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Vendredi 31 janvier 2025, SMART BOURSE reçoit Michel Ruimy (Économiste associé, SPAK)

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00:00Générique
00:10Le dernier quart d'heure de Smartboard, chaque soir c'est le quart d'heure thématique.
00:13Une fois par mois, nous avons rendez-vous avec Michel Rumi, économiste associé de SPAC
00:17pour le décryptage d'un concept économique.
00:19Bonsoir Michel.
00:20Bonsoir Édouard.
00:21Comment valorisons-nous un pays ? C'est ça la question qui vous est venue.
00:25C'est quoi le contexte de cette question Michel ?
00:28En fait il y a beaucoup de rumeurs qui paraît que les États-Unis envisagent d'acheter des territoires.
00:33Et notamment donc il y a eu le Groenland, le Panama.
00:36Et donc je me suis posé la question de savoir, c'est finalement,
00:39à supposer que les conditions soient remplies,
00:43à combien pourrait-on ou comment pourrait-on valoriser un pays ?
00:46Alors là c'est la grande difficulté.
00:49Et donc est-ce que la théorie financière traditionnelle pourrait s'appliquer, etc.
00:55L'actualisation des flux, etc.
00:57Bon alors allons-y, comment fait-on Michel ?
01:01En principe c'est donc, la théorie financière dit que le prix d'un actif c'est la somme des flux futurs actualisés.
01:08Mais ceci étant dit, un pays n'est pas un actif particulier.
01:12Donc on dirait qu'on va commencer par le PIB.
01:15C'est la richesse créée.
01:17Mais si on regarde le PIB, il ne tient compte que des valeurs présentes.
01:24C'est-à-dire les travailleurs, les entreprises, les gouvernements, etc.
01:28Or, pour valoriser un pays, il faut aussi valoriser sa capacité à générer de la valeur.
01:34On achète comme une entreprise la capacité à dégager des flux.
01:38Et ce qui est très important, c'est que pour la difficulté dans un pays,
01:44c'est sa capacité à évaluer la productivité de ses ressources, notamment naturelles.
01:50Si on prend le cas du Corée de l'Onde, il est depuis longtemps exploitant de charbon.
01:54Et donc là, on sait plus ou moins comment ça vaut.
01:57Mais dans son sous-sol, c'est ça qui est très important.
01:59Il recèle, je dirais, de l'or, il recèle des terres rares.
02:05Par les temps qui courent, c'est quand même assez intéressant.
02:07Il y a des métaux précieux, il y a du cuivre, etc.
02:10Et donc, tout ce sous-sol n'est pas reflété dans la valeur du PIB.
02:14Et donc, c'est ça qui est important.
02:16Il y a des ressources naturelles, des moyens de production.
02:20Et puis, il y a aussi d'autres facteurs qui ne sont pas pris dans le PIB.
02:23C'est notamment la qualité de son capital humain et de ses infrastructures.
02:28C'est également aussi la qualité de vie.
02:30C'est également aussi la localisation géographique et son attractivité.
02:35Et en même temps, surtout aujourd'hui, par les temps qui courent, la santé financière de ce pays.
02:39Et donc, c'est important.
02:42Oui, c'est pas évident.
02:44En l'occurrence, ce qu'on n'a pas dit encore, c'est que c'est arrivé dans l'histoire.
02:49Qu'on vende des pays, qu'on achète des pays, ou des États, ou des îles.
02:55Des milliardaires achètent encore aujourd'hui des îles.
02:58On n'achète pas un pays, on n'achète pas un État.
03:00Mais on achète quand même une parcelle de quelque chose.
03:03Est-ce que d'ailleurs, partant de la dimension parcellaire géographique foncière,
03:08est-ce que c'est déjà une première manière de fixer un début de prix sur quelque chose qui serait un pays ?
03:15Oui, ça serait un problème.
03:18Mais il y a un paramètre qui est très important par rapport à tout cela.
03:21C'est notamment, on va dire, le nationalisme.
03:25D'une part, un paramètre qui est difficile.
03:27C'est-à-dire qu'il convient de convaincre la population que cette vente est favorable.
03:33Et donc, on voit que c'est quand même compliqué.
03:35Mais en fait, ce qu'il faut savoir, c'est que là, comme il n'y a pas réellement de marché,
03:39c'est en fait une confrontation de l'offre et la demande.
03:42Et donc, ce n'est pas un bien comme un autre.
03:47Mais par contre, pour les territoires, on pourrait dire qu'on va s'appuyer sur le marché d'un bien immobilier traditionnel.
03:56Oui, au mètre carré !
03:57Voilà, au mètre carré.
03:58Mais la différence, c'est que le pays, ce n'est pas au mètre carré, ça va être en hectares, voire en kilomètres carrés.
04:04Et dans le cas du Groenland, certaines estimations, en tenant compte, on va dire, du PIB, du sous-sol, etc.,
04:11ont estimé que le Groenland valait environ 1100 milliards de dollars.
04:161100 milliards de dollars, oui, c'est pas mal !
04:18Oui, oui. Bon, après, c'est une estimation. Encore faut-il...
04:22Oui, oui, c'est une estimation.
04:24Mais enfin, pour un dealmaker et un homme de l'immobilier comme Donald Trump,
04:30imagine que c'est une manière d'aborder les choses qu'il doit lui parler, ça.
04:34Ah oui, oui, mais tout à fait. C'est un homme d'affaires, donc il a déjà un prix, puis ça se négocie par la suite.
04:39C'est ça qui est important.
04:41Mais il faut bien se rendre compte que ce n'est pas une transaction immobilière.
04:44Ce n'est pas une transaction immobilière.
04:46Parce qu'il y a pas mal d'autres choses.
04:49Il y a une chose importante, comme je dis, c'est le fait qu'il y a un troisième paramètre.
04:54Donc, bien sûr, il y a l'acheteur, il y a le vendeur, il y a une chose, il y a un prix, mais il y a la population.
04:58Et ça, il faut qu'on recueille son accord.
05:02Et c'est loin d'être fait parce que, je dirais, la population peut très bien stopper la vente.
05:08C'est en gros, en quelque sorte, la condition suspensive d'un contrat, d'un bien immobilier que l'on ferait entre deux personnes privées.
05:15Parallèle, mais ça n'est pas une transaction immobilière.
05:18Et par contre, si l'on s'intéresse, par exemple, aux terres agricoles, là, en fait, on achète, on va dire, la ressource.
05:25Et donc, on peut parler de transaction immobilière parce qu'on n'abandonne pas la souveraineté.
05:32C'est-à-dire qu'on nous vend des terres, mais on ne vend pas la souveraineté.
05:35Et c'est le cas, ce qui peut expliquer parfois que la Chine ou l'Arabie Saoudite achètent des terres,
05:39comme il y a aussi des grandes multinationales qui achètent aussi des terres en Éthiopie, etc.
05:44Justement, si on prend le sujet du Groenland au sérieux, parce que c'est arrivé dans l'histoire, encore une fois,
05:51les États-Unis ont acheté un certain nombre de leurs États, la Louisiane ou d'autres, etc.
05:56Donc, comment on peut imaginer concrètement un type de transaction sur un territoire aujourd'hui ?
06:03Alors, aujourd'hui, ces transactions sont très encadrées.
06:06En France, c'est l'article 53 de la Constitution, en fait, qui régit ces transactions si elles doivent se faire.
06:12Et en fait, ces transactions, c'est quoi ? C'est une cession amiable d'un territoire accompagnée d'un abandon de souveraineté.
06:19Donc, ces transactions s'appuient, on va dire au niveau juridique, sur deux principes.
06:25Le principe international d'intégrité territoriale et aussi le principe d'autodétermination des populations,
06:32ce qui n'existait pas à l'époque des colonisations.
06:34Donc, ça pose, ça rend, ça complexifie, en fait, la transaction.
06:38Et puis, en même temps, cette transaction doit être conforme à la Constitution des deux pays, des deux partis.
06:44— Ça doit être compatible. — Voilà, compatible.
06:46Et donc, à supposer que le pays vendeur et que sa population acceptent, il faut changer la Constitution.
06:55Et donc, comment on change la Constitution ? Et pour acter, on fait un traité.
06:59Et un traité, c'est comme un contrat où on dit « J'achète cette terre à tel prix, avec d'autres spécificités », on va dire, et tout.
07:06Simplement, se pose la question, c'est quelle est la nationalité du pays. Est-ce qu'on reste avec l'ancienne ou avec le nouveau ?
07:12Et là, il y a un vide juridique. Et donc ça peut poser d'autres problèmes en pratique. Et c'est ça qui fait la difficulté de la chose.
07:20— Toujours dans l'idée de prendre le sujet au sérieux, est-ce qu'il y a un marché de pays à vendre ? Est-ce que ça existe ?
07:26Est-ce que ça a existé ? Est-ce que ça peut exister ?
07:28— Alors un marché de pays à vendre, je dirais non, parce que je dirais qu'il faut de l'objet, d'une part,
07:36donc un pays, et en même temps des grands acteurs. Donc ce n'est pas un marché de pays à vendre. Par contre, il y a un marché de territoires.
07:44Territoires avec d'un côté des pays qui sont prêts à céder des territoires et avec d'autres pays qui ont une forte capacité financière,
07:53qui vont essayer d'acheter. Et on revient toujours sur la Chine et l'Arabie saoudite. Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que ces transactions,
08:03il n'y a toujours pas abandon de souveraineté par l'État et le vendeur. Et ce qu'il faut quand même pas oublier, c'est que lorsque la Chine,
08:11par exemple, achète des territoires en Afrique, et même si elle dit « Je laisse la souveraineté au pays », je pense qu'elle doit quand même peser lourdement
08:20sur l'économie, voire plus. — Alors il y a un marché qui existe, peut-être. C'est celui autour des îles privées. Tous, ils ont leurs îles privées.
08:27Mick Jagger, Johnny Depp, Di Caprio. Mais sans doute d'autres qu'on ne connaît pas. Je veux dire, là, je cite des écrans médiatiques.
08:36— Oui, oui, c'est ça. — Certainement, oui. Mais là, pour le coup, il y a vraiment un marché, quoi.
08:42— Tout à fait. Donc il y a généralement... Donc les îles à vendre se trouvent souvent en Afrique, en Australie, également aussi dans les Caribes, surtout.
08:51Et c'est là où il y a à peu près, aujourd'hui, à peu près une centaine d'îles à vendre. — Ah, quand même ? — Oui, oui, oui. Si vous avez quelques millions de dollars...
08:58— Ah, c'est ça. Quelques millions, voire un peu plus. J'imagine, oui. — Et donc là, il s'agit d'une transaction traditionnelle, classique.
09:06Bien sûr, il y a des contraintes, parce que l'idée, c'est qu'à supposer que vous soyez, je sais pas, en concurrence ou que vous avez un État qui veut préempter,
09:16vous n'avez pas la puissance d'un État pour l'empêcher de l'acheter. Par contre, après, il faut savoir s'il s'agit d'un domaine privé ou d'un usage public,
09:27parce que si c'est un usage public, il faut que l'île soit propre, entre guillemets, quoi. C'est ça qui est important de voir.
09:35— Je vous donne un chiffre que vous avez apporté, une référence historique, Michel. Donc c'était il y a près de 400 ans, c'est ça, les Indiens natifs d'Amérique
09:42vendaient l'île de Manhattan. — Oui. — Oui ? Combien ? — L'équivalent de 700 €. Mais là, la grande difficulté, c'est qu'ils n'étaient pas dans une économie monétaire.
09:51Ils avaient pas cette notion, je dirais, d'argent. Et donc c'était... — Et la France vendait aux États-Unis. Alors c'était la Louisiane ou pas, dans les années 1803 ?
09:59C'est ça, 15 millions de dollars. — Oui, oui, ça fait à peu près... — L'équivalent de 400 millions de dollars aujourd'hui.
10:04— Exactement. — Pas mal. — Exactement. Oui ! — C'était pas un mauvais prix ? — Oui. — Après, il faut voir. Après, il faut voir.
10:10Comme les territoires lointains, il faut les gérer par la suite. — Ah, c'est sûr. Merci beaucoup, Michel.
10:16Michel Rumi, sur cet exercice pas facile, valoriser un pays ou un territoire. Michel Rumi, économiste associé de SPAC, qui était avec nous
10:23dans ce dernier quart d'heure de Smart Bourse, comme chaque mois sur Bsmart for Change.
10:34Sous-titrage Société Radio-Canada

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