppe qui viennent à 10 heures sabler le champagne au Cursal,
12:39le seul cabaret de luxe de la région, y verront presque chaque nuit Serge de Fontès,
12:44l'ouvrier des glacières, délaisse alors le bleu de travail pour l'habit de soirée qu'il porte avec aisance.
12:50Serge, qui frôle en fait maintenant la quarantaine, ne vient pas tellement là pour s'amuser.
12:55Son physique de jeune premier lui a servi à s'attirer les bonnes grâces d'une entraîneuse,
12:59un peu moustachu, qui travaille au Cursal.
13:01Cette Autrichienne connaît parfaitement le milieu d'Yépois
13:04et ne se fait pas prier pour y introduire son bel ami.
13:07Elle a probablement deviné que le passé de Serge est peut-être un peu plus orageux qu'il ne veut bien le dire,
13:12ne serait-ce que par la facilité avec laquelle il gagne l'amitié de tous les mauvais garçons qu'elle lui présente.
13:17En fait, notre gentleman cambrioleur se renseigne avec le maximum de discrétion.
13:21Il cherche à faire un gros coup qui lui permettrait de se retrouver un peu plus à l'aise
13:26qu'avec sa simple paix d'ouvrier et les subsides charitables mais limités
13:30que continue à lui envoyer l'organisation d'aide aux prisonniers.
13:33Il entretient également toujours des relations par correspondance
13:35avec les amis qu'il s'était fait à la centrale de Melun.
13:38Et un jour...
13:39Un jour lui parvient une lettre dont l'expéditeur pense bien intéresser Serge,
13:43car il y est question d'une importante figure diépoise.
13:47Il s'agit d'un certain Chatelain habitant la merveilleuse demeure des Tourelles.
13:52C'est un Américain qui porte pourtant le nom bien français de M. de Guise Hitte.
13:57M. de Guise Hitte est appelé ingénument par les gens du pays M. le Duc,
14:02parce qu'il habite le château.
14:03On le prend pour le Duc de Guise prétendant au trône de France
14:06et il entretient bien volontiers cette confusion,
14:09se disant descendu par les femmes de la Duchesse de Berry.
14:12La lettre que reçoit Serge parle en outre de la fortune considérable du gentlemen.
14:16On le décrit comme un grand amateur d'objets rares et de plus un grand seigneur
14:20qui n'a pas porté plainte lorsqu'on lui a dérobé trois ans auparavant
14:23une somme prodigieuse, près d'un million de francs de l'époque.
14:27Oui, oui, vraiment un grand seigneur.
14:29Une bonne affaire, songe Serge dit de Fontès.
14:34Le mois de septembre n'est pas encore commencé
14:37quand une lettre postée à Paris parvient au château des Tourelles.
14:40M. de Guise hitte l'ouvre.
14:42C'est une écriture de femme et il peut lire à peu près ceci.
14:46« Monsieur, je pense que mon nom ne vous dira plus rien.
14:52Cependant, nous sommes beaucoup connus autrefois.
14:56Rappelez-vous notre rencontre à Londres chez Mme de X.
15:00C'est votre grande amie Mme de C. qui fut la marraine de l'un de mes fils, Serge.
15:05C'est en souvenir de ce bref passé
15:08que j'ose vous demander pour ce fils une grande faveur.
15:11Il réside actuellement à Dieppe sans relation, seul et sans appui.
15:15Il y reprend de la santé, mais une longue maladie
15:18et des revers de fortune, patati patata. »
15:21Bon, la lettre expose ensuite comment la malheureuse famille
15:24a été réduite à la ruine par les manœuvres malhonnêtes d'un banquier diabolique
15:28et se termine en demandant l'aide et l'assistance
15:31pour le jeune Serge, enfant exemplaire.
15:35Intrigué par cette lettre,
15:37le chatelain se rend avec curiosité au café des tribunaux,
15:40séjour diépois fort honorable,
15:43au-dessus duquel Serge avait élu domicile,
15:45apparemment sans y voir de malice malgré ce nom prédestiné.
15:48Le riche américain remarque rapidement parmi les habitués le jeune Serge,
15:52ce personnage dont les mains bleuillies de froid
15:55trient les macros dans la journée,
15:57mais savent redevenir le soir blanche, fine et rassée
16:00pour tenir des cigarettes à bout de liège.
16:03Ce personnage donc ne manque pas de séduire M. de Guiseyte.
16:06Le prétendu prétendant au trône de France
16:09ne tarde pas à se lier d'amitié avec Serge,
16:12et quand je dis « à se lier d'amitié »,
16:15j'entends bien ce que je veux dire,
16:18à savoir que M. le Duc aime à faire visiter ses collections d'objets précieux
16:21à de gracieux jeunes gens pour parfaire leur culture.
16:25Quant à Serge de Lens, alias de Fontès,
16:28c'est comme l'on dit un esprit ouvert, il ne fait pas d'exclusive,
16:32et ses nombreuses conquêtes féminines ne l'empêchent pas, le cas échéant,
16:35de recevoir le discret hommage de M. Fortuné,
16:38qui se laisse aussi charmer par son souris.
16:41Or donc, le beau Serge devient l'hôte attitré du Château des Tourelles.
16:45Il y a ses entrées et bientôt sa propre clé.
16:48Il y vient comme chez lui, de jour comme de nuit,
16:51et même en l'absence du maître des lieux.
16:55C'est le 30 octobre qu'il décide de passer à l'action.
16:59Il commence par dérober à une amie propriétaire d'un restaurant un billet de 500 francs,
17:03mais c'est pour aller déjeuner en tout bien toute honneur
17:06avec celle qu'il appelle sa petite Boche, l'entraîneuse du cursal.
17:09Il prend congé de sa compagne, se rend calmement au Château des Tourelles.
17:13Le château est vide, M. De Guise est en voyage
17:16et le valet de chambre anglais Bedford a son jour de sortie.
17:19Serge fait le tour de toutes les pièces
17:22et finit par se retrouver devant le placard du troisième étage.
17:26C'est dans ce placard que se trouve l'objet de loin le plus intéressant de la maison,
17:31un coffre-fort pesant près de 70 kilos.
17:36Ce coffre contient, et Serge le sait,
17:39plus d'un demi-million de l'époque en bijoux et aussi quelques papiers.
17:44Imaginez, chers amis, le gentleman cambrioleur,
17:47seul dans cette luxueuse demeure dont il possède la clé.
17:50Comment va-t-il faire pour s'approprier la petite fortune contenue dans ce coffre-fort ?
17:55L'ouvrir sur place ?
17:57Le majordome risque de rentrer.
17:59Un autre ami du maître de maison peut venir sonner à la porte,
18:02ce serait imprudent de s'attarder.
18:05Alors Serge fait basculer le lourd cube d'acier sur le plancher.
18:09Il le traîne, il le pousse, il le fait descendre
18:13en glissant sur l'épée-tapis de l'escalier principal
18:16et il se retrouve devant la grande porte.
18:18Il tente à nouveau de le soulever.
18:20C'est vraiment trop lourd, il ne ferait pas 20 mètres avec ce fardeau.
18:23Il ne ferait pas 20 mètres avec ce fardeau alors.
18:25Alors il referme la porte et se rend chez une dame en ville
18:29qui loue des charrettes à bras.
18:31Muni de l'une d'elles, il revient au château des Tourelles.
18:34Sur le perron, il charge le coffre à même la charrette
18:37et le recouvre pudiquement d'une couverture.
18:40Tirant la charrette, il s'arrête devant une épicerie
18:43où il fait l'acquisition de deux toiles à laver
18:46et d'une caisse dans laquelle il emballe le coffre.
18:49« C'est-il des boulets de canon que vous mettez là-dedans ? »
18:51S'étonne un brave homme en voyant Serge pousser la caisse si lourde
18:54malgré sa petite taille.
18:55« Pas du tout, cher monsieur.
18:57Figurez-vous que c'est un jeune apprenti de l'usine
18:59qui transportait une dynamo et qui vient de se trouver mal
19:02à vouloir soulever si lourd.
19:04Alors je lui ai dit d'aller se coucher et je termine son travail.
19:06Il faut bien s'entraider dans la vie, n'est-ce pas ?
19:09Ah, monsieur, laissez-moi vous dire que c'est rare
19:12de rencontrer des gens servibles à ce point-là. »
19:14Serge frette ensuite un taxi,
19:16se fait transporter à la gare d'une petite ville proche,
19:19confie le coffre en bagage accompagné
19:21et s'endort paisiblement sur la banquette du train de nuit.
19:25Cinq heures du matin à Saint-Lazare,
19:27deux porteurs reçoivent un joli pourboire
19:29pour avoir chargé un lourd colis dans une voiture de louage.
19:32Le client donne comme adresse le grand hôtel.
19:35Il s'inscrit sous le nom de Serge Charvet
19:38dans la chambre au second étage.
19:40Il décloue la caisse, dissimule les débris
19:42et fait appeler l'ouvrier d'une maison spécialisée.
19:44Il a perdu les clés de son coffre.
19:47« Dépêchez-vous, mon brave ! Je pars à onze heures pour l'Angleterre
19:50et ne faites pas trop de bruit, il y a encore des gens qui dorment. »
19:53L'ouvrier dévisse le dessus du coffre, le fond du coffre.
19:57« Prendrez-vous du café au lait avec une tartine beurrée, mon brave ?
20:00Peut-être une de ces excellentes brioches que l'on sert ici ? »
20:03M. Serge Charvet est calme, il déjeune
20:05pendant que l'ouvrier termine sa tâche.
20:07Dès que l'on peut passer la main par l'ouverture,
20:09il paie l'ouvrier, le congédie et vide le coffre.
20:12Il met les bijoux à part,
20:14entasse dans une mallette les écrins et les papiers,
20:16il se fait conduire par un valet à la chaudière de l'établissement
20:19où il jette ses objets compromettants.
20:21Il quitte l'hôtel à midi écart.
20:23On le voit ensuite dans un bar, chez Adrienne,
20:25où il est reçu en ami.
20:27« Tu as fait des affaires, mon petit Serge ? »
20:29interroge Adrienne en voyant les diamants aux doigts du séducteur.
20:32« Un héritage ! » fait-il en lançant un de ses sourires
20:34aussi étincelant que les pierres précieuses.
20:36Il invite à déjeuner une certaine cristiane
20:38qu'il retient pour la soirée,
20:40puis il part faire la tournée des rosselleurs.
20:42Les affaires ne sont pas brillantes.
20:44Le soir, dîner chez Adrienne, crise de cafard,
20:47il téléphone à son entraîneuse de Dieppe.
20:49« J'ai bu 20 cocktails à ta santé, je m'ennuie ! »
20:51Il termine la nuit avec Cristiane dans un hôtel de la rue Comartin.
20:54Le lendemain, il est à Dieppe,
20:56chez son contre-maître auquel il offre du Rez.
20:58Il apprend que le vol est découvert.
21:00Retour à Paris, la tournée des Grands Ducs,
21:02les bars de Pigalle, dîner chez Maxime.
21:04Il y rencontre Paulette, une autre jeune femme,
21:06qui l'emmène chez Cristiane, sa conquête de la veille.
21:08Nouvelle journée où il essaie de liquider les bijoux,
21:11sans succès.
21:12Soirée dans quelques cabarets pour homosexuels,
21:14mais il se retrouve au matin, avenue du bois de Boulogne,
21:17chez une riche dame, une ancienne maîtresse.
21:20On le recherche, il fuit vers la Belgique.
21:23Pour son passage, il dispose d'une véritable carte d'identité
21:26au nom de Serge Charvet,
21:28avec un tampon du ministère des Affaires étrangères.
21:30Où l'a-t-il trouvé ?
21:32On murmure qu'il aurait eu un ami influent.
21:35Dans l'avion, il courtise une dame, Germaine B,
21:38fille d'un important propriétaire belge.
21:40Dès son arrivée, elle partage sa chambre,
21:42à l'hôtel Atlanta, le palace de Bruxelles.
21:44C'est là qu'il sera arrêté à cause d'un domestique
21:47qui lisait les faits divers et qui le reconnaît sur une photo.
21:50La dame qui est en sa compagnie,
21:52ce n'est déjà plus Germaine, c'est la brune Fernande,
21:55dite Maggie, qui porte avec fierté le titre de Miss Bordeaux 1931
21:59et à son doigt brille l'une des bagues de M. De Guise.
22:02« Moi, un voleur ! » proteste le beau Serge.
22:05« J'ai simplement emprunté le coffre-fort de mon ami américain,
22:08car il avait promis de faire de moi son écuyer.
22:11Je voulais vérifier dans ses papiers si ses titres de noblesse étaient authentiques. »
22:33Vous venez d'écouter les récits extraordinaires de Pierre Belmar,
22:37un podcast issu des archives d'Europe 1 et produit par Europe 1 Studio.
22:42Réalisation et composition musicale, Julien Taro.
22:46Production, Raphaël Mariat.
22:49Patrimoine sonore, Sylvaine Denis, Laetitia Casanova, Antoine Reclus.
22:54Remerciements à Roselyne Belmar.
22:57Les récits extraordinaires sont disponibles sur le site et l'appli Europe 1.
23:01Écoutez aussi le prochain épisode
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