La question se pose après propositions de l’ISSB en matière de prise en compte de l’impact du réchauffement climatique sur la comptabilité et l’activité économique d’une entreprise.
Mais dans SMART PATRIMOINE, on se demande pourquoi le sujet de la double matérialité dans les normes comptables est en cause aujourd’hui ? Et pour y répondre, Nathalie Gimenes, docteure en sciences de gestion affiliée à l’Executive éducation de l’Ecole des Mines de Paris-PSL, présidente de BE-CONCERNED, est sur le plateau.
Mais dans SMART PATRIMOINE, on se demande pourquoi le sujet de la double matérialité dans les normes comptables est en cause aujourd’hui ? Et pour y répondre, Nathalie Gimenes, docteure en sciences de gestion affiliée à l’Executive éducation de l’Ecole des Mines de Paris-PSL, présidente de BE-CONCERNED, est sur le plateau.
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00:00 Et c'est parti donc pour Investir Responsable. La guerre des normes comptables aura-t-elle
00:09 lieu ? C'est le sujet qui anime un certain nombre de réseaux sociaux à l'heure actuelle
00:13 en lien avec les propositions émises par l'ISSB en matière de prise en compte de l'impact
00:19 du réchauffement climatique sur la comptabilité et l'activité économique d'une entreprise.
00:24 Ce n'est pas exactement la question que nous allons nous poser aujourd'hui, nous
00:27 allons plutôt faire un focus sur la double matérialité avec Nathalie Jimenez.
00:31 Bonjour Nathalie Jimenez. Bonjour Nicolas.
00:33 Vous êtes docteur en sciences de gestion affiliée à l'exécutive education de l'école
00:36 des mines de Paris PSL mais aussi présidente de Be Concern. On n'a que quelques minutes
00:41 ensemble pour tenter de comprendre ce sujet. On a suivi effectivement que la directive
00:47 CSRD donc au niveau européen met en avant et met en place une notion de double matérialité,
00:53 une notion que n'intègre pas l'ISSB donc présidée par Emmanuel Faber. Pourquoi est-ce
00:58 que ce sujet de la double matérialité dans les normes comptables des entreprises est
01:02 en cause aujourd'hui ? Parce qu'il sous-tend en fait une idéologie
01:06 politique du rôle de l'entreprise dans la société mais je vais y revenir. Et vous
01:09 avez raison de cibler sur la double matérialité parce qu'il faut d'abord rappeler que ces
01:13 normes elles sont quand même alignées sur une ambition en commune qui est celle de miser
01:18 sur la finance durable pour financer les transitions. Donc ça c'est quand même important. Il y
01:22 a une volonté de ces deux normes d'être dans l'harmonisation des pratiques au niveau
01:26 planétaire. Emmanuel Faber, rappelez-vous, il dit il suffit qu'on arrive à détourner
01:31 1% de la capitalisation financière mondiale par an pour financer les transitions dont
01:35 nous avons besoin. Donc c'est quand même important de rappeler qu'il y a un alignement
01:38 sur cette ambition de finance durable. Et oui vous avez raison il y a une différence
01:43 sur cette notion de double matérialité. C'est-à-dire que la commission européenne
01:47 a là une ambition qui est un peu plus importante que celle de l'ISSB. Elle veut non seulement
01:52 orienter les flux financiers mais elle veut aussi quelque part transformer finalement
01:57 les pratiques commerciales des entreprises. Et donc elle amène cette notion de double
02:01 matérialité. C'est-à-dire qu'elle incite les entreprises à prendre en compte l'impact
02:07 de leurs activités sur l'environnement social et naturel. Est-ce qu'on peut le définir
02:11 alors peut-être de manière simpliste comme en plus de prendre en compte l'impact de
02:15 l'évolution de mon environnement sur mon activité économique, il faut que je prenne
02:18 en compte aussi l'impact de mon activité économique sur l'environnement et la biodiversité.
02:22 Vous l'avez très bien dit, c'est les fondements de la définition de la RSE. Donc quand on
02:27 fait ça, vous voyez bien que de manière idéologique, on force les entreprises justement
02:31 à endosser une responsabilité sociétale de l'impact de leurs activités. Donc on
02:35 amène la RSE d'un point de vue très stratégique et on la place comme une finalité des activités.
02:41 Donc on pousse les entreprises à être dans une performance plus globale, à la fois sociale,
02:46 économique et écologique. Alors que si on reste sur une matérialité plus financière,
02:51 comme vous l'avez très bien dit, on va regarder les enjeux de durabilité et on va les évaluer
02:56 au regard de la pression qu'ils exercent sur la seule performance financière. Donc
03:00 vous faites de la RSE du business case, c'est-à-dire en gros vous ne changez pas la finalité des
03:05 activités des entreprises qui reste la seule performance financière.
03:09 Et donc au niveau de l'entreprise, je ne change pas réellement ma façon de faire
03:12 ou en tout cas je regarde surtout quel est l'impact du changement de mon environnement
03:15 sur mon activité à court, moyen ou long terme, c'est ça ?
03:19 C'est ça, la crainte idéologique encore une fois, qui re-questionne toujours. Vous
03:23 savez, c'est un débat récurrent du rôle de l'entreprise dans la société. Vous savez,
03:27 ça remonte à Henry Ford, 1920, c'est toujours les mêmes débats récurrents. C'est quoi
03:32 la responsabilité sociale d'une entreprise ? Est-ce qu'elle doit aller au-delà de
03:35 sa performance financière ou est-ce qu'elle doit prendre en considération son impact
03:40 sur l'environnement social et naturel ? Donc c'est ça en fait. Mais vous savez, il faut
03:43 se remettre dans le contexte américain. Emmanuel Faber, il est dans une norme internationale
03:47 à la différence des normes européennes, qui pousse donc une idéologie qui est très
03:51 ambitieuse parce qu'elle pousse aussi cette volonté de transformer les entreprises.
03:55 Pourquoi pas ? Mais Emmanuel Faber, il est dans une norme internationale et lui, il doit
03:59 quand même chercher des compromis. Vous avez aux Etats-Unis...
04:01 Et créer une sorte de référentiel unique.
04:03 Oui, bien sûr. Et donc, si vous voulez, la recherche de compromis, c'est-à-dire que
04:06 la vision européenne des affaires, vous savez bien qu'elle n'est pas dans une culture très
04:11 libérale des affaires qu'on a quand même aux Etats-Unis. C'est l'inverse. Quand vous
04:16 poussez des entreprises à publier des informations sociales et environnementales de l'impact
04:20 de leurs activités, vous imaginez bien que vous créez de la transparence, plus de transparence.
04:24 Vous imaginez bien que ce n'est pas du tout dans la culture américaine néolibérale
04:27 des affaires. Au contraire, on essaie d'éviter de publier des informations pour éviter que
04:33 l'Etat mette le nez dans les affaires, pour attirer... On essaie de se protéger du regard
04:37 des ONG, d'attirer des réglementations des taxes fiscales, etc. Donc, ce n'est pas dans
04:41 la culture.
04:42 Mais alors, pour se forger une idée, parce qu'un des arguments d'Emmanuel Faber et notamment
04:47 de la tribune qu'il a publiée dans le journal Le Monde, c'est cet argument d'efficacité,
04:51 de dire effectivement... Alors, ce n'est pas ce qu'il dit, mais on pourrait effectivement
04:54 extrapoler un peu en disant, effectivement, peut-être que l'Union européenne fait un
04:57 pas de plus, mais globalement, on est dans une recherche d'efficacité dans un premier
05:02 temps.
05:03 Oui, c'est ce qu'il souligne. Et vous savez, ça remarque qu'elle est intéressante, parce
05:07 qu'elle questionne finalement, si vous voulez, le rôle de ces reporting à EUSG. À quoi
05:11 il sert ? Est-ce que c'est véritablement de réorienter, d'apporter des informations
05:16 claires, comparables, pour pouvoir éclairer des décisions des investisseurs ? Est-ce
05:21 que je m'adresse à des investisseurs ou est-ce que je m'adresse à toutes les parties
05:24 prenantes ? Vous voyez, des fois, on ne parle pas le même langage en fonction des parties
05:29 prenantes. Donc lui, il dit, on a une urgence, c'est celle de s'adresser aux investisseurs,
05:33 de les réorienter. Mais encore une fois, c'est un pari qui est quand même important.
05:36 Je ne sais pas dans quelle mesure on peut aussi penser que les investisseurs vont suivre
05:43 les enjeux de durabilité des entreprises. Vous voyez, dans quelle mesure ? Puisque la
05:47 Commission européenne, elle, elle légifère. Ce qui n'est pas le cas aux États-Unis.
05:51 Donc voilà. On peut comprendre, dans le contexte dans lequel s'inscrit l'ISSV, l'Union
05:58 Européenne, qui est dans l'ISRS de toute façon, on peut comprendre qu'il y a cette
06:03 volonté de trouver un compromis. Maintenant, l'ambition européenne, moi je pense qu'il
06:07 faut qu'elle garde cette ambition. Mais vous voyez qu'elle va plus loin. Elle va aussi
06:10 dans cette volonté de transformer les entreprises. Emmanuel Faber dit que c'est une illusion.
06:14 Il dit qu'on ne va pas transformer sous la contrainte. Je le rejoins un peu aussi. C'est-à-dire
06:17 qu'en fait, il faut aller au-delà de ces notions de contraintes en Europe. Vous voyez,
06:22 si on voit que l'ARSE comme une contrainte, on ne va pas motiver non plus les marchés.
06:25 Donc il faut aussi que l'Europe accompagne ces transitions de mesures incitatives. Je
06:32 pense que si elle veut questionner aussi la raison d'être, finalement quand vous êtes
06:35 dans la performance plus globale, vous interrogez la raison d'être des entreprises. Donc finalement,
06:41 il faut aussi prendre appui, comme la loi Pacte par exemple, transposer la loi Pacte
06:45 dans le droit européen. Il y a d'autres outils si vous voulez pour accompagner les
06:48 transitions en Europe.
06:49 Une dernière question. Pour le coup, la directive CSRD entre en application très prochainement.
06:56 Ça n'est qu'un bout de la chaîne réglementaire qui existe en Europe, justement pour accompagner
07:01 cette notion d'investissement durable et faire remonter les données des entreprises.
07:05 Ces nouvelles normes ISSB, si on se place d'un point de vue européen, est-ce que ce
07:12 n'est pas faire un pas en arrière à la réglementation européenne ou devoir tout
07:17 reprendre au niveau européen ?
07:18 Vous savez, déjà, il faut regarder ce qui se passe là tout de suite dans les discussions
07:22 entre les eurodéputés. Vous avez vu qu'on grogne la CSRD semaine après semaine.
07:26 C'est vrai, au sein même de l'Union Européenne.
07:29 Exactement, puisque des motions sont déposées en permanence, toujours par le parti droit
07:33 en fait de cette Assemblée Européenne, qui évidemment veulent protéger les entreprises,
07:38 les intérêts des entreprises, pas trop de divulgation d'informations, que ça peut
07:42 mettre en compte la compétitivité des entreprises sur la scène internationale, etc. Donc voilà,
07:48 la réglementation aussi européenne est en train d'être grignotée, même si, encore
07:53 une fois, elle garde le fondement dont vous avez parlé, cette double matérialité, qu'on
07:57 le veuille ou non, elle va pousser et inciter les entreprises à avoir une réflexion stratégique.
08:02 Moi j'en ai réalisé quatre cette année avec des entreprises. Et oui, si la question
08:06 c'est de dire que de réfléchir à une matérialité d'impact, ça amène la stratégie RSE au
08:11 cœur de la réflexion stratégique des comités de direction des conseils d'administration,
08:14 la réponse est oui. Est-ce que ça va nourrir les reportings EIG, attirer la finance durable,
08:20 c'est encore une autre question, mais l'avenir nous le dira.
08:23 Et on pourra en reparler ensemble sur le plateau de fin patrimoine.
08:26 Avec plaisir.
08:27 Merci beaucoup Nathalie Jiménez, je rappelle que vous êtes docteure en sciences de gestion
08:29 affiliale exécutive education de l'École des mines de Paris PSL, mais aussi présidente
08:33 de Biconcern. Merci beaucoup.
08:34 Je vous en prie.
08:35 Et quant à nous, on se retrouve tout de suite dans Enjeu Patrimoine.