Anne Fulda reçoit Olivier Dubois pour son livre «Prisonnier du désert» dans #HDLivres
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00:00Bienvenue à l'Heure des livres, Olivier Dubois, vous êtes journaliste, vous venez de publier
00:06Prisonniers du désert 711 jours aux mains d'Al-Qaïda, un livre qui est paru chez Michel Laffont,
00:12un livre dans lequel vous racontez votre captivité, mais aussi un témoignage précis sur le djihadisme
00:20vu de l'intérieur, puisque vous avez pu observer de près ceux qui vous ont emprisonnés.
00:27Alors revenons déjà sur le début, vous êtes pris en otage en avril 2021, alors que vous êtes correspondant au Mali pour Libération et Le Point,
00:35vous êtes dans le nord du pays, à quel moment vous rendez-vous compte de qui vous a enlevé, qui sont vos preneurs d'otage ?
00:45Quelques heures après, peut-être deux heures après, je pénètre dans leur véhicule, on avait rendez-vous à 14h30,
00:53je ne sais pas, un peu après 14h30, on roule, et je devais faire une interview de 45 minutes, et je devais être de retour,
01:00on avait prévu ça avec mon fixeur, deux heures plus tard. Et donc au bout de deux heures, je m'inquiète quand même, je commence à m'inquiéter,
01:04je me dis, mais ce n'est pas possible, je ne vais pas être là à l'heure, il va déclencher ce qu'il est censé déclencher,
01:08c'est-à-dire avertir les forces françaises, avertir ma famille, et je leur demande, je leur dis, mais écoutez, voilà, il va se passer ça,
01:15et puis on me dit que ce sera après, puis je suis avec des djihadistes, et je me dis, ils ont dû déplacer le rendez-vous pour des questions de sécurité.
01:22Ensuite, je change de véhicule, et là, je comprends que j'ai été kidnappé, on me l'annonce, et je demande qui sont mes ravisseurs,
01:29et on me dit que c'est Al-Qaïda.
01:30— C'est Al-Qaïda. Bon, ce qui n'est pas spécialement pour vous rassurer.
01:34— Non, c'est pas rassurant, non. — Pas franchement. Alors vous racontez les... Et c'est ça qui est intéressant,
01:40c'est-à-dire qu'il y a les deux points de vue. D'une certaine façon, l'homme, le prisonnier, qui serait n'importe qui,
01:44puis le journaliste qui reste en vous. Vous racontez, ne serait-ce que les... Ce qui, psychologiquement, est important,
01:50les conditions physiques que vous imposent et ce que cette détention implique comme dégradation physique.
01:56Le premier mot de votre livre, c'est « je schlingue ». C'est une manière comme ça de laisser dans une position de faiblesse,
02:04de fragiliser l'otage. Tout est... C'est un environnement extrêmement hostile, outre évidemment ceux qui vous détiennent.
02:12Vous êtes dans le désert. — Exactement. C'est un environnement hostile, oppressant. C'est à la fois infini.
02:17C'est magnifique, aussi. Je le dis dans le livre. — Vous voyez ce que vous dites à votre...
02:21— Oui, oui. Je suis saisi par la beauté du désert. Mais c'est terrible. C'est une présente terrible, parce qu'on a l'impression
02:25de liberté. Tout est ouvert. Et en fait, non. Et sur l'odeur, sur l'état de la peau, sur la vie en extérieur, oui,
02:33je voulais directement mettre le lecteur en immersion dans ce que c'est que d'être un otage. C'est-à-dire quand on contrôle rien,
02:39on pue, on est sale, on a les yeux bandés, on sait pas où on va. — On a froid, on a chaud, il y a des insectes.
02:44— Exactement. Voilà. — Alors ces 711 jours, vous les avez... En fait, le journaliste... Est-ce que peut-être que l'homme aussi
02:51aurait eu ce réflexe de prendre des notes ? Alors la question qu'on se pose, c'est comment vous avez réussi à prendre des notes, en fait.
02:58— Au début, moi, je sais pas que c'est interdit. — Vous avez failli les... Oui. — Je sais pas que c'est interdit. Je pose la question.
03:02Puis je vois qu'on me répond non, non. Puis un d'eux va m'expliquer qu'on nous a dit de pas te parler. De toute façon, t'es journaliste,
03:06on te parle pas. Puis pour le coup, au départ, je suis pas trop un journaliste pour eux. Je suis plutôt un agent d'enseignement.
03:10Voilà. J'étais au mauvais endroit au mauvais moment. Et je me suis rendu compte qu'il y avait des... Ils se relèvent, quoi.
03:15Tous les 15 jours, ils se relèvent. Donc l'un vous dit non. Puis vous continuez, vous continuez jusqu'à ce qu'on vous dise oui.
03:20Et c'est comme ça que j'obtiendrai un stylo du papier si j'ai pas de stylo du papier des emballages, n'importe quoi, sur lequel on peut écrire.
03:27— Alors l'un de vos géoliers était quand même celui qui avait tué les journalistes de RFI, Guylaine Dupont et Claude Verlon, en 2013 au Mali.
03:37Mais alors justement, l'une manière de vous occuper, c'est vous observer ces géoliers. Il y a les jeunes qui vous considèrent comme un couphard.
03:47Et ils ont un regard sur la France qui est très révélateur.
03:50— Leur regard, il dépend de ce qu'ils voient sur leur groupe, leur réseau social, les vidéos qui se partagent entre eux et qui sont que des vidéos, en gros, caricaturales,
03:57anti-France ou caricaturales sur la France. Mais pour eux, ils prennent ça à comptant. Donc pour eux, la France est comme ça.
04:03— Et puis il y a ceux d'au-dessus, les cadres. — Alors là, c'est différent, déjà. Vous avez des gens qui sont beaucoup plus matures, qui ont eu une vie avant,
04:11plus intelligents, à qui vous pouvez... Ils parlent français, pour certains d'entre eux. Et vous pouvez discuter avec eux, vous pouvez échanger.
04:17Disons qu'ils sont plus accessibles. — Alors à un moment, ils essayent de vous convertir. C'est-à-dire vous lisez le Coran, qui vous séduit,
04:26que vous trouvez intéressant comme livre. Mais bon, cette omniprésence de la religion, c'est un poids ?
04:38— Pour moi, c'est un poids. Moi, je suis agnostique au départ. Enfin je suis toujours agnostique, d'ailleurs. Mais bon, je m'y attends. Je suis avec des djihadistes.
04:44Donc j'imagine qu'il va y avoir quand même le rouleau compresseur religieux qui va rentrer en action. Après ça, le problème, c'est qu'on s'ennuie beaucoup.
04:52Il n'y a pas d'activité intellectuelle, il n'y a rien. Donc quand on me donne le Coran, pour moi, c'est un livre, d'abord.
04:56— Oui, c'est d'abord un livre. — Voilà. Et puis il se trouve que c'est intéressant. La biographie du prophète, notamment, est intéressante.
05:01Ce qui se passait à cette époque est intéressant. Et eux, ils y voient une porte, certainement, pour me convertir.
05:07Et moi, ce qui m'intéresse, c'est plus le rapproche. Voilà. Comment radicalise-t-il quelqu'un ? Est-ce que ça va marcher avec moi ?
05:13Une sorte de cobaye. Donc ça m'intéresse pour ça. Et en même temps, lire le Coran, c'est les comprendre eux.
05:18— Mais bon, ça n'a pas marché. — Non. — Pas converti. Juste dernière question rapidement.
05:24Bon, vous avez été heureusement libéré. Est-ce qu'on reste quand même toute sa vie un otage, lorsque vous voyez les images d'otages libérés ?
05:31Est-ce que ça réveille en vous des souvenirs ?
05:35— Ça réveille des souvenirs, évidemment. Dès que j'entends des histoires d'otages... Il y a eu une otage autrichienne, là, récemment.
05:41On imagine les premières heures de la première nuit. Évidemment. Maintenant, est-ce qu'on reste un otage ? Non.
05:46Enfin j'espère pas. Moi, j'y travaille. Et je fais en sorte que ce soit derrière moi. Je veux pas rester un otage, non.
05:53— Alors c'est à lire. C'est paru chez Michel Laffont. Ça s'appelle « Prisonniers du désert ». Merci, Olivier Dubois.
05:58— Merci, Anne.