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En janvier 2024, 1973 entreprises à mission étaient référencées en France, représentant un million de salariés. Ont-elles un rôle politique ? Quel est l’impact de ce statut sur leur attractivité et leur compétitivité ? Quelle est leur influence dans leur secteur ? Pourquoi ne sont-elles pas plus nombreuses ? Comment repérer le social washing ? Directrice générale de la communauté des entreprises à mission, Valérie Brisac répond à ces questions dans un grand entretien.

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Transcription
00:00Prête pour l'impact, c'est la question que je pose chaque semaine à une personnalité qui compte dans notre économie aujourd'hui, c'est Valérie Brissac, bonjour.
00:12Bonjour Thomas.
00:13Bienvenue, vous êtes la directrice générale de la Communauté des entreprises à mission. On va commencer, on a 25 minutes d'entretien, mais par la base, rappelez ce qu'est cette communauté qui a été créée je crois en 2018.
00:26Exactement, c'est une association d'intérêt général qui a été créée par les pionniers du modèle, donc à la fois des entrepreneurs comme Emery Jaquia, Lagamif ou Laurence Meignerie, Citizen Capital, et des chercheurs, des mines, qui étaient à l'origine du concept de l'entreprise à mission.
00:42Pourquoi cette association ? L'idée c'est vraiment de promouvoir ce modèle, mais aussi de créer une forme de maison commune pour les dirigeants, les entreprises qui s'interrogent sur le fait de devenir à mission ou qui le sont déjà, pour créer une forme de partage, de retour d'expérience et aussi de créer des événements pour parler de ce modèle.
01:04On a aussi un observatoire qui est en fait la mesure officielle en France du nombre d'entreprises à mission et on réalise un certain nombre de documents aussi qui permettent d'expliciter comment devenir entreprise à mission.
01:16Oui, parce que l'objectif c'est que le mouvement grandisse le plus possible. Est-ce que c'est lié à la loi Pacte qui traite de beaucoup de thématiques mais qui notamment offre aux entreprises la possibilité de définir leur raison d'être puis de l'inscrire dans leur statut ? C'est pour ça aussi que la communauté s'est créée ?
01:36Ah oui, tout à fait. Les entreprises engagées n'ont pas attendu la loi Pacte pour être engagées. Il y avait déjà beaucoup d'initiatives, de mouvements, d'entreprises qui ont créé plein de projets. Mais vraiment cette loi Pacte a introduit une innovation juridique qui est cette mission finalement que l'on vient inscrire dans ses statuts et qui vient engager toute la gouvernance.
01:56Donc ça c'est vraiment la phase principale. On peut dire qu'on parle d'une entreprise qui fait de la politique mais au sens étymologique du terme, c'est-à-dire qui s'engage dans la cité et qui s'engage pour les citoyens. Il y a aussi cet objectif ?
02:12C'est exactement ça en fait. Nous la communauté, notre conviction c'est effectivement que face aux enjeux du 21e siècle, l'entreprise est finalement un outil qui a les moyens, l'agilité, l'énergie et en fait ce génie humain du collectif de répondre à des problématiques. Mais donc effectivement que cette idée que l'entreprise est un objet politique est absolument centrale.
02:38En fait on s'oppose finalement à une vision plus années 80 ou 20e siècle où l'entreprise n'avait pas forcément de responsabilité vis-à-vis de la société, un peu hors sol, je délocalise, j'importe partout etc. Et là en fait non, c'est vraiment cette espèce de passage à la maturité où l'entreprise a vraiment conscience qu'elle a des impacts, qu'elle a un enjeu, qu'elle travaille avec des hommes, qu'elle utilise des matières et que donc à ce titre elle a des devoirs vis-à-vis de la société.
03:06– Et est-ce qu'en faisant de la politique on s'expose plus aux critiques ? Même cette façon de faire de la politique, vous voyez ce que je veux dire ? Parce qu'il y a, on en parlait juste avant que l'émission démarre, il y a quand même un vent un peu contraire sur les enjeux de transformation environnementale et sociétale, il vient des États-Unis mais pas seulement, on voit au niveau européen que le Green Deal est potentiellement un peu détricoté, que le bilan extra-financier, la CSRD, la Commission de l'Économie et de l'Agriculture,
03:36il y a quand même beaucoup de voix qui s'élèvent pour freiner, simplifier, peut-être qu'il faut un peu simplifier, freiner ou pour certains, stopper.
03:44Est-ce que quand on est chef d'entreprise, qu'on fait prendre ce virage avec un engagement de société à mission, de temps en temps on s'expose plus aux critiques ?
03:54Est-ce qu'il y a une part de risque d'une certaine façon ?
03:57– Mais pour moi le risque c'est justement de ne rien faire.
04:00– Je suis d'accord avec vous mais bon…
04:02– En fait déjà il y a un principe de réalité, c'est que toutes ces crises, qu'elles soient sociétales ou écologiques, de toute façon vont impacter l'entreprise.
04:09Donc soit on les anticipe, on les analyse, on se demande quels vont être les impacts sur soi-même et on essaye aussi de corriger ces impacts.
04:17Et donc quelque part on est un peu en avance de phase par rapport à des concurrents qui eux ne réalisent pas ça.
04:22Mais aussi vis-à-vis de la société, une entreprise qui ne se pose absolument aucune question, en fait c'est là où la critique va jaillir.
04:31Donc on peut avoir une vision entre guillemets court-termiste, effectivement c'est plus simple de ne pas se poser de questions,
04:36de ne pas rendre compte, de ne pas avoir de projet.
04:38Mais si on résonne sur le long terme finalement, c'est qu'est-ce que l'entreprise fait pour aussi assurer sa propre pérennité ?
04:45C'est quand même ça le sujet aussi, au-delà du rôle politique que l'entreprise peut avoir,
04:49c'est en quelle mesure elle sera encore là dans 5 ans, 10 ans, etc.
04:54– Vous êtes devenu directrice générale de cette communauté des entreprises à mission en septembre 2023,
05:00avec quelle idée, quelle ambition ?
05:03– L'ambition c'est de poursuivre ce projet de la communauté,
05:07donc de faire en sorte que devenir entreprise à mission ça devienne finalement la norme.
05:11Et on voit aujourd'hui on a 2000 entreprises qui sont à mission.
05:15– 1973 !
05:16– Exactement, vous avez lu le compteur ce matin, ça représente 1 million de salariés,
05:20donc c'est vraiment quelque chose qui est assez considérable.
05:25Et donc mon mandat c'est de continuer à promouvoir ce modèle,
05:30parce qu'il y a beaucoup de gens qui ne le connaissent pas, et surtout de montrer que ça marche.
05:35C'est ça aussi l'enjeu, c'est que c'est pas juste un choix parmi d'autres modèles,
05:40c'est qu'on a plein d'exemples d'entreprises qui sont devenues entreprises à mission
05:44ou qui se sont créées nativement à mission,
05:46puisque chaque année dans les promos, il y a à peu près un tiers d'entreprises qui sont créées à mission.
05:52Donc ça prouve que c'est dans la tête des dirigeants, des entrepreneurs,
05:55c'est le modèle du 21e siècle.
05:57– On va revoir ces chiffres que vous avez donnés,
05:591973 entreprises à mission référencées,
06:011 million de salariés qui travaillent aujourd'hui dans une société à mission,
06:05ça change quoi pour ces salariés ?
06:08– Ça change qu'il y a un deal en fait, il y a une promesse, il y a un projet.
06:13C'est-à-dire qu'une entreprise qui devient à mission,
06:16elle dit clairement à la société et donc évidemment à ses salariés ce à quoi elle contribue.
06:21La problématique qu'elle se propose de résoudre.
06:24Et donc ce n'est pas uniquement de proposer des produits et des services,
06:26c'est de résoudre un problème.
06:28Et donc le rapport au travail n'est pas du tout le même,
06:31vous ne vendez pas des produits, vous contribuez à résoudre un problème.
06:34Et donc c'est exactement ce que cherchent les jeunes aujourd'hui,
06:37et d'ailleurs aussi les moins jeunes.
06:38– Mais est-ce que vous…
06:40si on commence à avoir 5-6 ans de recul,
06:44est-ce que les entreprises à mission ont plus de facilité à recruter,
06:47à fidéliser leurs talents,
06:50justement parce qu'il y a un sens donné à l'action commune ?
06:55– Ah mais ça c'est évident, c'est ce que tous nos membres…
06:57– Ce n'est pas juste intuitif ?
06:58– Ah non, non, non, on a des retours.
07:00Alors évidemment, chaque mission étant spécifique,
07:02on ne peut pas avoir le chiffre 80% des salariés pensent que…
07:07En revanche, on a des retours d'expérience entreprise par entreprise
07:11qui prouvent que depuis que les entreprises sont à mission,
07:14elles ont plus, elles reçoivent plus de candidatures spontanées,
07:16elles ont moins d'absentéisme, plus de fidélité,
07:19voire c'est un plus pour recruter des dirigeants.
07:22Quand on est chassé pour être CEO pour une entreprise à mission,
07:25c'est plus attractif qu'une entreprise classique.
07:28– Oui, à tous les niveaux de l'entreprise.
07:31Il y a aussi des entreprises qui font du social washing, ça existe.
07:34On ne va pas se leurrer.
07:36Est-ce que vous, vous vérifiez ça d'une certaine façon ?
07:39C'est-à-dire une entreprise qui se déclare à mission
07:42et puis qui en fait ne tient pas exactement sa feuille de route ?
07:46Est-ce qu'elle a inscrit dans ses statuts ?
07:47– Justement, c'est le principe du modèle de l'entreprise à mission,
07:50c'est d'allier la liberté et la responsabilité.
07:53La liberté, l'entreprise peut définir la mission qu'elle souhaite
07:56avec le niveau d'ambition, de transformation qu'elle souhaite.
07:58Donc c'est vraiment le respect total de la liberté d'entreprendre,
08:02ça qui plaît en général aux dirigeants et aux entrepreneurs.
08:06Et en même temps, le corollaire,
08:07c'est de mettre en place un système de contrôle qui est double.
08:10Le premier contrôle, c'est plutôt interne avec un comité de mission,
08:13un comité qui est composé à la fois de gens de l'entreprise
08:16mais aussi d'extérieur, qui va challenger l'exécutif, la gouvernance
08:20sur le fait qu'elle remplit bien sa mission.
08:22Donc ça, c'est déjà une première boucle entre guillemets de contrôle interne.
08:26Et ensuite, il y a un peu la vérité des prix,
08:28c'est-à-dire que les entreprises à mission sont auditées par des OTI,
08:32des organismes tiers indépendants,
08:33c'est un peu les commissaires aux comptes de la mission finalement,
08:36et qui émettent un avis qui est public,
08:38qui doit être sur le site internet de l'entreprise pendant cinq ans.
08:41Et donc, en fait, c'est l'antidote anti-social ou greenwashing
08:46parce que l'entreprise à mission fait une promesse
08:48qui, à la fin, est vérifiée par un auditeur.
08:51Il n'y a pas eu de brebis galeuse en cinq, six ans ?
08:54Dans ces cas-là, le système, c'est qu'il faut qu'un tiers, une ONG,
08:59un salarié, un concurrent, finalement, dénoncent l'entreprise à mission
09:03qui se dit toujours à mission.
09:04Et c'est encore plus compliqué parce que c'est dans les statuts.
09:07Donc il y a pour une association ou une ONG
09:10un outil presque juridique.
09:12Alors, ça existait déjà avant, même quand ce n'était pas inscrit dans les statuts.
09:14Mais le fait que ce soit inscrit dans les statuts,
09:16ça peut donner un levier d'action à une ONG, par exemple.
09:19Exactement. Alors, pour l'instant, on n'a pas ce cas de figure.
09:22Donc, voilà, ce qui est bien.
09:25Et en même temps, ça permet aussi de montrer
09:27qu'il y a une forme de bâton quelque part qui existe aussi.
09:31Mais bon, le modèle est jeune encore, donc on n'en est pas encore là.
09:35Mais effectivement, c'est la beauté du modèle, c'est d'avoir ce contrôle.
09:39Alors, vous savez, chaque semaine, dans cette rubrique prête pour l'impact,
09:45l'invité pose une question à celui ou celle qui était assis à cette place la semaine dernière.
09:49C'était la directrice générale du Crédoc, Sandra Wabian. On l'écoute.
09:54Bonjour. Donc écoutez, j'aurais une question pour vous.
09:57Comment faire pour que davantage d'entreprises se saisissent de ces nouvelles possibilités
10:02et s'engagent dans ce chemin de l'entreprise à mission
10:06qui peut-être pourrait apporter un peu de mieux à notre société ?
10:11Alors, effectivement, c'était l'un des objectifs initiaux,
10:14l'un de vos objectifs quand vous êtes arrivés en septembre 2023,
10:17faire grandir cette communauté.
10:22On en est où ? C'est-à-dire le rythme de croissance, quel est ce rythme ?
10:27Donc, déjà, les décrets de la loi Pacte sont sortis il y a cinq ans.
10:30Donc, cinq ans, ce n'est pas beaucoup à l'échelle de l'histoire de l'économie.
10:35Donc, on est quasiment à 2000 entreprises.
10:36C'est un chiffre qui a triplé en trois ans, doublé en deux ans.
10:40Et la dynamique est là, est toujours là.
10:43Et surtout, ce qui est intéressant, c'est qu'il y a une variété très grande
10:47dans le type d'entreprises à mission.
10:49Ce n'est pas uniquement, par exemple, les entreprises de la tech,
10:52créées par des gens de moins de 30 ans, pas du tout.
10:55On a 80% de PME de moins de 50 salariés.
10:5820% sont des ETI et des grandes entreprises de tout secteur d'activité, de toute région.
11:0457% des entreprises à mission ont leur siège en région.
11:07Donc, c'est vraiment quelque chose qui est dans le pays,
11:10qui soit le tissu économique au sens large.
11:13On n'a pas une typologie.
11:15Ça, ça veut dire que c'est rassurant sur la promesse.
11:19Après, il y a le rythme de croissance.
11:22C'est l'ancien ministre de l'Agriculture, on va lire sa citation, Julien Denormandie,
11:27qui dit que les entreprises à mission doivent devenir la norme et pas une niche.
11:31Comment sortir de la niche ?
11:33Parce que c'est encore un peu une niche aujourd'hui.
11:352 000 entreprises, c'est très bien, mais c'est peu par rapport
11:38aux dizaines de milliers d'entreprises qui existent dans notre pays.
11:41Alors, le premier sujet, c'est effectivement la connaissance du modèle.
11:44Donc, ça, c'est notre boulot, la communauté, c'est d'en parler
11:48et de mettre en valeur les belles histoires,
11:50les exemples qui, évidemment, sont extrêmement pluriels
11:54et auxquels, dans tous les secteurs, on peut s'approprier.
11:57Nous, notre stratégie, c'est plutôt de réfléchir par secteur d'activité.
12:01C'est plutôt de montrer qu'il y a des dynamiques qui deviennent tellement fortes
12:04dans certains secteurs que ça fait finalement basculer le secteur d'activité.
12:10À la communauté, on a créé des cercles sectoriels dans l'assurance, par exemple,
12:14ou l'immobilier, où on commence à avoir une masse critique, finalement,
12:17d'entreprises qui deviennent à mission et, quelque part,
12:20qui montrent le chemin et qui disruptent, finalement, le secteur.
12:27– Est-ce qu'on n'est pas quand même, et ça rejoint la question
12:30que je posais tout à l'heure sur les ventes contraires,
12:31dans un moment de creux ?
12:32C'est-à-dire qu'il y a eu, et pour moi, ce n'est absolument pas un effet de mode,
12:36mais ça a pu être perçu comme un effet de mode,
12:38oui, il faut définir sa raison d'être, oui, devenir société à mission
12:41et puis, finalement, bon, est-ce que c'est la priorité aujourd'hui ?
12:45– Alors, c'est sûr qu'il y a eu, effectivement, une hype, entre guillemets,
12:49et notamment autour de la raison d'être parce que c'est un exercice
12:52intellectuellement assez intéressant d'aller retrouver dans l'ADN
12:56l'histoire de l'entreprise qui fait vraiment son capital
12:59et de se projeter dans le futur.
13:01– Un moment de réflexion collective qui est souvent bénéfique.
13:04– Exactement, mais aujourd'hui, cette année, par exemple,
13:06l'entreprise Belle est devenue entreprise à mission,
13:09des filiales de Transdev, on a le restaurant Paul Bocuse,
13:13Nutrition & Santé, donc, en fait, le flow ne tarit pas.
13:17Après, il faut avoir aussi en tête que c'est une dynamique
13:21qui prend du temps et qui engage l'entreprise,
13:23donc ça ne se décide pas en deux mois.
13:25On est contacté par des entreprises aujourd'hui
13:27qui deviendront entreprise à mission peut-être dans un an ou deux.
13:29– Oui, si on veut que ce ne soit pas du social washing,
13:31il faut bien y réfléchir et y prendre du temps
13:34puisqu'on l'inscrit dans ses statuts.
13:35Mais j'avais lu que l'Observatoire des sociétés à mission
13:39avait fixé un objectif de 10 000, là, pour 2025,
13:43donc il ne sera pas atteint, on est à 2 000 au mois de février.
13:46C'était quoi ? C'était trop ambitieux ? On a vu trop grand ?
13:50– Je pense que ce chiffre, voilà, était effectivement…
13:54– C'était dans l'enthousiasme des débuts, c'est ça ?
13:56– Exactement, je pense qu'il faut aussi mesurer le fait que,
14:00comme je le disais, c'est une décision qui ne se prend pas à la légère
14:04et que quand elle est prise, elle doit être assumée.
14:07En fait, notre rôle, c'est de montrer vraiment
14:10à quel point ça transforme les entreprises
14:12et que c'est bénéfique pour tout le monde.
14:15Ça crée plein de vertus en termes, évidemment, de fidélisation
14:19mais aussi au niveau business puisqu'en fait,
14:21le modèle de l'entreprise à mission,
14:23vous ne vendez plus uniquement des services, vous résolvez un problème.
14:26Et du coup, il y a plus de manières de résoudre ce problème.
14:29Vous ne vendez plus uniquement, par exemple, des logiciels,
14:31pour prendre l'exemple de Julien Denormandie,
14:32mais aussi des services pour réduire l'impact carbone des clients.
14:36Et donc, ça réouvre le jeu.
14:39Et donc, dans ce cas-là, en fait, ça prend effectivement un petit peu de temps
14:41et ça ouvre des perspectives qui engagent.
14:48– Une question sur les rôles modèles.
14:50C'est-à-dire que, ce que je comprends bien, c'est une communauté.
14:53Donc, l'importance de partager des expériences, des bonnes pratiques.
14:57Est-ce que les chefs d'entreprise à mission,
15:00ils en ont déjà beaucoup de choses à faire,
15:02surtout quand ils sont patrons ou patronnes de PME,
15:05mais est-ce qu'ils prennent le temps ou ils trouvent le temps
15:08d'aller porter la bonne parole ?
15:09Vous voyez ce que je veux dire ?
15:11Et dire, tiens, voilà un patron, une patronne,
15:14son entreprise est devenue à mission,
15:15voilà tout le bénéfice qu'il en a retenu et donc, je me lance.
15:20Ça marche ça ?
15:21– Ah mais tout à fait, on a d'ailleurs au sein de la communauté
15:23une soixantaine d'ambassadeurs qui nous représentent
15:26au sein de différentes ambassades régionales
15:29et dont le rôle, c'est évidemment de créer un peu de la vie
15:32avec nos membres localement,
15:33mais aussi de parler de l'entreprise à mission localement
15:36au sein d'événements de différents réseaux,
15:38la CEC, le MEDEF, le CJD,
15:40et donc de promouvoir finalement le modèle
15:43et de montrer ce que ça a changé chez eux,
15:44parce que ce qui marche, c'est le témoignage, le retour d'expérience.
15:48– Il y a des régions plus engagées que d'autres ?
15:50– Alors il y a PACA, ça marche bien, Nouvelle-Aquitaine,
15:55les Hauts-de-France et puis la région Aura.
15:58– Oui, Auvergne-Urinalpe.
15:59– Exactement, par exemple, région Auvergne-Urinalpe,
16:03on a une entreprise qui s'appelle le groupe GPA,
16:06qui est une entreprise familiale,
16:07qui était historiquement une casse automobile,
16:09donc vous imaginez des grands champs avec plein de voitures
16:12et qui ont fait complètement pivoter leur modèle
16:14et qui sont devenus aujourd'hui une usine high tech
16:16de recyclage d'entreprises et ils recyclent 99% de voitures
16:22qui deviennent des matières premières,
16:24des pièces détachées pour les assurances,
16:27et donc ça est devenu,
16:29avec justement une vision un peu philosophique, éthique de la casse finalement,
16:34quelque chose d'extrêmement moderne et d'attirant,
16:37et voilà, un modèle du genre.
16:39– On les a reçus ici même, effectivement leur modèle il est assez passionnant.
16:43Est-ce que ça suppose de former les dirigeants et les dirigeantes ?
16:45Est-ce qu'il y a des ateliers de formation pour les accompagner
16:48ou pour les inciter à devenir entreprise à mission ?
16:50– Alors nous on organise des formations, effectivement,
16:52destinées notamment aux dirigeants qui souhaitent transformer
16:56leur entreprise à mission pour leur expliquer
16:58tous les tenants et les aboutissants et quel est leur rôle
17:00et ce que ça change aussi dans la gouvernance
17:02puisqu'il y a ce comité de mission qui est cette innovation
17:06et qui est un peu nouveau, qui doit trouver sa place
17:08et qui apporte énormément de valeur ajoutée.
17:09Je discutais la semaine dernière avec une jeune entreprise à Toulouse,
17:14ils sont cinq, c'est une agence de communication,
17:16ils ont un comité de mission avec dix personnes
17:18et le dirigeant ne reviendrait pour rien en arrière
17:20parce que ça lui apporte vraiment une valeur ajoutée stratégique
17:23qu'il n'a pas forcément dans son équipe et ce dialogue est extrêmement fructueux.
17:27– Est-ce qu'il y a des pièges dans le fait de devenir entreprise à mission,
17:31des écueils que vous avez pu identifier justement
17:34avec cinq ou six années de recul ?
17:37– Ce qui est important, la première phase du modèle,
17:40c'est vraiment de bien définir sa mission.
17:42Après avec le temps on peut la raffiner, il y a des entreprises qui la revisitent
17:46mais effectivement que cette mission soit suffisamment large, ambitieuse
17:50et surtout qu'elle soit bien ancrée dans le business model
17:53qui n'est pas d'angle mort parce qu'il n'y a rien de pire
17:55qu'un salarié qui ne se retrouve pas dans la mission
17:58et qui se dit, moi ce que je fais ce n'est pas dedans
18:00donc en gros ça ne sert à rien.
18:01Il faut bien travailler cette mission pour qu'elle soit bien englobante
18:05et qu'elle inclue tout le monde
18:06et après il y a un peu le niveau d'ambition que l'on se donne.
18:10C'est aussi important que l'entreprise soit en capacité
18:12de promettre des choses qu'elle va pouvoir délivrer
18:14et donc ne pas se faire trop mal entre guillemets
18:17mais en même temps il faut qu'il y ait une tension.
18:20Donc c'est en fait ce dosage-là qui est assez subtil
18:23et qui doit être bien pensé par les dirigeants.
18:25– Il y a une autre ambition que vous étiez donnée en arrivant à ce poste,
18:27c'est sur l'ambition européenne.
18:30Il y a un cadre européen de l'entreprise à mission ?
18:33Oui, non ? C'est en cours ? Qu'est-ce que vous pouvez nous en dire ?
18:36– Oui tout à fait, effectivement, c'est un peu notre réflexion aussi
18:39de dire que c'est bien de transformer l'économie en France
18:42mais ça a plus de sens en Europe et on le voit bien encore plus aujourd'hui.
18:45Il y a un peu des blocs avec des cultures, des philosophies différentes qui émergent
18:48et en fait, nous, notre enjeu c'est quand même que l'économie européenne,
18:52les entreprises européennes aient ce modèle de travailler
18:56dans les limites planétaires tout en restant des entreprises commerciales.
19:00Et donc on a cette initiative au niveau européen avec d'autres pays,
19:03notamment les Italiens qui ont un modèle similaire, la Società Benefit,
19:07de proposer une directive pour la Purpose Driven Company
19:11qui viendrait en fait, syncrétiser finalement
19:15les modèles d'entreprises engagées au niveau européen
19:17et proposer donc un modèle alternatif.
19:20– Mais alors, quand vous voyez, ça reprend la question que je posais tout à l'heure,
19:22mais le coup de frein européen sur le pacte vert ou sur le bilan extra-financier,
19:28est-ce que ce n'est pas aussi un coup de frein pour les entreprises à mission ?
19:31De fait, c'est-à-dire qu'à quoi ça sert de créer un cadre européen
19:34si à côté de ça, sur les engagements qui ont été pris, on revient en arrière ?
19:39– Je pense qu'aujourd'hui, on n'a plus tellement le choix, c'est en fait la question…
19:42– Mais oui, mais sauf que c'est ce qui est en train de se passer.
19:44– Oui, mais pour moi, c'est un peu un soubresaut de l'histoire,
19:48c'est-à-dire qu'il y a eu toute cette initiative autour du Green Deal,
19:53tout le monde était d'accord sur le fait que l'entreprise ne peut plus être
19:56« irresponsable » ou ne peut plus être comptable d'un certain nombre de choses.
20:01On voit bien effectivement que ça frotte aujourd'hui,
20:03que le modèle alternatif notamment américain vient chatouiller ses convictions,
20:09mais moi je suis absolument persuadée, et ça je le dis aussi au nom de toute la communauté,
20:14qu'on ne peut plus faire du business comme avant.
20:17Alors peut-être qu'on va faire deux pas en arrière, mais ça va revenir, c'est évident,
20:21puisque de toute façon, ces crises, et notamment écologiques,
20:26vont impacter l'entreprise à un moment donné.
20:29Donc soit on reste dans un modèle un peu adolescent, je veux jouer sans contraintes,
20:34soit on est dans un modèle plus adulte, qui est pour moi le modèle européen,
20:38et on prend ses responsabilités.
20:40– Oui, avec l'idée, qu'était l'idée du Green Deal,
20:44c'était finalement de faire de l'Europe un peu le continent, mieux disant,
20:48et de se dire, ça va attirer, ça va attirer des talents,
20:50ça va attirer des consommateurs,
20:52qui vont vouloir nos produits plutôt que ceux venus d'ailleurs.
20:56Sauf qu'il y a aussi le discours, et c'est pour ça que moi ça m'inquiète,
21:02de dire, bah oui, mais avant que ce soit un atout, c'est un boulet.
21:05Et ce discours-là, il pèse beaucoup plus lourd aujourd'hui qu'il y a deux ou trois ans.
21:10Et c'est aussi ce que les urnes ont dit lors des élections européennes,
21:14d'une certaine façon, il faut écouter aussi les citoyens d'Europe.
21:17– Non, non, mais évidemment que ce mouvement-là existe, c'est une réalité.
21:22Après, c'est vrai que sur, par exemple, la CSRD,
21:25l'outil aussi a été enrichi d'énormément d'indicateurs,
21:31et qu'il y a vraiment des choses à simplifier,
21:33ça c'est évident, soyons si pragmatiques.
21:35– Ça c'est sur 800 pages, c'est sans doute un peu complexe.
21:38– Voilà, exactement, donc voilà, on peut aussi être pragmatique,
21:40et c'est d'ailleurs, on s'est associé à d'autres mouvements d'entrepreneurs engagés
21:44pour aller dans ce sens-là.
21:46Mais nous, ce que nos entreprises à mission nous disent,
21:48c'est qu'en ayant un cadre clair, une mission claire,
21:51finalement, l'exercice de la CSRD, il passe beaucoup plus facilement,
21:55parce qu'on a déjà les indicateurs, on a déjà les outils de mesure,
21:58et finalement, on sait où sont nos impacts,
22:01où sont les points sur lesquels on doit rendre compte.
22:05Et donc finalement, la mission, ça donne le sens, la vision, l'orientation,
22:08et la CSRD, c'est une espèce de super RSE
22:11qui, finalement, se combine très très bien avec l'entreprise à mission.
22:14– Vous avez également piloté le grand défi des entreprises il y a quelques années.
22:19L'objectif, c'était de faire émerger une centaine de propositions,
22:22justement, pour accélérer la transition écologique.
22:26Quel bilan vous en faites de cette expérience ?
22:28Parce que là, on est dans le concret, moi,
22:30c'est ce que je trouve passionnant dans les histoires
22:32qu'on raconte dans cette émission, c'est pas seulement de la théorie.
22:36– En fait, ce que j'ai vécu pendant le grand défi,
22:38c'est ce que je vis aujourd'hui.
22:39C'est-à-dire qu'il y a une pluralité incroyable de gens qui sont engagés.
22:44Et qui croient à ce modèle, à cette manière de faire du business,
22:48autrement, avec responsabilité, mais aussi,
22:50et c'est ça que j'apprécie dans l'entreprise à mission,
22:52c'est le génie humain au service de craquer, finalement, cette équation.
22:59Comment on continue à faire du business alors qu'on voit bien
23:01que les contraintes s'accumulent, que la compétition fait rage.
23:05Mais en fait, c'est une source d'espoir incroyable.
23:09Au grand défi, on avait vraiment ce collectif très fort
23:13qui a créé, inventé, identifié un certain nombre de propositions.
23:19Les dirigeants d'entreprises à mission, c'est pareil.
23:21Ils ont cette foi dans l'avenir et ce côté positif, finalement,
23:25qu'il faut le dire.
23:27Il y a des solutions qui existent et des gens qui croient
23:29et qui sont très différents les uns des autres.
23:31– Alors, vous nous avez cité plusieurs exemples,
23:34mais est-ce qu'il y a d'autres exemples ?
23:35Alors, peut-être de propositions nées du grand défi des entreprises
23:41ou d'autres entreprises à mission, pour dire, voilà,
23:45c'est possible, ça marche et c'est déjà en place.
23:49– Par exemple, le grand défi avait une proposition
23:51sur l'économie de la fonctionnalité, de passer…
23:54Alors, ça n'a rien de très original, sauf qu'il y avait un certain nombre
23:58de corollaires qui étaient associés à cette idée.
24:00– Passer de la possession à l'usage.
24:01– Exactement. Et là, par exemple, on a une entreprise à mission
24:03qui s'appelle Sunlib, qui s'est créée à mission
24:05et qui fait de la location de panneaux photovoltaïques.
24:09Donc, plutôt que vous vous êtes particulier, vous avez une maison,
24:14vous voulez mettre des panneaux photovoltaïques,
24:17ça coûte cher, c'est compliqué, il faut trouver l'artisan,
24:20et bien là, en fait, vous louez l'installation.
24:22Et donc, en fait, c'est l'entreprise qui se charge de toute cette partie
24:26et donc, vous louez et vous pouvez, à la fin,
24:28être propriétaire ou pas de vos panneaux photovoltaïques.
24:31Et donc, le poids, finalement, cette invention,
24:34en fait, le poids de la charge repose sur l'entreprise.
24:37Ça, c'est un outil malin et ça a été créé d'emblée à mission
24:42parce que, justement, il y avait cette conviction très forte à la base.
24:45– Oui, et c'est plus simple, c'est un peu de la palissade que je veux dire,
24:48c'est quand on crée son entreprise, on peut un peu cocher toutes les bonnes cases.
24:52Quand on est un grand groupe, une ETI qui existe depuis un siècle,
24:57qui s'est construit sur le modèle du linéaire produire, consommer, jeter,
25:04c'est beaucoup plus compliqué.
25:05– Oui, justement, il y a l'exemple de, justement, GPA tout à l'heure
25:08qui était dans ce modèle-là et qui a fait un pivot complet.
25:13– Oui, merci beaucoup, merci Valérie Brissac
25:15et à bientôt sur Be Smart For Change.
25:18On passe tout de suite à notre rubrique Start-Up.

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