Dans ses interviews, Sophie de Menthon, présidente du mouvement patronal Ethic, se met dans la peau des patrons...
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00:00Bonjour Vincent Thévenon, bienvenue, pas trop en question.
00:04Alors j'aime bien parce que vous êtes président de la Maison Thévenon
00:07et j'aime beaucoup cette appellation pour entreprise qu'on utilisait assez souvent
00:12et ça veut tout dire d'ailleurs.
00:14Tout à fait, on est une maison née en 1908, une maison familiale
00:18et ça correspond à notre univers, la décoration avec ce supplément d'âme qu'on essaie d'apporter dans les maisons.
00:24Et alors donc vous avez un parcours qui est un peu atypique.
00:28D'abord vous avez eu envie d'entreprendre, ça c'est clair.
00:30Et vous avez fait des vins et viens, on verra, qui sont intéressants.
00:34Vous avez d'abord fait un stage aux Etats-Unis.
00:36Tout à fait, avec Georges Bellarian qui a été mon mentor, c'était quelqu'un d'exceptionnel
00:41qui m'a appris, il me disait toujours, casse tes oeillères, il faut que tu vois à 360 degrés.
00:45Et il m'a appris cette liberté, cette façon d'apprendre à découvrir des nouveaux univers, à vouloir collaborer.
00:51Mais c'était un stage de quoi ?
00:52Alors c'était un stage dans une matériothèque, c'est-à-dire que Georges Bellarian
00:56était la première personne à avoir inventé un endroit où on cherchait dans le monde entier
01:01des nouveaux matériaux qu'on proposait aux designers, aux entreprises du CAC 40, à L'Oréal, à Michelin.
01:08Voilà, des nouveaux matériaux innovants.
01:09Et il a inventé ça et après il s'est développé dans le monde entier.
01:12Et à la fin il m'a embauché.
01:13Il m'a dit, Vincent, j'aimerais bien que vous restiez.
01:15Il travaillait avec Stark, c'était vraiment quelqu'un de passionnant, passionné d'art contemporain.
01:20Et au même moment, donc j'en parlais avec mon père et il me dit, écoute Vincent, tu es libre,
01:24tu fais vraiment ce que tu veux, mais si tu vas aux Etats-Unis, tu vas rester aux Etats-Unis.
01:27Je sais que ça se passera bien et tu vas rester là-bas.
01:29Donc réfléchis un petit peu.
01:31Et puis il y a eu un déclic.
01:32J'attendais que mon père me dise ça et je suis revenu en France.
01:35Voilà, j'ai d'abord montré, j'ai monté mon entreprise qui s'appelait Clairefoncé.
01:39Oui, alors donc vous montez, c'est assez curieux parce que vous arrivez en France,
01:42c'est bien une entreprise familiale, on est quand même très attachés.
01:44D'ailleurs c'est les meilleurs modèles, on en reçoit beaucoup.
01:46Et vous montez quand même votre entreprise, Clairefoncé.
01:50Et Clairefoncé se développe, marche pas mal.
01:52Pourquoi Clairefoncé ? C'est joli d'ailleurs.
01:54J'ai mis plein de noms sur un papier.
01:57Je les ai donnés autour de moi.
01:59J'ai parlé à mes amis, à ma femme.
02:01Qu'est-ce que vous en pensez ?
02:02Et ça a été assez unanime.
02:03Tout le monde adorait ce nom, tout le monde adorait Clairefoncé.
02:05Alors Clairefoncé faisait quoi ? En deux mots ?
02:07En deux mots, des produits confectionnés.
02:08C'est-à-dire que je commençais là où l'entreprise familiale s'arrêtait.
02:11Je suis devenu assez rapidement le premier client de la boîte familiale.
02:15Alors elle s'arrêtait où la boîte familiale ?
02:17Le tissu d'ameublement, c'est-à-dire les tissus décoratifs
02:20qui servent aux tapissiers, aux décorateurs, aux architectes,
02:23aux grandes maisons de décoration pour tapisser des fauteuils,
02:28des rideaux, des têtes de lit.
02:30Enfin voilà, tout l'univers de la décoration de la maison.
02:32Et là, vous vous êtes dit je vais plus loin.
02:34Et aller plus loin, c'était quoi ?
02:35C'était confectionner avec ces tissus des rideaux justement,
02:38sur-mesures, des stores, des jetés de lit, des coussins.
02:41Donc votre père était votre client ?
02:44Mon père était mon fournisseur.
02:46Mon fournisseur, pardon.
02:47J'étais client de la maison familiale.
02:48Oui, oui, très bien.
02:49Et assez rapidement, je suis devenu un des clients principaux.
02:53Et mon père m'a dit à ce moment-là,
02:54écoute, ce serait logique qu'on fusionne et que tu me rejoignes.
02:57Et ça a été exceptionnel parce que pendant deux ans,
03:00mon père m'a accompagné avec beaucoup de bienveillance.
03:02Il m'a appris l'entreprise.
03:04Oui, puis alors quelque chose d'étonnant que vous m'aviez raconté,
03:07c'est que finalement, vous avez choisi le créneau du luxe.
03:11Tout à fait.
03:12Et ce qu'on peut comprendre, parce qu'avec la concurrence
03:14qu'il peut y avoir partout dans le monde,
03:15les tissus, on peut en avoir merveilleux en Inde,
03:18je ne sais pas où.
03:20Et vous avez pris un vrai risque entrepreneurial.
03:23Parce que les clients de votre père,
03:25c'était des clients qui payaient des tissus pas trop chers.
03:28À l'époque, on avait deux positionnements,
03:29le moyen de gamme et le haut de gamme.
03:31Et quand mon père m'a donné les clés d'entreprise,
03:33il m'a dit, voilà, maintenant, Vincent, fais ce que tu veux,
03:36je te soutiendrai de toute façon.
03:38Donc, j'ai choisi ce milieu, ce positionnement haut de gamme.
03:41Et au début, ça a été un peu compliqué parce que je me suis dit,
03:44bon, ça va aller assez vite.
03:46Mais finalement, on ne gagnait pas vraiment les nouveaux clients de gamme.
03:49On les avait, mais on ne les gagnait pas.
03:50Mais on perdait les anciens.
03:51Donc, au bout de deux ans, j'ai perdu un quart du chiffre d'affaires.
03:54Ah ouais, vous êtes content de votre père.
03:56Mon père, il a été remarquable parce qu'il m'a soutenu.
03:58Il croyait en moi.
03:59Et je dois dire que toute l'équipe en général,
04:01il y avait quand même beaucoup de signaux faibles.
04:02On sentait que c'était la bonne stratégie.
04:04Et si j'avais été dans une entreprise du CAC 40
04:07ou avec des actionnaires, ça n'aurait pas duré trois mois.
04:09Là, le fait que ce soit familial, qu'on me soutienne,
04:12voilà, au bout d'un moment, ça a payé.
04:14Et au bout de deux, trois ans, ça y est, c'est parti.
04:16Et depuis, on a doublé le chiffre d'affaires.
04:18Alors, ça marche très bien.
04:19Puis moi, ce que j'adore, c'est que vous avez un peu relocalisé régionalement.
04:24Totalement.
04:25Etant sur ce positionnement haut de gamme,
04:27ça m'a permis depuis trois ans de relocaliser notre production.
04:30Donc, en fait, relocaliser, c'est-à-dire former un savoir-faire qui n'existait plus.
04:34Oui, parce que votre père, on ne l'a pas dit, il faisait des dentelles,
04:36il faisait des très beaux tissus, etc.
04:38Donc, il faut une main d'oeuvre.
04:40Tout à fait.
04:41Et votre père, vous l'avez retrouvé ?
04:42Alors, il n'existait plus.
04:44Donc, avec la région, avec l'État, avec tous les acteurs locaux.
04:47Avec l'État.
04:48L'État, on a été chercher des subventions avec la région.
04:50Ah, c'est dommage.
04:51C'était parfait.
04:52Et là, le mot « aller chercher des subventions », c'est dommage.
04:55Je plaisante, je plaisante.
04:56C'est-à-dire qu'à un moment, c'est des très gros investissements.
04:59Et surtout, il y a aussi un sujet formation.
05:01Comme on part de zéro, il faut former des gens pendant 18 mois à deux ans.
05:05Est-ce que vous avez remboursé les subventions ?
05:07Oui, bien sûr.
05:08Ça va.
05:10Et surtout, l'État, comme je vous le disais, avec France Emploi, avec la région,
05:14nous ont aidé à recruter des personnes, mais sans CV, puisque le savoir-faire n'existe plus.
05:19Il fallait retrouver des personnes qui n'avaient pas le savoir-faire.
05:21Donc, il fallait plus embaucher un état d'esprit, une façon de penser, des gens qui avaient envie.
05:25Je lis ça, d'embaucher un état d'esprit.
05:27Il y a deux ans et demi, quand j'ai commencé à recruter, la personne qui s'occupe de l'entretien chez moi
05:31est venue frapper à la porte un soir.
05:32Elle s'appelle Marina.
05:33Il devait être 7h30.
05:34Elle me dit « voilà, Vincent, moi j'adore la couture, mais ce n'est pas mon métier,
05:38j'aime vraiment ça, est-ce que je peux postuler ? »
05:40Je lui dis « mais Marina, évidemment ! »
05:42Aujourd'hui, Marina, c'est ma meilleure couturière.
05:44C'est avec elle que je vais prospecter.
05:46Elle est tellement épanouie, tellement heureuse.
05:49Et j'ai des graphistes, des floristes.
05:51J'ai vraiment pris des gens, embauché des gens qui n'étaient pas du métier, mais qui avaient envie.
05:56Et qui croyaient au projet.
05:58Alors, c'est formidable.
06:00Et les 30 secondes pour conclure, votre rêve ?
06:02Mon rêve, c'est que déjà, ma nouvelle aventure américaine,
06:05puisqu'on vient de signer avec un très beau groupe qui s'appelle Holland & Sheer aux Etats-Unis.
06:09Je voudrais vraiment que ça marche, parce que c'est un très gros marché pour mon métier.
06:13Et si ça marche, ça me permettra, par la suite, de développer tout le reste, avec des très belles collabs.
06:18Les collaborations, c'est aussi très important pour nous, avec des designers.
06:21C'est formidable, c'est le mot de la fin, parce que vous relocalisez en région,
06:26tout en s'exportant aux Etats-Unis.
06:28C'est une merveille.
06:29Merci, je vous remercie.
06:30Merci beaucoup et bonne chance.
06:31C'est un plaisir, merci.
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