Brice Teinturier s'appuie sur les résultats d'un sondage effectué par son institut pour estimer le ministre de l'Intérieur mieux placé que son rival pour remporter l'élection interne à la présidence des Républicains.
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00:00France Info Soir, l'invité, Agathe Lambret.
00:05Bonsoir Brice Tinturier.
00:06Bonsoir.
00:07Vous êtes directeur délégué d'Ipsos France, enseignant à Sciences Po.
00:10Vous avez écrit « Plus rien à faire, plus rien à foutre, la vraie crise de la démocratie » chez Robert Laffont.
00:14On va parler de l'état d'esprit des Français, de François Bayrou et l'affaire Bétaram,
00:19de la tentative de comeback d'Emmanuel Macron.
00:21Mais d'abord les adhérents, les Républicains, votent ce week-end pour choisir leur nouveau président de parti.
00:26Deux candidats sont en lice, Bruno Retailleau et Laurent Wauquiez.
00:29Vous qui prenez tous les jours le pouls des Français, est-ce que vous avez un pronostic ?
00:34Alors oui, j'ai un pronostic, mais qui n'est pas étayé sur une mesure auprès des adhérents,
00:38puisqu'on ne peut pas interroger les adhérents.
00:41On interroge les Français, on interroge les sympathisants LR, les sympathisants de toute sensibilité.
00:46Pourquoi pas les adhérents ? Parce que vous n'avez pas la base de données, c'est ça ?
00:48Parce qu'on n'a pas la base de données, tout à fait.
00:50Mais d'abord les traits faibles en effectif aussi, et puis on n'a pas accès à cette base,
00:54on ne peut pas interroger les adhérents et donc mesurer des rapports de force entre Bruno Retailleau
00:59et Laurent Wauquiez.
01:01Mais pourquoi je pense malgré tout que Bruno Retailleau devrait l'emporter ?
01:06La question étant de savoir dans quelle proportion ?
01:09Pour une raison qui est assez simple, c'est que chez l'ensemble des Français
01:11et chez les sympathisants LR, ils l'emportent très massivement sur Laurent Wauquiez.
01:17Juste deux chiffres, quand vous leur demandez si vous soyez satisfait ou pas que Wauquiez ou Retailleau
01:24soient présidents de la République en 2027, 27% nous citent Retailleau en termes de satisfaction,
01:3212% Laurent Wauquiez.
01:34C'est un différentiel quand même de 15%.
01:35C'est absolument énorme, alors que c'est Laurent Wauquiez qui répète tous les jours qu'il a 2027 en tête.
01:39Tout à fait. Et chez les LR, c'est encore plus accentué.
01:4356% sont en faveur, les sympathisants LR sont en faveur de Bruno Retailleau
01:48et 32% en faveur de Laurent Wauquiez.
01:52Pour Laurent Wauquiez, c'est même un niveau inférieur à d'autres personnalités,
01:56Édouard Philippe ou Xavier Bertrand ou Gérald Darmanin.
02:01Donc on voit bien que Laurent Wauquiez a une difficulté, y compris au sein de sa propre famille politique.
02:07Et pour ensuite capter d'autres suffrages, j'ai envie de dire que c'est encore pire l'avance de Bruno Retailleau et d'autant plus forte.
02:12Donc si les adhérents, c'est ça que je voulais dire, résonnent en termes de capacité à l'emporter en 2027,
02:18la logique, c'est qu'indépendamment de leurs profondes convictions,
02:23de toute façon, tactiquement, ils devraient quand même aller plutôt sur Bruno Retailleau que sur Laurent Wauquiez.
02:28Parce qu'on a vu que souvent les primaires des partis, quand c'est les militants qui votent, les adhérents qui votent,
02:34ils sont en général assez polarisés, assez radicaux.
02:38Ils ne votent pas forcément pour les personnalités les plus consensuelles et les plus populaires.
02:42Mais là...
02:42C'est la croyance dominante, mais elle n'est pas tout à fait vraie, ou en tous les cas, ce n'est pas toujours le cas.
02:47Souvenez-vous de la primaire de la gauche avec François Hollande.
02:50Vous aviez des candidats plus à gauche, et c'est bien François Hollande qui, finalement, a été désigné.
02:55C'est vrai.
02:56On n'a pas toujours ce mécanisme.
02:58Il est très présent à l'esprit des analystes et responsables politiques.
03:03Mais non, on a de plus en plus l'émergence d'un vote stratégique, y compris chez les adhérents,
03:08qui peuvent se dire, je vote pour celui qui a le plus de chances de me ramener, de ramener mon camp à la victoire.
03:12Une sorte de vote utile.
03:15Ce que l'on retient quand même de tout ce que vous dites, c'est que l'image de Laurent Wauquiez est assez déplorable.
03:20Il y a un adjectif qui revient souvent pour le qualifier, c'est l'insincérité.
03:26Pourquoi il a ces problèmes d'image, et en particulier cette image d'homme qui n'est pas sincère ?
03:32Alors, il y a pu y avoir dans son parcours, notamment certaines déclarations dont il pensait qu'elle ne s'adressait qu'à ses étudiants,
03:41des éléments qui ont nourri en réalité...
03:432018, Laurent Wauquiez devant l'EM Lyon, et qui commence à dézinguer toute sa famille politique,
03:49Gérald Darmanin, Nicolas Sarkozy, et c'est enregistré.
03:51Mais donc, il y a des éléments comme cela.
03:53Il n'y a pas que ça.
03:54Il y a aussi le sentiment qui est un peu injuste, parce qu'en termes de ligne politique,
03:58Laurent Wauquiez n'a pas dévié depuis maintenant quasiment une quinzaine d'années,
04:02sur la question, entre guillemets, de l'assistanat, le régalien, l'immigration.
04:08Il laboure ses thèmes avec constance.
04:10Donc, on ne peut pas l'accuser de changer sur le fond de son corpus idéologique.
04:15En revanche, il est toujours perçu comme quelqu'un d'un sincère,
04:19qui, en réalité, ferait un peu de la politique uniquement sur ses intérêts.
04:24Il le ferait de manière un peu trop voyante, parfois, quand même.
04:28Ça se voit trop, ça se veut aimable, mais il y a un petit coup de jarnac.
04:31Et les Français décryptent ça.
04:33Et à l'inverse, Bruno Rotaillot, il a une image, justement, très différente.
04:37Oui, et d'ailleurs, il joue là-dessus.
04:38Lui, il a fait campagne sur son honnêteté, en fait.
04:40Il dit, moi, je suis le candidat de la droiture.
04:42Oui, et c'est comme ça qu'il est effectivement perçu, y compris à droite,
04:47sur le fond du programme.
04:48Il n'y a pas beaucoup de différence entre les deux.
04:50Donc, qu'est-ce qui joue ?
04:51Ce n'est pas deux droites très différentes ?
04:52Non, c'est la personnalité qui joue,
04:54et qui donne un avantage aujourd'hui à Bruno Rotaillot.
04:57Et c'est aussi la stratégie sur la participation au gouvernement.
05:01Mais vous voyez, ce qui peut donner le sentiment que Laurent Wauquiez n'est pas sincère,
05:03c'est qu'il dit aujourd'hui,
05:06bon, moi, je suis partisan d'autre chose pour avoir une parole libre.
05:10Mais si véritablement ça a entravé l'action des LR que d'avoir des ministres au gouvernement,
05:16il ne fallait pas y aller du tout.
05:17Et c'est ça qui donne le sentiment un peu d'un double langage,
05:20et qui colle à la peau de Laurent Wauquiez.
05:22Il y a huit ministres à l'air au gouvernement,
05:23et un Laurent Wauquiez qui m'a terminé les soirs dénigre ce gouvernement.
05:26Il évoque le duo et la complémentarité.
05:29Mais s'il y a duo et complémentarité,
05:31c'est donc qu'il y a aussi intérêt à être au gouvernement.
05:33Donc, sans raisonnement en disant, moi, je suis beaucoup plus libre,
05:36puisque je ne suis pas au gouvernement,
05:38il est quand même perçu comme très tactique, voire tacticien,
05:41et sur une élection là où il est partie prenante.
05:45C'est ça qui donne ce sentiment d'insincérité très souvent.
05:48Alors que Bruno Rotaillot, un peu comme François Fillon à l'époque,
05:50j'ai envie de dire, a cette image d'homme sincère.
05:53Bruno Rotaillot qui était un homme de l'ombre, qui a émergé.
05:56Est-ce que ça vous a surpris ?
05:59Oui, bien sûr. Il faut être honnête.
06:01On ne s'y attendait pas.
06:01On ne s'attendait pas à ce qu'il y ait une percée aussi rapide,
06:04aussi forte dans l'opinion de Bruno Rotaillot.
06:08C'est dû évidemment à ses fonctions de ministre de l'Intérieur.
06:11La fonction est propice à une grande visibilité,
06:14répond quand même à des sujets qui restent majeurs pour les Français.
06:17Donc, il était à la bonne place.
06:19Mais il ne suffit pas d'être à la bonne place.
06:21Il faut aussi incarner correctement cette fonction.
06:23Et là, Bruno Rotaillot, jusqu'à aujourd'hui en tous les cas,
06:26l'incarne bien aux yeux des Français.
06:28Il est le ministre le plus apprécié.
06:31Ça se joue dans un mouchoir de poche avec Darmanin.
06:34Mais il est véritablement en tête.
06:36Laurent Wauquiez a fait une campagne assez agressive.
06:39Il était tous les soirs en déplacement,
06:41à pilonner le gouvernement
06:43et à proposer des choses très cash.
06:47Par exemple, envoyer les OQTF à Saint-Pierre-et-Miquelon.
06:51La classe politique, les médias se sont moqués de Laurent Wauquiez.
06:55Mais les Français, l'opinion de droite,
06:58est-ce qu'il ne fait pas vibrer la corde sensible ?
06:59Il fait vibrer une corde sensible dans une partie,
07:04vous avez raison, du peuple de droite.
07:06Mais il y a malgré tout un côté excessif
07:10sur certaines propositions, typiquement celles-là.
07:13Et surtout, qui apparaît comme une proposition
07:15où éventuellement des sympathisants LR seront d'accord sur le fond,
07:19se diront pourquoi pas.
07:20Mais se disent quand même, ils dégainent ça uniquement
07:22parce que c'est une élection interne
07:25et qu'il essaye de radicaliser son propos
07:27pour nous faire voter pour lui.
07:28Et j'ai envie de dire, la ficelle est un peu trop grosse.
07:31Y compris auprès des adhérents.
07:33Même auprès des adhérents, selon vous.
07:35Emmanuel Macron a tenté un retour cette semaine.
07:40Près de 6 millions de téléspectateurs l'ont regardé mardi soir sur TF1.
07:44La presse a été très dure sur sa prestation.
07:46On y a vu une sorte de consécration de l'impuissance
07:49du président qui n'a plus la carte en main.
07:51Et vous, est-ce que vous trouvez que sa tentative de comeback
07:54est plutôt réussie ou plutôt ratée ?
07:57Non, je ne pense pas qu'elle soit réussie.
07:59Je ne m'attends pas du tout à ce qu'il y ait des évolutions fortes
08:01auprès de l'ensemble des Français.
08:02Ni à la hausse, ni à la baisse d'ailleurs.
08:05Je ne suis pas sûr que ça les ait à ce point passionnés.
08:08Le président est dans son rôle malgré tout
08:10quand il cherche à expliquer ce qu'il a fait
08:13ou ce qu'il voudrait que l'on fasse.
08:15On ne peut pas lui reprocher ça.
08:16Mais arriver sur une grande émission,
08:18donc faire monter quand même l'attention et les attentes
08:20pour finalement n'avoir aucune annonce précise.
08:24Les attentes sur le référendum notamment ?
08:26Ou sur d'autres sujets,
08:28mais qu'il n'est pas en mesure de proposer
08:30puisqu'il n'y a plus de majorité
08:31et les Français l'ont bien compris à l'Assemblée.
08:35Donc là, déjà, l'exercice est extraordinairement contraint et limité.
08:39Et si en plus, sur le seul élément, vous avez raison,
08:41quand on pensait qu'il allait y avoir des annonces,
08:43le référendum, ça se termine par quelque chose
08:45où il n'y a pas d'annonce de référendum,
08:46eh bien, c'est très déceptif.
08:49Alors qu'il y a une aspiration des Français à être consultés ?
08:52Bien sûr, extrêmement forte.
08:53Ça, on l'avait mesuré déjà il y a longtemps.
08:55Sur toute une série de sujets,
08:56les Français souhaitent être consultés par référendum.
08:58A fortiori, quand ils ont le sentiment
09:00qu'à l'Assemblée, justement,
09:02compte tenu de la polarisation et de la fragmentation,
09:05les décisions ne se prennent pas,
09:06ou trop lentement,
09:07ils souhaitent être consultés directement par référendum
09:10et sur de très nombreux sujets,
09:12la fin de vie, des sujets économiques,
09:14que ce soit dans le champ de la Constitution ou pas,
09:17l'immigration aussi.
09:18Donc oui, les Français souhaitent ardemment
09:20être davantage consultés.
09:22Comment il est perçu Emmanuel Macron aujourd'hui ?
09:23Est-ce que la dissolution est pardonnée ?
09:26Je pense que la dissolution,
09:27qui avait cassé quelque chose extrêmement fortement,
09:30non seulement auprès de l'ensemble des Français,
09:31mais dans son propre camp,
09:33c'est quelque chose qui s'atténue un petit peu aujourd'hui,
09:36parce que la scène internationale a permis au Président
09:38de revenir avec,
09:40non seulement de la visibilité,
09:42mais une certaine crédibilité.
09:43Et là, les Français ont retrouvé un Emmanuel Macron,
09:46un peu comme en 2022,
09:47qui était capable d'affronter des crises graves,
09:49l'Ukraine évidemment,
09:51et d'autres crises graves.
09:52Maintenant, une fois qu'on a dit ça,
09:54il est malgré tout extrêmement limité dans son action.
09:58Alors, il existe un bloc central,
10:00toujours,
10:00qui est dans la nostalgie du Macron de 2017.
10:03Ça n'a pas disparu, cela.
10:04Celui de la lutte contre l'assignation à résidence ?
10:07Tout à fait,
10:07d'une autre manière annoncée,
10:09en tous les cas,
10:10de faire de la politique,
10:11en prenant des personnalités de la société civile,
10:13de la gauche, de la droite, etc.
10:15Il y a toujours cette espèce de nostalgie
10:18de quelqu'un qui voulait essayer autre chose.
10:20Mais il y a énormément de déceptions.
10:22Donc, dans son bloc,
10:23il y a encore quelque chose,
10:25un lien qui relie ses électeurs à Emmanuel Macron.
10:29En dehors de ce bloc,
10:30c'est évidemment la colère,
10:32ou la déception,
10:32ou la critique qui l'emporte très massivement.
10:34Vous pensez que les Français auront envie de quoi,
10:36après deux quinquennats,
10:38d'un président comme Emmanuel Macron,
10:39jeune président disruptif au départ ?
10:42Très bonne et très difficile question.
10:44Les Français ont toujours envie de changement,
10:47parce que les Français sont mécontents.
10:48Donc, la thématique du changement,
10:50elle est évidemment toujours présente.
10:53Ils ont toujours aussi envie d'une espérance.
10:55On ne gagne pas une élection dans ce pays,
10:57en promettant du sang et des larmes.
10:59Donc, il faut être capable de porter une espérance.
11:01Donc, pas un programme à la François Fillon en 2017,
11:04ou à l'Édouard Philippe.
11:06Et en termes d'incarnation,
11:08je crois que c'est le sens de votre question,
11:10je ne suis pas sûr qu'après Emmanuel Macron,
11:12ils voudront à nouveau une rupture dans les codes.
11:16Il y a aussi une aspiration à un peu d'apaisement,
11:19à quelqu'un qui serait solide, mature,
11:23donc pas forcément quelqu'un qui viendrait en faisant irruption,
11:27et dont on ne saurait pas qui il est.
11:29Mais je pense à tout ce qui circule...
11:30Ou sur Cyril Hanouda, par exemple,
11:32ou une candidature à la Coluche en 1980.
11:34Je ne crois pas du tout.
11:35Je pense que les Français,
11:36quand ils donnent, j'ai envie de dire,
11:38les clés du pays au président de la République,
11:40compte tenu des pouvoirs dans ce pays,
11:41assignés ou conférés au président de la République,
11:44font quand même très attention.
11:46Il y a des demandes qui restent importantes.
11:49Il faut que la personnalité soit crédible,
11:52qu'elle soit jugée comme capable de rassembler,
11:55malgré tout, un minimum.
11:56Ils ont quand même une haute idée de la fonction.
11:58Ils ne veulent pas un président normal.
11:59Exactement.
12:00Donc ce n'est ni un président normal,
12:02c'est souvent un président disruptif.
12:04Nicolas Sarkozy était assez disruptif.
12:06Emmanuel Macron l'était totalement.
12:08Mais après le chaos et le rapport au monde
12:13marqué par une anxiété très forte
12:15compte tenu des dangers qu'il y a dans le monde,
12:17je crois qu'ils vaudront une figure
12:18beaucoup plus protectrice,
12:19beaucoup plus rassurante.
12:20La demande fondamentale de ce pays,
12:22c'est une demande de protection,
12:24parce qu'il y a un sentiment de vulnérabilité
12:25qui est extrême.
12:26Vous voyez quelqu'un qui incarne ça aujourd'hui ?
12:31Dans ce pays, il n'y a personne qui fédère
12:33aujourd'hui en tous les cas
12:35plus de 35% des Français derrière lui.
12:37Ceux qui sont les plus à même de le faire aujourd'hui,
12:40ce sont les candidats du Rassemblement National,
12:42Marine Le Pen et Jordan Mardella.
12:44Vous avez Édouard Philippe,
12:46peut-être demain Bruno Retailleau.
12:48Et on verra en termes d'incarnation
12:50qui à gauche peut éventuellement émerger.
12:52Mais toute la difficulté,
12:53c'est qu'effectivement,
12:54aucune figure ne s'impose.
12:55Merci beaucoup Bristin Thuriot,
12:57directeur délégué d'Ipsos France,
12:59d'avoir répondu à France Info.
13:01Et merci Agathe Lambret.
13:01Retour de l'invité politique lundi à 18h30.