Marc Lazar et Yann Algan étaient les invités de France Inter mardi 29 avril, à l'occasion de la publication de leur enquête pour l'Institut Montaigne sur le rapport des jeunes au travail.
Retrouvez « L'invité de 8h20 » sur France Inter et sur : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-invite-de-8h20-le-grand-entretien
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00:00Et deux invités ce matin pour parler d'une enquête passionnante consacrée aux relations des jeunes avec le travail.
00:09Pour en parler Léa, en studio avec nous.
00:12Deux de ses auteurs, deux professeurs, Yann Algan, professeur d'économie à HEC.
00:15Bonjour et bienvenue, Marc Lazard, expert à l'Institut Montaigne et professeur à Sciences Po Paris et à l'Université Louis de Rome.
00:22Bonjour.
00:22Oui, bonjour et bienvenue.
00:24Cette enquête de l'Institut Montaigne s'intitule « Les jeunes et le travail, aspirations et désillusions des 16-30 ans ».
00:32L'Institut Montaigne avait déjà consacré il y a trois ans une étude aux aspirations de la jeunesse sur laquelle vous aviez travaillé.
00:41Puis en 2023, une étude qui portait sur le rapport des Français au travail.
00:46Cette troisième étude, c'est en quelque sorte la synthèse des deux autres.
00:50C'est le rapport des jeunes au travail.
00:52Vous avez enquêté auprès de 6 000 jeunes de 16 à 30 ans à l'automne dernier.
00:58Ce qui marque, c'est que vous cassez un certain nombre de clichés que nous avons tous sur la jeune génération.
01:05Ça, on va y venir.
01:06Mais d'abord, qu'est-ce qui vous a le plus surpris l'un et l'autre dans les grandes conclusions de l'enquête ?
01:11Marc Lazard.
01:12Je crois que l'élément important, c'est sans doute le fait que les jeunes veulent travailler, veulent travailler.
01:19Ils sont intéressés par le travail et au-delà du fait qu'ils veulent travailler, ils considèrent que le travail est un élément important de leur vie,
01:26à condition que ça soit lié à une bonne rémunération, j'allais dire bien sûr, naturellement, mais aussi à une qualité de vie en dehors du travail.
01:36Et donc, d'essayer de concilier cela.
01:39Et l'autre point peut-être qui m'a marqué, comme nous tous, c'est ce qu'on a appelé la désillusion.
01:44On va en parler.
01:45Yann Algan, vous, qu'est-ce qui vous a surpris ? Qu'est-ce qui vous a marqué ?
01:48C'est vrai qu'on dit souvent de cette génération, il y avait Bret Easton Ellis qui avait parlé de la génération Ouin Ouin.
01:54Caroline Fourest avait fait un livre pour parler de la génération offensée.
01:57Et c'est vrai qu'on a toute une série d'idées reçues sur ces 16-30 ans,
02:01qu'ils n'aimeraient pas forcément le travail ou que ce ne seraient pas des grands bosseurs,
02:04qui préféraient le sens de leur boulot plutôt que la rémunération, plutôt que le salaire,
02:09qui seraient hyper durs à manager.
02:11Qu'est-ce qui vous a surpris dans les réponses à l'issue et dans les conclusions de l'enquête ?
02:15Oui, je pense que deux points essentiels.
02:17Le premier, c'est effectivement ce très fort attachement au travail
02:20et même un attachement plus élevé que leur aîné.
02:23Lorsqu'on les interroge s'ils voudraient travailler plus à condition de gagner plus,
02:27ils répondent favorablement et même largement plus que leurs aînés.
02:31Oui, alors que ce soit très clair, l'argent est important.
02:33Et je pense que c'est ça le deuxième message, c'est vraiment les aspirations.
02:37L'une des valeurs ajoutées de cette enquête a été de distinguer les aspirations et la réalité du travail.
02:42Et c'est là où on voit vraiment les désillusions d'une jeunesse.
02:45Dans ces aspirations, ils mettent en premier la rémunération, point très important.
02:52Oui, et surprenant parce que c'est vrai qu'on les entend dire
02:56« L'important, ce n'est pas tant le salaire que le sens de mon travail, le sens que je veux. »
03:02Les valeurs.
03:03Et en fait, vous leur avez demandé de classer 15 critères importants dans leur rapport au travail.
03:09Eh bien, le premier, c'est le salaire.
03:10Voilà, c'est la rémunération mais qui est très liée à un rêve aussi d'indépendance.
03:14Donc là, à nouveau, ça va à rebours du mythe des Tanguy qui voudraient rester toute leur vie chez les parents.
03:20Ce n'est pas des jeunes Italiens, on peut dire.
03:22Ce n'est pas des jeunes Italiens, non.
03:23Ce qu'on trouve après, et effectivement, par exemple, les questions environnementales arrivent en avant-dernière position dans les critères.
03:30Donc ça, c'était assez étonnant.
03:34Et puis après, quand même, derrière la rémunération, il y a la qualité de vie au travail.
03:38C'est-à-dire l'autonomie, la conciliation entre vie professionnelle et vie privée.
03:43Et puis surtout, chose très importante, le stress.
03:47La relation émotionnelle au travail est devenue extrêmement importante.
03:49Vous êtes dans des sociétés de service où vous avez une relation vis-à-vis des clients beaucoup plus complexe.
03:54Vous êtes moins encadré dans des syndicats.
03:57Et là, ça va pointer vers quelque chose dont on va parler, vers une relation différente entre les femmes et les hommes au travail, les jeunes femmes,
04:03parce qu'elles sont beaucoup plus présentes dans le milieu des services.
04:05Mais en tout cas, on peut déjà retenir qu'il n'est plus question de se tuer à gagner sa vie.
04:13Oui, parce qu'effectivement, pour la plupart de ces jeunes...
04:15Ce qui est intéressant, je précise pour les auditeurs, dans l'étude qu'on a faite,
04:18en tout cas, c'est ce qu'on considère, c'est qu'on a fait des séquences.
04:22Et ce qui fait qu'encore une fois, ça rejoint l'enquête que vous avez citée, une jeunesse plurielle, il y a trois ans.
04:27C'est-à-dire, c'est l'idée...
04:28Bien sûr, il y a une jeunesse, mais il y a aussi des jeunesses.
04:31Et notamment parce qu'on prend une partie de la population qui est encore en situation scolaire,
04:35puis ceux qui sont les actifs précoces, et puis ensuite les actifs consolidés, avancés.
04:40Et donc, ça nous permet d'avoir une vision très, très, très, très pointue.
04:44Et oui, pas se tuer au travail, et notamment pour les femmes, d'une part parce qu'elles sont en situation de souffrance.
04:50La dimension de souffrance est marquée.
04:52Le harcèlement moral, 27% des jeunes de 16 à 30 ans, surtout ceux qui sont dans une situation de travail,
04:58considèrent qu'ils sont harcelés moralement et une partie aussi harcelés sexuellement.
05:03Une minorité, 7%, si je me souviens bien.
05:05Et c'est un élément important.
05:07Et c'est vrai que la situation des femmes, à cet égard, apparaît comme une évidence très forte.
05:12Et notamment aussi par le fait que très souvent, elles sont en situation de souffrance,
05:17et que pour le moment, elles ne traduisent pas ça en forme de revendication.
05:21Là, il y a un hiatus, qui correspond aussi à une situation historique.
05:24La difficulté pour les femmes de s'organiser est plus nette que pour les hommes.
05:27Mais c'est un élément important.
05:29Et le message, on peut dire qu'on envoie aux employeurs et aux managers,
05:33c'est attention à la manière dont vous dirigez vos entreprises,
05:37et notamment quand vous accueillez ces jeunes qui commencent à travailler.
05:40Ils vous envoient à travers cette enquête vraiment des messages très importants.
05:44C'est quoi les messages très importants qu'ils envoient aux employeurs ?
05:47À l'aune de la lecture de cette enquête, qu'est-ce qu'ils disent, au fond, ces jeunes,
05:52ces 16-30 ans, aux patrons ?
05:56Qui parfois ont du mal aussi à les comprendre.
05:58Ça va dans les deux sens.
05:59Je pense qu'il y a deux messages, à mon avis, essentiels, si on devait résumer.
06:04Le premier, c'est qu'ils sont attachés au travail,
06:07mais en revanche, ils considèrent que les managers ne les reconnaissent pas suffisamment.
06:11Vous avez un jeune sur trois qui déclare ne pas du tout être reconnu au travail
06:16en termes de feedback, en termes de sollicitation, d'accompagnement.
06:20Parfois, il suffit juste de dire merci.
06:22Et ce sont des chiffres beaucoup plus importants que ce qu'on trouve en moyenne
06:26dans les méthodes de management en France.
06:28On va venir à la deuxième chose, mais ça n'a pas toujours été le cas ?
06:33Je veux dire, quand nous avions 20 ans et qu'on commençait à travailler,
06:39ou la génération d'avant, etc., on ne disait pas merci, quoi.
06:43Oui, mais alors je pense...
06:44C'est pas beaucoup mieux considéré au début ?
06:46Oui, c'est vrai, mais je pense qu'il y a deux nouvelles réalités.
06:49La première, c'est quand même celle de jeunes,
06:51effectivement avec des aspirations un peu différentes,
06:54en particulier en termes d'autonomie, en termes de reconnaissance.
06:57La deuxième, c'est qu'on arrive avec une jeunesse qui,
07:00pendant 30 ans, d'une certaine façon, a connu la crise
07:02et est rentrée sur un marché du travail extrêmement pressuré,
07:06en tension, donc demandant peu de choses.
07:08Et là, tout d'un coup, les managers, on a des jeunes qui arrivent,
07:11on a eu petit à petit un soubresaut de relance économique,
07:15le chômage baisse, qui expriment un peu plus de revendications.
07:18Et là, on les considère comme vraiment des personnes
07:21qui critiquent l'autorité ou ce genre de choses.
07:23Donc c'est ce qu'on essaie de battre en brèche en disant
07:25arrêtez, ils ont des revendications légitimes.
07:28Et si vous voulez que vos entreprises innovent, s'adaptent et intègrent,
07:32il va falloir aussi les écouter.
07:33Expliquez-nous, Marc Lazard, ce qu'il en est de la satisfaction au travail
07:39avec des résultats étonnants.
07:41Quatre groupes, les frustrés, qui représentent un tiers des sondés,
07:46les fatalistes, qui formulent très peu d'attentes par rapport à leur travail,
07:51les rebelles, qui apprécient leur emploi mais rejettent la hiérarchie,
07:55et enfin les satisfaits, 32% qui se montrent, eux, pleinement intégrés au travail,
08:0132% seulement, pour l'interrogation.
08:05Vous avez raison et merci d'avoir rappelé cette typologie.
08:07On l'avait faite aussi pour le jeunesse pluriel sur d'autres catégories
08:10parce que justement, ça permet d'illustrer cette diversité des jeunes.
08:14Et ce qui nous a frappés, c'est justement 32% de satisfaits de jeunes
08:18qui considèrent qu'il y a une adéquation relative,
08:22plutôt satisfaisante, donc entre leurs aspirations,
08:25et ce qu'on a appelé aussi dans l'enquête à un moment donné,
08:27le choc du réel, c'est-à-dire le fait qu'ils entrent sur le marché du travail.
08:30Et par conséquent, je crois que c'est là aussi un message fort,
08:33l'importance du pourcentage justement des frustrés
08:37est un élément à prendre en considération,
08:40d'autant plus que pour les frustrés, c'est ceux qui ont en général
08:43le plus faible niveau de diplôme et qui occupent les fonctions justement
08:46les plus rudes et en particulier.
08:48Et insistons là-dessus, sur tous les métiers de service
08:51et notamment, là encore, des métiers exercés par les femmes.
08:55Et là, vraiment, on a un motif, selon nous, de préoccupation très importante.
09:00Un tiers des jeunes simplement se considèrent satisfaits de leur rapport au travail.
09:06Et ils sont en forme de détresse psychologique.
09:08Absolument. La dimension de détresse psychologique est importante.
09:11Et puis, il y a un autre point qui était déjà présent là encore dans une jeunesse plurielle,
09:16mais qui nous a surpris de le retrouver, c'est la question de l'orientation.
09:19L'orientation qui a...
09:20Ah oui, alors ça aussi, c'est intéressant.
09:22Bah oui, parce que ça a un effet, au moment où les jeunes sont en train de penser à leur travail,
09:27mais encore quand ils sont en activité, ils considèrent que l'orientation a souvent été mal faite.
09:32Et alors, un pourcentage, moi, enfin un résultat qui m'a, moi, beaucoup impressionné,
09:37c'est quand on leur demande, mais qu'est-ce qui vous a le plus aidé ?
09:3971% disent, et je vais exprès utiliser cette formule, ma maman, leur mère, 71% disent que c'est...
09:47Pas les pères, hein ?
09:47Oui, pas les pères, et pas Internet, et pas les structures.
09:50C'est la mère qui les a orientées mieux que les profs, la structure, ou les pères.
09:56Oui.
09:56Bah oui, non, mais c'est intéressant, vous avez raison.
09:58Tout à fait, oui.
09:59Comment vous l'expliquez ?
10:01Non, mais là, ça prouve qu'il y a encore quand même une division très genrée de l'accompagnement.
10:08Mais sur cette question de l'orientation, premièrement, on s'aperçoit que l'orientation
10:13génère de plus en plus d'insatisfaction au fur et à mesure qui s'insère sur le marché du travail.
10:19Alors ça, c'est assez sidérant.
10:20C'est quel le mécanisme ?
10:22Le mécanisme, c'est un peu toute la richesse de cette enquête de montrer vraiment le décalage
10:26entre les aspirations et le réel, surtout pour les peu diplômés.
10:30Plus vous êtes diplômé, plus vous avez des aspirations élevées, et donc plus le choc du réel est important.
10:35Et sur la question de l'orientation, au fur et à mesure qu'ils se confrontent à la réalité du marché du travail,
10:40ils considèrent qu'ils ont été mal orientés, et surtout, en fait, les enfants de parents les moins diplômés.
10:46C'est la grande question de cette orientation.
10:48C'est qu'à la limite, les jeunes sont assez satisfaits de leurs professeurs, des conseillers d'orientation,
10:53mais pas n'importe quel jeune, uniquement ceux qui sont déjà un peu favorisés.
10:58L'orientation génère et amplifie les inégalités, puisque ces mécanismes institutionnels servent très peu
11:04à ceux qui vont aller vers des formations courtes et qui sont défavorisés dès le départ.
11:08Et c'est pour ça qu'il y a un message là pour les pouvoirs publics.
11:11C'est-à-dire qu'on dit que ceux qui auraient le plus besoin, justement, d'avoir un accompagnement dans l'orientation,
11:16notamment ceux qui sont dans les établissements, dans les filières professionnelles, courtes ou de moyenne durée,
11:21je pense au BTS, etc., auraient besoin le plus de cet accompagnement d'orientation.
11:26Là, il y a un problème de déficit du pouvoir public.
11:28Les plus insatisfaits, c'est ce que vous montrez dans l'enquête,
11:31les plus insatisfaits, c'est ceux qui sont passés par les filières professionnelles courtes,
11:36et ensuite, étonnant, les diplômés de l'enseignement supérieur en lettres, en sciences humaines et sociales.
11:42La frustration est plus grande pour les étudiants en lettres ou en sociaux que pour les autres.
11:47Ou en histoire.
11:48Ou en histoire, oui, je vous regarde, oui, Marc Mazar en histoire.
11:51Oui, oui, non, ça c'est un point très important parce qu'on voit qu'il y a un problème avec les études en sciences humaines et sociales,
12:00ce qu'on appelle avec l'acronyme SHS, qui est important parce qu'effectivement, c'est ceux qui ont beaucoup d'aspirations
12:06et qui sont les plus, avec les jeunes qui avaient d'autres formations, les plus désillusionnés par rapport à l'expérience du travail.
12:13Ils rêvaient quoi ? Ils rêvaient de quoi ? Le choc du réel donne quoi ?
12:17Ils avaient les outils pour comprendre le monde social et en fait, ils sont piégés.
12:21Très souvent aussi, ils ont plutôt des familles qui les aident et ils se retrouvent dans des situations
12:26où ils ne correspondent pas à leurs attentes. Bon, ça c'est incontestable, il y a un problème ici.
12:31Et c'est un lien aussi, on va en parler sans doute, avec leurs orientations politiques.
12:36On va y venir à la politique, mais vous avez demandé aux jeunes quels étaient les secteurs dans lesquels ils aimeraient le plus travailler.
12:42Là aussi, résultat assez étonnant, le premier secteur, numéro un, qui les fait le plus rêver, c'est ?
12:47Le luxe.
12:48Le luxe !
12:49Le luxe arrive en tête, mais alors là où c'est paradoxal, le secteur du luxe les fait rêver.
12:56Il faut dire que c'est là aussi où la France est numéro un dans le monde, le secteur du luxe.
13:00Mais également celui de l'administration et de la fonction publique, le secteur de la santé et le secteur associatif.
13:04Oui, tout à fait.
13:05C'est assez disparate.
13:06C'est assez disparate, mais d'une certaine façon, comme leur aspiration, où en premier, ils disaient la rémunération.
13:10Et je pense que voilà, il y a aussi le luxe qui est associé à la créativité, au génie français, mais aussi à des perspectives de salaire plus importantes.
13:17Et puis la deuxième aspiration, c'était quand même l'utilité sociale, avoir un travail qui ait du sens, un travail où on peut travailler avec les autres, la qualité de l'action.
13:25Et donc là, effectivement, la santé, le public, l'associatif remontent très vite.
13:30Ça vous a étonné, Marc Lazard, de voir que le premier secteur qu'il plébiscite, c'est le luxe ?
13:35Oui, ça m'a étonné. Et sur la fonction publique et l'administration publique, c'est intéressant parce que ce n'est pas tellement comme personnellement je le pensais.
13:42Je crois que tous les trois, parce qu'il faut citer aussi Olivier Galland, qui a travaillé à cette enquête, qui ne pouvait pas être là ce matin avec nous, mais qui est le grand spécialiste de la sociologie de la jeunesse.
13:50Effectivement, ça a été un élément de stupeur d'avoir le luxe, mais sur la fonction publique et l'administration publique...
13:58De stupeur ?
13:59Pour moi, je ne pensais pas que ça attirait autant les jeunes. Je pensais surtout par rapport à tout ce que l'on dit, notamment dans des établissements comme HEC et Sciences Po,
14:09qui est, attention, la préoccupation sur l'environnement social, la responsabilité sociale des entreprises, l'environnement.
14:16On voit que nos jeunes sont pour le moment assez, disons, qu'ils ne mettent pas ça comme priorité.
14:21Oui, c'est le moins qu'on puisse dire.
14:22Juste deux points très rapides sur la fonction publique et l'administration publique. Moi, je pensais que c'était la stabilité de l'emploi.
14:28Quand on avait nos discussions à partir des données, en regardant de près ces données, on s'aperçoit que ce n'est pas tellement la question de la stabilité de l'emploi,
14:35mais ça revient à cette question, comment concilier une activité réelle, importante dans le travail, avec une qualité de vie.
14:42Et donc, a priori, dans leur perspective, la fonction publique... Alors, je suis fonctionnaire, j'ai un peu de mal à dire ça.
14:47Ça donne plus de temps pour concilier les deux.
14:49Juste un point, c'est la très faible attractivité du secteur industriel.
14:53Alors qu'on parle de la désindustrialisation, de la nécessité de réindustrialiser le pays, on voit que l'industrie attire peu.
15:01Yann Algan, le désir de monter sa propre entreprise, il en est où chez les jeunes ?
15:08Oui, il est présent. Alors, je pense qu'il y a un message.
15:12Vous avez plus de la moitié, 60% des jeunes qui vous disent vouloir quitter leur entreprise dans les 5 ans qui viennent.
15:19Et il y a effectivement un peu ce rêve d'indépendance, de créer l'entreprise.
15:23Mais là encore, il y a vraiment une jeunesse un peu contradictoire.
15:28Et une jeunesse qui veut de la stabilité, qui ne veut pas trop de stress.
15:32Et je pense que c'est ça aussi qui ressort.
15:34Mais c'est vrai que c'est étonnant. C'est une enquête où tout est contradictoire à peu près.
15:39C'est-à-dire qu'ils sont vraiment attachés au travail.
15:42Et même à la question, si jamais vous aviez les moyens de ne pas travailler toute votre vie, est-ce que vous continueriez à travailler ?
15:4780% disent oui, on continuera à travailler même si ce n'est pas pour l'argent.
15:51Donc il y a un vrai attachement au travail.
15:52Et ça, ça peut rassurer plein de gens qui nous écoutent, que ce soit les parents ou les patrons, etc.
15:56qui ont parfois l'impression, on entend dire oui, ils n'ont pas envie de travailler.
15:59Non, ils ont vraiment envie de travailler.
16:00C'est une jeunesse qui a envie de travailler.
16:02Mais la question du temps libre, la question de l'aménagement de son travail,
16:08c'est ça peut-être qui diffère avec les générations plus âgées.
16:11C'est-à-dire qu'ils ont autant envie de travailler que nous.
16:13C'est ça qu'il faut aussi dire.
16:15Mais peut-être que nous, on pensait travailler de 8h du matin à 20h, en tout cas au début.
16:20Et bien eux, ils ne sont pas prêts à ça.
16:21C'est peut-être ça, non, qui ressort.
16:22Tout à fait. C'est vraiment l'un des messages essentiels.
16:25Et puis je pense que, aussi, l'un des éléments de surprise,
16:28c'est ensuite la traduction politique de cet état de fait.
16:32On a ensuite interrogé, on a essayé de relier cette satisfaction ou insatisfaction au travail
16:37ou cette désillusion avec leur orientation.
16:40Il y a quand même trois résultats absolument inouïs.
16:44Le premier, c'est qu'un jeune sur deux ne se reconnaît dans aucun parti.
16:48Donc quand même, le premier parti de la jeunesse, c'est l'absence de parti.
16:51Deuxième résultat, vous avez 33% des jeunes qui se déclarent,
16:57parmi l'autre moitié, froches d'un parti,
17:00en fait, 33% se disent proches du Rassemblement national, de la droite radicale.
17:05Et vous avez ensuite uniquement 26% du côté de la gauche radicale.
17:08Ce n'est pas surprenant quand on regarde les votants aux dernières élections.
17:12C'est-à-dire que Marine Le Pen et le Rassemblement national sont le premier parti de France chez les jeunes.
17:17Ça, ça a été prouvé sur toutes les dernières élections.
17:20Oui, mais dans le tableau qu'on propose, on prend les résultats des élections européennes,
17:24parce que là, on pouvait faire la comparaison entre la liste LFI et la liste RN dirigée par Bardella.
17:30Et on voit qu'il y a une croissance, une augmentation de l'intention d'être proche,
17:35enfin de la déclaration d'être proche du RN,
17:37par rapport aux enquêtes qui ont été réalisées au moment de l'élection européenne.
17:40Donc il y a une question qu'on se pose.
17:41Est-ce que c'est lié à un phénomène conjoncturel au moment où on a fait l'enquête,
17:45ou est-ce que c'est quelque chose de plus structurel, qui est en train de se jouer ?
17:48Et peut-être dans les éléments un peu plus structurels,
17:50vous avez aussi un peu le changement du type d'électorat.
17:55Parce que du côté de la droite radicale,
17:57vous retrouvez certes des jeunes qui sont plutôt en situation d'occupation d'employés ou d'ouvriers,
18:03mais qui sont satisfaits de leur travail, fiers de leur travail.
18:06Donc c'est à rebours de travaux, et moi-même de travaux,
18:08il va falloir que j'auraille tout mes travaux précédents.
18:11Vous avez changé beaucoup à RSC.
18:12C'est une évolution, il ne faut pas les rire.
18:14C'est une évolution.
18:14Le vote du RN était le vote des classes malheureuses ?
18:17Non, là le vote parmi les jeunes, ce sont de jeunes intégrés,
18:20et le vote radical à gauche, là, est beaucoup plus de jeunes en SHS,
18:25de jeunes aussi en sciences humaines, en histoire, en sociaux, etc.
18:29De jeunes qui sont effectivement plus aussi d'origine,
18:32dont les parents sont d'origine immigrée,
18:34et qui considèrent que la société française les a mal intégrés,
18:37et puis beaucoup de jeunes en détresse psychologique.
18:39Donc le vote de la gauche radicale, LFI, reste un vote de contestation.
18:44Le vote RN devient aussi maintenant un vote de jeunes installés,
18:48satisfaits, fiers, mais qui revendiquent cette fierté.
18:50Et ça, il nous semble que c'est vraiment une nouveauté
18:52pour pouvoir éclairer la scène politique actuelle.
18:55Beaucoup de questions, de témoignages sur l'application de Radio France.
19:00Martine, nos enfants ont vécu notre engagement au travail.
19:04Et aussi notre stress avec tout ce qu'ils ont entendu sur notre vie au travail.
19:09Je pense que c'est un retour de bâton très violent,
19:11comme j'ai moi-même vécu ma vie au travail.
19:15Ça vous inspire quel commentaire, Marc Lazard ?
19:18Alors là, on ne peut pas répondre sur la base de notre enquête.
19:21Je ne crois pas qu'on a les outils nécessaires,
19:23mais si on réfléchit un peu,
19:25je ne sais pas si c'est par rapport aux générations précédentes,
19:29du genre, vous avez beaucoup trop travaillé,
19:30nous on veut prendre le temps possible,
19:32mais je crois que c'est une évolution des sociétés
19:35et en particulier de ces jeunes
19:37qui veulent encore une fois concilier du travail.
19:40Oui, on veut travailler, mais pas dans n'importe quelles conditions.
19:42Et d'ailleurs, ça se retrouve aussi dans le management.
19:44Je vais en dire un mot.
19:45On accepte l'autorité, ils ne la contestent pas.
19:48Mais attention, respectez-nous, reconnaissez-nous,
19:51attention aussi à la manière dont vous nous parlez.
19:53Donc, c'est un élément important.
19:56Le stress, attention, le stress dont parle Martine,
19:58votre auditrice, notre auditrice,
20:00on le retrouve chez les jeunes, Yann en a parlé.
20:02C'est un élément très important.
20:04Ils sont très sensibles à ce sujet-là.
20:06Ce qu'on n'a pas peut-être pu déterminer,
20:08c'est l'effet de la situation du Covid.
20:10Et ça a été un élément important.
20:12Moi, je crois qu'on peut le retrouver autour de leur attente
20:15aussi d'avoir beaucoup de télétravail.
20:17Parce qu'ils ont été habitués à ça.
20:18C'est une génération qui a connu...
20:20Je pense que l'effet Covid est quand même important.
20:23Alors, Nadine est-elle manageuse ?
20:25Je ne sais pas.
20:25Mais elle dit la chose suivante.
20:28Le problème est également la baisse du niveau scolaire.
20:31Il ne faut pas s'étonner qu'avec un bac plus 5,
20:34les tâches données soient plutôt ingrates.
20:37Ils n'ont pas le niveau, la plupart du temps.
20:39Ils ont du mal à rédiger un texte correctement.
20:42Sujet, verbe, complément.
20:44Et après, ils s'attendent à des boulots de cadre
20:46payés plusieurs milliers d'euros par mois.
20:49D'où la frustration.
20:51Il y a Nalgan, que répondez-vous ?
20:53Elle est radicale, Nadine.
20:54À cette analyse sévère.
20:57Effectivement, l'analyse est sévère.
20:58La charge est radicale.
21:00Mais il nous semble, nous, justement,
21:01que notre étude nuance énormément ces propos.
21:05Pour une bonne et simple raison.
21:06Alors, on n'a pas évalué le niveau scolaire de nos jeunes ici.
21:09Vous avez eu énormément de travaux
21:11qui montrent que le niveau ne baisse pas de cette façon-là.
21:16Mais en revanche, là où il y a quand même
21:18vraiment un vrai élément de nuance,
21:21c'est que les aspirations des jeunes
21:24qui sont les moins diplômés,
21:25donc à la limite celles dont elle parle,
21:27qui ne sont effectivement pas assez qualifiées pour l'un,
21:30elles sont très faibles.
21:31Ce sont ceux qui se sont...
21:32Non, elle parle des bacs plus 5,
21:33si ce n'est pas au niveau.
21:34Pour les bacs plus 5,
21:35alors effectivement, pour les bacs plus 5,
21:36leurs aspirations sont élevées.
21:39Mais si vous voulez, à force de...
21:41Ces jeunes-là ne contestent pas nécessairement
21:44l'autorité hiérarchique.
21:45Ils demandent juste un rapport différent
21:48dans la relation de travail.
21:49Donc c'est quand même un point essentiel
21:51de souligner qu'ils veulent s'intégrer,
21:54mais on leur renvoie une image
21:55qui est très bien traduite par celle de Nadine.
21:57On l'a dit rapidement,
21:59mais je voudrais juste terminer par ça
22:00et revenir sur cet avant-dernier critère
22:03retenu par les jeunes.
22:05Donc le premier critère,
22:06sur les 15 critères que vous leur avez demandé,
22:07le plus important pour eux,
22:08c'est la rémunération.
22:09Puis ensuite, c'est le lien avec le temps libre,
22:12le temps de travail et le temps libre.
22:14Mais l'avant-dernier,
22:16c'est l'environnement
22:17et les normes sociales et environnementales.
22:19C'est-à-dire qu'on a cette image,
22:21nous les médias,
22:22qui est peut-être tronqué d'une jeunesse,
22:24et c'est peut-être les plus privilégiés,
22:25qui sont très politisés,
22:26radicaux sur la question de l'environnement.
22:27quand vous étendez le champ de l'interrogation,
22:33les jeunes le mettent en avant-dernier,
22:36l'environnement.
22:37Oui, moi ça ne me surprend pas trop
22:39par rapport à l'enquête jeunesse plurielle.
22:41On avait déjà vu que c'était important,
22:44mais c'était peut-être pas leur priorité.
22:46Donc je crois qu'il faut faire attention.
22:48Je crois que ce que cette enquête révèle,
22:50c'est que justement,
22:50vous l'avez rappelé,
22:51Léa Salamé,
22:52ce qui est important,
22:53c'est la rémunération
22:54et c'est la qualité de vie.
22:56Et donc, en termes de priorité,
22:57les questions d'environnement,
22:59aujourd'hui, apparemment,
23:00ou de la responsabilité des sociales,
23:02des entreprises,
23:02n'est pas négligeable.
23:03Attention,
23:04elle n'est pas négligeable,
23:05parce qu'y compris dans le management,
23:06quand ils reprochent des choses à leur manager,
23:08c'est que justement,
23:09ils ne prennent pas assez en considération.
23:11Pas négligeable,
23:12mais en avant-dernier.
23:13C'est un résultat qui nous a surpris,
23:16mais qui montre qu'il y a quand même
23:17vraiment un effet de loupe
23:18sur la jeunesse des grandes écoles.
23:20L'intérêt de cette étude
23:21est vraiment d'aller interroger
23:22une jeunesse
23:23en formation courte,
23:25en bac pro,
23:26et où là,
23:26la rémunération est plus élevée.
23:27Moi, j'aimerais terminer juste par...
23:28Vous avez interrogé 6 000 jeunes.
23:296 000 jeunes.
23:30De toute classe sociale.
23:31Et très représentatif.
23:33Et la représentativité de la jeune,
23:35c'est justement des jeunes
23:37dans des formations courtes,
23:38dans des formations professionnelles.
23:39Moi, juste si je peux...
23:40Un mot, oui, allez-y.
23:42Il y a quand même vraiment
23:43un élément aussi très important
23:44dans cette étude,
23:45c'est la distinction
23:45jeune femme, jeune homme.
23:47Les jeunes femmes
23:48sont beaucoup plus
23:49satisfaites de leur travail.
23:50Elles sont beaucoup plus
23:51dans le secteur du service
23:52avec un stress
23:53et une absence de reconnaissance.
23:55Mais malheureusement,
23:56ça ne se traduit
23:57pas par de la contestation,
23:59pas par des voix.
23:59Donc là, c'est un élément
24:00vraiment d'attention
24:01très important
24:02par du mal-être.
24:02pour les entreprises
24:03et pour les pouvoirs publics.
24:04Et c'est celle qui souffle
24:05le plus de harcèlement moral
24:06et sexuel.
24:08Merci à tous les deux.
24:09Merci.
24:09Marc Lazard,
24:11qu'on entendait à la seconde.
24:12Yann Algan, juste avant.
24:14On renvoie à cette enquête
24:15passionnante de l'Institut Montaigne
24:17qui s'intitule
24:18Les jeunes et le travail,
24:20aspiration et désillusion
24:22des 16-30 ans.
24:23Merci encore
24:24d'avoir été sur Inter ce matin.
24:26Merci à tous les deux.