Xerfi Canal a reçu Laurent Bibard, professeur, responsable de la filière management et philosophie à l’ESSEC Business School, pour parler de la crise du sens en gestion.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Laurent Vivard. Bonjour Philippe. Laurent Vivard vous êtes professeur responsable de la
00:13filière management et philosophie à l'ESSEC Business School, auteur dans l'ouvrage dirigé
00:18par François Demare et Jean-Paul Dumont consacré à Georges Bataille, un regard critique sur la
00:23gestion avec l'œil de Georges Bataille, d'un chapitre bataille lecteur de Kojève. Ça vole haut,
00:30bataille lecteur de Kojève. J'ai envie brutalement de dire la prise de parole de Laurent Vivard dans
00:38cet ouvrage, c'est d'abord une sorte de coup de poing, c'est-à-dire qu'on est face à une crise du
00:44sens aujourd'hui. Tout le monde a en tête Fukuyama qui nous annonçait la fin de l'histoire. Vous
00:50prenez la fin de l'histoire, mais à la lumière de Kojève, analysant Hegel. C'est ça ? Oui,
00:56tout à fait. Et ce qu'a fait Bataille. Ce qu'a fait Bataille parce que Bataille a participé à...
01:01Kojève est devenu célèbre lors d'un séminaire qu'il a donné sur la phénoménologie de l'esprit
01:06de Hegel de 1933 à 1939. Bataille a participé au séminaire, il a été stupéfait de la puissance
01:14d'interprétation de Hegel par Kojève et en particulier autour de deux choses. La question
01:20de la finitude est ce que Kojève a appelé la fin de l'histoire. Et qu'est-ce qu'il appelle avec
01:26Hegel la fin de l'histoire que Fukuyama a repris, mais en le vulgarisant autrement. Le plan de
01:31discussion de Fukuyama n'est pas celui de Kojève. Ce que Kojève dit en gros, c'est l'histoire est
01:38finie parce qu'on a explicité pour la première fois, il y a à peu près 200 ans, les conditions d'un
01:44état de droit. Et qu'est-ce que c'est que l'état de droit au sens de Kojève ? C'est les conditions
01:49politiques de reconnaissance universelle de l'irréductible individualité de chacune et
01:56chacun. Alors évidemment, aujourd'hui, ça prend un sens particulier parce que beaucoup
02:01nous disent en fait le droit international s'est terminé, etc. Revenir à ce débat et
02:08ces fondamentaux entre Bataille et Kojève, c'est bigrement intéressant.
02:12Ça permet de revenir à quelque chose, une expression de bataille qui est assez intéressante.
02:18D'abord, pour souligner combien Kojève était quelqu'un de concret, il a travaillé à la
02:22direction des relations économiques extérieures en France pendant à peu près 20 ans. Il a
02:28contribué aux accords du GATT, il a écrit nombre de contributions administratives pour
02:34servir la France dans la construction européenne. Il est mort en pleine réunion des communautés
02:39européennes à Bruxelles. Donc, il avait un sens de l'action extrêmement concret. Maintenant,
02:44qu'est-ce qu'il en est de cette fin de l'histoire ? Bataille le sent très bien. Bataille comprend
02:49ce que dit Kojève et adhère. C'est surprenant. Mais il dit en effet, l'histoire est finie.
02:55Alors, l'histoire, elle est adossée au désir de reconnaissance. Je ne rentre pas dans le
02:59détail, mais ce que Kojève appelle négativité. Nous nions le donner pour nous reconnaître les
03:04uns les autres. Et Bataille dit, moi, j'ai envie de nier le donner, mais tout est déjà fait. Et du
03:10coup, il dit, je suis une négativité sans emploi. En gros, une négativité au chômage. Et ça le
03:16scandalise. Il apprécie Kojève, n'est-ce pas ? C'est dans une tension à la fois joueuse et sérieuse
03:23avec Kojève qui le dit ça. Il dit, je suis une négativité sans emploi et rien que ma révolte est
03:29déjà une réfutation en quelque sorte du fait que tout est aboli. Bien sûr. D'ailleurs, l'idée que tout
03:35est aboli, il y a l'idée aussi que les individus deviennent quelque part, disparaissent presque dans
03:41leur singularité. C'est ça ? Ils deviennent gérables comme des choses. Alors ça, ce serait le côté
03:46catastrophique de l'administration des choses au détriment de l'existence des humains. Non pas de la domination
03:52de l'homme par l'homme, comme aurait dit Marx, mais de l'existence d'une véritable humanité. Mais ce que
03:57Kojève dit, c'est quand l'histoire est finie, la négativité reste là et ça peut aller très loin,
04:03ajoute-t-il. On peut aller jusqu'à mourir rien que par panache. Un prof de philo de Paris-Sorbonne,
04:11feu Bernard Bourgeois, spécialiste de Hegel, disait on est à une époque en effet sans doute, en un certain
04:18sens post-historique, parce que même quand on se révolte jusqu'à aller au crime, ce sont des coups.
04:24Ça n'a plus le sens de favoriser l'avènement d'un état de droit. Ce sont des coups et on peut dire
04:32que même ce qui se passe maintenant, y compris du côté américain, c'est peut-être simplement des coups
04:38qui servent toujours le désir de reconnaissance. Mais on peut se dire tout est déjà joué au sens où nous
04:44savons que si nous nous battons vraiment, c'est pour qu'on respecte chacune et chacun et non pas
04:49l'inverse. Un regard critique sur la gestion avec l'œil de Georges Bataille, un formidable appel à la
04:55liberté. Merci Laurent Vibard. Merci.