Xerfi Canal a reçu Laurent Bibard, professeur en management, responsable de la filière management et philosophie à l’ESSEC, pour parler de la gestion et la décision dans la complexité.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.
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00:00Bonjour Laurent Bibard, vous êtes professeur de management à l'ESSEC Business School. Vous êtes
00:15responsable de la filière management et philosophie. Ce que vous avez une caractéristique c'est que
00:19vous êtes habilité à diriger la recherche dans les deux disciplines, management et philosophie.
00:23Vivre dans un monde complexe, Alice au pays des incertitudes. Voilà le grand retour d'Alice.
00:29Vivre dans un monde complexe, je vous lance tout de suite, c'est une erreur classique traditionnelle
00:36que l'on fait, c'est qu'on pense parfois qu'on pourrait gérer la complexité. Or non,
00:40on ne gère pas la complexité, on agit, on décide dans la complexité et donc on vit dans un monde
00:48complexe. Une des caractéristiques essentielles de la complexité si on y fait bien attention c'est
00:54l'incertitude, c'est à dire quelque chose qu'on ne contrôle pas mais quelque chose qu'on peut
00:58recevoir, reconnaître et avec quoi on peut jouer. Quand on formule gérer la complexité c'est comme
01:06si on pouvait contrôler la complexité et du coup contrôler l'incertitude, ça c'est pas possible.
01:11Donc on tente de contrôler certaines choses dans un contexte dont on reconnaît le caractère
01:17incertain. Ça n'a aucun sens et pourtant certains pensent qu'on pourrait raisonner sur la
01:23complication, c'est à dire le fait de découper, voilà, et là vous nous dites attention, back to
01:29basics, ça complexe n'est pas compliqué. Alors là c'est assez rigolo parce qu'il faut bien avoir à
01:35l'esprit que ce qui est compliqué c'est tout simplement, et je forme une expérience ici, ce
01:40qui est plié. Et quand on explique quelque chose de compliqué, on le déplie. Vous prenez un
01:47avion qui semble complexe, ça n'est en fait que compliqué même si c'est très compliqué. Et quand
01:52on révise un avion tous les dix ans, on l'explique, on le déplie complètement, on vérifie les pièces
01:58qu'il faut éventuellement changer, on le replie et ils volent à nouveau. C'est réversible. Alors
02:03que la complexité renvoie à l'idée de complexus en latin, c'est un tissu et quand on déchire un
02:09tissu on peut pas le refaire, il y a irréversibilité. Donc ce qui est complexe est beaucoup plus profond
02:16et exigeant en un sens que ce qui est simplement compliqué. Ce qui est simplement compliqué peut
02:21être difficile, mais c'est réversible. Comme quand on joue, on dit pousse et on retourne en arrière,
02:26on peut interrompre le temps. Dans la complexité, non. On peut pas interrompre le temps, il faut
02:31penser la durée dans la complexité. Et comme un fleuve qui coule. Comme un fleuve qui coule,
02:35évidemment. La philosophie chinoise nous enseigne beaucoup de choses de ce point de vue là.
02:39Absolument. Alors évidemment, la question qui intéresse les dirigeants, les managers, c'est
02:44comment on gère et on décide dans la complexité. Et là vous nous dites, il faut penser simplicité.
02:49Qui n'est pas le simplisme, je le dis tout de suite. Ah, ça n'est surtout pas le simplisme. Le
02:56simplisme, ça revient à fantasmer qu'on pourrait éradiquer la complexité. Et il n'y a rien de plus
03:03dangereux que ça, ça se voit sur tous les plans, dont le plan politique auquel on reviendra peut-être
03:06tout à l'heure. Mais en revanche, dans un monde complexe, il y a toujours du simple. Et le simple
03:13est toujours fait de compétences qu'on a déjà, de choses que nous savons déjà faire. Nous avons
03:20trop peu conscience que nous savons faire des tonnes de choses. Et que ça peut nous aider
03:25infiniment à évoluer dans l'incertitude. Ça peut paraître paradoxal, mais c'est un peu comme si ce
03:32que nous savons déjà faire était un sol. Et tant que le monde ne se détruit pas complètement,
03:37au point de devenir, comme l'étymologie pourrait le dire, immonde, tant que le monde reste monde,
03:42il y a toujours un sol. Et même si le monde est complexe, il y a aussi un sol simple, fait de nos
03:48compétences, de choses que nous savons déjà mettre à l'oeuvre. Paradoxalement, ça veut dire aussi
03:53retrouver un peu un regard d'enfant, c'est-à-dire imaginer, penser par analogie, typiquement, ça fait
03:59partie de ces moyens d'agir et de décider dans l'incertitude. Et c'est un des efforts considérables
04:04de la philosophie depuis deux siècles, de tenter de retourner, comme l'a dit le très grand philosophe
04:08Allemand Husserl, à la chose même. Il faut qu'on reprenne contact avec la présence simple des
04:14choses. Et quel meilleur poète que les enfants, en effet, comme vous le dites.
04:18Vivre dans un monde complexe, Alice au pays des incertitudes, édition de l'Aube.
04:23Merci Laurent Bollegard.
04:24Merci.