Jacques Pessis reçoit Philippe Labro. Il publie « deux gimlets sur la 5ème Avenue » une histoire d’amour au cœur d’un univers qu’il connait par cœur, les États- Unis de 1961 à aujourd’hui.
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##LES_CLEFS_D_UNE_VIE-2024-10-22##
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00:00Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
00:03Les clés d'une vie, celles de mon invité.
00:05Votre vie est à l'image d'un cocktail au cœur de votre nouveau livre.
00:09Un mélange de curiosité permanente et passionnée,
00:12de diversité, de chance et surtout de travail.
00:14Beaucoup de travail depuis plus de six décennies.
00:17Bonjour Philippe Labreau.
00:18Bonjour.
00:18C'est vrai que vous publiez deux guimelettes sur la cinquième avenue,
00:21un roman chez Gallimard qu'on va évoquer,
00:23mais votre parcours est tellement riche.
00:25Je vous avais reçu au moment du Covid dans les clés d'une vie,
00:27mais j'ai trouvé d'autres sujets pour évoquer votre parcours
00:30parce qu'effectivement, il y a beaucoup de choses à dire.
00:32Et c'est par des dates, vous savez, le principe des clés d'une vie sur Sud Radio.
00:35La première date que j'ai trouvée, c'est le 4 mars 1960.
00:39Écoutez ce générique.
00:44Pierre Lazareff.
00:45Cinq colonnes à la une.
00:47Car d'après les archives de l'INA, c'est votre première télé.
00:50Vous interviewez un photographe qui est un copain de Tony Armstrong-Jones
00:54qui va épouser la princesse Margaret.
00:56Je m'en souviens à peine.
00:58Il est en face de vous, vous êtes sur un fauteuil et vous parlez en anglais et en français.
01:02Évidemment.
01:03Non, mais c'était une très belle émission.
01:05D'abord, c'était des très grands producteurs, des mentors.
01:08Aujourd'hui, les gens ne connaissaient à peine le nom de Lazareff.
01:11Mais il n'était pas seul.
01:13Il avait deux hommes avec lui remarquables qui s'appelaient Dumayet et Desgropes.
01:16Exactement.
01:17Donc vous aviez trois géants.
01:20Et le titre Cinq colonnes à la une, on ne le sait pas assez,
01:22a été trouvé par Frédéric Rossif qui travaillait à l'époque à la direction de la télévision.
01:26Tout à fait.
01:27Et d'ailleurs aussi, ils avaient Igor Barère avec eux.
01:30Le réalisateur.
01:31Le grand réalisateur.
01:31Donc vous aviez une très belle équipe et ils faisaient un mensuel, Cinq colonnes.
01:36Quand Cinq colonnes passait à l'antenne, le vendredi soir, les rues étaient vides.
01:41Complètement.
01:42C'était extraordinaire, c'était un événement.
01:44C'était la première émission de grands reportages à la télévision.
01:46Voilà, de grands documentaires, de grands interviews.
01:50Et là, c'est un scoop car vous interviewez ce photographe qui est un copain du futur marié
01:55et vous parlez de la princesse Margaret qui est à l'époque la cible du paparazzi,
01:59qui est la seule femme qui invite des people à son mariage
02:03qui ne se faisait pas à la cour d'Angleterre.
02:05En effet, c'était pas une autre époque car ça existe encore tout ça.
02:10Oui, mais elle a été la pionnière.
02:11Ah bah oui.
02:12Et ça vous permet, Philippe Labreau, de découvrir le monde de la télévision
02:16parce qu'à l'époque, il y a un million cinq cent mille postes
02:19et la redevance est de 85 francs, c'est à dire 150 euros d'aujourd'hui.
02:23Oui, mais ça veut dire que s'il y a un seul poste et une seule chaîne,
02:26que tout le monde vous regarde.
02:27Exactement.
02:28Donc c'est pas mal comme un début, non ?
02:29Oui, et la télévision, vous l'avez découverte avec cinq colonnes à la une ?
02:32Tout à fait.
02:33J'avais aussi un peu travaillé avec Roger Stéphane
02:36qui faisait plusieurs émissions, qui faisait des interviews
02:39et je l'avais accompagné un peu partout parce que j'aimais bien le voir travailler.
02:43Et il interviewait André Malraux.
02:45Et il s'arrête entre deux prises
02:48et Malraux était là, je le voyais assis à la table,
02:51il se tapait sur le front et il disait
02:53« Montons d'un cran ».
02:55C'est génial comme formule.
02:56Il considérait que c'était pas assez bien ce qu'il faisait,
02:58il fallait monter d'un cran.
03:00J'ai toujours regardé cette expression.
03:01Oui, et on aimerait l'entendre plus souvent aujourd'hui.
03:04Oulala, oui.
03:05Alors, la télévision, vous y êtes parce que
03:08vous avez connu Pierre Lazareff qui vous a engagé à François
03:12dans des conditions très étonnantes, Philippe Labreau.
03:14Étonnante, oui, oui et non.
03:17C'est-à-dire que je connaissais un garçon qui lui travaillait déjà dans le groupe François
03:22et je lui disais tous les jours « Je veux rencontrer Pierre Lazareff ».
03:24A l'époque j'étais journaliste dans un autre magazine
03:27et finalement ça n'avait jamais lieu.
03:30Et puis un jour,
03:32Pierre Lazareff voulait faire, c'est très étrange,
03:35il faisait des bandes dessinées, illustrées dans son journal
03:38« Les amours célèbres et le crime ne payent pas ».
03:40Il avait décidé d'en faire des livres ensuite.
03:42Et mon copain obtient que j'ai un manuscrit
03:46que je puisse écrire « La vie d'Al Capone ».
03:49Je l'écris en trois semaines et je la présente à Pierre Lazareff.
03:53Et Al Capone, il avait beaucoup d'argent,
03:55en fait il gagnait un demi milliard de dollars par an
03:58et il faisait faire ses costumes en Italie à 6500 euros pièce.
04:02Ben oui, c'est un bon détail.
04:04Et donc vous arrivez devant Lazareff et au lieu d'être
04:07le débutant qui dit « Oui monsieur », vous avez tout de suite exigé
04:11d'être le grand reporter à Philippe Labros.
04:12Oui, c'était ridicule, c'était provocateur et insolent.
04:15Mais comme il m'aimait bien, il avait beaucoup aimé mon manuscrit,
04:18il avait envie de me faire travailler.
04:20Et il me dit « Alors donc, vous venez chez nous, qu'est-ce que vous voulez faire ? »
04:22Je lui dis « Je veux être grand reporter ! »
04:25Alors que j'étais vraiment un gamin.
04:27Et il a rigolé, il m'a dit « Vous savez, si vous voulez obtenir ce titre, je vous le donne.
04:31Mais vous n'allez pas vous marrer dans la salle de rédaction parce qu'ils vont vous attendre. »
04:35Et résultat, je crois que pendant trois mois, vous n'avez rien fait.
04:38Rien. J'étais assis dans la salle de rédaction.
04:40Dans mon joli costume.
04:42J'arrivais le matin, bien sûr.
04:43Je serrais les mains.
04:45Tout le monde était très aimable avec moi.
04:46Et on ne me donnait rien à faire.
04:48Parce que, qu'est-ce que c'est que ce jeune homme,
04:51dans son imperméable blanc, avec sa chevalière américaine,
04:54parce que je faisais valoir que j'avais été étudiant là-bas aux Etats-Unis.
04:58Et donc, on ne me bricotait pas, mais on me laissait de côté.
05:01Finalement, un jour, on m'a quand même envoyé sur mon premier feu d'hiver.
05:04C'était quoi ?
05:06Alors, je ne me souviens plus très bien.
05:07Mais je sais très bien qu'ils ont quand même pris le risque de m'envoyer très vite en Algérie
05:13pour le premier mariage d'une Algérienne avec un soldat français.
05:16Et ça m'a permis d'abord de comprendre ce qu'il se passait en Algérie,
05:19avant même que je fasse mon service militaire.
05:21Bien sûr.
05:22Alors, il se trouve que François, on n'imagine pas ce que c'était aujourd'hui.
05:25À l'époque, c'était un immeuble avec un escalier géant,
05:28des rotatives au sous-sol, c'était extraordinaire.
05:30Au sang ruré au mur, je me souviens encore de cette adresse.
05:33Un très bel immeuble haussmanien, formidable,
05:36avec des étages, premier étage, deuxième étage de la rédaction,
05:39troisième étage, les bureaux de Pierre Lazareff, bref.
05:42Et puis, il y avait même France Dimanche qui était là-haut, au sixième ou septième étage.
05:47Et là, il y avait une atmosphère comme il n'y a plus maintenant,
05:49parce que tout le monde était dans la même salle de rédaction.
05:52On se voyait, on discutait, on bavardait.
05:54Il y avait des alcooliques, il y avait des femmes seules,
05:57il y avait des couples qui se faisaient ou se défaisaient.
06:00C'était une vie, une existence.
06:02Mais il y avait surtout cette façon de faire, de Pierre,
06:06qui disait toujours, il nous disait toujours,
06:09à défaut d'être intelligent, soyez intelligible.
06:13Oui, et il avait une astuce, quand quelqu'un écrivait Charles de Gaulle,
06:16il demandait qu'on écrive à côté Président de la République,
06:19parce que tout le monde ne le savait pas.
06:20Oui, oui, mais il avait raison.
06:22Il pensait au plus grand public.
06:25Et il considère qu'on devait être lu par tout le monde,
06:28aussi bien les ouvriers et les paysans
06:30que les têtes d'affiches et les patrons de presse.
06:35Pour toute une génération, Pierre Lazareff, c'est le pape du journalisme.
06:39Tout à fait, oui, mais personne ne le connaît aujourd'hui, mais c'est pas grave.
06:42Mais effectivement, le pape d'un certain journalisme n'était pas seul.
06:45Il y avait Pierre Brisson pour le Figaro,
06:47il y avait Hubert Boeufneri pour Le Monde.
06:50Mais pour ce qu'on peut appeler la grande presse populaire de qualité,
06:54c'était Lazareff.
06:55France au soir, à l'époque, Jacques Pessy,
06:58rappelez-vous, était 5 éditions par jour.
07:02Donc quand vous étiez sur un coup, comme on dit,
07:04sur un fait libéral, sur un reportage,
07:06il pouvait vous arriver de faire 5 papiers par jour.
07:09Et je crois même qu'il a un jour affrété un avion
07:12pour 14 journalistes sur le barrage de Malpassay.
07:15J'étais parmi ces 14 journalistes.
07:17C'était mon premier grand grand reportage.
07:21C'est fou, 14 journalistes, on ne peut pas imaginer ça aujourd'hui.
07:24Oui, mais le barrage de Malpassay, c'était un événement considérable.
07:27C'est ce barrage qui s'ouvre sur toute la vallée de Fréjus,
07:31sur tout le Var, qui tue des milliers de gens.
07:34Et c'est un moment capital de l'histoire de la France à ce moment-là.
07:39Et donc Pierre avait tout de suite compris qu'il fallait vraiment mettre le paquet,
07:43mettre le coup.
07:44Il affrète un avion, ce qui ne se faisait absolument pas à l'époque.
07:48Et il nous embarque tous là-dessus.
07:50Avec en particulier celui qui deviendra mon ami.
07:53Au début, il me regardait comme un petit con,
07:56qui s'appelait Jacques Chaput.
07:58Jacques Chaput, l'ASREF, distribue les rôles.
08:01Juste avant qu'on monte dans l'avion, il distribue les rôles.
08:03Vous, vous travaillez avec tel, vous avec un tel.
08:05Et il regarde Chaput et lui dit, vous, vous travaillez avec la broche.
08:07Chaput dit, avec ce petit con ? Non.
08:09Et ça s'est arrangé ensuite.
08:11Il a été un grand reporter et un grand journaliste à RTL ensuite.
08:14Il se trouve aussi que c'était l'époque où il y avait des grandes signatures à France Soir.
08:19Mais bien sûr.
08:20Joseph Kessel, Roger Fayand, Jean Potsart a écrit pour France Soir.
08:25Georges Chimenon ?
08:26Chimenon a écrit pour France Soir.
08:28Tous les grandes signatures de la presse qui deviendront ou qui étaient déjà des écrivains ont écrit pour France Soir.
08:34Et Kessel même a été le premier journaliste, alors qu'il était déjà très âgé,
08:39à être sur le front des six jours en 67.
08:42C'était le premier, personne n'arrivait, il avait réussi à griller tout le monde.
08:46Kessel, non seulement c'est un immense écrivain, mais c'était aussi un immense journaliste, un reporter.
08:53Que fait le reporter ?
08:54Il reporte, il rapporte, il voit, il entend, il écrit et il vous livre les faits.
09:00Mais avec sa plume, avec son style.
09:03Il ne commande pas forcément, il informe.
09:05Exactement.
09:06Il ne va pas dans l'idéologie, il sépare bien l'éditorial du fait, du raconté, du récit, du vécu.
09:13Et il a sa plume, il y a ça aussi qui compte, parce que vous avez des journalistes qui pourraient être au même endroit que Kessel
09:19et ils ne vous donneraient pas un papier aussi talentueux.
09:21Et c'est l'époque aussi, il n'y avait pas la télé en continu, mais il y avait France Soir en continu, 7 éditions par jour.
09:26Oui, c'est ça.
09:27Qu'on achetait dans la rue.
09:28Oui, bien sûr.
09:29Quand il se passait quelque chose, les gens sortaient dans la rue pour acheter France Soir.
09:33La grande révolution aura été beaucoup plus tard, les gens restaient chez eux pour regarder la télé.
09:38Mais je vous parle d'un France Soir, la télé à l'époque n'était pas aussi importante.
09:42Exactement, alors ensuite vous quittez France Soir parce qu'il y a le service militaire, Philippe Labreau,
09:46vous avez retardé le sursis et vous vous retrouvez à une autre rédaction, le Bled.
09:51Oui, c'était le journal militaire, un petit journal, les premiers bureaux étaient à Paris d'abord
09:58parce que quand vous faisiez votre armée à l'époque, 14 premiers mois en métropole et ensuite 14 mois en Algérie.
10:04Et les premiers mois en métropole, un petit bureau, Bled, 5-5, tout va bien.
10:09On était tous en civil d'ailleurs, et il y avait des inconnus qui s'appelaient Jacques Séguéla,
10:14qui s'appelaient Francis Weber, qui s'appelaient Juste Jacquin.
10:17On était tous là ensemble, un petit noyau comme ça de gamins.
10:20Moi j'étais déjà un petit peu connu, j'avais déjà fait des papiers, des reportages,
10:24et on rigolait, on n'a rien fait pendant 14 jours, 14 mois pardon.
10:29Ensuite, il a fallu y aller, vous êtes rattrapés par la réalité,
10:33et on est partis sur le bateau, le calot sur la tête, avec le sac dans le dos, et point,
10:39face à un pays qui était déjà à l'époque dans l'indépendance,
10:43elle venait d'être nommée et acceptée, mais qui était en proie aux attentats de l'OS.
10:52Et je me souviens très bien que moi quand je débarque là-bas,
10:55je descends de la ville où on était tous logés, parce qu'encore une fois,
10:58nous étions les civils militaires, on était très à l'aise,
11:02et je marche dans la rue Michelet, j'entends 3 coups de feu,
11:053 femmes qui tombent à mes pieds pratiquement.
11:08La première vision que j'ai de la rue Michelet, ce sont des femmes qui tombent.
11:13C'est fou, alors ça c'était vos débuts,
11:16après il y a eu d'autres débuts qu'on va évoquer à travers une autre date,
11:20le 27 janvier 1967.
11:22A tout de suite sur Sud Radio avec Philippe Labraud.
11:25Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
11:28Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Philippe Labraud,
11:31nous parlerons tout à l'heure de ce nouveau roman qui n'est pas forcément tout à fait un roman,
11:35on t'expliquera pourquoi, 2 guimelettes sur la 5ème avenue chez Gallimard,
11:40et il y a beaucoup de choses à raconter, mais on revient à vos débuts,
11:43on a évoqué vos débuts dans le journalisme,
11:45et si je parle du 27 janvier 1967,
11:48c'est parce que ce sont vos débuts au cinéma, mais comme acteur dans ce film.
11:52Godard, mais elle est du USA, et vous jouez votre propre rôle.
12:00Oui, Jean-Luc Godard, que je connaissais, qui était un ami,
12:02me propose, comme il faisait avec beaucoup de gens,
12:05de jouer un petit rôle, ce qu'on appelle un caméo, dans le monde du cinéma.
12:08Comme journaliste, sur une voiture d'Europe 1,
12:13aux côtés d'Anna Karina, et j'ai évidemment accepté,
12:15donc j'ai passé 2 jours comme ça,
12:18mais ça m'a permis d'apprendre beaucoup de choses sur comment on tourne,
12:20parce que j'avais déjà en tête l'idée qu'il fallait que je fasse moi-même des films.
12:24Donc ça m'a beaucoup, beaucoup aidé.
12:26Alors il se trouve que ce film évoquait l'influence culturelle américaine sur la France,
12:31et qu'il y avait des allusions à des films américains classiques,
12:33dont Le Grand Sommeil de Howard Hawks,
12:35et que ça a entraîné des procès aux Etats-Unis,
12:37qui sont terminés très tard, puisque le film est sorti seulement aux Etats-Unis en 2009.
12:42Ah, je ne savais pas ça.
12:42C'est étonnant, hein ?
12:43Parce qu'il parlait de Hawks et que ça a trop...
12:45Oui, parce qu'il y a eu des procès sur les droits d'auteur,
12:47qui ont mis des dizaines d'années à se régler.
12:50C'est idiot, ça.
12:51Alors, les Etats-Unis et le cinéma, c'est vos deux passions.
12:55D'abord, les Etats-Unis, vous l'avez connu à vos débuts,
12:58et je crois que c'est aux Etats-Unis que vous avez vraiment appris les bases du journalisme, Philippe Larreau.
13:02Oui, dans une université, j'avais obtenu une bourse,
13:05j'avais gagné une bourse d'études d'un an,
13:07une bourse très importante, une bourse d'échange,
13:10qui s'appelle la bourse Fulbright,
13:12le nom d'un sénateur qui avait inventé l'idée que
13:14pour un étudiant américain à l'étranger, il fallait un étudiant étranger en Amérique.
13:18Bref.
13:19Et là, il y avait un très bon département qu'on appelle la base de journalisme,
13:22avec deux profs de journalisme,
13:25qui ont marqué ma vie parce qu'ils m'ont appris les règles du journalisme américain.
13:30C'est-à-dire, les quatre W,
13:33where, when, what, why, who,
13:35quand, où, qui, quoi, pourquoi,
13:39et le fait qu'on sépare les faits de l'édito.
13:43Facts and nothing but the facts.
13:45Les faits et rien d'autre que les faits.
13:48Et puis la concision,
13:49travaillez beaucoup le premier paragraphe,
13:52après vous débrouillez et travaillez très bien la conclusion.
13:55C'est la base effectivement d'écriture.
13:57Et puis, vous avez eu un autre maître dans le cinéma qui est Jean-Pierre Melville.
14:01Tout à fait.
14:02Je l'ai rencontré beaucoup plus tard, bien sûr, j'avais déjà fait un film qui s'appelle « Tout peut arriver ».
14:06Et je préparais un autre film, une adaptation d'un polar américain,
14:10co-écrit avec Jacques Lansman,
14:14qui s'appelle « Sans mobile apparent ».
14:16Et j'avais rencontré Melville qui s'était pris d'amitié pour moi,
14:19il me dit « Mais montrez-moi votre scénario ».
14:20Et donc je lui montre le scénario,
14:22il me dit « Donnez-moi un exemplaire ».
14:24Alors j'ai deux exemplaires,
14:26on se trouve face à face dans son bureau,
14:28il se met à, page par page, plan par plan,
14:31à me décrypter mon film,
14:34à me donner des conseils pour me dire
14:35« Ça, il ne vaudrait mieux pas commencer avec ce plan-là, ça sera difficile le matin,
14:39il y aura trop de lumière ».
14:40Bref, vous vous trouvez face à un grand artisan,
14:44un maître, car Melville est un maître du cinéma français,
14:48qui livre à un jeune homme
14:51les clés de son savoir-faire.
14:53C'est une générosité inouïe.
14:55– Mais c'était un personnage incroyable,
14:57il a démarré à 6 ans, son premier film,
14:59ses parents lui ont offert une caméra baby
15:01et filmait toute sa famille.
15:02Et le plus, bon, il y a eu l'Armée des ombres,
15:04et il y a un souvenir extraordinaire
15:06qui est le dernier film de Bourville, « Le cercle rouge »,
15:09où Bourville à la fin dit « Monsieur Melville,
15:10est-ce que je pourrais tourner quelque chose en plus ? »
15:12Et c'est là où il dit la tactique du gendarme,
15:14car Bourville savait que c'était son dernier film,
15:16il voulait faire un clin d'œil à la vie,
15:18à l'heure de la mort.
15:19– Pour Bourville, il était évidemment atteint d'un cancer,
15:22Jean-Pierre le savait, tout le monde le savait,
15:24et d'ailleurs ça lui donne une dimension incroyable.
15:26« Le cercle rouge », c'est un chef-d'œuvre.
15:29– Absolument.
15:29– L'Armée des ombres aussi, vous avez cité l'Armée des ombres.
15:32Melville il a fait 13 films,
15:34je considère que sur les 13, il y a 11 chefs-d'œuvre.
15:36– Et puis alors votre premier film, Philippe Labreau,
15:38c'est un court-métrage sur Françoise d'Orléac
15:42et Marie Dubois pour la télévision.
15:44– Oui, on me commande un documentaire sur 4 actrices,
15:48déjà pas arrivées mais en progrès,
15:51dont le nom commençait par « D »,
15:53de Neuve, d'Orléac, d'Arc Dubois.
15:55Et donc j'ai fait un petit court-métrage qui s'appelait « 4 fois D ».
15:59Et figurez-vous qu'il a tellement bien marché qu'il a…
16:02Unifrance, c'est cette institution qui diffuse
16:07et qui défend le cinéma français dans le monde entier.
16:09Ils s'en sont servis pendant très très longtemps.
16:12Encore aujourd'hui je reçois des réactions,
16:14il y avait des affiches au Japon,
16:16c'est drôle parce que c'était une petite chose pour moi,
16:19mais c'était assez passionnant parce que je montrais,
16:21je ne les faisais pas parler,
16:22je les montrais simplement,
16:23ces jeunes femmes en train de faire quelque chose,
16:26du cheval, courir, se maquiller, aller en boîte.
16:30– C'est un document pour l'histoire puisque Françoise d'Orléac
16:34est morte quelques mois après ce tournage.
16:36– Un peu plus tard quand même.
16:37– Non non, c'est le seul document qui reste officiel
16:42sur Françoise d'Orléac.
16:43– Ce document-là, je ne sais pas s'il y avait d'autres documents
16:46sur elle, mais là c'est un document dans la mesure,
16:49en plus je la faisais danser, elle adorait danser d'Orléac,
16:51c'était une merveille de femme.
16:53– Elle aurait fait une carrière exceptionnelle, comme sa sœur.
16:55– Elle l'avait déjà commencée, comme sa sœur,
16:58les Demoiselles de Rochefort, nous sommes deux sœurs jumelles.
17:02– Film qui devait d'ailleurs se tourner à hier,
17:05mais les Demoiselles de hier ça ne collait pas pour le titre,
17:07et il a choisi Rochefort, Jacques Demy.
17:09Et puis donc, le grand saut c'est ce film que vous avez cité.
17:13– Tout peut arriver, c'est ton vrai début de réalisateur
17:21et de scénariste au cinéma, Philippe Labrault.
17:22– Effectivement, c'est mon premier long-métrage,
17:24j'avais fait un petit comprométrage pour la télé, pour 5 colonnes,
17:28et Maggie Baudart, qui était à l'époque la compagne,
17:32la maîtresse légère du Pierre Lazareff,
17:34et la productrice des Parapluies de Cherbourg,
17:36et des Demoiselles de Rochefort,
17:39une productrice de très très grande position, avec beaucoup d'argent,
17:43m'appelle en me disant, c'est bien ce que vous faites,
17:44je pense que vous pouvez faire un film, venez me voir.
17:48Je viens la voir le lendemain, elle me dit,
17:50j'ai gagné tellement d'argent que je peux financer
17:53des films de débutants pour pas cher, mais des premiers films.
17:57Avez-vous un sujet ? Bien sûr, je lui dis, j'en avais pas.
18:00– Et donc vous êtes parti d'une histoire
18:04d'un grand reporter de retour des Etats-Unis.
18:06– Comme par hasard.
18:08Et qui décide de découvrir son pays, la France, de le redécouvrir,
18:12et pour le faire, non pas prendre le train,
18:14ce qu'on veut, aller dans les grands hôtels,
18:16mais faire du stop et s'arrêter chez les gens,
18:18les camionneurs, les garagistes, les ouvriers,
18:21et tomber de temps en temps sur des inconnus qui vont devenir célèbres.
18:25Parce que c'est là que je découvre Fabrice Lucchini.
18:28– Alors ça c'est né vraiment par hasard, il est coiffeur à l'époque.
18:31– Il est coiffeur, il est venu coiffer les dames
18:34pour la grande première d'un drugstore de province,
18:37le premier drugstore en province fait par un génie d'époque
18:40qui était un distributeur de films qui s'appelait Michel Deschamps.
18:45Et Deschamps avait décidé, fasciné par les drugstores à Paris,
18:49d'en faire un à Angoulême.
18:51Donc je vais à Angoulême en me disant, tiens c'est un bon narré,
18:55j'étais en train de faire mon repérage pour mon film.
18:59Et là, c'était le soir, je vois un mauve avec les cheveux longs,
19:03qui avait l'air androgyne, absolument dingue,
19:05qui était en train de danser le Bugaloo devant des petites provinciales épatées.
19:09Je vais vers lui, je lui dis, mais qui es-tu, qui êtes-vous ?
19:11Il me dit, je m'appelle Sobrifa.
19:14C'est le premier mec qui me parle en verlan depuis la prison en Algérie.
19:18J'avais fait un peu de prison en Algérie et là on parlait verlan.
19:21Et je lui dis, qu'est-ce que tu fais là ?
19:22Il me dit, mais je suis là pour faire les bigoudies de ces dames,
19:24je suis garçon coiffeur.
19:25Je lui dis, viens, on s'assied sur le comptoir, il me regarde,
19:30il me dit, oui, le blazer, ça va, la chemise, c'est bien, très bien.
19:34Il est en train d'analyser la manière dont je suis habillé.
19:37Et il regarde mes chaussures, il dit, de Weston ?
19:39Oui, bien sûr, je lui dis.
19:40Des mocassins ? Oui, bien sûr, je lui dis.
19:42Et il me dit, ciré en dessous, comme Vittorio De Sica ?
19:45C'est-à-dire que je découvre un garçon coiffeur de 16 ans
19:48qui sait que le grand metteur en scène producteur et acteur italien Vittorio De Sica
19:54cirait les semelles de ses chaussures.
19:56Et je me suis dit, là, j'ai affaire à un phénomène.
19:59Et je lui dis, tu viens dans mon film.
20:01Et c'est comme ça que Le Quinien a débuté.
20:03Et vous imaginez la carrière qu'il ferait ensuite ?
20:05Non, j'étais certain qu'il aurait un destin,
20:08car c'était évident qu'il y avait un artiste en lui,
20:12un petit génie de l'improvisation et du verbe.
20:14Je n'imaginais pas qu'il deviendrait ce que je considère comme
20:18le plus grand prof de lettres de France.
20:21Et il faut savoir aussi qu'il y a un petit miracle,
20:23c'est que ce film vient de sortir ces derniers jours en DVD.
20:27Il a fallu des années, Philippe Lameau.
20:29Oui, je ne sais pas pourquoi, des problèmes de droit ou je ne sais quoi, bref.
20:32Effectivement, je suis très heureux de savoir et de dire
20:35qu'il y a aujourd'hui un DVD, que tout peut arriver.
20:38On voit donc évidemment le personnage principal interprété par Jean-Claude Bouillon,
20:42mais on y voit aussi Le Quini, bien sûr.
20:44Et il y a même, je rappelle, un caméo, c'est-à-dire
20:46un petit passage comme j'avais fait moi chez Godard,
20:49ce coup-ci, c'est Catherine Deneuve, qui avait accepté à l'époque de venir
20:52quelques dix minutes pour parler avec le journaliste.
20:56Et effectivement, ce DVD, c'est un document d'époque,
20:58car c'est le plus personnel de vos films aussi.
21:00Oui, c'est très, très personnel.
21:02Oui, c'est tellement personnel que lorsqu'il est sorti,
21:05il n'a aucun succès commercial, mais un grand succès critique.
21:08Mais pourquoi aucun succès commercial ?
21:10Parce que la même semaine sort Le Clan des Siciliens.
21:14Ah bah oui !
21:15Avec Gabin Delon Ventura.
21:17Et le producteur s'appelle Jacques-Eric Strauss.
21:19Je le rencontre un mois plus tard, je lui dis
21:21« Don, vous nous avez bien tués avec votre film. »
21:23Il me dit « Oui, j'ai vu le vôtre. »
21:25Il me dit « J'ai un conseil à vous donner.
21:27Arrêtez de parler de vous, arrêtez de vous filmer
21:30et de faire un peu narcissime.
21:32Cherchez-moi une bonne histoire, lisez des séries noires.
21:35Vous en trouvez une qui est bonne, venez me voir,
21:36parce que je pense que vous êtes capables de faire un bon polar. »
21:39Et c'est comme ça que j'ai découvert un polar que j'ai adapté,
21:42qui s'appelle Saint-Maubut-la-Parent, voilà.
21:44Et ce film a eu une autre conséquence,
21:46on va l'évoquer à travers la date du 25 avril 1970.
21:50A tout de suite sur Sud Radio avec Philippe Labreau.
21:53Sud Radio, les clés d'une vie, Jacques Pessis.
21:56Sud Radio, les clés d'une vie, mon invité Philippe Labreau.
21:59Nous parlerons tout à l'heure de De Gimlet
22:00sur la 5e avenue, votre nouveau livre chez Gallimard.
22:04Il y a plein de choses à raconter.
22:05Et là, je reviens au 25 avril 1970,
22:09c'est la sortie de cette chanson.
22:10Jésus, Jésus-Christ.
22:16Jésus-Christ est un épice.
22:19Alors, il faut savoir que c'est la première chanson
22:22que vous écriviez pour Johnny.
22:23C'est presque la conséquence du tournage
22:26de Tout peut arriver et de votre tenue.
22:27Mais oui, mais tout est lié dans la vie,
22:29vous le savez bien.
22:30Je demande à Edi Vartan de faire la musique
22:33de mon premier film.
22:34Edi Vartan, le frère de Sylvie Vartan,
22:36qui a obligé Sylvie, qui avait 16 ans,
22:37à être en duo avec un jeune chanteur
22:40qui faisait panne d'essence,
22:42parce que Gillian Neal, ce n'était pas là.
22:44Et c'est comme ça que ça a commencé.
22:45Ça a commencé comme ça, bref.
22:47Donc Edi, il fait la musique,
22:49ça se passe très bien.
22:50Le film est prêt.
22:51Je lui dis, on va faire des projections privées.
22:54Invite, si tu veux bien, ton beau-frère, Johnny.
22:57Johnny qui prétend m'avoir rencontré
22:59déjà un peu avant dans une boîte de nuit
23:01où on allait changer des regards
23:03sur les bottes que nous portons tous les deux.
23:04On était à peu près les seuls
23:05à porter des bottes de cow-boy à l'époque.
23:07Bref, moi, ma vraie rencontre avec lui,
23:10c'est qu'il vient voir le film.
23:11Le film se passe plutôt bien.
23:13Elle est sortie, tout le monde s'en va,
23:14on serre la main.
23:15Et quand je sors sur le trottoir des Dames Augustine,
23:17la rue des Dames Augustine à Neuilly,
23:19j'en souviens encore.
23:21Adossé à un réverbère, il y a Johnny Hallyday
23:23qui me dit, écoutez, j'ai beaucoup aimé votre film,
23:25mais j'aime le cinéma, je voudrais qu'on en parle.
23:28On parle du cinéma américain.
23:30Il était fasciné par le cinéma américain.
23:32Il connaissait tout.
23:34Il voulait qu'on parle de Cazan, de James Dean,
23:36de Brandeau, de tous les grands de cette époque-là.
23:39On a passé une heure, debout, sur le trottoir,
23:42à parler de cinéma.
23:43Et c'est comme ça qu'est née notre amitié.
23:45Un peu plus tard, je suis sur un campus américain,
23:48je vois les hippies, les cheveux longs,
23:50avec la rose à la main, qui disent quoi ?
23:53Peace and love.
23:54La paix et l'amour.
23:55Et je me dis, mais tiens, c'est christique ça.
23:57Si Jésus-Christ était vivant aujourd'hui,
24:00il serait un hippie.
24:01Et j'écris ça comme ça, je le jette sur un bout de papier
24:04dans l'avion du retour.
24:05Vous n'aviez pas écrit de chanson jusqu'alors ?
24:06Non, non, non.
24:07Si, j'avais écrit une pour Eddie Mitchell.
24:10Oui.
24:11L'épopée du rock.
24:12Voilà, qui est sous un pseudonyme,
24:13Philippe Christian, je crois.
24:14Oui.
24:14Dont l'immortel refrain est
24:18« Le rock est notre vice, c'est la faute à Elvis,
24:20nous l'avons dans la peau, c'est la faute à Ringo. »
24:22D'accord.
24:23Vous voyez qu'avec ça, on va à l'Académie Française direct.
24:25Ouais.
24:26Donc, j'en viens, je montre mon texte,
24:28Jésus-Christ est un hippie, à Eddie,
24:30et je lui dis, personne ne pourra chanter ça.
24:33Et il me dit, si, si, Tony va te le chanter,
24:35et je te fais la musique, voilà.
24:36Et c'est comme ça que c'est né ?
24:38C'est né, ça a été un scandale,
24:39et en même temps, c'était un succès incroyable.
24:41Oui, et la première tournée d'été
24:43où il a chanté tous les soirs cette chanson,
24:45il y avait en première partie un groupe qui débutait,
24:47qui était le Martin Circus.
24:48Ah, l'ombron.
24:49Oui, et tout le monde adorait cette chanson.
24:52Il a été bissé pendant la tournée d'été.
24:55Mais bien sûr.
24:56Oui, c'était un gros succès, un peu scandaleux, bien sûr.
24:59J'ai même eu droit à des admonitions de la part de l'archevêque,
25:04et de son adjoint,
25:06et il se trouve, figurez-vous,
25:07que de longues, longues, longues années plus tard,
25:10je dirige RTL,
25:11et tous les matins, je reçois des hommes politiques,
25:13et des hommes connus,
25:14et je reçois Mgr Lustiger,
25:16et je le reçois, on l'écoute, bref,
25:19et comme toujours, je suis courtois,
25:20je raccompagne mes invités à la porte.
25:22Je raccompagne Lustiger,
25:23je lui ouvre la porte de sa déesse,
25:26il rentre, il s'assied, il baisse la vitre,
25:28et il me dit,
25:28« Est-ce bien nécessaire, M. Labraud ? »
25:31Et il se souvenait que un des adjoints de l'archevêché de l'époque
25:36m'avait dit,
25:36« Est-ce bien nécessaire, cette chanson ? »
25:38J'en suis revenu.
25:39J'en suis pas revenu.
25:41Ça veut dire que cet homme,
25:42c'est un homme politique, Lustiger, entre autres,
25:44il avait des fiches,
25:45et il savait très bien de quoi il parlait.
25:47— Alors, il faut aussi dire que cette chanson,
25:50pour Johnny, c'est un tournant,
25:51parce que pour la première fois,
25:52et grâce à vous, Philippe Labraud,
25:54il parle de la société, de notre monde.
25:56— Tout à fait.
25:58On avait décidé, lui,
26:00aussi, son mentor,
26:02avec qui il a beaucoup travaillé,
26:03Lee Hallyday,
26:04qui était son cousin,
26:06et qui était un des hommes très importants à sa carrière,
26:09de donner à Johnny la possibilité de chanter autre chose
26:13que simplement d'un tour en drône
26:14et tendre la nuit.
26:17Et lui donner dans des textes
26:18qui avaient une texture journalistique,
26:20qui parlaient de l'ère du temps.
26:21— Et résultat, c'est votre chanson,
26:24ça n'a pas été la seule,
26:25et grâce à vous,
26:26on a aussi compris que Johnny était comédien
26:28avec cette chanson.
26:30Qui a marché dans ce chemin ?
26:32Vous dites qu'il menait à une maison
26:34et qu'il y avait des enfants qui jouaient autour.
26:37Vous êtes sûrs que la photo n'est pas cliquée ?
26:40Vous pouvez m'assurer que cela a vraiment existé ?
26:43— Le poème sur la septième
26:45qui a marqué une génération,
26:47qui a découvert Beethoven
26:48grâce à vous et grâce à Johnny.
26:50— Oui, écoutez,
26:51quand je l'entends,
26:52vous voyez, en ce moment,
26:53j'en ai presque les larmes aux yeux.
26:55C'est un texte que j'avais écrit comme ça.
26:57— Sur la fin du monde.
26:58— Oui, sur un homme qui...
27:01« Dites-moi qu'il y avait eu des fleurs
27:03et des galets dans les rivières,
27:06prouvez-moi que ça existait. »
27:07Bref.
27:07Donc j'ai écrit ce texte.
27:09Et là, ce n'est pas une chanson.
27:10Il me dit « On ne peut pas la chanter. »
27:12Je lui dis « Oui, mais Johnny va la jouer,
27:15va l'interpréter. »
27:16Alors, il me dit « Mais non, tu ne peux pas. »
27:19Je lui dis « Ecoute, tu sais tout faire,
27:20tu as une très bonne voix, tu vas le faire. »
27:22Et ce qui va t'aider,
27:24c'est que je vais vous proposer
27:25un morceau de Beethoven,
27:26la septième symphonie de Beethoven,
27:28qui est un morceau que j'adorais,
27:30que personne ne jouait à l'époque.
27:31Aujourd'hui, c'est devenu un tube incroyable.
27:33C'est le fameux mouvement lent
27:34de la septième symphonie de Beethoven.
27:36Et donc, Eddy, qui est un très bon musicien,
27:39réduit ce mouvement-là de quoi faire le texte.
27:44Et on se retrouve en studio.
27:46Et en studio, Johnny me dit « Écoute-moi,
27:48je ne vois pas comment le dire, ce texte.
27:50Et montre-moi. »
27:51Donc je prends mon casque et je prends le texte
27:54et j'entends le Beethoven.
27:55Le Beethoven, ça vous stimule.
27:57Et donc, je crois pouvoir bien le dire.
27:59Au bout d'une minute, il m'arrache mon casque.
28:01Il me dit « Allez, donne-moi ça ! »
28:04Il le fait, et il le fait fabuleusement.
28:06Parce qu'il le joue effectivement comme acteur.
28:09Et il a joué tout le temps,
28:10il a chanté tout le temps avec des orchestres,
28:13avec 40, 50 musiciens, instrumentistes.
28:16Et j'en suis très fier.
28:17Ce texte a été étudié dans les écoles à une époque.
28:20Oui, et il faut savoir que ce texte,
28:22la musique est née, je ne sais pas si vous le savez,
28:24parce que Beethoven détestait Napoléon
28:26et quand il a commencé à tomber de son pied d'estale,
28:28il a composé sa septième symphonie.
28:30Eh bien, vous m'apprenez beaucoup, mon cher Jacques Pessy.
28:33Je ne savais pas.
28:34Il se trouve aussi que Johnny est devenu comédien
28:37un peu grâce au fait qu'il avait fait du cinéma.
28:39Mais s'il a fait du théâtre aussi,
28:40c'est parce qu'il a appris à jouer sur cette chanson
28:43et sur quelques autres.
28:44Oui, mais il avait joué Hamlet aussi.
28:46Je crois qu'il chantait Hamlet, je ne sais pas.
28:47Non, mais il était capable de tout.
28:49Il avait tous les talents.
28:50Il est chanteur, parolier parfois,
28:54compositeur parfois,
28:55et puis surtout la bête sur scène.
28:58Sur scène, l'idée était absolument stupéfiante.
29:01Les gens ne se souviennent déjà plus,
29:03mais quand il était comme ça à Bercy,
29:05ou au Palais des Sports, ou au Stade de France,
29:08il mesmérisait la foule.
29:10Non, mais il avait aussi une autre qualité.
29:11Il venait aux répétitions une demi-heure,
29:13il ne disait rien.
29:14À la fin, il disait à son musicien, il faut faire ça, ça et ça.
29:16Il avait le sens exact du rythme de son spectacle.
29:20Ça s'appelle un professionnel.
29:21Oui, mais il avait ça, il l'avait appris au fil des années.
29:25Bien sûr, il commence très jeune,
29:26c'est un enfant de la balle.
29:29Il fait à peine 8 années d'école.
29:32Il sort de l'école il y a 8-9 ans, 10 ans.
29:35Son père l'empêchait d'aller à l'école.
29:36Il a une enfance très difficile, très douloureuse.
29:39Bref, et ce qu'il sait faire, c'est la chanson,
29:42et c'est la scène.
29:44Il sait tout, il apprend tout.
29:45Il connaît la technique, il sait où doivent se placer les guitares,
29:48les micros, les haut-parleurs.
29:50C'est un grand, grand, grand professionnel de la scène.
29:52La première interview à la télé, c'est Lynn Renaud,
29:55dans l'école des vedettes,
29:56qui le fait passer pour un chanteur américain.
29:58En fait, ce qu'on ne sait pas,
29:59c'est que le matin même,
30:01la personne qui devait présenter Johnny s'est désistée,
30:03et Lynn est arrivée en catastrophe,
30:05parce qu'il n'y avait personne.
30:06On l'a appelée directement.
30:08Il est tout timide, moi je connais ses documents.
30:10Il est tout timide,
30:11une voix un peu bâle, un peu pâle, un peu frêle,
30:14très juvénile, très gamin.
30:16Mais cette voix, entre nous,
30:18elle a vécu, elle a progressé,
30:20elle est devenue un instrument de musique,
30:23de radio extraordinaire.
30:24Et inégalable et inégalée.
30:26Tout à fait.
30:27Dans les chansons que vous avez écrites pour Johnny,
30:29il y en a une qui est beaucoup plus personnelle,
30:31Philippe Labreau.
30:32Mais les cheveux de cette fille
30:35Si blonds, si clairs, si transparents
30:39Me redonnèrent cette fraîcheur
30:43La fille aux yeux clairs,
30:44là, c'est une histoire plus personnelle, Philippe Labreau.
30:46Oui, oui, ça fait partie des souvenirs de jeunesse.
30:49Quand j'étais sur la route aux Etats-Unis,
30:51il m'est arrivé de rencontrer des filles aux cheveux clairs.
30:53Pas des, une.
30:54En même temps, Johnny a appris la chanson
30:56même si ce n'était pas une histoire qui le concernait.
30:58Oui, parce qu'il connaît ça aussi.
31:01La rencontre avec quelqu'un sur la route
31:03avec qui on a une petite aventure
31:05et qui vous marque comme un premier amour.
31:08Ce dont je parle dans mon bouquin, d'ailleurs.
31:09Exactement.
31:10Et vous avez aussi écrit pour Serge Gainsbourg.
31:13Pour Jane Birkin, plus exactement.
31:14Oui, grâce à Serge.
31:16Je suis devenu copain avec Serge à une époque.
31:18Il travaillait beaucoup.
31:20Il m'appelle un jour, il me dit
31:21écoute, gamin, il m'appelait gamin,
31:23j'ai un film à faire, j'ai plus le temps,
31:25et je dois donner un album pour Jane.
31:28Je dois écrire une dizaine de chansons pour elle.
31:30Je vais te donner des titres, c'est toi qui vas les écrire.
31:32Je lui dis écoute Serge, tu es le plus grand parolier,
31:36pardon, le plus grand compositeur de ta génération,
31:39je ne suis pas capable de...
31:40Si, si, je te donne les titres
31:42et tu fais les textes.
31:43Car le titre, comme vous le savez, c'est le concept.
31:46À partir de l'instant où vous avez le titre,
31:47ça vous stimule et ça vous amène vers le contenu.
31:51Donc j'ai travaillé pendant un mois
31:53devant ma petite machine à écrire.
31:54Je suis revenu chez Serge Rodiverneuil,
31:56je lui ai apporté les chansons,
31:58j'ai tout regardé, je trouvais tout très bien,
32:00tout allait bien.
32:00Il s'est assis à son piano,
32:02il a ouvert son magnétophone,
32:04il y avait le whisky à sa droite,
32:06le cendrier pour les clopes à sa gauche,
32:09et il s'est mis texte par texte,
32:12toute la nuit,
32:13à composer les musiques de ses douze chansons.
32:17Je n'ai jamais vu ça de ma vie.
32:19Et il y a aussi autre chose,
32:20parce que les stars de la chanson,
32:22ça vous a marqué dès le début,
32:24l'un de vos reportages dans Cinq Colonnes à la Une,
32:27c'est celui de la photo du siècle
32:29avec toutes les idoles des jeunes
32:31autour de Jean-Marie Perrier.
32:32Vous avez fait le reportage
32:33pour Cinq Colonnes à la Une, Philippe Labreau.
32:35Oui, c'était, comment s'appelait ce truc
32:37tenu par le Prou, là ?
32:38Le Goffdraud.
32:39Oui, le Goffdraud.
32:41J'ai fait un document.
32:43Et on voit toutes les vedettes des années 60.
32:45Bien sûr.
32:45Des gamins qui débutaient tous,
32:47tous obsédés par l'Amérique,
32:49influencés par l'Amérique.
32:50Bebop, Loula,
32:52ça date de cette époque-là.
32:54Et ils étaient tous attendrissants
32:56parce qu'ils essayaient d'imiter les Américains,
32:58mais en même temps, ils trouvaient leur voix
33:00et ils finisaient par être eux-mêmes
33:01des chanteurs intéressants.
33:03Oui, et puis,
33:04on voit souvent un document à la télévision
33:06avec François Zardier, toute jeune,
33:08chez elle, dans son studio,
33:09sa première interview,
33:11et c'est vous qui l'avez réalisée
33:12pour Cinq colonnes à la Ude.
33:13En effet.
33:15Tant on ne sait pas beaucoup.
33:16Mais non.
33:17Et je rencontre aussi un garçon
33:19qui était à ses côtés,
33:20un inconnu qui s'appelait Jean-Marie Perrier,
33:22qui était à l'époque son amoureux.
33:24Et plus que ça, son mentor,
33:27c'est lui qui donnait des conseils.
33:29Et effectivement,
33:30j'ai fait un des premiers entretiens avec
33:32cette étonnante jeune femme
33:34qui s'appelait Hardy.
33:35Elle était toute timide.
33:37Oui, elle l'a toujours été d'ailleurs.
33:39Et elle vivait dans un petit studio
33:40au-dessus de chez sa mère.
33:42Tout à fait.
33:43Toujours très, très en retrait, en distance,
33:46avec un charme fou,
33:47un charme qui a bouleversé son époque.
33:50Il faut n'oublier pas que quand Mick Jagger
33:52arrive à Paris,
33:54il dit je vais rencontrer François Zardier.
33:56Bob Dylan, pareil.
33:57Bob Dylan, il était amoureux d'elle.
34:00Quand on voit votre parcours,
34:01vous imaginez tout ce que vous avez fait,
34:03tout ce que vous avez vécu, Philippe Larreau ?
34:04Oui, bien sûr.
34:06Vous le mesurez ?
34:07Oui, je mesure,
34:08parce que j'ai mesuré à travers mes livres.
34:10J'ai écrit un livre qui s'appelle
34:11« J'irai nager dans plusieurs rivières »
34:13qui est une série de portraits,
34:14de rencontres, de mémoires,
34:16qui fait qu'effectivement,
34:18j'ai eu la chance de rencontrer...
34:20Vous savez, la vie c'est une série de rencontres.
34:22Et il faut assouvir sa curiosité.
34:25Et comme je suis bourré de curiosité,
34:28et bien chaque fois que je rencontre quelqu'un,
34:29ça fabriquait quelque chose.
34:31Voilà.
34:32Et il y a un livre effectivement
34:33qui vient de sortir, qu'on va évoquer,
34:35qui est très particulier.
34:37Et la date de sa sortie,
34:38c'est le 10 octobre 2024.
34:40A tout de suite sur Sud Radio,
34:41avec Philippe Larreau.
34:42Sud Radio, les clés d'une vie.
34:44Jacques Pessis.
34:45Sud Radio, les clés d'une vie.
34:47Mon invité Philippe Larreau,
34:48on a évoqué votre parcours
34:50à la télévision, dans la presse,
34:53au cinéma,
34:53et puis il y a les livres dont vous parlez.
34:55Et le 10 octobre 2024 est sorti un livre,
34:59deux guimelettes sur la 5e avenue,
35:01et vous expliquez que ce n'est ni un roman,
35:03ni une nouvelle.
35:04C'est un nouveau concept pour vous,
35:06Philippe Larreau ?
35:06Ça s'appelle une nouvelle, là.
35:08C'est-à-dire, en fait,
35:09c'est une longue histoire courte,
35:11si j'ose dire.
35:12Les histoires courtes, ça existe,
35:14les nouvelles, ça existe,
35:14mais là, celle-ci,
35:16je l'ai retrouvée dans mes papiers un jour,
35:19simplement la première séquence,
35:20qui se passe à Paris,
35:21sous la tour Eiffel.
35:22Un point à la ligne, rien d'autre.
35:24Et en la lisant,
35:25je me suis dit,
35:26avec le recul,
35:27bah tiens,
35:27le couple qui se balade comme ça,
35:30et qui explose,
35:30c'est un couple de jeunes amoureux
35:32qui explose,
35:33elle le largue parce qu'il est insupportable,
35:36il est jaloux, il est possessif.
35:38Je me suis dit,
35:38tiens, qu'est-ce qui se passerait
35:40si ils se retrouvaient,
35:43ils se recroisaient,
35:4440 ans plus tard ?
35:45Et donc, j'ai construit la nouvelle
35:48en un roman,
35:49car c'est un roman,
35:50122 pages, d'accord,
35:51mais c'est un roman,
35:52entre le moment,
35:53année début 60,
35:55où ce couple explose,
35:56il se passe toutes sortes de petites anecdotes,
35:58et on les retrouve 40 ans plus tard,
36:00ils ont changé,
36:02le monde a changé.
36:03Ils ont vécu,
36:04ils ont eu des vies,
36:05je peux raconter leurs vies,
36:07et en racontant leurs vies,
36:08on raconte aussi les époques.
36:10Ça m'a intéressé de traverser le temps
36:12et l'actualité,
36:14avec le Vietnam,
36:14avec les tours de Manhattan,
36:16parce que quand ils se rencontrent,
36:18on est deux mois simplement
36:19dans les rues de Manhattan,
36:20deux mois après que les tours aient brûlés,
36:22enfin brûlés, explosés.
36:24Et donc, qu'est-ce qui se passe ?
36:25C'est le premier amour,
36:27ça existe un premier amour,
36:28et ça marque,
36:29et donc est-ce que
36:31ça a suffisamment marqué ce couple
36:32pour qu'aujourd'hui,
36:33ça puisse éventuellement renaître ?
36:36Alors, effectivement,
36:37c'est un genre nouveau pour vous,
36:38vous n'aviez jamais écrit de nouvelles là,
36:41vous avez eu envie de changer de genre,
36:42Philippe Lamereau ?
36:43Ben, vous savez,
36:44l'obsession d'un écrivain,
36:46je pense,
36:46c'est de ne pas se répéter.
36:48Et donc, j'avais écrit
36:50quelque temps avant les rivières,
36:52j'avais écrit Ma mère c'est inconnu,
36:53un portail de ma mère,
36:54qui n'était pas un roman d'ailleurs,
36:56et je me suis dit,
36:56mais revenons à la fiction,
36:58à la fiction et à l'amour.
37:00Et il se trouve que le mot Gimlet,
37:03beaucoup de gens le découvrent,
37:04c'est un cocktail
37:06que les amateurs connaissent.
37:08Ben, il est très simple,
37:10c'est du gin coupé citron vert,
37:12un point à la ligne,
37:13bien mixé,
37:15et je vous signale,
37:16mon cher Ajak,
37:17que le premier, ça va très bien,
37:19mais au deuxième et au troisième,
37:21vous commencez à être légèrement euphorique.
37:24Vous avez connu ce cocktail
37:25aux Etats-Unis ou en France ?
37:26Je l'ai connu en lisant
37:28un bouquin de Raymond Chandler,
37:30le nom Goodbye,
37:31et dans lequel le héros
37:33rencontre un type qui s'appelle Lennox,
37:35et qui boit un Gimlet.
37:37Ça m'a frappé d'ailleurs,
37:38il est cité dans le bouquin,
37:39car dans ce livre,
37:40il y a des tas de références
37:41cinématographiques,
37:42littéraires, musicales,
37:44et donc j'ai gardé ça
37:46comme le symbole de leur rencontre,
37:48parce que quand ils se croisent
37:49et qu'ils se rencontrent,
37:50il nous dit,
37:50viens, je t'emmène prendre un verre.
37:52Bon, ils traversent la rue,
37:53mais la cinquième avenue,
37:54ils vont dans un hôtel
37:55qui s'appelle le Sherry Netherland,
37:57qui déjà est un mot exotique.
37:58Moi, j'adore l'exotisme américain,
38:00bien sûr.
38:01Et là, elle prend du thé,
38:02mais lui, il prend un Gimlet.
38:03Il lui explique pourquoi.
38:04Et puis, on verra,
38:05beaucoup plus tard,
38:06à la fin du livre,
38:07qu'un jour, elle va lui dire,
38:09mais moi aussi, je vais en boire un.
38:11C'est pour ça qu'il y a deux Gimlets.
38:12Alors, exactement.
38:13Et le Gimlet,
38:14il y a plusieurs hypothèses
38:15sur son origine.
38:17Pour certains,
38:17ils pensent que ça vient
38:18du mot anglais,
38:19qui signifie une petite vrille
38:21avec laquelle on perce des trous.
38:23Et d'autres assurent
38:23que ce serait un hommage
38:24à l'amiral Sir Thomas Gimlet,
38:26un médecin militaire britannique,
38:28qui servait une dose de jus de citron
38:30aux hommes de la Royal Navy,
38:32et pour qu'ils le boivent,
38:33il a rajouté une petite dose de gin.
38:35Ah ben voilà.
38:36C'est très bien.
38:37Bravo.
38:37Je ne savais pas non plus.
38:39Et effectivement,
38:40ça guérit.
38:42Alors, il se trouve aussi
38:43que vous partez en 61,
38:44vous racontez la France de 61,
38:46qui est, pour la nouvelle génération,
38:48une découverte,
38:48car c'était une joie de vivre
38:51permanente.
38:52La vie était plus simple.
38:54Il y avait des plaisirs simples.
38:55Par exemple, je raconte,
38:56c'est un peu la nostalgie,
38:57mais c'est amusant,
38:59comment on adorait
39:01les autobus à plateforme.
39:02Vous savez, à l'époque,
39:03il y avait une plateforme
39:04avec le receveur qui était là,
39:06puis les gens,
39:07et tout le gag,
39:10la jeunesse, l'énergie,
39:11consiste à courir vers l'autobus
39:13quand il était en route
39:14et sauter sur la plateforme.
39:15C'était un plaisir simple
39:17et que les gosses comme moi adoraient.
39:20Et c'est dans cet autobus
39:21que monte la jeune femme
39:22qui abandonne le jeune homme,
39:24et lui, il en est tellement malade
39:26qu'il va suivre l'autobus en voiture.
39:28Avec un taxi.
39:29Un taxi.
39:30Et à l'époque, les taxis,
39:31on n'a pas de problème
39:32d'en avoir comme aujourd'hui.
39:33Non, bien sûr.
39:34On les arrête au coin de la rue.
39:35Alors, il faut savoir qu'elle,
39:37elle devient une working girl,
39:39c'est-à-dire une femme très élégante,
39:40et lui reste un baroudeur
39:42qui va avoir une vie incroyable.
39:44Oui.
39:45En fait, il se cherche.
39:47Et il n'a pas trouvé le moyen
39:48d'exprimer ce qu'il croit être
39:50et ce qu'il aime être.
39:51C'est-à-dire, il cherche en permanence
39:55à s'ouvrir,
39:56ce qu'un de ses amis,
39:57un mentor d'ailleurs,
39:58qu'il conseille,
40:00à assouvir son désir
40:01éperdu de reconnaissance.
40:03Faire quelque chose.
40:04Être quelqu'un.
40:05Et il veut l'être dans New York.
40:07Il considère d'ailleurs
40:08qu'il ne quittera pas New York
40:10avant de s'être trouvé
40:11et d'y avoir réussi.
40:13Parce que toute sa vie,
40:14ou presque,
40:15et je le raconte
40:15puisqu'il va au Vietnam,
40:17il se balade,
40:18il va à Hollywood,
40:19il rencontre des gens.
40:20Il se cherche.
40:22C'est un homme.
40:22Il a 60 ans aujourd'hui.
40:24Elle, de son côté,
40:24vous avez raison de dire,
40:25c'est une working girl.
40:27Elle a eu sa vie.
40:28Elle a eu un mariage difficile.
40:30Elle a épousé un Américain cinglé,
40:31comme ils le sont tous d'ailleurs.
40:33Oui, ou presque.
40:35Et les deux vies
40:37très différentes
40:39permettent de dialoguer,
40:41de se raconter
40:42et de raconter les époques.
40:43Oui, et en filigrane,
40:44il y a un rêve aussi,
40:46déjà des 60,
40:47déjà c'est la conquête de l'Amérique
40:48par les Français.
40:49Les Français rêvent de New York,
40:50Philippe Labreau.
40:51Et New York aime les Français.
40:53Vous savez, il y a beaucoup de Français
40:54qui réussissent à New York,
40:55en particulier dans tout ce qui est
40:57aliments.
40:58Évidemment, les restaurateurs,
41:00mais les pâtisseries,
41:01les boulangeries,
41:02tous ceux qui inventent,
41:03de quoi plaire.
41:05Et puis, il y a aussi,
41:06les New Yorkais sont fascinés
41:07par la classe française,
41:09l'élégance française.
41:10Par exemple, Elisabeth,
41:11bon, elle est nationalisée américaine,
41:13elle a vécu toute sa vie là-bas.
41:14Néanmoins, elle a ce charme,
41:16cette élégance française
41:17qui fait que les femmes françaises,
41:19en particulier,
41:20les femmes américaines,
41:20en particulier,
41:21elles existent toujours.
41:22Mais comment elles font ?
41:23Qu'est-ce qu'elles ont de différent ?
41:24Et c'est ça qui est intéressant
41:26à essayer de décrire.
41:28Oui, et elle montre sa différence
41:29le 11 septembre 2001,
41:31car après l'attentat,
41:32elle est avec son équipe,
41:33et elle veut avoir une attitude
41:34qui ne correspond pas forcément
41:36à ce que tout le monde a fait
41:37ce jour-là, Philippe Labreau.
41:38C'est-à-dire que le lendemain,
41:41elle a été tellement frappée
41:42avec ses copines par cette horreur
41:44qu'elle leur dit, écoutez,
41:46il faut se réfugier dans l'infantilisme.
41:48Faisons quelque chose d'infantile,
41:50d'innocent, de bête,
41:51qui nous permettra un peu d'effacer
41:53le drame et le deuil.
41:54Et donc, elles vont s'acheter des chaussures.
41:57Dans un grand magasin.
41:59Et Elisabeth s'achète
42:00des très beaux escarpins rouges.
42:02Mais, je dis à la fin du chapitre,
42:04elle ne les a jamais portés.
42:06Il se trouve aussi qu'il y a
42:08une passion commune de vos deux personnages
42:10qui correspond à la vôtre,
42:11c'est le cinéma.
42:13Et lui aime le cinéma en noir et blanc
42:15avant la couleur.
42:16Il aime le noir et blanc,
42:17c'est sa nostalgie,
42:18c'est sa jeunesse.
42:19Il croyait à l'époque pouvoir
42:21conserver son amour avec Elisabeth
42:23en lui parlant tout le temps de cinéma.
42:25Et là, elle a fini par en avoir marre,
42:26justement à cause de ça.
42:27Et il retrouve le cinéma beaucoup plus tard,
42:29puisque dans cette vie un peu d'errance,
42:31quand il a soixante et quelques,
42:33il essaie de faire un film,
42:34il n'y arrive pas, il n'y arrivera jamais.
42:36Et il y a un ami qui est un producteur,
42:38un agent, pardon, un agent artistique,
42:40qui lui dit, mais tu n'y arriveras pas
42:42parce que tu n'as pas la dimension,
42:43fais autre chose.
42:44Et ce producteur, en lui parlant comme ça,
42:46parce qu'ils sont durs les Américains,
42:48même si c'est avec un copain,
42:50ils vous disent la vérité, très cru.
42:52Et il lui dit des choses tellement cruelles,
42:54c'est dans un immeuble, en hauteur,
42:56dans Manhattan, qu'il en a les larmes aux yeux
42:58et que pour ne pas montrer à son copain
43:00qu'il pleure, il lui tourne le dos,
43:02il est face à la vitre, et là,
43:04qu'est-ce qu'il voit ?
43:05Le tour de Manhattan et il voit le Boeing
43:07qui rentre dans le tour.
43:09C'est incroyable, cette histoire est incroyable,
43:10mais en même temps, c'est le caractère
43:12des Américains que vous connaissez bien,
43:13que vous développez dans ce livre, Philippe Lambrou.
43:16C'est un mélange de sentimentalisme,
43:18d'hospitalité, de générosité apparente,
43:20de sourire apparent, et derrière ça,
43:22il y a la cruauté, la dureté, le cynisme,
43:24une certaine hypocrisie,
43:26c'est pas simple,
43:28c'est pas un peuple simple.
43:30D'ailleurs, je ne le critique pas,
43:32j'essaie simplement de l'observer, de le décrire.
43:34Et votre personnage, Lucas, dit que
43:36New York, c'est une ville de grande solitude.
43:38Oui, bien sûr, mais c'est pas
43:40une ville américaine, d'ailleurs, entre nous.
43:42New York, c'est une ville monde,
43:44il y a tout le monde, et quand ils se baladent,
43:46notre ami, qui marche dans les rues, la nuit,
43:48pour essayer de comprendre ce qu'il va devenir,
43:51qu'est-ce qu'ils croisent, des latinos,
43:53des italiens, des juifs,
43:55des lituaniens, des arméniens,
43:57des japonais, des chinois,
43:59des noirs, le monde entier.
44:01Et il y a même un marchand de marrons,
44:03un petit marchand de marrons, qui rêve d'être une star.
44:05Oui, oui, qui crie
44:07prenez mes marrons, ils sont chauds,
44:09c'est moi le champion, et il est marrant,
44:11d'ailleurs, c'est grâce à lui que les deux
44:13personnages se retrouvent, parce que
44:15lui, il va vers ce vendeur de marrons,
44:17on est au coin de la 5e avenue de Central Park,
44:19et elle, de son côté, elle vient aussi,
44:21parce qu'il attire les gens,
44:23on a envie d'acheter les marrons chauds de notre ami Samy,
44:25et là,
44:27elle le reconnaît de dos,
44:29elle reconnaît Lucas de dos,
44:31et elle entend Lucas dire
44:33j'espère qu'ils ne sont pas trop chauds,
44:35et elle répond en français,
44:37il se retourne, il dit, Elizabeth,
44:39donc voilà, c'est la rencontre,
44:41et il se pose la question majeure
44:43que nous nous posons tous
44:45quand on rencontre quelqu'un qu'on n'a pas vu depuis longtemps,
44:47que deviens-tu ?
44:49Voilà, et c'est la suite du livre,
44:51et la musique est également présente dans ce livre, Philippe Herbreau.
44:59Just Gigolo,
45:01d'ailleurs, c'est le grand succès de Louis Sprima,
45:03qui a été créé au départ par,
45:05on a oublié, par
45:07beaucoup de chansons, parce que c'est une chanson latino des années 1900,
45:09et c'est le premier succès de Bing Crosby,
45:11et ça vous a marqué cette chanson ?
45:13Oui, parce que mon héros, donc Lucas,
45:15c'est un petit gamin, le fait entendre la chanson
45:17d'Elizabeth, et c'est une chanson,
45:19si on lit les paroles, qui est terrible,
45:21qui dit, je suis personne,
45:23personne de même, la vie se passe sans moi,
45:25je ne suis qu'un gigolo, et je ne vaux rien,
45:27et je ne vaux rien, la vie ne vaut rien,
45:29c'est un texte terrible,
45:31donc il le fait entendre à Elizabeth,
45:33et il lui dit au fond, c'est une chanson
45:35sur la condition humaine,
45:37elle la regarde en rigolant,
45:39ça n'est qu'une chanson, Lucas, sois gentil,
45:41la condition humaine, c'est autre chose.
45:43Et la condition humaine sont des personnages,
45:45et une époque que vous décrivez,
45:47car vous décrivez aussi bien
45:49Gagarin avec son premier vol,
45:51que la naissance de stars de la télévision
45:53d'aujourd'hui, c'est vraiment à traverser
45:55d'une époque votre livre.
45:57De deux époques, les 60, les années 60,
45:59et ensuite les années 80.
46:01Vous imaginez une telle évolution du monde ?
46:032000. Vous imaginez une telle évolution du monde ?
46:05On ne peut pas l'imaginer,
46:07on sait simplement que le monde va évoluer,
46:09on sait que le monde évolue,
46:11sauf ce qui demeure,
46:13et je y reviens toujours,
46:15ce sont les valeurs profondes,
46:17les sentiments et l'amour.
46:19Et la nostalgie qui est très présente dans ce livre,
46:21c'est important pour vous la nostalgie ?
46:23Oui, parce que c'est un beau sentiment la nostalgie,
46:25ce n'est pas un sentiment triste,
46:27être nostalgique,
46:29c'est simplement se souvenir de moments
46:31où on a été heureux,
46:33mais dont on sait qu'ils ne se reproduiront sans doute pas.
46:35Quand Simone Signoret écrit
46:37La nostalgie n'est plus ce qu'elle était,
46:39bon c'est un très beau titre,
46:41et c'est un très beau livre,
46:43mais elle se trompe, elle est toujours là la nostalgie,
46:45ça ne s'est pas arrêté à Simone.
46:47Et puis vous évoquez ce que vous appelez
46:49la parfaite imperfection d'une vie.
46:51Alors ça c'est un terme que j'avais trouvé
46:53dans un livre de psychiatrie,
46:55de psychanalyse, je ne sais pas,
46:57et que prononce le mentor de Lucas,
46:59parce qu'il rencontre un homme,
47:01un vieil avocat juif,
47:03qui est venu de la Shoah, qui est un type remarquable,
47:05très intelligent, qui lui donne des conseils de vie,
47:07et qui lui écoute.
47:09Tout ce que tu as vécu, c'est une histoire,
47:11et la parfaite imperfection de ta vie,
47:13réfléchis, c'est quelque chose
47:15que tu peux raconter.
47:17Et c'est à partir de ces deux termes,
47:19la parfaite imperfection
47:21qu'on pourrait impliquer à nous tous,
47:23nous sommes parfaitement imparfaits,
47:25qui construit
47:27enfin quelque chose.
47:29Et puis dans ce livre il y a un message d'espoir,
47:31il aurait pu s'intituler
47:33La vie commence à 60 ans, Philippe Labron.
47:35Oui, la vie continue à 60 ans.
47:37C'est vrai que ce message d'espoir est important.
47:39Vous avez une longue carrière
47:41derrière vous, et j'espère devant vous,
47:43parce que vous êtes toujours
47:45en avance et toujours curieux.
47:47Parce que oui, je suis habité par la curiosité,
47:49j'ai beaucoup d'énergie,
47:51j'aime faire, et j'aime les gens.
47:53J'aime rencontrer les gens, j'aime les écouter,
47:55leur parler, et accessoirement
47:57parler d'eux en écrivant des livres.
47:59Ce livre précédera le suivant,
48:01parce que vous annoncez déjà
48:03qu'il y aura un autre livre.
48:05Vous n'allez pas vous en réécrire comme ça.
48:07Non, non, mais je suis en train de travailler dessus, d'ailleurs.
48:09C'est le moins qu'on puisse dire.
48:11En tout cas, ça s'appelle De Gimlet sur la cinquième avenue.
48:13C'est un roman qu'on ne peut pas lâcher du début à la fin.
48:15Merci.
48:17Et puis, merci d'avoir écrit,
48:19parce que c'était aussi un risque,
48:21d'écrire un livre comme ça.
48:23On prend toujours un risque en écrivant.
48:25Et d'ailleurs, je ne sais pas encore,
48:27je l'ai sorti il y a quelques jours,
48:29si oui ou non, les gens aimeront.
48:31C'est qu'on s'exprime,
48:33c'est qu'on se met comme ça.
48:35L'expression, on se met en danger.
48:37Mais non, ce n'est pas un danger, c'est la vie.
48:39Si tu ne fais pas quelque chose,
48:41qu'est-ce que tu vas devenir ? Rien.
48:43Ne changez rien, continuez.
48:45Et je ne suis pas inquiet pour ce livre, Philippe Laveau.
48:47Merci.
48:49Merci à vous. Les clés d'une vie, c'est terminé pour aujourd'hui.
48:51On se retrouve bientôt.
48:53Restez fidèles à l'écoute de Sud Radio.