François Molins, ancien procureur de la République de Paris et procureur général près la Cour de cassation, était l'invité d'Apolline de 9 à 10. Il évoque les menaces envers les magistrats.
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00Aujourd'hui, on parle de juges menacés, 150 magistrants qui seraient menacés.
00:05C'est un chiffre que donne le ministère de l'Intérieur,
00:08qui a été repris dans un dossier par nos confrères de libération il y a quelques jours.
00:12Qu'est-ce que ça dit, ça, de notre époque et de notre rapport à la justice ?
00:17D'abord, je voudrais dire un petit mot pour ses collègues.
00:20Moi, j'ai beaucoup d'admiration pour ce qu'ils font dans les conditions que c'est difficile.
00:23Je l'ai déjà dit pour les Marseillais, je le pense pour tous.
00:26Je pense que ce que vous dites, c'est la conséquence de plusieurs facteurs.
00:28On est dans une société où il y a une vraie crise d'autorité,
00:33où aucune institution quasiment n'est respectée.
00:36La justice peut-être d'abord au premier chef.
00:40Une société où il y a de plus en plus de violences dans l'espace public.
00:44Et effectivement, il faut se demander pourquoi.
00:46Je disais tout à l'heure que moi, je pense qu'effectivement, il y a une dérive sociale.
00:51Il y a certainement une forme de crise démocratique
00:52où on vient contester la légitimité du juge.
00:54Ce procès en légitimité est alimenté, je me répète, par la montée du populisme
01:00qui vise à tenir effectivement des discours dans lesquels on vient d'élégitimer l'action de la justice.
01:06Il y a un continuum entre les deux ?
01:07Entre la parole de certains responsables politiques qui attaquent les juges
01:10et les juges et la violence dont certains font l'obtenir.
01:13Je pense que nombre de responsables politiques ont joué avec le feu,
01:17avec des prises de parole publiques depuis un certain nombre d'années
01:21qui les ont vues soit discréditer l'action de la justice,
01:25avec des discours...
01:26Quand on discrédite une institution, on l'affaiblit.
01:28Ça, je pense que c'est une constante.
01:30Et qui aussi ont une part de responsabilité
01:33en ne tenant pas compte des décisions de justice qui étaient rendues.
01:36Mais vous pensez à qui ?
01:37Je ne veux pas donner d'exemple, ils se reconnaîtront.
01:40Mais il y en a des tas.
01:41Est-ce que vous pensez...
01:42Si vous avez un ministre de l'Intérieur qui vient vous dire
01:44qu'il se réserve le droit de ne pas respecter une décision de la Cour européenne
01:49ou de la Cour française, moi ça me pose quand même un problème.
01:53Mais ces prises de position, elles sont quand même le fruit
01:55de ce qui remonte d'une frustration, puisque vous parlez au nom un peu des Français.
02:01Vous voyez bien ces frustrations des Français
02:04par rapport à des décisions qu'ils trouvent trop laxistes.
02:08Ils ne comprennent pas que les délinquants soient relâchés.
02:11Donc ce populisme, il y a un terreau quand même.
02:13Il ne prospèrerait pas s'il n'y avait pas un terreau.
02:15François Molins.
02:16Oui, bien sûr.
02:17En termes de laxisme, là aussi, il faut redresser les choses.
02:20On est laxiste, mais il n'y a jamais eu autant de membres dans les prisons.
02:2382 000 détenus pour 62 000 places.
02:25La moyenne des peines a été augmentée de deux mois et demi en l'espace de quelques années.
02:36Le problème qu'on a, c'est qu'on n'est pas capable de mettre à exécution rapidement les peines prononcées.
02:41Ce n'est pas un problème de laxisme, c'est un problème d'organisation
02:43et de textes qui sont mal ficelés.
02:45Et François Molins, vous évoquiez tout à l'heure effectivement ces politiques
02:48qui mettent en doute des décisions de justice.
02:51Lorsque vous voyez à la ligne du journal du dimanche Bruno Retaille au ministre de l'Intérieur
02:55qui, il y a quelques semaines, disait « notre droit ne protège plus les Français ».
02:58C'est à ça que vous pensez ?
03:00Écoutez, tout le monde a le droit d'avoir ses opinions.
03:03Si les politiques estiment que le droit ne protège plus les Français,
03:06libre à eux de le modifier, c'est-à-dire que c'est la responsabilité première.
03:09La responsabilité première d'un politique, c'est d'améliorer la vie des gens
03:12et effectivement de construire et de permettre l'élaboration de lois
03:17qui vont permettre de résoudre les problèmes qui sont posés.
03:19C'est l'essence de la responsabilité politique, ça.
03:21Donc si le droit ne protège pas assez, la volonté nationale peut le faire évoluer.
03:25Je sens chez vous, François Molins, une retenue qui est à la fois due à la netteté
03:33et à la précision des mots que vous devez utiliser.
03:36Et on se souvient en particulier que dans les moments où chaque mot était scruté
03:40lorsque vous étiez le soir face à nous, Français, hébétés, saisis d'effroi par les attentats.
03:50Mais il y a aussi, je trouve dans cette retenue, vous vous dites « je ne peux pas laisser sortir ma colère ».
03:56Est-ce qu'il y a de ça aussi ?
03:57Des fois, je reconnais que je suis un peu excédé de voir certains problèmes de fond
04:01qui sont sur la table depuis des années et des années, qui ne sont toujours pas réglés,
04:04par, je pense, manque de volonté, et notamment de volonté politique de les régler.
04:08Je pense qu'on devrait s'attacher parfois à faire beaucoup moins de communication.
04:11– Il ne vous plaise pas les politiques ?
04:13– Non, j'ai beaucoup de respect pour la fonction politique, justement.
04:16– Peut-être que c'est parce que vous avez du respect pour la fonction politique
04:19que vous êtes déçu par la classe politique ?
04:20– Peut-être que je l'idéalise trop et que c'est peut-être pour ça que je suis assez déçu par la classe politique.
04:24– Vous n'avez jamais voulu ?