Pierrot lunaire, Martien en exil, Pierre Gripari (1925-1990) était un personnage hautement poétique et romanesque. Lui qui aimait tant raconter des histoires, a su explorer avec brio tous les genres : romans, romans épistolaires, poèmes, nouvelles, contes, pièces de théâtre... La magie de ses œuvres, des "Contes de la rue Broca" à "Monoméron", opère toujours. Fantasques, ironiques, comiques, burlesques, elles peuvent aussi être graves, comme cet "Évangile du rien", où la quête omniprésente du divin se confond avec celle du néant.
Pour en parler, Anne Martin-Conrad, qui présida pendant plus de dix ans l’Association des amis de Pierre Gripari (Anne-Martin-Conrad, Jacques Marlaud, "Pierre Gripari", Pardès ; "Dossier H Pierre Gripari", dir., L’Age d’Homme), Alain Paucard, écrivain ("Gripari mode d’emploi", L’Age d’Homme, préface à Pierre Gripari, "Patrouille du conte", Sept cavaliers) et Raphaël Pajares, secrétaire général de l’Association des amis de Pierre Gripari.
Pour en parler, Anne Martin-Conrad, qui présida pendant plus de dix ans l’Association des amis de Pierre Gripari (Anne-Martin-Conrad, Jacques Marlaud, "Pierre Gripari", Pardès ; "Dossier H Pierre Gripari", dir., L’Age d’Homme), Alain Paucard, écrivain ("Gripari mode d’emploi", L’Age d’Homme, préface à Pierre Gripari, "Patrouille du conte", Sept cavaliers) et Raphaël Pajares, secrétaire général de l’Association des amis de Pierre Gripari.
Catégorie
📚
ÉducationTranscription
00:00Bienvenue dans cette nouvelle émission des idées à l'endroit.
00:30Pierrot Lunaire, martien en exil, Pierre Gripari avait tout du personnage au sens le plus littéraire du mot.
00:38Il faut dire qu'il y était sans doute prédisposé puisque sa grand-mère paternelle se prénommait Calliope.
00:44Et Calliope est évidemment aussi le nom d'une muse, la muse de la poésie épique.
00:49Et dit-on, en tout cas dans certains mythes grecs, également la mère d'Orphée.
00:55C'est déjà une hérédité considérable.
00:58Écrivain, Pierre Gripari s'est exercé avec brio et une certaine facilité et un grand génie à tous les genres.
01:08Le roman, le roman épistolaire, la poésie, les nouvelles, les contes évidemment.
01:12La critique également, l'art critique, critique littéraire, critique théâtrale.
01:19Mais c'était aussi un homme d'idées.
01:22Il aimait beaucoup les histoires.
01:24C'était d'abord et avant tout un homme de la narration.
01:26Mais quelques idées forces l'animaient.
01:29Et comme cette émission, évidemment, « Les idées à l'endroit » est consacrée très largement aux idées,
01:34nous serons amenés, avec mes invités, à évoquer ces quelques idées forces de Pierre Gripari.
01:41Nous le ferons donc avec vous, Anne-Martin Conrad.
01:44Vous avez dirigé pendant plus de dix ans l'association des amis de Pierre Gripari.
01:51Vous avez très bien connu Pierre Gripari.
01:54Vous lui avez consacré un ouvrage que je montre à la caméra.
01:59Pierre Gripari, dans la collection « Qui suis-je » aux éditions Pardès.
02:03Excellente collection, bien sûr.
02:05Et vous avez également consacré à Pierre Gripari un volumineux dossier H aux éditions de l'âge d'homme
02:12qui regroupe, conformément à l'esprit de la collection, un certain nombre d'études consacrées à Pierre Gripari,
02:18mais aussi de textes, de correspondances.
02:21Donc tout ceci, nous serons bien sûr amenés à l'évoquer de manière précise.
02:27Avec nous également Alain Pocard, Alain Pocard écrivain, bien sûr.
02:31Alors votre bibliographie étant considérable, je ne vais pas la donner en détail, ça n'aurait aucun sens.
02:38Je signalerai simplement parmi vos livres, j'aurais dû rester chanteur de rock'n'roll.
02:45Ah bien sûr.
02:46– Votre autobiographie aux éditions Via Romana.
02:49– Oui.
02:50Je signale, c'est important, la réédition, il y a quelques semaines à peine, de votre roman « Lazaret »
02:56aux éditions « La mouette de Minerve ».
03:00– Et toc.
03:01– Et c'est un titre d'ailleurs assez griparien, on peut y entendre des relents de contes d'ailleurs.
03:07– Et vous avez également, c'est très important, publié il y a quelques années un recueil d'entretien très vivant avec Pierre Grippari.
03:18Grippari, mode d'emploi, c'était aux éditions de l'âge d'homme, livre qui est difficilement trouvable aujourd'hui et dont on espère qu'il sera réédité.
03:27Mais pour ceux qui voudraient découvrir Pierre Grippari et puis lire également Alain Pocard,
03:35la réédition d'un grand livre de Pierre Grippari patrouille du conte avec une préface d'Alain Pocard.
03:44Et c'est aux éditions « Sept cavaliers ». Là encore, cette réédition est tout à fait récente.
03:49– Et puis avec nous, Raphaël Pajares, qui lui n'a pas connu Pierre Grippari,
03:54mais qui est un grand lecteur et un grand connaisseur de l'œuvre de Pierre Grippari.
03:58Vous êtes aujourd'hui secrétaire général de l'Association des Amis de Pierre Grippari.
04:01Vous lui avez consacré plusieurs conférences que l'on trouve en ligne sur Internet
04:06et par différents biais de vidéos et de diffusions.
04:09Je signale en particulier l'une des dernières, ou peut-être la dernière.
04:12C'était une conférence de présentation générale que vous avez donnée de l'œuvre de Pierre Grippari
04:16à la Nouvelle Librairie, c'était en janvier 2024.
04:19– Exact.
04:19– Et on la trouve aujourd'hui sur le site de l'Institut Iliade.
04:24Alors Anne-Martin Conrad, je le disais, vous avez bien connu Pierre Grippari.
04:29– Oui.
04:30– Pourriez-vous nous dire brièvement, nous en tracer un portrait,
04:35pas exhaustif, c'est impossible bien sûr, mais quel type d'homme était Pierre Grippari ?
04:41– Alors c'était vraiment un homme très particulier, un personnage au sens propre du terme.
04:45Moi je l'ai connu parce que j'étais libraire à l'époque, c'était la fin des années 60, il y a longtemps,
04:52et j'ai vu débarquer Pierre Grippari dans ma librairie.
04:56Et il avait commencé à… il avait publié à la table ronde trois livres, je crois,
05:01mais ça ne marchait pas du tout, il était…
05:05la table ronde n'était pas une maison d'édition qui pouvait diffuser le genre de choses qu'il écrivait,
05:11il avait une toute autre vocation.
05:12donc il avait du mal, mais ça ne lui enlevait rien de sa gaieté, de sa passion
05:18et de sa détermination absolument étonnante à être un écrivain et à écrire.
05:25– Ça c'est quand même très important parce que l'image que l'on peut avoir de Grippari,
05:30je disais, j'ai repris bien sûr quelques titres, un Pierrot lunaire, enfin l'ami Pierrot,
05:34le martien en exil, Pierrot la lune, le côté rêveur, disons, qui dominait.
05:40Mais il y avait chez Grippari, il y avait quelque chose d'un peu, entre guillemets,
05:44et ce n'est pas du tout péjoratif, mais de marginal.
05:47Il y a la vocation littéraire, mais il y a aussi une forme de déclassement, pourrait-on dire.
05:52C'est quelqu'un qui fait des études brillantes,
05:53« Hippocagne et Cagnes à Louis le Grand »,
05:55qu'on dissipe de Jean-François Lyotard,
05:58dissipe ou en tout cas auditeur des cours de Ferdinand Alquier,
06:01qui était un grand maître de la Sorbonne.
06:03Et puis on sent qu'il veut tout sacrifier à la littérature et à l'écriture.
06:09– Les circonstances historiques et personnelles et familiales l'ont aidé à s'extraire du monde.
06:16Et aussi une chose très importante, qu'il raconte dans Pierrot la lune,
06:19avec beaucoup de courage, de sensibilité, de discrétion,
06:28enfin avec beaucoup de pudeur.
06:30C'est la découverte de son homosexualité.
06:35Donc il se trouvait qu'à cause des événements des années 40, de la guerre,
06:42il était à la campagne, sa mère est morte en 1942 d'avoir trop bu.
06:48– Il trouvait que c'était la sorcière qui s'était noyée dans son chaudron.
06:54– La sorcière viking, donc, il était né d'une sorcière viking et d'un magicien grec.
06:58– Et d'un magicien grec.
06:59Et le magicien grec, il était dans un autocar sur les bords de la Loire en 1944,
07:04qui a été mitraillé par des Américains.
07:06Et il s'est retrouvé avec un petit frère et tout seul,
07:10et il avait l'âge de passer le bac.
07:11Donc les circonstances l'ont vraiment aidé à ne pas être intégré dans la société
07:17quand tout s'est remis en place dans les années, à la fin des années 40 et 50.
07:22Et à ce moment-là, la vocation d'écrivain s'est imposée à lui.
07:28Et il est resté un moment dans cette campagne
07:31où il a fait tous les petits boulots possibles pour survivre.
07:33Alors, il était secrétaire d'un notaire.
07:36C'est là qu'il a appris à taper à la machine,
07:38ce qui était très utile pour son projet.
07:41Mais l'été, il faisait les moissons.
07:43Le samedi soir, il accompagnait au piano les balles populaires.
07:47Et après la guerre, au moment de la libération,
07:49il y avait vraiment beaucoup de travail dans ce domaine-là.
07:52Et alors, ça l'arrangeait très bien,
07:53parce que comme ça, on ne remarquait pas qu'il n'invitait pas les filles à danser.
07:58Et puis, il est monté à Paris,
08:00mais il n'était pas du tout attendu, accueilli.
08:07Et voilà, alors il a continué à faire des petits boulots en écrivant, en écrivant
08:10et en cherchant à faire des choses qui n'occupaient pas tout son temps,
08:14qui ne lui prenaient pas toute son énergie pour pouvoir vraiment écrire.
08:20Et il a écrit une pièce qui s'appelait Lieutenant-Tenant,
08:27qui s'est faufilée au milieu de ce qui se faisait à l'époque.
08:32Et elle a été jouée au Théâtre Montparnasse.
08:36Et puis, il y a eu une très bonne critique dans Le Figaro, ça l'a lancée.
08:41Michel Déon est venu voir cette pièce, il a été emballé, ils se sont rencontrés.
08:46Michel Déon l'avait introduit à la table ronde.
08:48Et là, il a édité Pierre ou la Lune, donc ce roman autobiographique,
08:53ce roman de formation, comme on dit,
08:55qui non seulement parle de son expérience personnelle et intérieure,
08:58mais aussi de l'ambiance de la France profonde, de la France de la province.
09:04C'était en l'occurrence près de Blois, sur les bords de la Loire,
09:08à l'époque de la libération, avec tout ce qu'on peut imaginer
09:11comme découverte des sociétés humaines par un jeune homme qui était quelque peu innocent.
09:20Et puis, il leur a proposé, après, l'équipé de force fornologue,
09:26un recueil de nouvelles aussi.
09:29Et puis, les contes pour enfants, les contes de la rue Broca.
09:32Alors, les contes de la rue Broca, ça, tout le monde les connaît.
09:35Tout le monde connaît la sorcière du placard à balai.
09:37Bien sûr.
09:37Et la sorcière de la rue Mouffetard.
09:40Alain Pocard, le Gripari que vous avez connu,
09:43le Gripari lunaire, ce Gripari un peu extraterrestre,
09:49c'est celui que vous avez connu également ?
09:51Vous avez retiré les mêmes impressions ?
09:53On ne pouvait connaître que celui-là.
09:55Il était entier, il ne se dissimulait pas.
09:57Mais c'est drôle, parce que votre émission s'appelle
10:00Les idées à l'endroit.
10:01Or, une des caractéristiques de Gripari,
10:04c'est que toute son œuvre, ce sont des idées à l'envers.
10:07À l'envers des idées reçues.
10:09Et il avait quelque chose qui est fondamental pour comprendre son œuvre,
10:14c'est qu'il se disait toujours, et si c'était vrai ?
10:17Par exemple, Anne vient de parler de Phosphore Nolok,
10:19Nolok à l'envers, c'est colomb.
10:21Bon, un jour, il est dans un bistrot près du théâtre de la Huchette,
10:25et quelqu'un dit, l'Amérique n'existe pas.
10:28Et si c'était vrai ?
10:29Et il écrit un roman qui s'appelle Phosphore Nolok.
10:32Alors, la terre est plate, et évidemment,
10:34les bateaux tombent dans le vide.
10:36Je ne crois pas du tout, évidemment, à ce que la terre soit plate,
10:39mais j'aimerais bien, car on serait privés des États-Unis d'Amérique.
10:42Mais cette idée du monde à l'envers ou à l'endroit,
10:47c'est aussi une idée qui n'est pas qu'humoristique,
10:50enfin, qui va assez loin philosophiquement.
10:52Un Chesterton, par exemple, dans Un nommé jeudi,
10:55disait également que nous voyons les choses précisément comme ça,
10:59quand on regarde à l'envers, mais qu'il faut les remettre à l'endroit.
11:02Enfin, il y a un mouvement à esquisser pour voir le monde tel qu'il est.
11:06Et précisément, ce que l'on pourrait appeler l'utopie,
11:08ou le rêve, simplement, ou une forme de magie permettent
11:12de voir le monde d'une manière complètement différente.
11:16Et c'est aussi, donc, peut-être, ce monde-là
11:19auquel les enfants ont d'abord accès.
11:22Vous parliez d'Anne-Martin Conrad, des contes de l'Ari Broca,
11:24des contes de la folie Méricourt.
11:27Ce sont les titres que l'on a les plus en tête,
11:31parmi ceux de Gréparie, alors que la bibliographie,
11:35là aussi, est immense.
11:36Cette enfance du regard, c'est aussi caractéristique de Pierre Ripari.
11:41Cela explique son goût des contes, entre autres choses, d'ailleurs.
11:44Oui, alors, effectivement, tout est renversé,
11:48dans Patrouille du Comte particulièrement.
11:50Là, le livre qui vient de paraître,
11:52et qui est un chef-d'œuvre de ce point de vue-là,
11:53dans sa construction et dans sa pensée.
11:56Mais dans ces œuvres pour les enfants,
12:00dans ces contes pour les enfants,
12:01c'est souvent le cas, le gentil petit diable qui finit ange au ciel
12:05avec des ailes qu'il lui pousse avec des plumes
12:07parce qu'il a été trop sage, que ses parents l'ont maudit, etc.
12:12Et il voulait absolument être gentil, le gentil petit diable.
12:17Et c'est absolument délicieux comme histoire.
12:20Et c'est vraiment, là, la réalisation du renversement.
12:23Il y a aussi, dans les contes pour enfants,
12:26un conte qui est inspiré, d'ailleurs, de la tradition grecque,
12:30son pays d'origine, comme vous le disiez,
12:32qui s'appelle la légende de Saint-Satan.
12:34Et là, c'est encore plus profond.
12:35C'est absolument magnifique comme histoire.
12:38Et là, ça nous ramène dans une émission sur les idées,
12:42tout court, à l'endroit ou à l'envers.
12:44C'est que c'est l'histoire de Satan, donc un enfant, un petit diable aussi,
12:53mais là, c'est le petit Satan.
12:55Et il s'ennuie, il s'ennuie parce qu'il n'arrive pas à faire
12:58assez de mauvaises actions en enfer.
13:01Et bon, alors, il est odieux avec ses parents, etc.
13:06Mais il a une adolescence difficile parce que, justement,
13:10il n'arrive pas à se réaliser.
13:11Il n'est pas assez méchant.
13:12Non, ça va trop bien, quoi, Satan.
13:14Oui, sa vocation n'est pas accomplie.
13:16Alors, un jour, il dit à son père,
13:18« Papa, donne-moi ta malédiction. »
13:20Et il s'en va sur la terre.
13:22Donc, il arrive sur la terre, au milieu.
13:26Alors, d'abord, il est…
13:29Oui, avant d'être envoyé sur la terre,
13:31on lui fait faire tous les sales boulots,
13:33c'est-à-dire chauffer le chaudron sous les damnés.
13:38Et puis, ça ne marche pas parce que l'inspecteur
13:40qui vient voir ce qui se passe découvre
13:42qu'il a un peu baissé le feu, qu'il est trop gentil.
13:45Il est négligent.
13:46Oui, qu'il est négligent.
13:47Alors, on l'envoie récupérer de l'anthracite dans les mines.
13:50Et puis, un jour, il donne un grand coup
13:52et la mine s'ouvre et il se retrouve dans le métro,
13:55à Paris, au milieu des humains.
13:57Et c'est vraiment une situation…
14:00Enfin, tout est comme ça.
14:03Et alors, le petit Satan du comte grec,
14:05donc, lui, il veut aller sur la terre
14:08pour se moquer des hommes, être très méchants avec eux.
14:13Et il décide qu'il va apprendre à peindre,
14:17faire son portrait, peindre une icône
14:20et se faire adorer par les hommes.
14:22Et comme ça, les hommes adoreront Satan
14:23comme ils adorent Dieu.
14:24C'est le comble, évidemment, de ce qu'il peut rêver.
14:26Donc, il va voir un vieux peintre qui peint des icônes.
14:30Mais le vieux peintre, quand il le voit arriver,
14:32il est terrorisé, donc il ne veut pas…
14:33Alors, il revient trois fois parce que c'est calculé.
14:36Je veux dire, le plan…
14:37Gris-Paris est très fidèle à la forme comte.
14:40Donc, il faut qu'il y ait toujours trois épisodes.
14:43Alors, un jour, il vient, le peintre est trop affolé,
14:46il ne veut pas le voir.
14:48Sa femme lui dit « Mais comment ? On n'a pas d'argent ? »
14:50Alors, le lendemain, il dit « Bon, je vais réfléchir. »
14:52Sur le lendemain, il dit « Bon, d'accord. »
14:53Et puis, sa femme peut aller au marché,
14:55acheter des tas de choses et tout.
14:56Donc, il est content.
14:58Et alors, il lui apprend à peindre, mais ça ne marche pas.
15:03Ses tableaux, son portrait n'est pas beau et tout ça.
15:06Et il finit par travailler, travailler, travailler tellement
15:09parce qu'il veut porter son projet à son terme
15:14qu'il finit par avoir de l'empathie pour les hommes qu'il veut humilier,
15:19qu'il finit par transcender son travail
15:25et par réaliser une œuvre.
15:27Et alors, à ce moment-là, ça y est, c'est plus Satan.
15:29C'est plus Satan.
15:30Oui, oui, l'inversion a été accomplie, en quelque sorte.
15:34Raphaël Pajares, vous qui êtes un jeune lecteur,
15:38mais assidu et exhaustif de Pierre Grypari,
15:42vous êtes également sensible à cette inspiration, disons, enfantine,
15:47à cette inspiration plus directement ludique,
15:50bien que Grypari n'abandonne jamais le jeu,
15:53à commencer par le jeu de l'écriture.
15:55C'est quelque chose auquel vous êtes sensible ?
15:57J'ai découvert Grypari par ses contes.
15:59Ah, oui, donc très jeune, alors.
16:00Dans les années 90, en classe de sixième,
16:02le conte était au programme de l'éducation nationale.
16:05D'ailleurs, je crois qu'il y est toujours.
16:06Et à l'époque, on nous avait fait lire les contes de la rue Broca.
16:09Oui.
16:10Et c'est comme ça que j'ai connu Pierre Grypari.
16:11Et ce qui m'avait énormément plu à l'époque,
16:15alors évidemment, je n'avais pas l'âge pour mettre des mots
16:17et pour analyser ça, mais c'était des contes urbains.
16:21Et en réalité, on sortait des contes à la campagne, etc.
16:24Et là, on entrait dans la ville et on avait finalement des enfants
16:27qui nous ressemblaient.
16:29Et ça, ça m'avait énormément plu à l'époque.
16:32Et ensuite, je n'ai plus l'occasion de lire Pierre Grypari.
16:37Je l'ai découvert beaucoup plus tard.
16:39Oui.
16:39En lisant l'œuvre de Céline et puis de Marcel Aimé,
16:43et puis en lisant autour de leur œuvre,
16:45le nom de Pierre Grypari revenait beaucoup.
16:47Et je me suis dit, mais Pierre Grypari, c'est les contes de la rue Broca.
16:49Et c'est à ce moment-là que j'ai découvert qu'il avait écrit
16:51bien d'autres choses.
16:52Il y a une cinquantaine de livres à peu près qui ont été publiés.
16:55Et j'ai lu Pierre au la Lune et après, je n'ai plus arrêté.
17:00Comment pourriez-vous définir les contes
17:03par rapport à ceux de Marcel Aimé, par exemple ?
17:06On parle souvent, on l'évoque, c'est un peu nécessaire,
17:08enfin ce parallèle.
17:10Quelles sont les caractéristiques et les distinctions
17:13de l'écriture griparienne ou de l'esprit de Pierre Grypari ?
17:17Alors d'abord, ce qu'il faut savoir,
17:18c'est que Grypari appelait Marcel Aimé le patron.
17:20C'est-à-dire que c'était sa référence.
17:23Il considérait que Céline était le plus grand écrivain du XXe siècle,
17:26mais il avait une préférence pour Marcel Aimé.
17:28Donc je dirais que, je ne sais pas exactement comment l'expliquer,
17:34mais on retrouve…
17:37Est-ce que c'est une incursion ?
17:38Est-ce que l'imagination de Grypari est plus débridée, plus vaste ?
17:45Est-ce que ça se joue dans ce registre-là ?
17:48Oui, c'est ce que je vous disais.
17:50C'est-à-dire qu'en tant qu'enfant, on s'identifiait beaucoup plus
17:54et on avait plus d'accointances dans les contes de la rue Broca
17:58par rapport à d'autres contes, les contes de Merlois
18:00ou même les contes du Chat-Perché de Marcel Aimé.
18:03On se reconnaissait beaucoup…
18:04Enfin, c'est en tout cas mon expérience, je me suis reconnu beaucoup plus.
18:08Les contes de Pierre Grypari me parlaient.
18:10Et d'ailleurs, c'est un livre qui m'a…
18:12De tous les livres que j'ai eu à lire dans mon cursus scolaire,
18:16en tout cas secondaire, je crois que ça a été le meilleur livre
18:19que j'ai lu, celui qui m'a vraiment le plus touché
18:23et dans lequel je me suis très, très investi à l'époque.
18:26Alors, je ne saurais pas vous dire exactement…
18:28Il y avait cette sensibilité, effectivement, le fait qu'on se reconnaissait.
18:31Je ne serais pas peut-être plus développé…
18:34Mais alors, justement, venons-en à cette réédition de Patrouille du Conte
18:39qui fait figure un peu, puisqu'on évoque le Grypari-conteur,
18:43qui fait figure un peu quasiment d'art poétique.
18:45C'est un livre qui est inouï.
18:48Enfin, vous venez donc de le préfacer, Alain Pocard.
18:51C'est un livre qui, pour les lecteurs d'aujourd'hui,
18:56relate la plus grande actualité qui soit.
19:00Or, le livre n'est pas écrit d'hier.
19:03Il a été écrit en 82, un an après l'accession au pouvoir des socialistes.
19:08C'est publié pour la première fois en 83.
19:10Et on est déjà dans le politiquement correct,
19:13mais ce n'est pas encore le wokisme.
19:14C'est ça, mais lui, le voir, le wokisme.
19:17Alors, pourriez-vous nous dire, Patrouille du Conte, en quelques mots,
19:20c'est quoi ? Quelle est cette patrouille ?
19:22Qu'est-ce qu'elle est faite ?
19:23Et pourquoi est-elle lancée comme ça dans les contes de fées ?
19:26Alors, c'est une patrouille qu'on appelle aujourd'hui de pré-adolescente,
19:29à l'heure entre 10 et 13 ans,
19:31qui est envoyée dans l'univers du Conte pour le moraliser,
19:35pour éviter les mots.
19:36Par exemple, on ne dit plus un ogre, on dit un homophage, etc.
19:39Et il faut surtout l'extirper, extirper des contes pour enfants,
19:44tout ce qu'il y a de passé monarchiste et chrétien.
19:48Or, Grippari était fort peu monarchiste,
19:52pas très chrétien encore que, c'est plus compliqué.
19:55– On viendra en parler, vraisemblablement, oui.
19:57– Mais en tout cas, tout homme de culture sait que le passé de la France
20:02est monarchiste et chrétien quand même, voilà, c'est ça.
20:04Et ça, il l'a pigé.
20:05Je voudrais quand même dire une petite chose avant.
20:07– Vous en priez. – Ce qui lui a vraiment donné l'idée,
20:11c'est qu'en 1975, il a présenté un recueil pour enfants
20:15qui s'appelait Prince Pipo à une maison d'édition.
20:18La directrice littéraire lui a pris dans un premier temps,
20:21l'a invité à dîner, où là, il y avait un gourou démocrate
20:23qui lui a dit, écoutez, j'ai lu votre livre.
20:25D'accord, c'est bien écrit, mais qu'est-ce que c'est
20:27que ces histoires de roi et de reine ?
20:29Nous sommes en République.
20:30– Ah non, c'est fatigué.
20:31– Alors, réécrivez-le, on lui a dit ça.
20:34Alors, évidemment, ce n'était pas le genre de Grippari.
20:36Il a d'abord écrit en 1975 l'année de parution
20:39de Prince Pipo chez Grasset Jeunesse.
20:42Il a aussi publié dans un recueil de nouvelles à l'âge d'homme
20:45une nouvelle qui s'appelait
20:46« Il était une fois le président de la République »,
20:49la fille du président de la République,
20:52où elle épousait un éboueur,
20:55parce que vous savez, c'était quand Giscard
20:56recevait les éboueurs à déjeuner.
20:58Et voilà, c'est-à-dire, et si c'était vrai ?
21:01Toujours ce système.
21:02– Mais il débusque ce que le politiquement correct
21:07pouvait avoir et pourra avoir,
21:09et nous y sommes aujourd'hui en plein,
21:11et c'est démultiplié, ce qu'il peut avoir de fou.
21:15Enfin, la véritable folie se trouve là,
21:18dans cette volonté d'éradiquer les personnages des contes,
21:22l'arrière-plan imaginaire qui leur donne naissance.
21:26– C'est fait partout, on réécrit les bouquins,
21:29heureusement pas encore en France,
21:30quoique j'ai l'impression.
21:32Et puis surtout, Walt Disney a ressorti 10, 5,
21:36ou 3, non, 3, 3 dessins animés des années 40.
21:40Il n'y a pas de coupure, mais à la fin, il y a marqué
21:42« Attention, ces films reflètent des idées
21:45qui n'ont plus cours aujourd'hui ».
21:47– Oui, c'est ça, c'est ça.
21:47– C'est-à-dire qu'il est dans le sens exact du terme,
21:51mais il a été visionnaire, il a vu vraiment les choses.
21:54Bon, qu'est-ce que vous voulez aimer ?
21:56Vous savez, il y a une chose qui l'a beaucoup aidé,
21:59je voudrais revenir un peu là-dessus,
22:01parce qu'on a… et pourquoi les écrivains écrivent ?
22:05– Pour écrire les livres qu'ils aimeraient lire.
22:07Et lui, comme il aimait beaucoup les contes pour enfants,
22:10il a écrit des contes pour enfants pour ça, et ainsi de suite.
22:13Et peut-être qu'une des clés de son œuvre,
22:15c'est qu'il est resté un enfant.
22:16– Voilà, c'est ça.
22:17– Et je me souviens très bien, par exemple,
22:19il y avait un cinéma venu de l'Opéra qui s'appelait
22:21le Studio Universel, qui donnait des programmes
22:24de dessins animés, et c'était une heure et demie le programme,
22:28il y allait, je l'ai insisté, et il aimait beaucoup Droopy,
22:32vous savez Droopy le chien triste, là, il adorait ça.
22:35Comme quoi, il était anti-américain politiquement,
22:38mais si les Américains produisaient quelque chose de bon,
22:40bon, ben voilà, on n'en refuse rien a priori.
22:45Voilà, c'est ça aussi, la liberté d'esprit.
22:49– C'est une grande liberté d'esprit.
22:51Et d'ailleurs, je relisais, pour préparer cette émission,
22:54un ouvrage qui recueille un certain nombre de chroniques
22:58que Pierre Ripari a données à la revue Éléments.
23:02C'est paru sous le titre Le Devoir de Blasphème,
23:04avec une très belle préface de Michel Marmin,
23:06aux éditions du Labyrinthe.
23:07Et parmi ces chroniques-là, il y en a une, donc,
23:10qui est consacrée à un livre de Claudio Mouti,
23:12qui s'appelle Le Symbolisme dans la fable.
23:14Et c'est une critique assez nuancée de la part de Pierre Ripari.
23:17C'est un sujet qu'il connaissait.
23:19Et c'est pour bien illustrer la liberté de Ripari.
23:23Donc, il se félicite de l'existence de ce livre,
23:26enfin, il dit pourquoi.
23:27Mais en même temps, il s'étole en disant,
23:29mais pourquoi Claudio Mouti n'évoque pas,
23:32ou balaie du revers de la main,
23:35les lectures marxistes et freudiennes des contes ?
23:39Marx et Freud, et par exemple, nous sommes dans le registre,
23:42dans ces années-là, qui est le plus politiquement correct.
23:45Mais il pouvait très bien dire, lui, Gris-Pari,
23:48Marx et Freud, on peut, pourquoi pas,
23:51y voir dans la lecture qu'ils ont proposée
23:55un certain intérêt, un certain éclairage.
23:57Donc, grande liberté de Gris-Pari,
24:00qui l'empêchait, enfin, qui faisait qu'il n'était pas réductible
24:03et qu'il ne partageait absolument aucun des a priori en vigueur,
24:08de quelque côté que ce soit, dans le politiquement correct.
24:11C'est quand même assez rare pour être souligné.
24:14Alors, si vous le permettez, on a évoqué Patrouille du Comte,
24:17donc je songe à un autre titre de Pierre Ripari,
24:20le Comte de Paris, Comte de Paris, C-O-N-T-E.
24:24Et dans votre ouvrage…
24:25C'est Paris, c'est Paris.
24:26Oui, oui, oui, absolument, absolument.
24:28Et dans la biographie que vous avez publiée avec Jacques Marleau,
24:33Anne-Martin Conrad, vous citez la très belle dédicace de Gris-Pari.
24:38Je vais la lire, pas intégralement parce qu'elle est assez longue,
24:42mais elle donnera une idée de…
24:43Pierre Ripari écrit, donc, ce livre, le Comte de Paris,
24:46est tendrement dédié aux grands sumériens, acadiens, assyriens et babyloniens
24:51qui inventèrent, élaborèrent et transcrivirent l'histoire de Gilgamesh,
24:56aux bardes d'Occident, aux moines d'Irlande et du pays de Galles,
25:00aux poètes de Leda, à celui ou à ceux qu'on appelle Homère,
25:04aux auteurs du Mahabharata et du Ramayana.
25:07Bon, et voilà, ça continuait un peu comme ça.
25:09Ce sens de la narration, y compris d'ailleurs,
25:11en allant du côté du registre biblique,
25:13je n'ai pas été jusqu'à lire la référence au Deutéronome,
25:16mais à lire, ce goût des histoires, ce goût de la narration,
25:19ce goût du langage chez Gris-Pari,
25:23on a le sentiment qu'il est porteur d'un enseignement.
25:26C'est-à-dire que dire des histoires, les écrire,
25:29ça n'est pas neutre, ça n'est pas qu'un divertissement.
25:32C'est aussi un divertissement, on peut rire, on peut sourire,
25:35mais il y a dans les contes une grande sagesse.
25:38Vous êtes d'accord avec ça ?
25:39Absolument.
25:41Oui, absolument.
25:43Et c'était sa profession de foi, tout à fait.
25:47On peut le dire au sens propre du terme,
25:49parce que même les religions étaient pour lui une source.
25:52Ce qui l'intéresse dans les religions,
25:53ce n'est pas la transcendance, ce n'est pas la spiritualité,
25:56c'est la littérature, c'est les personnages.
25:58Et Dieu prend des formes tout à fait.
26:01Alors, Alain Pocard disait qu'il était visionnaire,
26:06enfin, vous aussi.
26:08Et c'est très touchant et très émouvant,
26:11parce que le dernier recueil de contes
26:14dont il a porté le manuscrit chez Grasset,
26:18c'était les contes d'ailleurs et d'autre part.
26:21Et tous les recueils qu'il avait faits avant
26:23étaient liés aux adresses qu'il habitait.
26:25Il était installé toujours dans un quartier, dans un lieu.
26:28Et il y a eu les contes de la rue Broca,
26:30les contes de la folie Méricourt.
26:32Le dernier, c'est les contes d'ailleurs et d'autre part.
26:35Et le livre posthume qui est paru l'année
26:38qui a suivi sa mort à l'âge d'homme,
26:40dont il avait remis le manuscrit à Vladimir Dmitrievitch,
26:44avec très peu de temps avant de mourir,
26:46s'appelle Monoméron.
26:47Et le premier chapitre, c'est l'histoire de sa mort.
26:50Bon, mais en fait, ce n'est pas triste,
26:52il n'est pas mécontent d'être mort.
26:54Déjà, il sort de l'église quand il est mort.
26:57Il se fait renverser par une voiture.
27:00Donc, il raconte ça.
27:01Et ensuite, il a un guide.
27:03On croirait qu'on est dans la Divine Comédie.
27:10Il a un guide qui l'emmène,
27:13qui a créé, c'est un médecin,
27:15un médecin des âmes sans doute.
27:17Enfin, il a créé un panthéon,
27:18mais pas celui de la rue Soufflot.
27:20C'est un panthéon dans l'au-delà,
27:22où il soigne et il essaie de consoler tous les dieux
27:25que les hommes n'aiment plus.
27:27Et donc, qui n'existent plus
27:28ou qui sont dans un état pitoyable,
27:30l'ombre d'eux-mêmes,
27:32et qui récriminent et qui se plaignent, etc.
27:34Et alors, évidemment, le plus beau rôle,
27:36c'est Jéhovah,
27:38qui a du mal à se lever sur son lit,
27:41mais qui est content qu'on pense encore à lui,
27:43là qu'on lui amène quelqu'un qu'il connaît,
27:45qui sait qui il est, etc.
27:47Et c'est typiquement la relation qu'il avait
27:51avec les religions,
27:53avec un mélange de moqueries.
27:54Quelquefois, il n'est pas tendre avec les religions,
27:58pas seulement le christianisme.
28:01Et puis, en même temps, une tendresse énorme.
28:03Oui, c'est le Dieu comme personnage cardinal,
28:08si j'ose dire.
28:09Dieu et puis tout ce qui se passe autour.
28:13Et pour lui,
28:16l'angle de vue spirituel ou religieux,
28:20c'est des histoires, des histoires et des histoires
28:22et des personnages incarnés.
28:24Mais moi, je me souviens que quand il venait chez moi,
28:28il lisait énormément, bien sûr.
28:31Vous disiez qu'il se permettait une grande liberté d'esprit.
28:35Mais elle était très assurée dans les arrières
28:38parce qu'il avait une culture absolument étonnante.
28:41Évidemment, il ne faisait que ça, lire et écrire.
28:43Et le reste était très secondaire.
28:45Donc, je me souviens très bien.
28:47Ça m'amusait beaucoup.
28:49Il arrivait chez moi et il s'installait.
28:52Et il commençait à parler des livres qu'il avait lus
28:55la plupart du temps.
28:57Et on avait l'impression qu'il avait rencontré
28:59les personnages au coin de la rue.
29:01C'était complètement…
29:02– C'était le véritable monde réel.
29:04– Mais il les avait rencontrés puisque tout ce qui…
29:07– Oui, c'est aussi cette inversion-là.
29:10C'est-à-dire que ce que nous prenons, nous,
29:11pour de la fiction est en fait le réel.
29:13Et donc, ces personnages, ces écrivains…
29:15– Et si, c'était vrai.
29:16– Mais voilà, y compris les plus anciens
29:18et quelles que soient les civilisations, d'ailleurs.
29:21– Oui.
29:22– Est-ce que c'est à mettre en relation
29:24avec le goût qu'il avait de la musique également ?
29:27Est-ce qu'il y a là une forme d'universalité du langage,
29:34en quelque sorte, dans la narration et dans l'histoire ?
29:36– Oui, et puis, c'est évidemment la musique,
29:39on peut l'écouter, même si on ne connaît pas la langue,
29:42même l'opéra.
29:42– Voilà, tout à fait.
29:43– Mais quand je l'ai connu,
29:46il s'intéressait à la musique en général.
29:48Et d'ailleurs, il était, je pense,
29:50je n'ai jamais pu m'en rendre compte vraiment,
29:51mais il n'avait pas de piano, évidemment,
29:53dans sa carré, comme il disait.
29:55Mais il avait bien joué du piano, en tout cas.
29:58Et puis, à la fin de sa vie,
30:00il était vraiment très passionné par l'opéra.
30:04Alors, évidemment, parce que l'opéra raconte une histoire.
30:06– Bien sûr.
30:07– Et quelle histoire ?
30:07Alors là, pour être invraisemblable, ça l'est.
30:09Et pour être plus vrai que le vrai, ça l'est.
30:12Et donc, il était vraiment, l'opéra,
30:16il vivait très pauvrement.
30:19À certains moments, bon, pas les dernières années de sa vie,
30:21non, grâce aux contes pour enfants,
30:23et il vivait pauvrement, mais normalement.
30:26Mais il y a eu des périodes avant où ce n'était pas le cas.
30:29Mais n'empêche, il s'offrait chaque année un abonnement à l'opéra
30:33et il prenait toujours deux places pour inviter ses amis.
30:37– Oui, ce qui est très généreux.
30:38– Oui, il était très généreux.
30:39Mais il allait à l'opéra en sandales,
30:41avec un pantalon qui tenait avec une ficelle même quelques fois.
30:44– Et pour le bas du blue jean, des agrafes.
30:48– Voilà, c'est légendaire.
30:50Il travaillait, il faisait des petits boulots pour la niche et la pâtée,
30:53comme il disait.
30:54– Oui, sauf qu'à la fin, avec les contes pour enfants,
30:57alors on a appris, et c'est là peut-être que c'était un vrai chrétien,
31:01car le vrai chrétien n'est pas celui qui fait l'aumône,
31:03c'est celui qui n'en parle pas.
31:05On a appris quand il est mort qu'il distribuait l'argent aux pauvres.
31:08– Mais parce que c'est une façon de parler,
31:11distribuer l'argent aux pauvres, la formule est tout à fait bonne,
31:16mais il avait une vraie générosité, oui c'est vrai.
31:21– Ah, il ne donnait pas au secours machin, non, non, non.
31:24– Mais il était très généreux, et il faut dire que les années passant
31:31et les habitudes étant prises, tout l'embarrassait de ce qui étaient
31:35les objets, les biens, quoi, à tous les sens des termes.
31:38– Il voulait se délester, alors…
31:40– Il achetait des livres pour les lire, et puis il les donnait tout de suite.
31:43Moi j'ai beaucoup dans ma bibliothèque de livres qu'il m'a donnés.
31:49– Je voudrais revenir sur deux, trois petites choses,
31:51parce que vous avez peut-être fait une erreur là.
31:53Alors d'abord, je trouve que le titre « Devoir de blasphème »
31:55qui a été donné après la mort de Grippari est un titre idiot,
31:59parce que « Devoir », ça veut dire que c'est une obligation.
32:02Or, il n'y a pas de « Devoir de blasphème »
32:04comme il n'y a pas une interdiction de blasphème,
32:06on fait ce qu'on veut, et ceux qui blasphèment sont les croyants.
32:09Mais je reviens sur Freud, car Grippari était quelqu'un
32:12qui n'avait pas d'a priori.
32:15Il me disait, la psychanalyse, et notamment la psychanalyse opérative,
32:19c'est-à-dire d'aller voir un psy et tout, il trouvait ça complètement couillon.
32:21– Bien sûr.
32:22– Mais il disait, Freud est très agréable à lire,
32:25et par exemple, « Moïse et l'invention du monothéisme »
32:27est un livre qui le remplissait de joie.
32:29– Ça se comprend.
32:30– Et je vais même plus loin, c'est que je trouve que dans Patrouille du Comte,
32:33alors, il n'est plus là pour nous en parler,
32:35je trouve que c'est un livre jungien, peut-être à son insu même,
32:42car il y a plusieurs fois où on parle des archétypes,
32:44et ce n'est pas nommé sous ce nom,
32:45mais des archétypes, des symboles qui sont là depuis longtemps,
32:49et que les chasser pour se faire plaisir à soi,
32:52en fait, est une destruction de nos armes.
32:54– Oui, mais évidemment.
32:55– Et même s'il n'utilise pas tout à fait un langage trop religieux,
32:58c'est ça, c'est un livre jungien, en fait.
33:01– Oui, oui, oui, on peut parfaitement le voir de la sorte, c'est vrai, c'est vrai.
33:04– Et dans Patrouille du Comte, il faut noter aussi que l'histoire de Cendrillon
33:09s'arrange très bien, parce que Cendrillon a une tente psychanalyste
33:13qui l'a guérie de ses névroses.
33:16– Non, mais ça, il était tout à fait contre.
33:19Et il disait, Freud est très agréable à lire.
33:21Et c'est vrai que Jung est assez ennuyeux à lire,
33:23mais Freud est très agréable à lire.
33:25– Oui, il y a un classicisme freudien de l'écriture qui est tout à fait…
33:29Et on peut parfaitement comprendre que qui aime les histoires
33:31aime Freud aussi pour ces raisons-là,
33:33et en particulier Moïse et le monothéisme, enfin c'est tout à fait…
33:37Alors Raphaël Pajares, vous avez rencontré Gripari,
33:40donc très jeune, au collège, mais le Gripari…
33:43– À travers ses livres.
33:43– Voilà, à travers ses livres, absolument.
33:46L'évocation que l'on vient de faire,
33:48enfin de première évocation en tout cas,
33:50de cette vision de Gripari, on y pénètre à peine,
33:54de la sagesse, disons, de la sagesse des contes,
33:56et puis éventuellement aussi de la sagesse des narrations
33:59et des personnages.
34:01C'est quelque chose à quoi vous êtes sensible, vous, dans son œuvre ?
34:04– Oui, absolument.
34:05Je voudrais parler d'un conte.
34:07Alors d'abord, je voudrais rebondir un petit peu sur ce qu'a dit Anne,
34:09c'est-à-dire qu'en fait, il avait vraiment un bagage derrière.
34:12Vous citiez tout à l'heure le conte de Paris.
34:14On pourrait citer aussi Patrouille du Comte ou ses propres contes.
34:18On voit que c'est quelqu'un qui avait lu.
34:20Il y avait vraiment une charpente, c'était extrêmement solide.
34:23– Et toutes les littératures, enfin, littérature du monde.
34:25– Absolument. Et en plus, il a touché à tous les genres,
34:26parce qu'il a écrit des contes, des pièces de théâtre,
34:28des essais, des romans, des nouvelles.
34:30Il a vraiment touché à tout, c'est absolument incroyable.
34:32– Et pour revenir à votre question, excusez-moi, j'ai vu ce que…
34:37– Non, je vous demandais si le gris Paris, donc,
34:39qui est plus, entre guillemets, même si les séparations sont absurdes,
34:46mais le gris Paris que l'on peut lire et dont on peut comprendre
34:50qu'il y a un discours un peu plus éloigné que le discours
34:53à destination des enfants ou enfantins, donc celui des contes,
34:57mais le gris Paris de ces idées-forces que j'évoquais au début,
35:01avec un arrière-plan, je vous mets le mot avec beaucoup de guillemets,
35:04plus philosophique, c'est quelque chose à quoi vous êtes sensible,
35:07qui vous requiert aussi dans votre lecture de Pierre-Guy Paris ?
35:12– Oui, absolument. Je voudrais citer justement un conte,
35:14c'est là où je voulais en venir tout à l'heure,
35:16qui m'a beaucoup, beaucoup impressionné,
35:19et je trouve qu'il y a beaucoup de sagesse dedans.
35:21C'est l'histoire, je crois que c'est dans l'un de…
35:23c'est dans Contes, d'ailleurs, et d'autre part,
35:25qui est son dernier livre qui a été publié de son vivant,
35:27en septembre 90, aux éditions Grasset, juste avant qu'il décède,
35:31il y a l'histoire d'un petit garçon qui…
35:33ses parents l'emmènent vivre dans une ville au bord de la Loire,
35:38et en fait, ce petit garçon, il voudrait vivre au bord de la plage,
35:41et en fait, il prie, enfin, il supplie ce qui lui sert de ciel,
35:49on va dire, pour que la mer vienne à lui.
35:52Et en fait, le village va déménager un soir,
35:55il va déménager et il va aller au bord de la plage,
35:58et le conte se termine comme ça.
36:00Et il y a une telle profondeur, une telle sagesse,
36:02ça, ça m'a beaucoup, beaucoup marqué.
36:03– C'est très beau.
36:04– Je regrette peut-être de ne pas…
36:06on ne peut pas regretter ce qu'on n'a pas fait avant,
36:09mais peut-être de ne pas l'avoir lu plus tôt, ce conte-là,
36:12parce que je l'ai découvert très tard,
36:13bien après les contes de la rue Broca,
36:15j'avais déjà plus d'une trentaine d'années,
36:17et c'est vraiment un conte qui m'a énormément marqué,
36:20je trouve qu'il y a justement énormément de sagesse dedans,
36:23d'intelligence aussi.
36:24– Et ce conte s'appelle « Le voyage de Saint Déoda ».
36:28– Merci, « Le Saint Déoda ».
36:29– Et en fait, il est inspiré par le…
36:31– Déoda, c'est dieudonné.
36:32– Oui, et il est inspiré par ce à quoi je fais allusion tout à l'heure,
36:37son adolescence, enfin sa jeunesse,
36:39quand il vivait près de Blois,
36:41dans un village qui s'appelle Saint-Dié,
36:44et où on est allé visiter sa maison,
36:47Alain Paucare, moi et d'autres gripparistes,
36:49dans les années 90, et ce qu'il raconte évidemment,
36:54un village qui déménage au bord de la mer,
36:57ce n'est pas possible,
36:58mais tous les détails sont exacts,
37:01y compris le jardin de cette propriété,
37:04donc qui appartenait à ses parents, à son père,
37:06et qui va vers la Loire, avec une espèce de terrasse,
37:11c'est absolument ça.
37:12– Ce qui est incroyable, donc,
37:13c'est qu'il y ait cette minutie dans la description réaliste,
37:16et de voir à quel point le réalisme qui s'accomplit,
37:21s'accomplit dans une forme de surréalité, en quelque sorte.
37:25– Absolument.
37:26– Il joint les deux bouts, en quelque sorte,
37:28gripparistes, dans ce registre-là.
37:30– Si je peux rebondir,
37:32lorsqu'on voit ce qu'était la boutique de Papa Saïd,
37:36la rue Broca,
37:37il y a un reportage qu'on a publié sur notre page Facebook,
37:41enfin c'était un endroit,
37:42mais c'était un taudy,
37:44et c'est incroyable de voir à quel point, dans son livre,
37:49il a transformé cette épicerie buvette,
37:51comme il l'appelle,
37:51qui est vraiment un…
37:53oui, c'est un taudy, il n'y a pas d'autre mot,
37:56en quelque chose de merveilleux.
37:57À quel point son imagination est tant fertile.
38:02Lorsque j'ai vu pour la première fois
38:03ce qu'était vraiment l'épicerie de Papa Saïd,
38:07au 69 de la rue Broca,
38:09je me suis dit, c'est incroyable,
38:10je n'aurais jamais cru qu'en fait,
38:12un tel lieu lui avait donné une telle inspiration.
38:16C'était un taudy,
38:17il n'y a pas d'autre mot.
38:18Je ne sais pas si personnellement,
38:19je me serais assis pour aller boire un cœur.
38:20C'est le magicien, c'est la transfiguration des lieux,
38:24et le stylo devient baguette magique.
38:27Ou le 48 rue de la Folie-Méricourt,
38:29où il transforme le petit restaurant
38:30qui s'appelait Chez Dany,
38:31où il allait manger en bas de chez lui,
38:33qui était une gargote,
38:34et il le transforme dans un de ses contes
38:37qui s'appelle Les Déménageurs,
38:38dans les contes de la Folie-Méricourt,
38:40et c'est là qu'on voit aussi à quel point,
38:42pareil, son imagination est tant fertile.
38:45Justement, on a l'impression d'entrer dans un endroit
38:47qui est tout propret, merveilleux,
38:49alors qu'il s'agissait d'une gargote de quartier
38:51pas très propre, visiblement.
38:53Quand on voit les photos de l'époque,
38:56ces endroits-là, évidemment, n'existent plus.
38:58On peut toujours aller sur les lieux, évidemment,
39:02mais on voit, il reste un local,
39:04il y a d'autres commerces qui ont pris la relève derrière,
39:07mais ces lieux étaient vraiment des endroits
39:09très, très pauvres à la base.
39:11Il a vraiment tout transformé de par son imagination,
39:13c'est incroyable.
39:14Oui, oui, oui, c'est le génie littéraire.
39:16C'est ça, absolument.
39:17De l'inspiration.
39:18C'est ça.
39:18Alors, Grippari, on le voit,
39:21on peut rire, on peut sourire,
39:24mais on peut penser aussi avec Grippari.
39:27C'est un homme qui est porteur
39:31de tout un arrière-plan de réflexion,
39:34qui a une vision du monde,
39:35une vision de la vie.
39:38Je n'ose pas employer le grand mot de métaphysique,
39:40mais enfin, il est l'auteur de ce livre,
39:45de cette anthologie qui est l'évangile du rien.
39:50Il faut en parler parce que ça paraît très étrange
39:53que le même auteur ait été celui des contes de la rue Broca
39:56et puis d'une méditation comme ça,
39:59qui est très belle, bien sûr,
40:00mais sur cet arrière-fond qui est fait de quoi ?
40:05Qui est fait de rien, qui est fait de vide,
40:07qui est fait d'une plénitude, d'une vacuité.
40:11Grippari est hanté, à certains égards,
40:14par la question du divin.
40:17Comment se manifeste-t-elle cette question-là ?
40:19On a vu que les textes sacrés,
40:22les grandes épopées, la Bible,
40:25les grands textes saints, disons,
40:27sont aussi des matières à réflexion,
40:30à mise en scène.
40:32Mais enfin, l'esprit, l'âme de Grippari
40:35veulent aller plus loin.
40:38Il y a une grande interrogation.
40:39Alors, il y a une réponse, il y répond.
40:41Il ne s'agit pas du tout de définir Grippari
40:46comme il n'était pas.
40:48Ce n'était pas un croyant.
40:49On va en parler à la pourcargue.
40:51Quelle est votre idée là-dessus, justement ?
40:52C'est Volkov qui a dit la vérité sur Grippari.
40:55Vous savez, on dit toujours
40:56quelqu'un est croyant par le désir
40:58et Volkov disait il est croyant par la haine.
41:02Je trouve ça très beau.
41:03Pas mal.
41:04Mais vous savez, dans son anthologie du rien,
41:06par exemple, il cite,
41:08alors il aimait beaucoup les gnostiques juifs,
41:10les kabbalistes,
41:10les gnostiques musulmans, les soufis.
41:13Et parmi l'évangile du rien,
41:15il cite même un texte de Staline.
41:17C'est-à-dire, c'est l'ouverture d'esprit totale.
41:21Et il termine par Kipling.
41:24If, tu seras un homme,
41:26tu es qui est un texte.
41:27Oui, et puis il cite aussi Maître Ecarte.
41:29Avec beaucoup de respect.
41:33Avec beaucoup de respect,
41:34avec beaucoup de précision.
41:36Je pose la question d'une manière
41:38qui est presque un peu technique,
41:41mais il y a une forme de théologie négative
41:43chez Grippari.
41:45Pourquoi, indépendamment du versant épique,
41:49donc narratif des grands textes,
41:51pourquoi se dirige-t-il vers,
41:55pourquoi a-t-il un souci spirituel
41:58ou un souci métaphysique ?
42:00Qu'est-ce qu'il veut ?
42:01Après tout, quand on est athée,
42:03et qu'on l'est de manière tout à fait rudimentaire,
42:05élémentaire,
42:06Dieu n'est même pas un personnage.
42:09À quoi bon discuter du personnage divin ?
42:12Pour Grippari, c'est un personnage,
42:14et c'est un personnage qui ouvre aussi des horizons.
42:18– Oui, et puis là, je ne veux pas lui faire injure,
42:22il se disait lui-même athée,
42:23donc on ne va pas revenir là-dessus.
42:25Mais pour moi, non, il n'était pas athée
42:29parce qu'il était très préoccupé de Dieu
42:31dans son existence et dans sa non-existence.
42:34Il y a une nouvelle qui s'appelle Dieu,
42:38qui est très profonde et très belle,
42:40ça se passe dans le régime communiste,
42:43à la plus belle époque de l'Union soviétique.
42:46C'est un jeune philosophe qui sort de l'école,
42:49enfin, qui est tout innocent,
42:50et à qui le parti demande, comme il est très brillant,
42:53d'écrire un essai pour prouver la non-existence de Dieu.
42:57Et donc, il remonte les manches, il se met au boulot,
43:00et puis il se rend compte qu'il n'a pas trop d'idées,
43:04il ne sait pas trop comment il va s'y prendre.
43:06Et en fait, il n'a reçu aucune éducation religieuse,
43:11il ne connaît absolument rien,
43:12même de l'aspect humain de la religion.
43:14Et on lui conseille de lire la Bible,
43:17mais la Bible, on ne la trouve pas,
43:19parce qu'elle est interdite.
43:21Alors, il finit par en trouver une,
43:23dans une cachette très bien cachée.
43:27Et puis, donc, il lit la Bible,
43:29mais ça ne l'avance pas beaucoup plus.
43:30Enfin, il se passe un certain nombre de rencontres et de choses.
43:34Il se remémore que quand il était enfant, tout petit,
43:36son grand-père, qui avait connu d'autres époques,
43:39avant la Révolution, le faisait sauter sur ses genoux,
43:42et lui disait, lui chantait plus exactement une comptine
43:45qui disait « Dieu est un petit bonhomme tout bleu
43:48qui fume sa pipe au coin du feu ».
43:50Et ça lui remonte à l'esprit.
43:52Alors, il fait son essai, du plus honnêtement du monde,
43:55et puis il le porte au fonctionnaire.
43:57Et il avait terminé,
43:59comme il n'était pas très content de sa démonstration,
44:01il avait terminé en disant,
44:03« Je me suis remémoré quand j'étais enfant ».
44:05Voilà, c'était ça, une citation absolument ridicule,
44:08qui n'est pas du tout philosophique, etc.
44:09Et l'autre lui dit, « Ah ben non, ça ne va pas,
44:12il ne faut pas garder ça, enfin bon ».
44:14Et tout ça mûrit, et à la fin,
44:18il se rend compte que c'est parfaitement inutile,
44:24que ça n'a pas de sens, et il se suicide.
44:28Mais ça veut dire, Dieu n'existe pas, mais il est.
44:33– Oui, oui, bien sûr.
44:33– C'est exactement la formule qui convient.
44:35– Tout à fait.
44:36– Et je pense que progris Paris,
44:37c'est quelque chose qui marche à côté de lui,
44:39toute sa vie, ça.
44:40– Voilà, en permanence, ça l'accompagne de manière presque comme un ange.
44:44– Alors quelquefois, ça excite son sens du paradoxe,
44:47et avec l'Évangile, par exemple, il est extrêmement sévère,
44:51il considère que Jésus n'est pas un personnage crédible.
44:54– Fallot, disait-il.
44:55– Qu'est-ce que tu dis ?
44:58– Fallot, il qualifiait Jésus de personnage fallot.
45:01C'est comme dit, tu vois une variante du Bouddha,
45:04un Bouddha qui aurait été occidentalisé.
45:06– Même pas, même pas, je crois qu'il préférait le Bouddha au Christ.
45:08– Mais on ne sait pas trop ce qu'il préférait ou pas,
45:12parce que c'est quelque chose qui est…
45:13– Ah non, c'est quand même l'Ancien Testament qui était son préféré.
45:16– Oui, il préférait l'Ancien Testament du point de vue littéraire.
45:17– Et le livre, il avait une passion pour Salomon, par exemple.
45:20– Oui, mais si on veut, si on parle aussi de sa pensée en dehors de la littérature,
45:29franchement, il est animé constamment de ce souci.
45:33Alors, les vertus théologales, bon, la foi, elle ne lui est pas donnée.
45:36– Bien sûr.
45:36– La charité, ça, pas de problème, il l'avait très bien.
45:41Alors, l'espérance, ça, non.
45:43C'est quelque chose qu'il refuse absolument.
45:45– Voilà, tous les anciens vont venir en rose, dit Céline, il est de la même école.
45:48– Voilà, exactement.
45:48Et là, il fait tout, il dit, il faut apprendre à désespérer de bonheur.
45:55Enfin, il a des formules comme ça qui sont extrêmement violentes
45:58contre toute forme d'illusion, d'espérance, pas seulement dans la vie éternelle,
46:04mais dans l'avenir, dans l'humanité.
46:07Alors, c'est un peu ce qu'on dit toujours de Céline,
46:10qu'il y a une cruauté dans la description des humains,
46:14mais qu'en même temps, il y a une tendresse énorme.
46:18– Pour l'individu, les masses et l'individu,
46:22ça fait deux choses différentes chez Grippari.
46:24– Oui, oui, ce qui lui permet, oui, je vous en prie.
46:26– Moi, ce qui m'intéresse beaucoup, c'est que les exemples que donne Anne,
46:30ce sont des exemples plutôt poétiques de l'œuvre de Grippari.
46:34Or, il y a une autre valeur exceptionnelle, et il me le disait,
46:38il me disait Kafka est comique, Sade est comique, et Grippari est comique.
46:43Et sur le communisme, il a fait une nouvelle exceptionnelle,
46:46qui s'appelle le vampire de la place rouge.
46:48C'est-à-dire, Staline découvre que Lénine est un vampire.
46:51Alors, il tue avec un pieu dans le cœur,
46:54on le met sur la place rouge dans un bancaire, vraiment,
46:58gardé par des hommes pour qu'ils ne s'évadent pas.
47:01Malheureusement, Lénine a fait des petits,
47:03donc Staline est obligé d'aller dans le monde entier
47:05pour tuer des léninistes et des trotskistes.
47:08– À coup de Piolet, j'imagine, comme avec Trotsky, évidemment.
47:13– Ah bah oui, oui, mais voilà, c'est exactement ça.
47:16Et on oublie une dimension aussi chez Grippari,
47:20c'est qu'il n'a jamais écrit de pamphlet, mais des petits textes.
47:24Mais il y a toujours un côté pamphlétaire,
47:27par exemple, pour moi, celui qui est peut-être son plus grand roman,
47:30et pour vous aussi, qui est Frère Gaucher, Le Voyage en Chine.
47:33– Oui.
47:33– Toi aussi, toi aussi, pas toi, non.
47:36– Non, je n'ai pas été sensible.
47:37– Il y a du pamphlet, et il y a un texte,
47:41alors il faut parler aussi de Grippari, parlant des autres écrivains,
47:45ça c'est important.
47:45– Oui, oui, allez-y.
47:46– Il y a un texte, il assiste à la télévision, à l'apostrophe,
47:50où il y a Solzhenitsyn et Jean-Daniel du Nouvel Observateur,
47:54et c'est une merveille, il dit, Jean-Daniel lui dit,
47:56mais on vous aime beaucoup, monsieur Solzhenitsyn,
47:58mais vous devriez quand même soutenir le Vietnam, et tout.
48:01– Et la phrase de Grippari est exceptionnelle, il dit,
48:06ils vont l'avoir, jusqu'à présent, il n'a eu affaire
48:08qu'à des communistes qui sont des brutes,
48:10mais qui sont d'une grande franchise,
48:13mais avec les sociodémocrates, ils vont l'avoir.
48:16La ligne d'après, non, ils ne l'ont pas eue,
48:19le grand Solzhenitsyn, etc.
48:22Mais il faut tout lire, de Grippari, il faut tout lire, voilà.
48:25– Alors, justement, il y a ce rire, et ce sens du comique,
48:30quand on parle de Grippari, on le qualifie souvent,
48:33et peut-être même celui qui s'est qualifié ainsi,
48:36de pessimiste joyeux, vous êtes d'accord avec ça ?
48:38– Oui, oui, tout à fait, absolument.
48:40– C'est une manière juste d'appréhender son œuvre et l'homme qu'il fut,
48:44et donc, pessimisme joyeux, et peut-être aussi,
48:48ce qui revient au même, mais avec des mots plus philosophiques,
48:51un tragique solaire, en quelque sorte,
48:54il y avait cet esprit-là, tragédie de la vie,
48:56donc la mort est un terme fini, enfin, la limite humaine,
49:00voilà, la mort, la délire, mais en même temps,
49:04le soleil est là, y compris le soleil des œuvres,
49:07le soleil des livres, vous êtes d'accord avec ça ?
49:09C'est quelque chose qui le caractérise ?
49:12– Alors, moi, effectivement, je ne l'ai pas connu personnellement,
49:15donc je ne peux pas m'avancer sur ce terrain-là.
49:16– Oui, c'est votre lecture de l'œuvre, j'entends.
49:18– Mais à travers la lecture de l'œuvre, oui, bien sûr, absolument.
49:20D'ailleurs, c'est comme ça que commence l'Évangile du Rien.
49:22En gros, je l'ai lu il y a déjà beaucoup de temps,
49:26mais en gros, ce qu'il disait, c'est qu'il n'y a plus rien à attendre,
49:28mais il faut vivre, il faut bien vivre.
49:31Donc, soyons…
49:33– Il faut créer.
49:33– Oui, il faut créer, effectivement.
49:34– Mais à quelque niveau que ce soit,
49:36pas forcément une œuvre artistique ou littéraire,
49:38il faut être soi-même et se réaliser, quoi.
49:40– Oui, oui.
49:41– C'était sa morale.
49:42Et il est très moraliste, c'est un grand moraliste.
49:45– Oui, oui, absolument, mais bien sûr.
49:47– Et ça, que ce soit pour les adultes ou pour les enfants,
49:49ces contes, il n'y a pas de morale comme dans les contes classiques.
49:57Ce n'est pas exprimé comme ça, mais tout est…
50:00– Oui, il a un regard de moraliste, bien entendu.
50:03Il y a un recueil, d'ailleurs, de traits ou d'aphorismes.
50:06– Reflets et réflexes, c'est paru de mémoire en 81 ou 82.
50:10– À l'âge d'homme aussi, je crois.
50:11– À l'âge d'homme, absolument.
50:12D'ailleurs, ça fait partie des livres qu'il faudrait republier.
50:15– Exactement.
50:16– Après Patrouille du Comte, c'est extraordinaire.
50:18– Reflets et réflexes.
50:19– Ah, chef-d'homme, absolument.
50:21– Très, très bon.
50:22– Et vous savez, un truc pour tous les histoires de gosses maltraités et tout,
50:26il dit, les enfants, quand ils sont en bande,
50:29ils s'organisent sur le modèle de la meute avec mâles dominants.
50:33Parce qu'il raconte dans Pierrot-la-Lune, à 11 ans,
50:35ils se faisaient casser la gueule par des gosses.
50:37– Oui, oui, tout à fait.
50:38– Et ils se mettaient en boule, évidemment,
50:41pour avoir le moins de coups possible.
50:43Et les salopards de gosses, tous les gosses sont des salopards
50:45quand ils sont en bande.
50:47Et il disait, il l'appelait l'homme caoutchouc, l'homme élastique.
50:51– L'homme élastique.
50:52– L'homme élastique, voilà.
50:54– Alors, il nous reste très, très peu de temps.
50:55On a commencé à aborder, vous avez donné un titre,
50:58mais vous pouvez en donner un autre, Alain Pocard,
51:00le livre à lire de Pierre Ripari,
51:02pour qui voudrait découvrir Ripari,
51:04en dehors de la réédition,
51:05donc aux éditions 7 Cavaliers de Patrouille du Comte.
51:08– Commencer par là, et puis après, aller sur Internet,
51:11et reflets et réflexes.
51:12– Frère Gaucher, le voyage en Chine…
51:14– Frère Gaucher, vous…
51:16– Alors moi, je le mets comme un chef de Paris.
51:18– Absolument.
51:19– Alors, Raphaël Pachares.
51:20– Moi, je rejoins ce que Ripari disait en 78,
51:23chez Jacques Chancel,
51:24pour moi, c'est Pierre-Oulalune.
51:26Pour moi, toutes les clés de son œuvre sont dans Pierre-Oulalune.
51:27Si c'est vraiment la porte par laquelle il faut rentrer dans son œuvre,
51:31c'est Pierre-Oulalune.
51:32Voilà, je rejoins ce que disait Pierre-Gripari à l'époque.
51:35Je suis tout à fait d'accord,
51:36puisque moi-même, après les comptes de la rue Broca,
51:38je suis rentré dans son œuvre par Pierre-Oulalune,
51:40et j'ai pu arrêter.
51:41– Très bien, vraiment.
51:42– Et dans lequel il raconte quand même son premier amour
51:45avec un grand chanteur français célèbre.
51:47– Oui, oui, oui, tout à fait, tout à fait.
51:49Don Raphaël Pachares n'a pas voulu donner le nom,
51:51mais en fait, il le donne dans une conférence
51:54que l'on peut trouver sur Internet.
51:57– Oui, savoir qui c'est, aller sur Internet, je le donne.
51:58– Et on pouvait le dire, il est mort de toute façon.
52:00Et puis, c'est vrai.
52:01– Oui, oui, oui.
52:02– Alors, Anne-Martin Conrad, un titre,
52:04c'est vraiment cruel comme exercice.
52:06– Oui, c'est très cruel, mais on va dire l'évangile du rien.
52:08– Ah, c'est celui-ci que vous mettriez…
52:11– Bon, ce n'est pas forcément la mise en bouche
52:14de l'œuvre de Gris-Paris,
52:16mais moi, j'ai une grande tendresse pour ce livre,
52:17et je le relis.
52:18– Absolument, très bien.
52:20– Bien, Anne-Martin Conrad, Raphaël Pajares,
52:23Alain Pokard…
52:24– Regardez le site Gris-Paris.
52:26– Alors, bien entendu, le site,
52:27et puis la revue, j'imagine,
52:28l'Association des Amis des Pères Gris-Paris.
52:30– Alors, on a un bulletin.
52:31– Les bulletins, voilà, c'est ce que je veux dire.
52:32– On a un bulletin.
52:33– On peut se le procurer,
52:35on peut trouver l'adresse Internet.
52:36– Absolument, oui, oui, les gens peuvent nous écrire,
52:38on leur envoie, il n'y a pas de souci.
52:39– Pardonne-moi, est-ce qu'il y a les films
52:40de Gérard Courant sur Gris-Paris, sur ton site ?
52:43– Alors, on peut les trouver sur YouTube,
52:45mais ils ne sont pas sur notre site,
52:46je crois, pour des problèmes de droit d'auteur.
52:48– Bien, je ne crois pas.
52:49– Merci beaucoup pour cette présentation inspirée.
52:53– Merci de vous avoir invité, jeune homme.
52:54– Avec joie, et à très bientôt
52:56pour une nouvelle émission des Idées à l'endroit.
52:59Merci à tous.
52:59– Sous-titrage Société Radio-Canada
53:06– Sous-titrage Société Radio-Canada
53:07– Sous-titrage Société Radio-Canada