Philippe de Villiers : «Le mémoricide est à une nation ce que le génocide est à un peuple».
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00:00Alors moi, je crois avoir lu tous vos livres et très franchement, c'est votre plus beau livre.
00:04Il est magnifique, il poursuit la réflexion qui était déjà présente dans vos mémoires,
00:10le moment est venu de dire ce que j'ai vu.
00:13Et là, vous vous faites non seulement mémorialiste, mais aussi poète, philosophe,
00:17et c'est une réflexion profonde sur la nature même de l'identité française que vous nous proposez ici,
00:22avec un titre, « Mémoricide », qui est un titre qui suscite inévitablement un point d'interrogation.
00:26Qu'entendez-vous par « Mémoricide » ?
00:29Alors, le mémoricide est à une nation ce que le génocide est à un peuple.
00:38Le mémoricide, c'est l'ablation de la mémoire commune,
00:43c'est-à-dire la tentative pour un peuple de survivre avec une mémoire atrophiée,
00:56quand on laisse en friche la mémoire vivante du dépôt millénaire,
01:03quand une nation cherche à vivre, à survivre avec une mémoire pénitentielle,
01:10quand on invite nos propres enfants à pratiquer l'amnésie des grandeurs
01:15et l'hyperamnésie des lâchetés et des défaillances.
01:21Et c'est la tentative d'un peuple de survivre avec une mémoire pire,
01:28invertie, si vous me passez le néologisme.
01:32Invertie, ça veut dire qu'on tente de vivre pour la première fois dans notre histoire
01:37à l'inverse de ce qu'ont vécu nos pères, à l'inverse des repères anciens,
01:44à l'inverse des voisinages, des héritages qui nous ont été transmis.
01:51Si on définit la civilisation comme un état social
01:55dans lequel celui qui vient au monde découvre très vite
02:02que ce qu'il a apporté est infiniment moins subtil que ce qu'il trouve à son arrivée,
02:11alors nous sommes entrés dans un état social inversé,
02:18c'est-à-dire dans un monde post-historique,
02:24dans un monde où le temps long
02:34est désormais effacé par le caprice fugitif de l'illimitation marchande,
02:44un monde dans lequel, pour la première fois dans l'histoire des hommes,
02:48on tente de greffer une nouvelle mémoire sur la mémoire ancienne.
02:54J'appelle ça la transmémoire.
02:57En fait, c'est un monde, tout simplement,
02:59où on tente une expropriation mémoriale du peuple,
03:07du peuple des parias, ainsi exproprié,
03:12une dépossession, la dépossession ultime.
03:15Pas seulement la dépossession de l'outil de travail,
03:18comme dit très bien Christophe Jully, avec Metropoleia Periferia,
03:23on en parle souvent dans notre émission,
03:25la dépossession ultime, la dépossession de l'intime,
03:29de ce qui fait qu'un être humain tient debout.