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  • il y a 3 jours
Xerfi Canal a reçu Laurent Bibard, professeur, responsable de la filière management et philosophie à l’ESSEC Business School, pour parler de la gestion du sens et de l'existence.
Une interview menée par Jean-Philippe Denis.

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Transcription
00:00Bonjour Laurent Bibard, professeur à ESSEC Business School, vous êtes responsable de la filière management et philosophie.
00:16Je vais lire quelques lignes de l'ouvrage consacré à Georges Bataille,
00:20« Regards critiques sur la gestion avec l'œil de Georges Bataille », coordonné par François Demarque et Jean-Paul Dumont, auxquels vous avez contribué.
00:26« Autrement dit, la vie et l'œuvre de Georges Bataille représentent pour le management, un point singulier extérieur, une révolte fondamentale contre les évidences de la gestion,
00:38de nos jours enfoncés dans une léthargie profonde, ou en tout cas un égarement profond eu égard à la question du sens. »
00:48Vous n'y allez pas de ma morte là ?
00:49Il y a un très ancien moment dans l'histoire de la philosophie politique en Occident, c'est dans la République de Platon,
01:01et à un moment donné, Socrate décrit ce que serait une cité juste.
01:05Et au grand scandale d'un de ses interlocuteurs, un des frères de Platon, d'ailleurs Glocon, qui soudain dit à Socrate,
01:14« Mais enfin Socrate, ta cité, elle n'est pas mieux qu'une cité de pourceaux. »
01:20Et de quoi s'agit-il dans la cité de pourceaux ?
01:22Eh bien ce sont des gens qui vivent de manière modérée, pondérée, tempérée, qui se nourrissent juste ce qu'il faut,
01:29et qui ressemblent au fond à des animaux.
01:31Et Socrate réagit en disant « Mais tu as parfaitement raison Glocon, ajoutons, »
01:36et les mots sont les miens cette fois-ci, pas ceux de Platon, « ajoutons de l'inutile ».
01:41Et avec l'inutile vient évidemment la notion de luxe, ce qui ne sert à rien.
01:47Éventuellement, ce qui est clair, parce que derrière le luxe, il y aura la notion de l'art et des écarts par rapport à l'utile,
01:54et malheureusement, avec le luxe, l'inutile et l'art vient la guerre, parce que viendront les convoitises.
02:01Et donc l'enclenchement du sens passe par le délabrement de la paix au profit de la guerre, tout autant que de la lumière, du luxe.
02:11Et ça, ça signale quoi ? Ça signale que nous aurions, comme cité des pourceaux, une cité parvenue à notre époque,
02:21c'était ce dont on a rêvé, à ce que Marx appelait l'administration des choses.
02:26Il n'y aurait plus de lutte. La lutte, c'est malheureusement la guerre.
02:29Il n'y aurait plus de lutte, plus de domination de l'homme par l'homme, au sens générique du terme,
02:33mais il y aurait l'administration des choses et nous ronronnerions.
02:37Et Marx dit d'ailleurs, on irait le matin à la pêche, l'après-midi on ferait un peu de philo,
02:42le soir on ferait du sport, dans la soirée on écouterait de la musique.
02:46Et Léo Strauss observe, mais tout ça serait équivalent, il n'y aurait pas de sens plus haut, par exemple,
02:53à la pensée ou à l'art que d'aller à la pêche ou de faire du sport.
02:56Et donc, il y aurait une espèce d'étalement absurde de nos activités.
03:01Et je crois que quand on est trop longtemps en paix, ça n'est pas, mon propos, une revendication pour la guerre.
03:08Mais la paix, elle endort.
03:11Jacques Brel dit dans la chanson « Les vieux amants »,
03:14mais n'est-ce pas le pire piège que vivre en paix pour des amants ?
03:17Eh bien, nous savons toutes et tous que nous nous assoupissons dans nos zones de confort
03:21quand nous ne sommes pas bousculés.
03:23Eh bien, la fin de l'histoire au sens de Kojève,
03:26c'est-à-dire l'idée qu'il y a un État de droit et on est parvenu à cette idée-là et il faut le réaliser,
03:33ça a plein de sens, mais si c'est de l'assoupissement mondial dont il s'agirait, ça n'a pas de sens.
03:38Et bataille s'insurge contre l'assoupissement et la seule administration des choses.
03:43D'où son goût de l'excès, de la pensée de l'économie comme une dépense excessive,
03:49d'où son goût de l'érotisme qui va jusqu'au goût macabre de la mort
03:53et d'où une tension colossale dans la pensée de bataille,
03:57comme une opposition révoltée existentielle à la réalisation du sens
04:02qui peut s'exprimer comme la pure et simple administration des choses.
04:07C'est passionnant.
04:08Évidemment, j'ai envie de dire, ça fait écho, ça fait écho aujourd'hui au monde dans lequel nous vivons
04:14et au retour des passions, au retour des passions.
04:17Les existences reprennent le dessus, c'est très bataillant le monde aujourd'hui.
04:22On peut craindre, on peut craindre que les impérialismes de tous les côtés
04:26soient une expression, au fond, en un certain sens,
04:30d'une forme de dépense excessive lisible à partir de batailles.
04:34Tout à fait.
04:36C'est dans la spécificité du regard bataillain.
04:39Le chapitre s'intitule « Bataille, lecteur de Cogev ».
04:41Merci à vous, Laurent Bibard.
04:42Sous-titrage Société Radio-Canada
04:49Sous-titrage Société Radio-Canada

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