Les entreprises ont une responsabilité morale en matière de biodiversité, même si leur activité semble éloignée du sujet. Pour aider les décideurs à passer à l’action, Christine Rodwell a donc fondé Vivae. Elle a aussi publié un manuel en accès libre grâce au soutien de Veolia. De son côté, Bernard Giraud, cofondateur de Livelihoods Venture, revient sur ses fonds d’investissements à impact, qui soutiennent plusieurs communautés agricoles et rurales en Afrique, en Asie et en Amérique latine.
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00:00 Générique
00:02 ...
00:05 -C'est le débat de ce Smart Impact.
00:08 Je vous présente mes invités. Christine Rodwell, bonjour.
00:11 -Bonjour, Thomas. -Vous êtes la fondatrice
00:14 de Vivae. Bernard Giraud, bonjour.
00:16 -Bonjour. -Bienvenue, vous aussi,
00:18 le président de Livelihood Ventures.
00:20 On va parler du rôle et des ambitions des entreprises
00:23 pour préserver la biodiversité.
00:25 Mais d'abord, quelques mots de présentation.
00:27 Christine Rodwell, Vivae, c'est quoi ?
00:30 -Vivae est le copilote des décideurs privés et publics
00:32 sur les enjeux de biodiversité.
00:34 La biodiversité monte dans tous les agendas,
00:37 essentiellement sous la pression réglementaire.
00:40 Mais nous, chez Vivae, on est absolument convaincus
00:44 que la biodiversité peut aussi être un vrai enjeu
00:47 de création de valeur pour l'entreprise
00:49 et ses passifs prenants.
00:51 -On a beaucoup parlé de climat,
00:53 et on commence depuis, je dirais, deux ans
00:57 de faire remonter l'enjeu de biodiversité.
00:59 Vous sortez un manuel publié en accès libre
01:02 grâce au soutien du groupe Veolia.
01:04 -Je vais le montrer. -Donnez-le-moi.
01:06 Je vais le montrer. -C'est un manuel de solution.
01:10 Nous, on pense que la biodiversité n'est pas qu'un sujet
01:13 de contrainte ou de risque, et que si l'entreprise
01:16 décide de passer à l'action sur les enjeux de biodiversité,
01:20 elle va pouvoir attirer et garder les talents,
01:22 parce que la biodiversité, ça se voit,
01:24 c'est le tissu vivant de la planète, c'est beau, ça rend fier,
01:28 et l'entreprise va pouvoir construire
01:30 un avantage concurrentiel.
01:31 Souvent, on nous dit que sur le climat,
01:34 on doit réduire et compenser les émissions de carbone,
01:37 et sur la biodiversité, on ne sait pas ce qu'on doit faire.
01:40 Ce manuel en accès libre vous donne les solutions
01:43 pour entamer le premier pas et pour faire de la biodiversité
01:46 un sujet de fierté pour vos collaborateurs.
01:49 -Manuel de recommandation à l'usage des décideurs.
01:52 Bernard Giroux, présentez-nous "Livelyhoods Venture".
01:55 -"Livelyhoods", ça veut dire "les moyens de vivre".
01:58 Et donc, on travaille avec des gens
02:00 dont la vie dépend beaucoup de la biodiversité,
02:04 du sol, des plantes.
02:07 Lorsque les sols sont dégradés, il n'y a plus de fertilité.
02:10 Il y a quand même 500 millions de petits agriculteurs dans le monde,
02:14 et ils produisent à peu près 70 %
02:17 des besoins d'alimentation de la planète.
02:19 Donc, on ne parle pas de quelque chose de marginal.
02:22 Et il se trouve que ces gens-là,
02:24 ils ne se défendent pas directement de cet environnement.
02:27 Donc, notre travail, c'est d'investir dans des projets
02:30 avec des agriculteurs, des forestiers,
02:32 aussi bien dans des pays en développement qu'en Europe,
02:35 pour accompagner des transformations
02:39 qui doivent être économiquement viables, bien sûr,
02:42 mais qui protègent ou qui restaurent
02:46 les écosystèmes naturels.
02:48 Et on parle de choses très concrètes.
02:51 On parle de l'eau, on parle du sol,
02:53 on parle du climat.
02:56 Et quand on est agriculteur, on dépend de ça.
02:59 -Bien sûr. Agriculture, foresterie,
03:01 ce sont les deux piliers, on va dire.
03:03 -Oui, et ça se mélange, et ça se mélange même,
03:06 puisqu'on a des grands projets,
03:07 on appelle ça de l'agroforesterie.
03:09 Finalement, c'est de l'agriculture avec des arbres.
03:12 Dans un pays comme le Rwanda, on a déjà 30 000 petites fermes,
03:16 en moyenne un hectare,
03:18 sur lesquelles on a aidé
03:21 ces agriculteurs à planter des arbres
03:24 de manière à arrêter l'érosion et à restaurer les sols,
03:27 puisque la fertilité des sols, c'est la matière organique,
03:31 et donc les arbres contribuent à cela.
03:35 -Christine Rodwell,
03:36 vous avez des clients dans tous les domaines.
03:39 Tout le monde est potentiellement concerné
03:41 par la préservation de la biodiversité ?
03:44 -Oui, je vois très bien votre question.
03:46 Il y a à peu près trois types d'entreprises.
03:48 Celle dont la chaîne d'approvisionnement
03:50 dépend de la nature.
03:52 L'agroalimentaire, les cosmétiques, le textile.
03:56 Et là, le sujet biodiversité est vu essentiellement
03:59 sous un sujet risque de rupture d'approvisionnement.
04:02 Le deuxième grand paquet,
04:04 ce sont les entreprises qui abîment la biodiversité.
04:06 Par exemple, les entreprises qui construisent des routes
04:09 et qui sont face à un risque de droit d'opérer,
04:12 de réputation, d'image.
04:13 Et puis, il y a toutes les autres.
04:15 Et la beauté du sujet biodiversité,
04:18 c'est que même si vous êtes assez loin de la nature,
04:21 dans votre activité,
04:23 rien ne vous empêche de soutenir des causes.
04:26 On voit de plus en plus d'entreprises
04:28 qui, bien souvent sous la pression de leurs salariés,
04:31 mènent des programmes.
04:32 Il y en a beaucoup qui sont investis
04:34 dans les programmes fantastiques que mène Livelihoods
04:38 pour renvoyer un signal très fort en interne et en externe
04:41 du fait qu'elles se préoccupent
04:43 de la préservation de la biodiversité.
04:46 -Vous pouvez nous donner des exemples ?
04:48 Vous avez un avec le Rwanda.
04:50 Mais d'entreprises qui ont placé la préservation de la biodiversité
04:53 au coeur de leur stratégie ?
04:55 C'est de ça dont on parle. -Bien sûr.
04:57 Pour reprendre la classification que Christine décrivait,
05:02 on a d'abord toutes les entreprises
05:04 qui ont investi dans les fonds Livelihoods
05:07 parce qu'elles transforment leur chaîne d'approvisionnement.
05:10 Par exemple, à Madagascar,
05:12 on travaille avec plusieurs milliers de petits producteurs
05:16 sur de la vanille
05:17 pour des entreprises internationales,
05:20 certaines françaises, d'autres européennes ou mondiales,
05:24 ou bien aux Philippines, dans la noix de coco
05:27 ou bien dans l'huile de palme.
05:29 A chaque fois, la question, c'est comment on peut sécuriser
05:33 des chaînes d'approvisionnement
05:35 en respectant ou en empêchant la destruction de la nature
05:40 et en aidant les fermiers à vivre mieux ?
05:46 On a affaire à des gens qui ont des niveaux de revenus faibles.
05:49 Tout le sujet, c'est que si on veut que cette transformation se fasse,
05:54 il faut que les populations locales y trouvent un bénéfice.
05:57 -Si des injonctions descendent des géants de l'agroalimentaire,
06:01 je schématise, mais qui sont irréalistes
06:04 et qui tuent les petits producteurs, ça ne marchera jamais.
06:07 C'est évident.
06:08 -On fait ça depuis plus de 15 ans.
06:11 Et ça fonctionne essentiellement
06:13 parce que les acteurs concernés, c'est-à-dire les agriculteurs,
06:17 voient un intérêt à court terme ou à plus long terme.
06:22 -C'est le réputationnel ?
06:24 L'intérêt long terme, c'est quoi ?
06:27 -L'intérêt long terme pour l'entreprise, vous voulez dire.
06:30 Pour l'entreprise, ça peut être la sécurisation
06:33 de l'approvisionnement, ça peut être aussi la réputation,
06:37 bien sûr, ça peut être aussi le fait que je sais
06:40 d'où viennent mes matières premières.
06:43 -Je me souviens de débats ici,
06:45 avec certains d'entre vous,
06:47 qui disaient que c'était compliqué d'aller jusqu'au bout
06:50 de la chaîne et d'être sûr de celui ou celle qui produit.
06:53 -On est en train de passer d'un demi-siècle
06:56 de ce qu'on appelait les commodités,
06:58 on achète de la matière première avec un prix,
07:01 une norme de qualité, mais on ne sait pas d'où ça vient,
07:04 à une reconnexion de la chaîne.
07:07 Maintenant, de plus en plus, les gens veulent savoir
07:10 d'où ça vient, de quel pays, comment c'est cultivé,
07:13 à quel effet sur le climat ou sur la vie des gens.
07:16 Ces entreprises avec lesquelles nous travaillons,
07:19 sont de plus en plus engagées à savoir
07:21 d'où viennent les matières premières.
07:24 Ce qu'on fait, c'est les accompagner.
07:26 -Avec une difficulté, Christine Rodel,
07:28 quand on parle de biodiversité,
07:31 une difficulté qui n'existe pas forcément
07:33 quand on parle de climat et de CO2,
07:35 ou d'émission de gaz à effet de serre,
07:38 comment on mesure ce que l'on fait en matière de biodiversité ?
07:41 -Cette question revient régulièrement.
07:44 Il n'y a pas de métrique magique quand on parle de biodiversité,
07:48 parce que la biodiversité est locale
07:50 et en constante évolution.
07:52 En revanche, l'IPBES,
07:54 qui est le GIEC de la biodiversité,
07:57 a défini cinq grandes pressions sur la biodiversité aujourd'hui.
08:01 On peut tous les comprendre.
08:03 C'est la surexploitation des ressources naturelles,
08:07 le changement d'usage des terres et des mers,
08:10 le changement climatique,
08:12 les pollutions, plastiques, sonores, visuelles,
08:15 et enfin, les espèces exotiques envahissantes.
08:18 Donc, les dirigeants que Vivae accompagne,
08:21 on les incite à regarder ces cinq grandes thématiques,
08:24 à se poser la question de "Quelle est celle
08:27 "ou peut-être les deux qui me concernent
08:29 "et comment je vais les traduire en petites actions
08:32 "très concrètes qui permettront à mon entreprise
08:35 "de mettre en mouvement ?"
08:37 -Cette difficulté, c'est la même question que je vous pose.
08:40 Elle freine certains de vos interlocuteurs.
08:43 Vous êtes gentil avec ta biodiversité,
08:45 mais comment je mesure ? -Oui.
08:47 C'est compliqué, mais il ne faut pas trop complexifier.
08:50 On a un projet en Bretagne sur 15 000 hectares
08:53 avec 100 agriculteurs bretons.
08:55 Certains d'entre eux ont démarré il y a une quinzaine d'années.
08:59 Comment mesure-t-on la biodiversité ?
09:01 Le nombre de vers de terre dans le sol,
09:04 le nombre de vers des insectes...
09:06 Ce sont des choses qu'on mesure.
09:08 On a mis en place un système de mesure simple
09:10 avec des associations locales.
09:12 On suit régulièrement, tous les trois ans,
09:15 l'évolution de la biodiversité.
09:17 On mesure aussi les coûts pour l'agriculteur
09:20 et les rendements.
09:21 Si on combine tout ça,
09:23 est-ce que je gagne moins bien ou mieux ma vie ?
09:26 Quand je regarde le bilan de la nature...
09:28 Il peut y avoir des méthologies extrêmement compliquées,
09:32 faire des choses relativement simples.
09:34 D'ailleurs, si on n'arrive pas à avoir
09:36 des choses opérationnelles, simples,
09:39 qui peuvent être mises en oeuvre,
09:41 ça risque de rester assez libresque.
09:43 -Je feuillette en même temps le manuel.
09:46 Je vois dans les actions à mener,
09:48 10 clés pour passer à l'action,
09:50 vous dites "sujet mobilisateur et créateur de valeur".
09:53 Vous l'avez évoqué, le côté mobilisateur,
09:56 mais créateur de valeur.
09:58 A partir de quel moment je vous pose une question ?
10:01 A partir de quel moment ça me rapporte ?
10:03 Je suis sûr qu'il y a des spectateurs
10:06 qui se la posent.
10:07 -La biodiversité ne va pas vous rapporter
10:09 du business à court terme.
10:11 Elle ne figure pas encore dans les appels d'offres.
10:14 Mais c'est un formidable moyen de, je l'ai dit,
10:17 motiver vos collaborateurs.
10:19 Deuxièmement, de créer des alliances stratégiques
10:22 avec la société civile,
10:24 comme la dame qui nous a précédé de Blum,
10:26 avec le monde académique,
10:28 qui, je tiens à le souligner, en France,
10:31 est très puissant sur ce sujet de la biodiversité.
10:34 Vous, chef d'entreprise,
10:35 vous avez intérêt à vous appuyer sur le monde académique
10:39 qui va vous aider à valider vos choix stratégiques.
10:42 Enfin, on voit certaines entreprises
10:44 où la biodiversité égale avantage concurrentiel.
10:47 Parce que, comme Bernard l'a indiqué,
10:49 de plus en plus, le consommateur cherche à savoir
10:52 d'où viennent les produits.
10:54 Quand l'entreprise est capable de démontrer
10:57 que ce sont des produits respectueux de la nature,
11:00 elle a un avantage concurrentiel.
11:02 -Dernier mot. -Dernier mot.
11:04 La biodiversité, c'est la meilleure façon
11:06 de s'adapter au réchauffement climatique.
11:09 La biodiversité, ça construit aussi de l'impact social,
11:12 sanitaire, alimentaire, et c'est un formidable sujet
11:15 qui rend fier. -On termine là-dessus.
11:17 Merci beaucoup, merci à tous les deux.
11:20 Et à bientôt sur "Be smart".
11:23 On passe à notre rubrique "Start-up" tout de suite.