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00:00Et 7h10, c'est Dimitri Pavlenko, vous recevez ce matin le spécialiste des mines, Pierre Jérémy.
00:05Bonjour Pierre Jérémy.
00:08Bonjour.
00:08Bienvenue sur Europe 1, vous êtes directeur d'investissement pour le fonds I-24 qui est spécialisé dans l'hydrogène.
00:15Vous êtes aussi ingénieur en chef des mines, alors je précise c'est l'un des trois grades du corps des mines.
00:21Les mines c'est ce dont on parle ce matin ensemble sur Europe 1, dans un monde où les grandes puissances se livrent à une course effrénée aux ressources naturelles,
00:27dans une Europe qui est marquée aussi par le retour de la guerre, qui veut se réindustrialiser,
00:32qui se souvient des pénuries aussi du Covid et qui a toutes les raisons de craindre l'échantage aux matières premières.
00:37Est-ce qu'il faut rouvrir des mines, notamment en France ?
00:40La question depuis 5 ans s'intensifie clairement Pierre Jérémy et en particulier depuis 48 heures
00:46que l'Amérique trumpienne a mis la main sur les minerais d'Ukraine.
00:51Alors cet accord Kiev-Washington, peut-être pour commencer Pierre Jérémy, c'est un mauvais tour joué aux Européens, vous pensez ?
00:57Eh bien, pour qu'on joue un mauvais tour, il faut avoir joué et il faut avoir été dupé.
01:03Et là, l'exécutif américain a fait exactement ce qu'il avait annoncé.
01:07Plus qu'un accord sur les matières premières, je dirais que c'est un accord sur la reconstruction de l'Ukraine,
01:11puisqu'on crée un fonds d'investissement et chacun met ses ressources.
01:14Les Ukrainiens mettent dans ce fonds les ressources de leur sous-sol,
01:17et les Américains mettent leurs aides financières ou leurs aides militaires futures.
01:20Et tous ces fonds serviront à la reconstruction du pays, avec en face aussi une facilitation par l'abolition des droits de douane.
01:26Côté européen, il faut qu'on fasse notre introspection.
01:29Qu'est-ce qu'on a proposé aux Ukrainiens ?
01:31Le 16 avril, pour la dixième fois, on a parlé du processus d'adhésion de l'Ukraine en format UE-Ukraine.
01:36Et c'est assez symbolique, et tristement symbolique,
01:38que le communiqué de presse commence par la question de l'alignement de l'Ukraine sur les normes européennes.
01:42Donc là, nous avons plus qu'assez de temps, en fait, pour proposer aux Ukrainiens un partenariat d'investissement
01:46sur les ressources qui, nous, nous intéressent, et qui n'intéressent pas tant que ça les Américains.
01:50Les ressources agricoles, les ressources en termes d'énergie bas carbone, nucléaire, renouvelable,
01:54qu'on aurait pu faire venir en Europe comme hydrogène.
01:57Donc, toutes ces ressources n'intéressent pas les Américains.
01:59On aurait pu proposer quelque chose et on ne l'a pas fait.
02:01Alors, la question n'est pas tant de savoir si ces ressources minières ukrainiennes,
02:04l'Europe aurait pu les capter d'une certaine manière à travers un accord plus à son avantage.
02:10La vraie question est qu'aujourd'hui, l'Europe est un nain de la production minière mondiale.
02:15C'est à peine 3% de la production minière mondiale.
02:19Je donne ce chiffre, je le trouve éloquent.
02:21C'était 40% au début du XXe siècle.
02:24Alors, en d'autres temps, bien sûr, c'était l'âge d'or du charbon, notamment.
02:27Mais qu'est-ce qui s'est passé pour qu'ait lieu cet effondrement minier européen, Pierre-Jérémie ?
02:33Déjà, je pense que c'est important de rappeler que ce n'est pas nécessairement une question de normes.
02:38L'Union européenne a évidemment des attentes environnementales fortes pour son secteur minier.
02:43Mais c'est le cas d'autres grands pays miniers, le Canada ou l'Australie.
02:47Et en fait, si les mines sont maintenant ailleurs qu'en Europe,
02:49c'est déjà parce que c'est souvent plus compétitif de produire ailleurs,
02:52puisque les gisements sont plus gros, plus faciles à exploiter.
02:55Et que c'est donc beaucoup plus efficace d'aller chercher les matériaux dans ces pays-là.
02:59Mais ça, ça va dans un monde fluide, un monde où les échanges commerciaux ne posent pas de problème.
03:03Dans un monde qui a tendance à se refermer,
03:04où les enjeux de puissance et de géopolitique prennent le pas sur le commerce,
03:08ces questions-là changent, si je puis dire, Pierre-Jérémie.
03:14Absolument.
03:14Et c'est pour ça que c'est très important pour l'Europe
03:16de réfléchir à sa souveraineté industrielle, à sa souveraineté économique.
03:21Ça a été le cœur du rapport que j'ai récemment publié chez Terra Nova.
03:25Et ça implique à la fois de nous donner les moyens de produire chez nous
03:28ce dont nous avons besoin,
03:29mais également de nous construire un réseau de partenaires fiables
03:32qui peuvent nous apporter les ressources dont nous avons besoin.
03:35Et c'est, je pense, l'enjeu clé maintenant pour l'Europe,
03:38c'est d'accepter que la souveraineté économique, la souveraineté industrielle,
03:41ça n'est pas juste des slogans et des mots dont on se part,
03:45mais c'est surtout des projets très concrets d'infrastructures,
03:49de développement industriel partout sur le territoire européen.
03:51Mais on voit que c'est très compliqué d'ouvrir une mine en Europe.
03:53Je vous prends un exemple en France, pas très loin.
03:55Il y a ce colossal chantier de mines de lithium dans l'Allier,
04:00qui est la cible, par exemple, de militants écologistes
04:03qui refusent catégoriquement l'ouverture de cette mine,
04:06parce que c'est polluant les mines,
04:07parce que ça va détruire l'environnement, disent-ils.
04:09Et puis, il n'y a pas que les voisins, les riverains aussi.
04:12Généralement, une mine, on est d'accord,
04:13si elle n'est pas derrière chez soi aussi, Pierre-Jérémie ?
04:17Oui, vous savez, quand j'étais dans le secteur public,
04:19je recevais régulièrement des porteurs de projets miniers
04:21qui voulaient développer des activités en France.
04:23Et à l'époque, je me souviens très bien avoir reçu un développeur sud-africain
04:27qui m'avait dit, vous savez, j'ai développé des mines
04:30dans beaucoup de pays difficiles, en Papouasie, en Centrafrique,
04:33mais je n'ai jamais vu de pays où le dialogue était aussi compliqué
04:35avec les riverains qu'en France.
04:37Alors, c'était une boutade,
04:39mais je pense que ça traduit quelque chose,
04:41qui est que ce qui bloque les projets en France,
04:43c'est d'abord l'esprit de petit village, comme disait Marc Bloch.
04:46C'est-à-dire la préférence pour nos petits intérêts locaux,
04:48à courte vue, sur les besoins de l'intérêt général.
04:50Et encore une fois, ça montre bien que la souveraineté industrielle,
04:54ce ne sont pas que des mots et des slogans,
04:56c'est des projets industriels très concrets sur le territoire
04:59qu'il faut accepter.
05:00Alors justement, parlons un peu de notre sous-sol minier.
05:03Vous l'avez étudié pendant vos études, Pierre-Jérémie.
05:07J'ai lu cette phrase d'un rapport sénatorial qui date de 2016.
05:10Alors 2016, ce n'est pas hier, mais ce n'est pas non plus très très loin.
05:13Le rapport pointait, je vous le cite,
05:15« Le sous-sol français est méconnu, on ne connaîtrait pas notre horizon géologique
05:20en dessous de 100 mètres, Pierre-Jérémie. »
05:22Alors ça date de 2016, c'est toujours d'actualité.
05:24On ne sait pas ce qu'on a sous les pieds ?
05:27Alors on ne sait pas ce qu'on a sous les pieds,
05:28tout simplement parce qu'on connaît surtout les gisements,
05:33soit parce qu'ils affleurent à la surface,
05:34et donc un géologue qui se promène peut les trouver,
05:37soit parce qu'à un moment ou à un autre,
05:39on a foré un endroit pour trouver de l'eau ou du pétrole,
05:42et que, par hasard, on est tombé sur une matière exploitable au plan minier.
05:47Donc on a essentiellement trouvé les gisements qu'on connaît,
05:49soit parce qu'ils sont à la surface du sol, soit par chance.
05:53Mais on n'a jamais fait de campagne systématique de recherche.
05:56C'était effectivement vrai en 2016 au moment de ce rapport du Sénat.
06:01Depuis, on a lancé, dans le cadre de France 2030,
06:04une campagne d'approfondissement de l'exploration du sous-sol minier en 2023.
06:08Et donc c'est un travail qui est en cours par le BRGM,
06:10qui est l'entité publique qui s'occupe de la connaissance du sous-sol français.
06:14Alors, travail en cours donc,
06:16mais est-ce que ça préfigure, vous pensez,
06:18une simplification de l'ouverture des mines ?
06:21Est-ce qu'on va en rouvrir, vous pensez, en France,
06:23dans les années, les décennies à venir,
06:25compte tenu des nouveaux enjeux de souveraineté
06:27qui s'exposent au grand jour désormais ?
06:31Il y a eu un gros travail de simplification du cadre pour les mines
06:35dans le cadre de la réforme du code minier.
06:37Donc on a réécrit la totalité du droit administratif
06:41qui encadre la manière de faire
06:42et on est maintenant aligné avec les meilleures pratiques
06:45de nos partenaires européens.
06:46On a un cadre qui est compréhensible
06:48pour des porteurs de projets internationaux.
06:50Oui, c'est-à-dire que l'état de droit
06:51ne vient pas contrarier forcément aujourd'hui
06:53des projets qui seraient pertinents sur le plan industriel ?
06:57Non, c'est vraiment un sujet d'acceptation locale,
07:00de construire aussi une conviction de la population
07:03et de l'opinion sur le fait que ça peut être des projets intéressants
07:07qui amènent de la valeur au territoire,
07:09qui créent de l'emploi.
07:10Et à cet égard, je pense que le contraste
07:11avec d'autres pays européens
07:12qui ont peu ou prou les mêmes normes que nous
07:15est saisissant.
07:16Moi, je pense par exemple à la Suède
07:18qui est un pays dans lequel je travaille actuellement
07:20et qui a gardé une intense activité minière,
07:23notamment dans le Nord.
07:24Et dans ce pays, l'activité minière est acceptée
07:27comme un atout stratégique pour le territoire
07:28qui sert son développement économique.
07:29Et c'est là que nous développons, côté I-24,
07:32le premier nouveau site sidérurgique en Europe
07:34depuis les années 70 pour faire de l'acier vert,
07:36donc qui est un projet majeur pour faire de la souveraineté
07:37et qui va tirer parti de la ressource minière locale.
07:40Donc, en fait, on peut réduire nos dépendances
07:42si on s'en donne les moyens
07:43et si on accepte que derrière,
07:46il faut construire et se développer.
07:48C'est quoi les objectifs européens, très concrètement ?
07:50Parce que sortir de la dépendance va être compliqué.
07:53On voit que sur certains minerais métacritiques,
07:55on a une dépendance à l'étranger de l'ordre de 80-99%
07:59pour certains métaux
08:01que l'on pourrait d'ailleurs produire en France.
08:04Oui, alors au niveau européen,
08:05il y a un travail de diagnostic qui a été engagé
08:07dans ce qu'on appelle le Critical Raw Materials Act,
08:10donc la loi européenne sur les matières premières critiques,
08:13qui vise d'abord à faire un travail de diagnostic
08:15et d'identifier où sont nos vulnérabilités,
08:19puisque c'est quelque part ça,
08:20la définition de la souveraineté que je pose dans mon rapport,
08:22qui est de ne pas être aux mains d'un partenaire
08:26qui a un goulot d'étranglement sur vous,
08:28sur votre approvisionnement pour une matière.
08:30Et ce goulot d'étranglement,
08:31il peut être au niveau de la mine,
08:32mais il peut être aussi sur les capacités
08:33de transformation du produit minier
08:35ou de raffinage plus en aval.
08:37Et à cet égard,
08:39c'est ce travail que l'Union est en train de faire,
08:41ce qui a donné lieu à des premières annonces
08:42de Stéphane Séjourné il y a maintenant quelques semaines,
08:47et c'est un travail qui va continuer à être consolidé,
08:49mais qui passe non seulement par le fait
08:50de produire chez nous et de relocaliser certaines capacités
08:53pour tirer parti des ressources que nous avons,
08:55mais aussi sur le fait de diversifier nos partenaires
08:57et d'avoir des relations fiables et durables
09:00avec d'autres partenaires commerciaux
09:02qui ont ces ressources
09:03et qui eux-mêmes ont besoin de nous pour certains produits.
09:06Merci Pierre-Jérémy,
09:07directeur d'investissement chez I24
09:09et votre rapport pour Terra Nova
09:10intitulé de la souveraineté économique européenne,
09:12les chemins pour y parvenir,
09:13donc à retrouver sur Internet.
09:16Merci d'être venu ce matin sur l'antenne d'Europe.
09:17Bonne journée.