Retrouvez les émissions en intégralité sur https://www.france.tv/france-2/telematin/toutes-les-videos/
Aujourd'hui, dans « Les 4V », Julien Arnaud revient sur les questions qui font l’actualité avec Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre.
Aujourd'hui, dans « Les 4V », Julien Arnaud revient sur les questions qui font l’actualité avec Bernard Cazeneuve, ancien premier ministre.
Catégorie
📺
TVTranscription
00:00Oui, ancien Premier ministre, ancien maire de Cherbourg, voilà d'où la Normandie.
00:05Bonjour à vous et merci d'être là dans les 4V, surtout que votre parole est rare.
00:08On vous voit rarement, vous avez décidé de prendre du recul médiatiquement,
00:11donc votre parole pèse davantage évidemment quand vous la prenez.
00:14Merci de le faire dans les 4V.
00:15Vous publiez un livre qui s'appelle « Un chien parmi les loups ».
00:18Alors c'est un titre qui en dit long, qui est assez noir, assez sombre quand même.
00:24En fait c'est un bloc-notes que vous écrivez depuis 2022,
00:28en gros avec une préface qui commence par ces mots « Le pays souffre ».
00:32C'est un diagnostic assez sombre que vous tirez tout au long de ces pages.
00:35C'est la première phase de la préface, il y en a des centaines d'autres.
00:38Bien sûr, bien sûr, mais le constat est quand même assez inquiétant.
00:41Mais je crois qu'on ne peut créer les conditions d'un redressement et d'une espérance aforcerie
00:46que si on regarde lucidement l'état des choses.
00:49On est dans une situation budgétaire et financière difficile,
00:52on a un contexte international qui est cataclysmique,
00:56que nous avons des tensions à l'intérieur du pays,
00:59une situation politique et institutionnelle plutôt affaissée.
01:03Donc le paysage n'est pas un paysage qui spontanément pourrait nous pousser
01:07à l'optimisme ou à l'espérance.
01:09Mais pourtant, le pays a connu à d'autres moments des périodes comparables,
01:13je pense à la fin de la IVe République,
01:15il a trouvé en lui à la fois les personnes, les idées,
01:19les forces d'un sursaut, et je crois à ce sursaut possible,
01:24et je crois à l'espérance souhaitable aussi.
01:26Alors on va se demander avec vous qui sont les loups dont vous nous parlez.
01:29Il y en a un évidemment qui est un chef de meute, c'est Donald Trump,
01:32qui a fait marche arrière sur les droits de douane avec une pause de 90 jours.
01:35Est-ce que ça vous a rassuré ce revirement de Donald Trump ?
01:37Ou bien vous dites, attention, méfiance, il y aura peut-être encore pire derrière.
01:40Ce qui domine les premiers mois du nouveau mandat de Donald Trump,
01:44c'est d'abord une détermination à mettre en œuvre une politique absurde,
01:48qui aura pour conséquence de nuire à ceux dont il a dit vouloir être le porte-parole,
01:52c'est-à-dire les plus faibles des Américains.
01:53Ces droits de douane, c'est en réalité une taxe perçue sur les plus pauvres des Américains
01:59par l'effet de l'inflation que ces droits de douane induiront nécessairement aux États-Unis.
02:04Mais il est capable de changer d'avis, c'est ce qu'on vient de voir.
02:06C'est une politique qui est absurde dans ses buts et qui est tout à fait irrationnelle dans sa méthode.
02:14Donc comme Donald Trump ne comprend que le rapport de force,
02:17vous avez remarqué que dès lors que les Européens commencent à dire
02:19« vous voulez détruire l'ordre international, vous voulez remettre en cause les règles
02:24qui régissent le commerce international, nous allons prendre des mesures de rétorsion
02:29parce que nous avons besoin de nous protéger de la violence de votre politique ».
02:33Et à partir du moment où cette unité européenne s'exprime, elle s'est exprimée jeudi,
02:38elle a été confirmée avec la volonté de mettre en place des droits de douane
02:41qui représenteront à peu près 4 milliards de prélèvements sur les produits américains
02:46dans le mois de mai, puis un effort supplémentaire de 13 milliards d'ici décembre,
02:52puis si nécessaire, encore une marge de 4 milliards en décembre.
02:55Tout cela, bien entendu, est de nature à pénaliser fortement certains secteurs d'activité d'économie américaine,
03:02l'agriculture, les biens manufacturés, et Donald Trump se rend compte que la politique
03:09qui est en train de mettre en œuvre a des effets non seulement boursiers
03:12qui effraient le carré de ces amis milliardaires qui l'ont amené au pouvoir,
03:17mais également les Américains qui commencent à se poser la question de savoir
03:20s'il y a un début de rationalité, de résultats possibles dans ces politiques absurdes.
03:26Alors évidemment, ça provoque des conséquences ici en Europe.
03:30Les Européens se disent qu'il faut apprendre à vivre sans le parapluie américain.
03:33Emmanuel Macron a annoncé notamment des investissements très importants en matière de défense.
03:37Est-ce que vous le soutenez dans cette voie-là ?
03:39Oui, bien entendu, je le soutiens dans cette voie-là.
03:41Aussi faut-il qu'on détermine les moyens que l'on va mobiliser pour atteindre les buts qu'on s'est assignés.
03:48Je vois qu'il y a une volonté de faire un effort en matière de budget de défense supplémentaire.
03:53Il est annoncé, je crois, à hauteur de 30 milliards sur la loi de programmation militaire,
03:57ce qui veut dire que la marche qu'on s'était proposé de franchir à la fin de la loi de programmation militaire,
04:03marche supplémentaire de 3 milliards d'efforts par an,
04:05sera porté peut-être à 5, à 6 ou au-delà.
04:09Dans un contexte où le pays a 3 200 milliards d'euros de dettes et un déficit budgétaire
04:13dont il est possible, si la situation économique ne s'améliore pas,
04:18si la croissance est à la baisse, qu'il soit de nouveau autour de 6% à la fin de l'année.
04:22Donc il faut bien entendu que cet effort soit fait,
04:25mais il faut que nous expliquions comment nous allons le faire,
04:28comment nous allons le financer, sinon il n'y a pas de crédibilité.
04:31Et je pense que pour y arriver, il faut d'abord faire les efforts de réduction de notre déficit,
04:37mais en échelonnant ces efforts dans la durée,
04:40ça ne sert à rien d'annoncer 40 milliards ici, 60 milliards là.
04:44Alors 40 milliards, c'est l'annonce qui a été faite hier par le ministre de l'Économie, Eric Lombard.
04:47Pourquoi ça ne sert à rien ?
04:48Non, ça ne sert à rien d'annoncer des objectifs dont on sait qu'on aura des difficultés à les atteindre,
04:54sauf à faire des impôts massifs ou des économies qui sont récessives.
04:57Vous n'y croyez pas du tout.
04:58Quand on dit 40 milliards sans hausse d'impôt, ce n'est pas possible.
05:00Je dis simplement que la vérité, la crédibilité, la fiabilité de la signature de la France,
05:06ça suppose, et je rejoins là le gouvernement et le ministre de l'Économie et des Finances,
05:11qu'on fasse un effort, mais il faut que cet effort soit soutenable.
05:15Pour qu'il soit soutenable, il faut qu'il soit calibré de telle manière
05:19à ne pas aboutir à une récession supplémentaire de celle résultant du contexte international.
05:26C'est combien un effort soutenable ?
05:28Moi, je me souviens d'avoir été ministre du Budget, d'avoir fait 18 à 20 milliards d'euros d'économies par an,
05:34c'est très considérable.
05:36Donc, il vaut mieux un effort sur plusieurs années que nous tenons,
05:41parce que nous fixons des objectifs qui permettent de réduire les déficits sans entamer l'économie,
05:48plutôt que de se fixer des objectifs qu'on ne peut pas tenir.
05:51En plus de ça, si nous ne faisons pas cela, nous perdons notre crédibilité vis-à-vis de nos partenaires européens.
05:57Et comme les investissements dont l'Europe a besoin, Draghi en parle dans son rapport,
06:01près de 800 milliards par an, suppose que nous puissions engager une politique d'investissement européen
06:08qui pourrait être adossée à une capacité d'endettement de l'Europe.
06:12Pour que cette capacité d'endettement soit mobilisée,
06:15il faut que tous les pays de l'Union européenne soient dans la crédibilité de leur trajectoire budgétaire.
06:21Problème de crédibilité, on vous entend bien, Bernard Cazeneuve.
06:23Il y a un autre sujet du jour sur lequel la France, vous allez nous dire, est crédible ou pas.
06:27Sujet du jour, mais qui croise les thématiques du livre.
06:29On l'a appris il y a quelques heures, l'expulsion par l'Algérie de 12 agents français de l'ambassade de France,
06:36agents qui sont en rapport avec le ministère de l'Intérieur.
06:38On voit cette nouvelle montée de tensions.
06:39Est-ce que ça veut dire que la tentative de réouverture du dialogue, il y a une semaine seulement, est en train d'échouer ?
06:45D'abord, la diplomatie ne peut pas être que performative.
06:49C'est-à-dire que la parole ne suffit pas à réussir l'objectif.
06:53C'est un travail très long que celui du rétablissement d'une relation normale
06:58lorsqu'elle était très dégradée.
06:59Or, nous l'avons vu avec le Maroc, c'est le cas avec l'Algérie,
07:02c'est le cas avec de nombreux pays d'Afrique.
07:05La relation entre la France et ces pays s'est profondément dégradée.
07:10Elle s'est dégradée aussi pour des raisons qui tiennent au fait
07:13que beaucoup de ce qui relève de l'activité diplomatique
07:16et qui implique une relation bilatérale qui n'est pas sous les projecteurs et sous les caméras,
07:23mais qui implique des relations humaines, interpersonnelles,
07:26qui implique aussi qu'on puisse traiter en tête à tête,
07:29dans le bureau des ministres et des chefs d'État et de gouvernement,
07:32les sujets les plus délicats qui peuvent opposer les nations.
07:35Alors, ce n'est pas l'attitude du ministre de l'Intérieur.
07:38Quel regard vous portez sur sa politique ?
07:40Vous avez été, on le rappelle, vous-même, le ministre de l'Intérieur.
07:42Je comprends parfaitement que le ministre de l'Intérieur puisse être hérité
07:46d'un certain nombre de difficultés auxquelles il est confronté,
07:48du comportement du gouvernement algérien.
07:51Mais j'ai eu, pendant la période de la crise terroriste,
07:55quelques sujets extrêmement difficiles avec le gouvernement algérien à l'époque.
08:00Ces sujets n'ont été évoqués que dès lors qu'ils étaient réglés.
08:04Ils étaient déréglés dans la relation bilatérale
08:07qui impliquait la multiplication des échanges,
08:10de nombreuses réunions entre les ministres de l'Intérieur des deux pays
08:14ou les mises d'affaires étrangères des deux pays.
08:16Et nous avons, comme ça, réussi à régler quelques problèmes délicats
08:22dans une période de crise aiguë.
08:24La diplomatie, je sais que c'est à la mode aujourd'hui,
08:26on l'a vu avec Zelensky dans le bureau Oval,
08:28est un exercice qui consiste, par la parole,
08:31et devant les caméras ou sur les réseaux sociaux,
08:34à se fixer des objectifs qu'on estime pouvoir atteindre
08:37au seul motif qu'on a parlé.
08:39Ça ne marche pas comme ça quand les situations sont compliquées.
08:42Même chose pour les grandes batailles électorales,
08:44notamment la présidentielle de 2027,
08:46évidemment vous vous interrogez sur l'état de la gauche.
08:48Vous n'êtes plus au PS depuis trois ans à cause de l'alliance socialiste.
08:51Vous êtes socialiste.
08:52Je quittais le parti socialiste au moment où il a conclu l'alliance
08:54avec la France insoumise pour rester socialiste.
08:56Est-ce que vous pourriez y revenir si Olivier Faure est battu au prochain congrès ?
09:00Mais moi je suis dans un état d'esprit qui n'a pas changé depuis des années.
09:04C'est-à-dire que je souhaite que la ligne soit claire
09:06et notamment que les alliances soient définitivement clarifiées.
09:10Je ne pense pas qu'on puisse gouverner avec la France insoumise
09:14compte tenu des positions qu'elle a sur le plan intérieur et international.
09:17Mais la gauche peut gagner sans LFI ?
09:18Mais je pense que la gauche peut gagner sans LFI
09:20à condition que la gauche de gouvernement ait une position claire,
09:24qu'elle ait un projet qui soit crédible et responsable.
09:27Et une incarnation puissante, ça pourrait être vous ?
09:30La question des incarnations, elle se pose généralement
09:33lorsque les projets ont été mis sur la table,
09:37que les organisations se sont mises en mouvement
09:40et vous voyez le travail qu'il nous reste à faire
09:43avant d'en arriver à traiter de ce sujet.
09:45Mais en tous les cas, moi je ne ferai jamais mes responsabilités,
09:48mais je ne serai pas non plus dans la stratégie
09:50que je dois poindre chez de trop nombreux acteurs
09:53qui consistent à rendre impossible toute hypothèse
09:56si ce n'est pas la leur.
09:57Je crois que le rassemblement implique à la fois qu'on tende la main,
10:00qu'on soit dans une démarche de sincérité, d'humilité,
10:04qu'on essaie de créer des conditions pour le pays,
10:06de l'évitement du rassemblement national.
10:08Oui, ni oui, ni non.
10:10Merci beaucoup Bernard Cazeneuve.
10:11Un chien parmi les loups, on vous le rappelle,
10:13le livre vient de sortir.
10:13Merci beaucoup.
10:15Merci à tous les deux.