Anne Fulda reçoit Sylvain Tesson pour son livre «Avec les fées» dans #HDLivres
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00:00 -Bienvenue à l'Heure des livres, Sylvain Tesson.
00:02 On est ravis de vous recevoir.
00:04 On ne vous présente plus "La panthère des neiges",
00:07 "Bérésina", "Dans les forêts de Sibérie".
00:10 Écrivain et poète, la preuve,
00:13 vous venez d'écrire un livre qui s'appelle "Avec les fées",
00:15 qui est paru chez Equateur Littérature.
00:18 Un récit qui est l'histoire d'un périple
00:22 entre terre et mer, entre réel et merveilleux,
00:25 enfance et âge adulte.
00:26 Un livre qui commence, comme souvent chez vous, par un voyage,
00:30 un voyage, cette fois, le long des récifs de l'Atlantique,
00:34 depuis les Asturies, en Espagne, jusqu'à l'Écosse,
00:36 trois mois sur un voilier, avec une quête, un objectif,
00:40 celui des fées, du surgissement du merveilleux.
00:43 Parlez-nous de vos fées, qui ne sont pas vraiment les fées clochettes.
00:47 -Non. Ce que j'entends par "fées",
00:49 ce n'est pas tellement la présence d'un être surnaturel
00:52 qui volette au-dessus d'une fontaine avec une baillette magique.
00:56 C'est plutôt le nom que je donne, le nom symbolique,
01:00 que je donne à l'apparition de quelque chose
01:03 qui est supérieur à ce qu'il est.
01:05 C'est ça, pour moi, la définition du merveilleux.
01:07 Quand on est devant un paysage,
01:09 pour peu qu'on se force à le regarder avec beaucoup d'attention,
01:13 et pour peu que la légende, l'histoire des hommes
01:17 ait fécondé la géographie,
01:18 alors il peut apparaître, à votre regard,
01:21 quelque chose d'encore plus intéressant que le paysage lui-même.
01:26 -Alors donc, c'est le paysage, cette beauté,
01:29 c'est le merveilleux,
01:31 mais en fait, vous cherchez la beauté
01:34 ou, d'une certaine façon, vous fuyez la laideur du monde actuel
01:38 que vous n'aimez guère ?
01:40 -C'est un peu les deux.
01:42 Tous mes voyages, moi, c'est toujours une tentative
01:45 de prendre l'escalier de service ou le chemin de traverse
01:49 ou l'issue de secours,
01:51 c'est-à-dire la tentative de prendre un peu la poudre des scampettes,
01:55 parce que je trouve que l'époque soumise aux chiffres,
02:00 à la statistique, à l'industrialisation,
02:04 à la matière, en quelque sorte, ne me convient pas,
02:07 et j'ai la chance de pouvoir pousser les portes
02:10 pour m'enfuir, en quelque sorte, dans la nature,
02:14 et comme j'aime le mouvement, ça crée des voyages.
02:16 Mais ce n'est pas que un mouvement de répulsion
02:20 qui me fait me rétracter face à quelque chose,
02:24 c'est aussi une approche que je fais positive,
02:26 vitale, énergique, volontaire,
02:30 voulue, que je fais vers la beauté,
02:34 cette pliure du paysage où quelque chose apparaît,
02:37 ce que j'appelle le merveilleux, ce que j'appelle la fée,
02:40 parce que je me suis exercé l'œil à convoquer ce moment.
02:45 -Vous n'êtes pas toujours dans le mouvement
02:47 parce que parfois, vous vous juchez sur des promontoires,
02:50 et vous avez même élaboré une théorie du promontoire.
02:53 Quelle est-elle ?
02:54 -C'est-à-dire que la côte celtique que j'ai suivie de l'Espagne au Schettland
02:59 est tellement déchiquetée qu'à bord de mon voilier,
03:03 tous les jours, je passais des câbles, je passais des promontoires,
03:06 et de temps en temps, je débarquais pour monter dessus.
03:09 Et quand je m'approchais de la pointe du promontoire,
03:14 quand je m'approchais de la falaise, pas trop,
03:17 parce que sinon, c'est la chute, j'ai déjà donné,
03:20 mais quand je m'approchais très près,
03:22 j'avais l'impression d'être dans un moment de nos vies
03:25 qui nous traverse en permanence,
03:29 où on se tient à l'exact moment
03:31 entre l'avenir, le présent et le futur, et le passé.
03:36 L'avenir, c'est la mer devant vous, vers l'ouest,
03:38 avec le soleil qui tombe, c'est le crépuscule celtique.
03:43 Le passé, c'est ce qu'il y a derrière vous, c'est l'arrière-pays.
03:46 La terre, elle est morte.
03:48 Et le présent, c'est la falaise qui plonge
03:51 et qui s'enracine dans le ressac.
03:52 C'est une trigonométrie de trois axes temporels.
03:56 Et vous le trouvez partout,
03:58 ce sentiment-là d'être sur ce point de convergence.
04:02 Dès que vous approchez de la falaise du promontoire,
04:05 vous avez l'impression d'être sur ce lieu
04:08 qui est à la fois temporel et spatial.
04:11 -De temps en temps, le réel arrive.
04:13 Le réel, vous l'avez rencontré notamment.
04:16 Il est venu à vous lorsque vous avez appris la mort de la reine Elisabeth.
04:19 Vous écrivez, c'est amusant, vous êtes à la barre,
04:21 tout trempé, les doigts gonflés,
04:24 et vous sentez des tendresses pour les souverains perdus.
04:27 C'est toujours ce côté un peu nostalgique.
04:30 -Oui, il y a un rêve dans la monarchie.
04:33 C'est quand même une espèce de proposition de construction
04:37 à la fois politique, mais aussi littéraire,
04:40 de convenir qu'un seul peut concentrer l'admiration,
04:48 ou en tout cas, non pas la soumission,
04:51 mais l'adhésion de tous.
04:53 Finalement, dans le champ des sciences morales et politiques,
04:56 c'est une position, moi, que je ne trouve pas la plus laide,
04:59 pas la plus folle, pas la plus aberrante,
05:02 puisqu'il y a un moment où tous décident de se retirer
05:05 dans leurs ambitions pour convier la charge de les représenter
05:09 à quelque chose qui est supérieur à eux-mêmes.
05:11 C'est pas mal, quand même.
05:12 Et il faut dire aussi que quand la reine est morte,
05:14 souvenez-vous de cette espèce d'émotion qui a étreint le monde entier.
05:18 Une unanimité planétaire qu'on ne soupçonnait pas
05:22 et qui a pu laisser penser que même nous autres Français,
05:25 si fiers des valeurs de notre République,
05:28 nous concevions quelque nostalgie à l'égard de cet extraordinaire don
05:35 qu'on fait de soi-même à quelqu'un qui est au-dessus de vous.
05:39 - Pour terminer, je lirai juste quelques lignes.
05:42 "Le temps se compresse, reste un dar, sa piqûre s'appelle le merveilleux,
05:46 surgit du réel", écrivez-vous.
05:48 Il faut savoir le capter, c'est pas donné à tout le monde.
05:50 Vous y parvenez.
05:52 Il prend parfois l'apparence d'une fille rousse à peau de nacre.
05:54 C'est l'amour, Sylvain Tessot ?
05:56 - Oui, jusqu'alors, moi, je cherchais un Graal qui était le mouvement.
05:59 Je croyais qu'il me suffisait de me déplacer
06:02 et d'abattre les kilomètres pour atteindre le Graal.
06:04 Et puis, je me suis rendu compte que le Graal pouvait être aussi une présence.
06:08 Ça s'appelle l'amour.
06:09 Et on pourrait même dire que, finalement, la quête du Graal,
06:12 c'est le mouvement vers la présence.
06:14 - En tout cas, je vous conseille vraiment de lire "Avec les fées",
06:18 avec un titre comme ça, avec une plume comme la vôtre.
06:20 Merci, Sylvain Tessot, d'être venu à l'heure des livres.
06:22 - Merci.
06:24 Sous-titrage Société Radio-Canada
06:26 [Musique]