Elle est arrivée sur nos écrans à l'âge de 5 ans, révélée par le film Jeux Interdits de René Clément, et ne les a jamais quittés depuis. Capable d'incarner l'énergique mère de Vic' dans La Boom comme l'élégante Yvonne de Galais dans Le Grand Meaulnes, elle est apparue aussi dans Le Château des Oliviers ou Léo Mathei, des séries produites pour la télévision. Elle se fond dans des rôles et des registres variés avec une facilité déconcertante. Peut-être parce qu'elle considère le cinéma avant tout comme un art de la joie, auquel elle se prête avec enthousiasme. D'où lui vient cette légèreté, cet amour du jeu et des textes ? Comment entretient-elle sa passion pour le cinéma après une si longue carrière ? Quel regard porte-t-elle sur ce milieu artistique, intégré alors qu'elle n'était qu'une enfant, et qui se révèle parfois si dur envers les femmes ? Cette semaine, Rebecca Fitoussi reçoit Brigitte Fossey dans « Un monde, un regard » sur Public Sénat. Année de Production :
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00:00Générique
00:02...
00:22Notre invitée fait partie de ces artistes
00:25qui ont grandi sous nos yeux.
00:27Elle est entrée dans nos foyers
00:28quand elle avait 5 ans, elle n'en est plus jamais sortie.
00:32Une entrée lumineuse dans le rôle de la petite Paulette
00:35dans Jeux interdits, un film de René Clément
00:37qui a marqué la grande histoire du cinéma français.
00:40À partir de Paulette, le métier de comédienne
00:43a été une évidence pour elle.
00:45La passion des rôles, des textes, des réalisateurs
00:48ne l'a jamais quittée.
00:49Pour notre invitée, jouer, c'est s'amuser,
00:52jouer, c'est rire, c'est rêver.
00:54Impressionnante d'envie, d'enthousiasme,
00:56de générosité et même de folie.
00:59Le public ne me connaît pas vraiment,
01:01je suis une vraie clowne, dit-elle.
01:03Lire de la poésie, lire en chantant, en dansant,
01:06réciter à voix haute, déclamer des vers,
01:08des répliques au théâtre, au cinéma ou à la télévision,
01:12peu lui importe le moyen,
01:13tant qu'elle est au contact du public,
01:15qu'elle le divertit autant qu'elle se divertit elle-même.
01:19Une légèreté joyeuse qui fait d'elle une actrice à part
01:22que le public suit dans toutes les aventures qu'elle lui propose.
01:25Du Grand Môle-Nalaboum, du Château des Oliviers à Léomathéie,
01:29de Prévert à Molière, en passant par La Fontaine et ses fables,
01:32comment peut-on garder sur la longueur une telle passion,
01:36un tel amour pour la scène et les plateaux ?
01:38Posons-lui la question.
01:40Bienvenue, Brigitte Fosset.
01:42Merci d'avoir accepté notre invitation au Sénat, au Dôme-Tournon.
01:46L'enthousiasme ne vous quitte jamais,
01:48vous n'êtes jamais gagnée par une forme de lassitude.
01:52Non, parce que mon métier, c'est comme la mer.
01:55C'est le ressac, c'est l'intermittence.
01:59C'est-à-dire la vague arrive, puis après, elle se retire.
02:03Puis après, elle se retire.
02:05C'est ça, mon métier.
02:06Mon métier, c'est d'être pleinement là,
02:09et après, je peux partir, je peux disparaître.
02:11Et j'adore cette alternance.
02:14Vous avez dit un jour,
02:15dans la vie, tout le monde rencontre des épreuves,
02:18mais nous, on est des clowns.
02:19On est là pour faire rêver, pour amuser,
02:21pas pour se prendre au sérieux.
02:23À notre époque, c'est assez rare de ne pas mettre en avant sa douleur.
02:28C'est une forme de pudeur.
02:31Écoutez, je crois qu'il faut toujours...
02:34Quand on est un cuisinier, on a des recettes.
02:37Quand le cuisinier passe après en disant,
02:39est-ce que vous avez bien dîné ?
02:41Il ne dit pas, aujourd'hui, j'avais un rhume,
02:44je me suis mouchée discrètement, ça n'est pas tombé dans la sauce.
02:48Aujourd'hui, voilà ce que j'ai mis.
02:50J'ai mis des petits bouts de thym, des petits bouts de romarin,
02:53j'ai mis du basilic.
02:54Non, il dit, est-ce que vous avez passé un bon moment ?
02:57Et j'avais toujours été frappée quand j'avais été voir Arletti
03:02au théâtre dans une pièce de Jean Cocteau.
03:04C'était au théâtre Marigny.
03:06Et je ne la connaissais pas encore personnellement à ce moment-là.
03:10Et j'allais la voir, et on nous a présenté.
03:14Et sa première parole, ça a été,
03:18est-ce que vous avez passé une bonne soirée ?
03:22Moi, j'étais encore toute jeune comédienne, à l'époque.
03:24Je me suis dit, au fond, c'est ça, le métier.
03:26C'est d'essayer de faire passer des bons moments aux gens,
03:30de leur donner faim de la vie.
03:32Et pourtant, vous dites que vous êtes une clowne.
03:35Le clown a deux facettes, aussi.
03:37Il peut avoir une face plus sombre.
03:39Vous ne l'exprimez jamais.
03:41Bien sûr que si, j'ai eu beaucoup de rôles tragiques.
03:43Mais si vous voulez, je suis très heureuse
03:45de la tournure que prend mon métier actuellement,
03:48parce qu'on me propose beaucoup de choses drôles.
03:50Et en fait, mon père était un peu clown dans la vie.
03:55Et ma mère adorait le théâtre.
03:58Le premier spectacle que m'a emmené voir mon père,
04:02c'était les clowns à Tourcoing.
04:04Il était professeur d'anglais et d'allemand.
04:07Et après, on est allés en coulisses.
04:09Alors, il y avait un clown gay et un clown triste.
04:11Et le clown triste a enlevé sa perruque.
04:16En fait, il était tout vieux, alors qu'il avait fait des sauts périlleux.
04:19Le clown blanc a enlevé son maquillage, il a enlevé son chapeau.
04:22Et il était chauve.
04:24Donc, il m'a montré ce que c'était que le théâtre.
04:27Et l'envers du décor.
04:28Il m'a fait comprendre ça.
04:32C'est génial.
04:33Il y a le spectacle et puis il y a la personne.
04:36La personne est au service du personnage.
04:39Tous les personnages me passionnent.
04:41Mais ceux qui me passionnent le plus,
04:43ce sont ceux qui sont très loin de moi.
04:45Mais vous êtes quand même atypique dans ce métier.
04:48Vous ne rencontrez jamais des gens qui vous déçoivent dans ce métier ?
04:52Je ne sais pas, des goujats, des gens qui vous déçoivent ?
04:57Écoutez, moi, je crois que, comme disait un de mes copains prêtres,
05:01juif et chrétien, ça s'appelait le père Israël,
05:05il disait, où il y a de l'homme, il y a de l'hommerie, ma petite fille.
05:09Donc, de toute façon, on a toujours un facteur,
05:13un pourcentage de déception possible dans tous les domaines.
05:16C'est-à-dire dans le showbiz, dans la boucherie,
05:20dans le commerce et partout.
05:22Et nous-mêmes, est-ce qu'on ne se déçoit pas soi-même de temps en temps ?
05:25Alors, je crois qu'il faut glisser.
05:29Nous sommes dans une époque où le monde des actrices se révolte.
05:32Plusieurs vagues MeToo s'enchaînent.
05:34Et quand on vous demande si vous, vous avez été confronté
05:37à des agressions sexuelles durant votre carrière,
05:39vous dites, je ne me suis jamais laissé faire,
05:42je n'ai jamais eu ce genre de problème, j'ai beaucoup de défense,
05:44on ne peut pas s'attaquer à moi.
05:46Est-ce que ça veut dire que ces moments n'ont pas existé
05:49dans votre carrière ou que vous avez su, avec vos armes à vous,
05:53qui sont peut-être l'humour, la joie de vivre, les combattre ?
05:57Écoutez, je crois qu'à l'âge de 5 ans,
06:01quand j'ai tourné dans Jeux interdits,
06:03il y a beaucoup de gens qui ont tourné autour de moi,
06:07comme des mouches,
06:08comme des mouches autour d'une lumière.
06:13Et parfois, les gens voulaient s'emparer de moi.
06:17Ils voulaient me prendre dans leurs bras, ou alors ils voulaient me cajoler.
06:21Tu me fais un petit bisou ? Ou alors un petit bisou dans le cou, etc.
06:24Et moi, je sentais bien que ce n'était pas normal.
06:27Et donc je disais, ah mais non, moi, non, non.
06:32Moi, j'embrasse seulement ma maman et mon papa, non.
06:34Moi, je ne fais pas de bisous, non, je ne fais pas de bisous.
06:37Et je ne sais pas pourquoi j'ai toujours eu de la défense.
06:40Après, évidemment, quand j'ai repris ce métier vers l'âge de 18 ans,
06:46ça a recommencé naturellement.
06:49Mais j'ai toujours eu beaucoup de défense.
06:51Je n'avais pas peur.
06:53Je n'avais pas peur parce que mon père était un homme très audacieux.
06:59Il disait beaucoup de gros mots, il était rablaisien,
07:01mais en même temps, il était poète.
07:03Donc j'avais de tout à la maison.
07:05J'avais de l'audace, mais j'avais aussi la règle.
07:08Ça, ça ne se fait pas.
07:10Et la chose la plus importante pour mes parents,
07:12c'était de respecter les enfants.
07:15Et encore aujourd'hui, on ne les respecte pas assez.
07:19François Sdolto disait, c'est incroyable, la rue, par exemple.
07:23Les enfants marchent dans la rue.
07:24Mais ça n'a rien à voir avec un enfant.
07:28Il y a le bruit, il y a les voitures, il y a le risque, il y a tout ça.
07:31Maintenant, c'est encore pire
07:34parce qu'il y a tous ces pédophiles qui traînent.
07:37Et puis, il est vrai aussi que malheureusement,
07:41il y a aussi l'inceste.
07:43Il paraît qu'il y a un pourcentage d'inceste incroyable.
07:46Et c'est vrai que les enfants, quand on s'attaque à eux,
07:50qu'on s'attaque à leur jardin secret, à leur pudeur, à leur corps,
07:54ils n'ont pas encore la défense de l'esprit qui va dire,
07:58non, ça, c'est interdit, vous n'avez pas le droit de me le faire,
08:01puisqu'ils ne savent même pas ce que c'est.
08:03Donc, ils sont pris dans une espèce de bulle de...
08:08Ils sont sidérés.
08:10Comment dit-on ? Mesmérisés.
08:12Et donc, je pense qu'il faut apprendre aux enfants
08:16qu'il ne faut pas exagérer avec eux,
08:18que chacun a sa vie, chacun a son corps,
08:20et que le corps vous appartient.
08:22Sur la question de l'âge et des actrices de plus de 50 ans
08:25qui auraient du mal à trouver des rôles,
08:27vous répondez quelque chose, là aussi, que j'ai trouvé incroyable.
08:30Vous dites, je pense qu'il vaut mieux, comme le disent les Orientaux,
08:34allumer une bougie que de se lamenter sur l'obscurité.
08:38Je crois que quand la chance passe, il faut la saisir
08:40et ne pas être trop difficile non plus.
08:43Vous diriez que certains font la fine bouche, au fond ?
08:47Vous savez, en ce moment,
08:50je travaille beaucoup sur les fables de La Fontaine.
08:53J'adore La Fontaine.
08:55Parce qu'il a un amour de la vie,
08:57il critique beaucoup la nature humaine,
08:59à travers les animaux, bien sûr,
09:02mais c'est quand même nous qu'il critique,
09:03et peut-être même aussi lui-même.
09:06Quand il parle, par exemple, des deux pigeons, il parle de lui.
09:10Mais...
09:11Comment dire ?
09:14Vous connaissez la fable du Héron ?
09:16Je l'ai apprise quand j'étais petite, mais c'est vieux.
09:19C'est une merveille.
09:21La conclusion est une merveille.
09:25Ne soyons pas si difficiles.
09:27Les plus incommodants, ce sont les plus habiles.
09:30Ont hasard de perdre, à vouloir trop gagner.
09:33Gardez-vous de rien dédaigner,
09:36surtout, quand vous avez à peu près votre compte.
09:39Et là, il y a une musique de Rameau,
09:42et Daniel Laval au piano joue un air merveilleux.
09:45La la la la la la la la la...
09:48La la la la la la la la la...
09:50La la la la la la la la la...
09:52Et moi, je danse.
09:53parce que je crois qu'il faut danser sa vie.
09:55S'il y a un truc bien qui passe,
09:57qui n'est pas exactement celui que vous attendiez,
09:59que vous avez dessiné dans votre Ford intérieur,
10:03comme disait mon ami Robert Fortune,
10:05eh bien regardez-le et dites-vous que c'est mieux
10:09que de manger un limaçon, comme le héron.
10:11Mais est-ce que ça vous est déjà arrivé à vous d'accepter un rôle
10:14faute de mieux, ou un rôle alimentaire,
10:17ou de ne pas accéder au rôle dont vous rêviez ?
10:20Tous les rôles que j'ai acceptés, j'avais envie de les jouer.
10:23Pour moi, il n'y a pas de petits rôles,
10:26il n'y a que des petites interprétations.
10:29Quelquefois, j'ai eu des rôles très brefs,
10:31qui étaient des rôles de composition absolument passionnants.
10:36Le rôle de la mère de Vic dans La Boum,
10:38vous avez failli ne pas l'accepter à cause de l'âge, justement.
10:41À 32 ans, vous vous trouviez trop jeune
10:43pour jouer la mère d'une adolescente.
10:46Et c'est votre prof de théâtre qui vous a convaincue, je crois.
10:49Absolument !
10:50Andréas Voutsinas, c'était lui qui avait conseillé à Daniel Thomson,
10:55la scénariste, qui racontait sa propre vie avec sa propre fille,
10:59Géraldine,
11:01et le scénariste Claude Pinoteau, qui était le metteur en scène,
11:04il les avait convaincus de prendre Claude Brasseur et moi
11:07pour faire le papa et la maman.
11:09Et quand Claude Pinoteau m'a téléphoné pour m'envoyer le scénario,
11:13j'ai lu, j'ai dit, c'est pas possible, c'est pas possible.
11:16Moi, j'ai une fille de 11 ans,
11:18je vais quand même pas jouer le rôle d'une mère de 13 ans,
11:21ce qui est incroyable de coquetterie et de bêtise.
11:25Et mon professeur m'a dit, il était grec,
11:29né à Khartoum, dans le Soudan, il disait,
11:31chérie, vous pas peur pour vieillir.
11:34Si vous peur pour vieillir, vous très vieille.
11:37Si vous pas peur pour vieillir, vous jamais vieille.
11:41Vous devez être en avance, en avance.
11:43– Ça a été un déclic ?
11:44– Ça a été un déclic et depuis, je m'en fous.
11:46Voilà, ça m'est égal d'être vieille, d'être jeune,
11:49je fais ce que je vous voulais, je grossis, je maigris pour les rôles,
11:52ça n'a pas d'importance.
11:53Il avait parfaitement raison, parce que ça se passe à l'intérieur.
11:57Les rôles, ça se passe à l'intérieur, ça ne se passe pas à l'extérieur.
12:00– J'ai un document à vous proposer, Brigitte Fossey,
12:01il s'agit d'une archive qui nous a été transmise
12:04par nos partenaires, les Archives nationales.
12:05Est-ce que vous reconnaissez ?
12:10Allez, je vais vous aider.
12:12C'est chez vous, c'est dans le Nord, c'est à Tourcoing où vous êtes née.
12:15Et là, nous sommes le 13 juillet 1947,
12:18lors de la visite du président Vincent Auriole,
12:21dans le Nord, meurtri par la guerre.
12:22– Mais c'est extraordinaire !
12:24– Ce jour-là, le premier président de la 4ème République
12:27fait un déplacement en hommage aux victimes,
12:29et il visite les cités qui ont été sinistrées.
12:32Et j'imagine que cette photo vous parle,
12:34parce que vos parents ont été très marqués par cette guerre.
12:38– Très marqués par cette guerre, très marqués.
12:40Mais là, si je comprends bien, c'est l'église qui va vers l'île,
12:45c'est là que mes parents se sont rencontrés.
12:48– C'est vrai ?
12:48– Oui, et le monument aux morts, c'était le jardin
12:52où ma mère m'emmenait tous les jours,
12:54parce qu'on habitait rue Pierre de Guéthème,
12:56et ça descendait au jardin où il y avait le monument aux morts,
12:59qui avait dû inaugurer le président Vincent Auriole.
13:02Et tous les jours, je lui disais,
13:03maman, qu'est-ce que c'est cette statue, tous ces gens-là ?
13:06Elle me dit, c'est le monument aux morts.
13:08Ah oui, mais quels morts ?
13:10Eh bien, les morts de la guerre.
13:11Ah bon ? Mais qu'est-ce que c'est la mort ?
13:13Eh bien, il y a des soldats qui se battent
13:15pour préserver la liberté du pays.
13:17Et donc, pour moi, les monuments aux morts, c'était la joie,
13:21parce que c'était aller leur rendre hommage, rendre hommage aux héros.
13:26Moi, je trouve que c'est beau qu'il y ait des héros.
13:28– Et vous avez des anecdotes sur chacun de vos parents,
13:32concernant cette guerre, vous dites,
13:33mon père avait été otage des Allemands, il mourait de faim,
13:37mais comme il parlait leur langue couramment,
13:39il avait réussi à être affecté aux cuisines.
13:41Ma mère avait assisté au bombardement à Boulogne-sur-Mer
13:44et avait vu défiler dans un ruisseau des couverts en argent,
13:47avec une autre femme, elle les avait ramassés
13:49prenant les richesses qu'elle pouvait au milieu de ce grand malheur.
13:51Est-ce que, malgré cette guerre traumatisante,
13:55vous avez quand même baigné dans un environnement joyeux ?
13:57Je crois que vos parents étaient très joyeux, très fantaisistes même.
14:01– Écoutez, mes parents ont connu la guerre dans des conditions très difficiles.
14:05Mon père a été otage, et comme il parlait l'allemand
14:08avec les déprofesseurs d'allemand, il est devenu interprète,
14:10donc on l'a traité un peu mieux, mais pendant trois mois, il est mort de faim.
14:13Et quant à ma mère, elle était de Boulogne-sur-Mer
14:16et elle a fui avec ses parents devant les bombardements.
14:19Et alors, ils passaient de curé en curé,
14:22ils ont laissé la maison qui a été bombardée,
14:25et ils ont atterri très très loin, en Picardie,
14:29et quand ils sont venus, ils n'avaient plus rien, plus rien du tout.
14:33Et il est vrai que ma mère me racontait que son dernier bal,
14:38c'était à l'âge de 16 ans, parce que sa mère sentait que la guerre allait arriver
14:43et elle voulait qu'elle puisse s'amuser un peu.
14:46Et après, ça a été terrible, ça a été terrible,
14:48parce que les Allemands sont arrivés, enfin bref.
14:53Mais ce qui est extraordinaire, c'est qu'ils ont toujours gardé l'humour.
14:56C'est-à-dire que c'est comme, vous savez, quelquefois dans les enterrements,
15:00on a un fou rire parce que… – Nerveux.
15:01– La censure, etc.
15:03Et alors elle m'a raconté une histoire, moi, qui m'a fascinée,
15:05ma mère m'a dit, un jour j'étais dans un bombardement
15:09et puis il y avait un gros éclat de terre avec une vieille dame
15:15qui ramassait des morceaux d'argenterie, et puis elle disait,
15:23oh bébé qu'est misère, et bébé qu'est misère, et elle volait tout.
15:27Et elle m'a dit, ça m'est resté comme quelque chose de très très drôle.
15:30Et finalement après, est-ce que vous vous rendez compte
15:34qu'en 1944, mes parents se sont mariés pendant la guerre,
15:39elle ne pouvait pas mettre de robe blanche, elle n'avait rien,
15:41ça s'est passé à Besan, chez mes grands-parents
15:44qui avaient retrouvé donc une autre maison, et il y a eu la paix.
15:50Et quand il y a eu la paix, je suis née.
15:54Ça a été, mais comment vous dire, ils ont découvert la paix,
15:58ils ont découvert la joie, ils ont découvert la gymnastique,
16:02ils ont découvert le théâtre, ils ont été follement heureux avec rien.
16:08Ils étaient pauvres, très pauvres, mais ils étaient riches intérieurement
16:12de leur idéal, et de leur besoin de célébrer la vie à travers un enfant
16:19dans la paix, et ça c'est quelque chose qu'on a oublié aujourd'hui.
16:22– Votre mère a été la première comédienne que vous ayez connue,
16:27dites-vous, c'est elle qui vous a donné ce goût du jeu, de la fantaisie,
16:32elle vous citait beaucoup les fables de la fontaine d'ailleurs,
16:34elle utilisait la morale des fables de la fontaine pour vous faire la morale à vous.
16:38– Oui, parce que mon grand-père maternel dirigeait le théâtre de Boulogne-sur-Mer,
16:42et donc ma mère à Noël récitait toujours des poèmes de lui,
16:45il était poète aussi, mon père aussi était poète, il écrivait des poèmes,
16:49et donc ma mère avait gardé ce goût de l'opérette,
16:52parce que mon grand-père avait écrit aussi des très jolies chansons,
16:55des opérettes, des revues comiques, et donc elle ne travaillait pas,
17:00elle s'occupait de la maison, elle était mère professionnelle,
17:03moi et mon petit frère c'était vraiment son but, son travail,
17:07et aussi mon père qu'elle adorait, et donc elle faisait très bien la cuisine,
17:11et puis elle nous chantait des chansons, nous apprenait des chansons,
17:14toutes les chansons françaises, je les ai apprises avec elle,
17:18Il pleut bergère, tout ça, mais vraiment,
17:22elle achetait des livres d'anciennes chansons,
17:26et puis mon père et ma mère chantaient ensemble le carillon,
17:30c'est-à-dire Frère Jacques avec toutes les voix, c'était merveilleux.
17:36Et la première émotion musicale que j'ai eue,
17:39c'est justement Frère Jacques, Frère Jacques, dormez-vous,
17:42Frère Jacques, Frère Jacques, et tout à coup j'étais émerveillée
17:45qu'uniquement avec des voix humaines on arrive à faire de la vraie musique.
17:50À l'allure de celle que vous êtes aujourd'hui, Brigitte Fosset,
17:53quel conseil donneriez-vous à la petite fille que vous étiez ?
17:56Qu'est-ce que vous lui diriez avant qu'elle ne se lance dans la vie ?
18:00À quel âge vous voulez que je lui parle ?
18:02À cinq ans après ou avant le film ?
18:04Avant.
18:07Eh bien écoutez, je lui dirais de faire exactement la même chose que ce qu'elle a fait,
18:11parce qu'en fait j'ai demandé à apprendre à lire et à écrire à l'âge de trois ans,
18:15parce que mon père partait à l'école et je ne pouvais plus le voir,
18:19et puis voilà, donc j'ai adoré, j'ai adoré travailler,
18:23j'ai adoré travailler à ses côtés, quand il rentrait il corrigeait les copies,
18:28et moi j'apprenais à lire, à écrire à côté de lui,
18:32et je voulais être comme lui, je voulais être professeur de lettres ou écrivain,
18:36et finalement ce qui s'est passé c'est qu'il y a eu la rencontre avec René Clément,
18:41et là je me suis rendu compte qu'on pouvait apprendre autrement,
18:44apprendre en jouant, en interprétant, en pleurant, en riant,
18:48et là je crois que j'ai réalisé le rêve de mes parents,
18:51parce que mon père voulait être comédien.
18:53– Ce n'était pas forcément votre rêve à vous ?
18:55– Mon papa aurait voulu être Fernand L ou Jerry Lewis,
18:58ils m'en venaient voir tous les films comiques,
19:01et ma maman alors adorait le cinéma, ils étaient cinéphiles,
19:05donc tous les mercredis ils allaient au cinéma,
19:08parce que ce n'était pas le jeudi à l'époque,
19:10– Ce n'était pas le mercredi, c'était le jeudi.
19:12– Tous les jeudis ils allaient au cinéma à Lille,
19:14et moi je restais avec mon petit frère et ma grande tante et on faisait du théâtre,
19:18alors on coupait les journaux en petits morceaux,
19:20on faisait des processions,
19:21et quand ma mère rentrait il y avait les papiers partout,
19:24on se faisait enguirlander, mais qu'est-ce qu'on s'amusait !
19:27– J'ai des photos à vous proposer maintenant Brigitte Fosset,
19:33la première que je vais vous proposer c'est celle-ci,
19:35évidemment vous la reconnaissez, et je crois que tout le public la reconnaît,
19:38évidemment c'est la boum avec Sophie Marceau,
19:40film culte qui a marqué toute une génération et même plusieurs générations,
19:45les mères font voir le film aujourd'hui à leurs filles,
19:47est-ce que ça a été un film un peu encombrant quand même, parfois ?
19:50– Oh non, au contraire, ça a été la révélation de la comédie
19:55que j'attendais depuis longtemps,
19:57j'avais déjà fait beaucoup de comédies à la télévision,
20:00des choses très drôles, j'avais joué des jumelles,
20:03une blonde, une brune avec Lazare Iglesias,
20:05ça s'appelait je crois L'une chanse l'autre pas ou un truc comme ça,
20:08très très amusant, mais là c'était mon premier rôle de comédie au cinéma,
20:13j'adorais Claude Brasseur, on avait le même professeur Andréas Voutsinas,
20:17et quand j'ai rencontré Sophie Marceau,
20:19j'ai eu vraiment la sensation de rencontrer une très grande comédienne,
20:23et la première fois qu'on a vu les Rushs avec Claude Brasseur,
20:27Daniel Thomson et Claude Pinotto, Sophie n'était pas là,
20:34on a été convoquées, on a été voir les Rushs,
20:36on l'a vu danser, chanter, on s'est dit mais c'est une star !
20:40Mais vraiment c'est une star !
20:43Et effectivement, elle a fait la même chose que moi,
20:46elle s'est beaucoup cultivée, elle a beaucoup lu,
20:49elle a eu un agent formidable, Georges Beaume,
20:52qui l'a fait lire Dostoevsky, Balzac, Flaubert, tout le monde,
20:56et donc elle a en elle une force, elle a un jugement personnel,
21:01et c'est pourquoi elle fait ce métier si bien.
21:04– Vous la voyez toujours ? Vous êtes toujours en contact avec ?
21:06– Oui j'adore la rencontrer, je l'aime beaucoup,
21:08je suis allée à son hommage à la Cinémathèque,
21:11on a repassé tous ses films,
21:14et j'ai vu son dernier film, l'année dernière,
21:16où elle est remarquable, absolument remarquable,
21:19et maintenant elle écrit, c'est génial,
21:21je l'ai vu à l'émission que j'adore…
21:23– La Grande Librairie ? – Oui, voilà, voilà,
21:25et elle racontait qu'elle était devenue écrivain,
21:29et elle était d'une gravité,
21:33mais vraiment ce n'était plus la Sophie comédienne,
21:36elle était devenue écrivain, elle avait revêtu ce personnage,
21:41– J'ai une deuxième photo à vous proposer,
21:42il s'agit d'une mobilisation devant l'hôtel de région des Pays de la Loire,
21:46mobilisation contre la baisse du budget alloué à la culture,
21:50les restrictions sont générales dans tous les domaines,
21:53est-ce que ça vous peine quand vous entendez
21:55qu'on baisse les budgets pour la culture ?
21:58Vous qui avez alterné théâtre public, théâtre privé,
22:01est-ce que ça vous touche ?
22:04– Moi je crois que la culture c'est l'expression essentielle de l'être humain,
22:07que c'est notre identité, j'ai été très choquée
22:14quand on a remplacé il y a une quarantaine d'années
22:18les conseils culturels par des conseils économiques à l'étranger,
22:26je pense que la raison pour laquelle les Américains
22:28ont tellement d'influence sur nous,
22:30c'est parce que chaque fois qu'après la guerre
22:33on avait des accords économiques, ils disaient
22:34d'accord, alors vous nous prenez 15 films ou 20 films,
22:38et donc la culture c'est le véhicule de la nation,
22:42c'est l'expression de la nation, c'est le langage,
22:45c'est l'identité d'un pays, on ne peut pas arrêter
22:48de trouver que la culture est importante,
22:52c'est comme si on vous disait, maintenant vous vous taisez,
22:54votre langage ce n'est pas intéressant, taisez-vous,
22:56vous n'êtes qu'une image, c'est pareil, c'est le langage d'un pays,
23:00un langage qui passe par tous les arts,
23:02et on doit être très exigeant pour ça,
23:05et à mon avis, moi je fais partie d'une association
23:08qui s'appelle Athènes et Carmondes,
23:10et le père Joseph Rezinsky disait toujours,
23:12la chose la plus importante quand on arrive dans un lieu
23:15où on reçoit des gens très pauvres, c'est qu'il y ait des ordinateurs,
23:19et qu'on apprenne l'informatique pour pouvoir parler à tout le monde
23:22et travailler, et aussi la poésie, il y avait des cours de poésie,
23:26des cours de peinture, afin de s'épanouir,
23:30on ne peut pas être épanoui quand on regarde toute la journée
23:32son nombril en tapant sur des trucs, et après on ne dort pas,
23:37ce n'est pas possible.
23:39– La bonne entendeur, une dernière photo,
23:41il s'agit d'une mère et de sa fille ukrainienne
23:44qui tend leur pays pour fuir la guerre,
23:46pour vous la petite fille qui a joué une orpheline de guerre
23:50dans Jeux interdits justement, et avec ses parents
23:53qui ont bien connu la guerre dont vous parliez il y a un instant,
23:56est-ce que c'est une photo qui vous touche,
23:57est-ce que c'est une image qui vous parle à vous plus qu'à d'autres ?
24:00– Je vais vous dire, pour moi la mère c'est une unité,
24:07entre une mère et un enfant il y a une unité,
24:10je préférerais être une petite fille en guerre dans les bras de ma mère
24:15que dans un pays en paix sans ma mère, et après Jeux interdits,
24:21deux fois par semaine j'ai fait les mêmes cauchemars
24:24pendant des années et des années,
24:26je rêvais que j'étais dans un pays en guerre,
24:28que j'étais dans un train et que j'étais isolée des miens,
24:31et que je n'étais pas avec eux,
24:33et aujourd'hui je pense que la position des enfants
24:40pendant la guerre était une position intolérable,
24:44j'ai une amie qui s'appelle Nicole Danino
24:46qui a créé une association qui s'appelait Enfants réfugiés du monde,
24:51sur les réfugiés elle me disait qu'un sur deux est un enfant,
24:55et que préserver l'enfance dans un camp de réfugiés,
25:00les faire jouer, leur faire faire du théâtre,
25:03leur faire apprendre des textes, c'est une question de survie,
25:07où est l'enfance dans la guerre ?
25:09Qu'est-ce qu'on en fait ?
25:13J'ai une dernière question qui est en lien avec le lieu
25:15dans lequel nous sommes Brigitte Fosset,
25:16nous sommes entourés de quatre statuts
25:18qui représentent chacune une vertu,
25:20il y a la sagesse, la prudence, la justice,
25:25et l'éloquence, est-ce qu'il y a une de ces vertus qui vous parle ?
25:28– La justice. – Pourquoi la justice ?
25:32– Mais parce que c'est la base, c'est la base de la justice,
25:37liberté, égalité, fraternité, c'est très important,
25:42la démocratie c'est très important,
25:46c'est-à-dire que chaque citoyen puisse s'exprimer,
25:50mais j'aimerais qu'il s'exprime avec douceur,
25:53en fait je trouve qu'on ne s'exprime pas assez avec douceur,
25:57on a le droit d'aller dans une démocratie,
25:59on a le droit d'aller dans la rue dire tout ce qu'on pense,
26:02il n'y a pas grand monde qui va,
26:04il y a des gens qui se battent violemment,
26:08mais moi j'ai le droit maintenant quand je sors du Sénat,
26:12j'ai le droit de faire ma manif toute seule avec mon écharpe rouge,
26:15– Avec autorisation quand même.
26:16– Je voudrais qu'il y ait un peu plus de culture aujourd'hui,
26:20je voudrais bien que la politique se manifeste avec moins de violence,
26:25je voudrais bien un peu plus de concertation,
26:27un peu plus de concertation s'il vous plaît,
26:30j'ai le droit de le faire, pourquoi je ne le fais pas ?
26:33Parce que je suis lâche, mais je le dis quand même au Sénat.
26:38– Et c'est dit, c'est entendu, merci Brigitte Fosset
26:41d'avoir été notre invitée dans Un monde, un regard.
26:43– J'étais contente de vous voir, Rébecca,
26:45vous avez bien préparé votre émission, merci beaucoup.
26:49– Et merci à vous de nous suivre comme chaque semaine,
26:51émission à retrouver en replay sur notre plateforme publicsenat.fr
26:55ainsi qu'en podcast, merci beaucoup, à très vite.
26:57– Sous-titrage ST' 501