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Tous les jours, une personnalité s'invite dans le monde d'Élodie Suigo. Vendredi 16 mai 2025 : le photographe et reporter Sebastião Salgado. Son fils, Rodrigo, atteint de trisomie 21, expose ses œuvres du 24 mai au 31 juillet dans l'ancienne église du Sacré-Cœur à Reims.

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Transcription
00:00Bonjour Sébastien Ossalgado. Bonjour.
00:02Capturé, croqué, immortalisé, protégé, sous-tentant de verbes qui font partie de votre travail de reporter, de photographe, d'artiste franco-brésilien.
00:10Vous, l'infatigable fervent défenseur des peuples les plus fragiles et malmenés.
00:16Vous avez notamment couvert le génocide rwandais, vous avez immortalisé la tribu indigène Achalinka, la forêt amazonienne,
00:22aussi presque sous toutes ses coutures avec ses clichés, portraits, photos systématiquement en noir et blanc.
00:27Votre esthétique est fondée sur l'émotion et le moment présent.
00:31Vous êtes exposée actuellement aux franciscaines à Deauville dans le cadre de Sébastien Ossalgado, collection de la MEP,
00:38à la Maison Européenne de la Photographie, visible jusqu'au 1er juin.
00:41Mais ce qui vous amène aujourd'hui, c'est l'exposition de votre fils, Rodrigo, atteint de trisomie 21.
00:47Rodrigo, une vie d'artiste, se tiendra à l'ancienne église du Sacré-Cœur à Reims du 27 mai au 10 septembre 2025.
00:52Pour la première fois, son travail est présenté. Il montre la passion infinie qu'il a développée depuis sa plus tendre enfance pour la peinture.
00:59Comment elle est née, cette envie d'exposer Rodrigo, Sébastien Ossalgado ?
01:04Il travaille tellement. Vous savez, 4 heures du matin, on se réveille, lumière dans sa chambre, on va, il est en train de peindre.
01:12Il a passé une vie à côté de la peinture. Il a accumulé une quantité considérable de tableaux et aujourd'hui, la vie n'est pas facile pour lui.
01:26Il a perdu sa mémoire. Il ne s'appelle plus de rien. Il ne sait plus aller tout seul à l'école comme il faisait avant.
01:34Il a un problème à sa colonne vertébrale. Et donc, on a pensé, parce que l'atelier Simon Marc a pris la décision de faire 16 vitraux à lui,
01:49et l'espace où sont installés les 16 vitraux à Reims, c'est un espace magnifique aussi pour faire une exposition.
01:57Et là, on a pris la décision de faire tout ensemble, d'inaugurer les vitraux et présenter son travail qu'en réalité, personne ne connaît, seulement nous.
02:08Et c'est un travail merveilleux.
02:11L'artiste-peintre Michel Granger, que vous évoquiez là, qui a découvert chez vous les œuvres de Rodrigo,
02:17c'est en vous accompagnant à votre domicile qu'il vous a demandé qui était le peintre qui avait réalisé les œuvres qui se trouvaient chez vous.
02:23Et donc, il a suivi Rodrigo pendant très longtemps, puisqu'il lui a enseigné effectivement l'acrylique.
02:29Il dit que Rodrigo l'a initié à la différence.
02:32C'est ça la force de votre fils et de ses œuvres ? C'est de nous initier à la différence ?
02:36Il nous a initié aussi à la différence.
02:40Vous savez, quand vous êtes parent d'un enfant handicapé, vous avez un grand pain de la société qui est introduit à nous, mais un pain qu'on ne connaissait pas.
02:56Les jeunes normaux ne connaissent pas le monde du handicap.
03:00Ils savent qu'il existe, ils le voient.
03:02Mais quand on commence à participer, à les fréquenter, notre fils va depuis toujours dans une institution.
03:10Il a toujours vécu avec nous.
03:11Il va le matin, il vient l'après-midi.
03:14Mais l'introduction qu'il nous a faite dans ce monde, c'est énorme.
03:22Je suis sûr que ça a une influence énorme dans ma photographie, dans tout ce qu'on fait, dans tout ce que notre comportement, même dans notre ideologie, la vie avec notre fils a mené à ça.
03:38Vous ne pouvez pas imaginer comme c'est énorme, quand il y a des réunions, des fêtes dans l'école de Rodrigo, de venir voir la différence qu'il y a entre les handicapés et le nombre de handicaps différents et la grande solidarité entre eux.
04:04Ce qu'on ressent quand on regarde les œuvres de Rodrigo dans ce parcours et dans ses créations, c'est qu'il est libre dans ses choix, qu'il a toujours été finalement animé par une seule chose, c'est le plaisir.
04:19Il semble presque dialoguer avec la peinture, finalement.
04:22Absolument.
04:23Rodrigo ne sait pas lire, il ne sait pas écrire, il ne sait pas parler.
04:28Donc, la peinture a venu du profond de lui-même et il est très heureux au moment qu'il peint, qu'il travaille et tous les moments des libres, tous les moments de sa vie,
04:47qui ce n'est pas pour s'alimenter ou pour faire des choses à l'école, il est à la peinture.
04:54Il a un plaisir énorme à le faire.
04:56C'est vrai qu'on parle de ce qu'il y a effectivement dans cette exposition qui vous est consacrée jusqu'au 1er juin, justement.
05:02Vous traitez de l'Amérique, les autres Amériques, donc l'Amérique latine notamment, qui est quand même l'endroit qui vous correspond le plus.
05:10Vous traitez de la main de l'homme, de l'exode, enfin des exodes, très exactement.
05:14Comment on gère l'impuissance, Sébastiao ?
05:17Parce que ce qu'on voit, ce sont des visages, des gens qui souffrent, une espèce de moment ou une forme de désespoir aussi.
05:29Presque la boîte noire que vous portez dans la main devient une source d'espoir de montrer au monde ce qui se passe.
05:35Comment on gère, dans ce travail que vous avez déjà effectué, l'impuissance de ne pas aider, de ne pas aller au-delà de la boîte noire ?
05:44Vous savez, j'ai été critiqué pour faire des images trop belles.
05:52Beaucoup de gens ont dit que je faisais l'esthétisme de la misère.
05:56Simplement parce que les gens que j'ai photographiés dans des situations difficiles, j'ai représenté leur dignité.
06:06La beauté, ce n'est pas un œil bleu, ce n'est pas une belle peau.
06:13La beauté, c'est la dignité déjà.
06:15Et ça, j'ai essayé avec mes images de capturer cette dignité.
06:22Vous savez, jamais on n'a critiqué les photos de Richard Avedon, d'Anne Leibovitz sur la partie riche de la planète.
06:31Jamais on n'a critiqué leurs lumières, leurs choix esthétiques, vous savez.
06:38Mais les autres ont droit aussi.
06:40Les autres ont droit parce que la planète est belle partout, la lumière est belle partout.
06:46Et la dignité des gens, elle existe, elle existe partout.
06:50La simple chose que j'ai essayé pendant toute ma vie, c'est de montrer aux gens une situation difficile, mais pas une situation misérable.
07:02Pour moi, la misère, ce n'est pas le manque de biens matériels.
07:07L'autre jour, dans le bâtiment qu'on a dans notre studio, une vieille dame est morte.
07:14Elle a disparu pendant une dizaine de jours, personne ne la retrouvait, quelqu'un a passé en face de sa porte.
07:21Il a eu un ODR différent, ils appellent les pompiers, ils la trouvaient, elle était morte depuis dix jours.
07:28Elle était morte dans la misère totale parce qu'elle n'avait personne, aucune communauté autour d'elle qui les protégeait.
07:36Et tous ces gens que j'ai photographiés, ils vivaient dans une communauté.
07:40Ils avaient un espoir. Ils étaient dans un mouvement d'un point vers l'autre.
07:47Ils se battaient pour la vie. Si un d'eux mourait, les autres plairaient pour eux.
07:52Et donc, ils n'étaient pas misérables. Pas du tout.
07:56Ça les manquait des biens matériels, mais ils n'étaient pas misérables.
08:02Et donc, c'est à peu près ça la photographie que j'ai faite pendant toute ma vie.
08:06C'est essayer de donner une image, peut-être même une voix à une partie de la population de cette planète
08:13qu'on ne considérera pas, mais qui est la majorité de la population de la planète.
08:20Les gens qui vivent comme on vit en France, comme on vit en Italie, en Allemagne, c'est la minorité de la planète.
08:25La grande majorité vit autrement.
08:27Au programme de l'exposition de Rodrigo, 80 peintures, 16 vitraux.
08:32Toutes et tous ont été réalisées à partir de ces œuvres avec l'atelier Simon-Marc.
08:38Et aussi à partir de quelques-unes de ces sculptures.
08:40C'est justement un regard sur la vie, sur la possibilité de vivre normalement
08:47et de prouver que la différence est très importante.
08:51Oui, la différence est très importante.
08:54Très, très importante.
08:55Et vous savez, il y a des leçons énormes qu'on prend avec la différence.
09:01Je me rappelle une fois que je travaillais sur un camp de réfugiés palestiniens au sud du Liban.
09:08Chaque fois que je montais ma caméra, j'avais un kalachnikov sur moi.
09:12C'était très difficile.
09:15Et un jour, passant quelqu'un, j'ai fait une photo, il vient, il me donne un bisou, une accolade.
09:21C'était un trisomique.
09:24Et là, j'ai vu que possiblement notre violence vient de notre combinaison de gènes.
09:32Les trisomiques, à la paire 21, ils ont trois gènes.
09:38Ce qui fait toute la différence.
09:40Mais ce qui les fait bon, Rodrigo, pour exemple, il n'a rien de mauvais.
09:45On peut l'engueuler, il vient, il vous donne un bisou.
09:49Il vous donne la main, il est bon.
09:53Tout le monde qui lui a un rapport, l'aime.
09:56Il a un allant dans ses centres qu'il fréquente, qu'on connaît tous les autres handicaps.
10:02Les handicapés sont bons.
10:04Ils sont des êtres humains différents.
10:06Mais il faut les respecter, il faut les donner un espace.
10:11Je suis sûr que si Rodrigo avait été né sans la trisonomie,
10:19il aurait été un grand peintre reconnu.
10:22Mais il est un peintre trisomique.
10:26Et je crois que c'est la première opportunité qu'il va avoir de montrer son travail.
10:30Et peut-être l'unique.
10:31Merci.
10:32Merci.

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