• il y a 5 mois
Quels sont les avantages et les inconvénients du scrutin à la proportionnelle ? On en parle avec Chloé Morin, politologue et auteure de "Quand il aura vingt ans" (Fayard) et David Djaïz, essayiste et enseignant à Sciences Po. Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-mercredi-03-juillet-2024-8279217

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00:00Débat ce matin sur le mode de scrutin des élections législatives.
00:05On connaît l'adage, au premier tour on choisit, au second on élimine, voilà une définition
00:12simple du fonctionnement et des effets de ce qu'on appelle plus précisément le scrutin
00:18uninominal majoritaire à deux tours.
00:21C'est une particularité de notre vie politique ailleurs, dans de très nombreux pays, mais
00:26aussi pour les récentes élections européennes, c'est le scrutin proportionnel qui prévaut
00:32et qui ouvre sur la nécessaire construction de coalitions entre les partis.
00:38Le scrutin à la française est-il en bonne forme ? Est-il en crise ? Est-il à bout de
00:44souffle ? Faut-il aller vers la proportionnelle, vers une dose de proportionnelle ? On va poser
00:50ces questions ce matin à Chloé Morin, politologue, autrice de « Quand il aura 20 ans », à
00:56ceux qui éteignent les lumières, chez Fayard, et à David Jayes, essayiste enseignant à
01:02Sciences Po, coauteur de l'essai « La révolution obligée », « Réussir la transformation
01:08écologique sans dépendre de la Chine et des Etats-Unis », voilà, j'ai tout dit, c'est
01:13chez Alary Éditions, bonjour à tous les deux, et merci d'être là, nous sommes
01:18dans l'entre-deux-tours d'une législative, avec donc ce scrutin uninominal majoritaire
01:25à deux tours, on voit depuis le premier tour les forces en présence, les rapports
01:29entre elles, les différentes assemblées qui peuvent émerger de l'élection, on le saura
01:35dimanche soir, le système est-il en crise ou fonctionne-t-il bien, Chloé Morin ?
01:40Alors, c'est un système qui a l'avantage de dégager des majorités, même lorsqu'il
01:45n'y en a pas dans l'électorat, ça c'est le principal avantage et c'est la raison
01:49pour laquelle c'est un scrutin qui n'a pas été énormément remis en cause depuis
01:53des décennies.
01:54Mais nous sommes en train de voir l'un de ses plus grands défauts, c'est-à-dire
01:59le fait que lorsque vous n'avez pas deux forces politiques, lorsque vous en avez trois,
02:06ce qui est notre cas aujourd'hui, vous avez trois blocs, et bien vous êtes obligés
02:09au second tour de faire des manœuvres pour faire des ralliements des uns envers les autres
02:15et ça a l'air, pour les électeurs, de tripatouillages qui leur sont souvent insupportables.
02:20Et le résultat de ce scrutin, c'est que quoi qu'il arrive, à la fin, donc dimanche
02:26soir, il y aura un très grand nombre de Français, des millions de Français, qui se sentiront
02:30frustrés, frustrés parce qu'ils ont dû voter au second tour pour des candidats qui
02:35n'étaient pas les leurs, et puis frustrés surtout parce qu'ils ne seront pas représentés
02:39à leur juste poids dans la future Assemblée Nationale.
02:42Donc tout allait bien jusqu'à ce que l'alternance ne se joue pas à deux, mais que la vie politique,
02:50se compose désormais de trois blocs, c'est ça ?
02:52Je ne crois pas.
02:53D'abord, moi, je n'adhère pas à la théorie des trois blocs, je pense qu'il y a une dizaine
02:56de sensibilités politiques dans le pays, il y a des sociodémocrates, il y a des écologistes,
03:01il y a une gauche radicale, il y a des libéraux, il y a des centristes, il y a des gaullistes,
03:05il y a des souverainistes de droite, il y a des nationaux populistes de droite, et ces
03:08trois blocs, en fait, c'est le glacier qui va emprisonner la vie politique française.
03:13Je ne crois pas qu'on reviendra au clivage gauche-droite, à la papa, comme certains
03:16le réclament, mais je ne crois pas non plus qu'on va rester dans cette logique à trois
03:21blocs qui est terriblement emprisonnante.
03:23Trois, ça ne vous suffit pas ? Vous en voulez dix ?
03:25Non, parce que ce n'est pas des blocs, justement.
03:27C'est-à-dire qu'aujourd'hui, vous voyez bien que quand Emmanuel Macron a annoncé
03:30la dissolution de l'Assemblée Nationale, tout de suite, on a un réflexe, et on peut
03:33le comprendre, unitaire à gauche, tous les partis de gauche se rassemblent, font une
03:37unité d'action, une coalition électorale, pour empêcher la victoire du Rassemblement
03:41National.
03:42Mais entre un social-démocrate du Parti Socialiste et certains sbires de Jean-Luc Mélenchon,
03:46qu'y a-t-il en commun sur l'économie de marché, sur la guerre en Ukraine, sur la
03:50construction européenne, sur la laïcité, sur la pratique et l'éthique de la démocratie ?
03:54Pas grand-chose, en réalité.
03:55Et quand on dit qu'au premier tour, on choisit et qu'au second, on élimine, ce n'est
03:59pas ce qui s'est produit, là.
04:00Donc il faut ouvrir les portes et les fenêtres et donner aux électeurs français la possibilité
04:05de faire un véritable choix de cœur et d'adhésion.
04:08Chloé Morin.
04:09Alors, je ne suis pas du tout en désaccord avec l'existence de très nombreuses sensibilités,
04:13mais c'est précisément à cause de ce mode de scrutin qu'on en est là.
04:16C'est-à-dire que la gauche, si elle s'est unie des insoumis jusqu'aux socialistes dès
04:23le premier tour, c'est précisément parce qu'elle sait qu'être en troisième position,
04:27ou en quatrième ou en cinquième position dans ce scrutin-là, c'est être éjectée
04:30au second tour.
04:31Donc, pour jouer la partie, vous êtes obligés de faire des alliances avec des gens qui sont
04:36très différents de vous, et au second tour, comme je le disais tout à l'heure, c'est
04:40encore pire.
04:41Mais ces compromis sont des compromissions selon vous, Chloé Morin ?
04:44Non, je ne crois pas, mais je pense qu'elles se font toujours à la va-vite.
04:49Là, en l'occurrence, ça s'est fait vraiment à la va-vite pour une raison exceptionnelle,
04:53mais c'est souvent des choses qui ont l'air d'être du bricolage.
04:56Et je trouve qu'il serait beaucoup plus serein que chacun vote pour la sensibilité
05:02qui est vraiment la sienne, et en donnant mandat à cette personne-là, pour lui dire
05:06« tu ne vas pas gouverner tout seul, donc tu vas devoir t'entendre avec les autres ».
05:09Et ça changerait même la nature de la campagne, parce qu'au lieu de s'insulter sans arrêt,
05:14on saurait qu'on a face à soi des concurrents avec qui on va devoir travailler.
05:18Donc la proportionnelle, c'est là qu'elle intervient, c'est ça ?
05:20Je suis en total accord avec ce qui vient d'être dit, c'est-à-dire que ce serait
05:24une pratique beaucoup plus honnête et beaucoup plus mature de la vie démocratique, au fond
05:28que chaque parti concourt sous ses couleurs, en disant « voilà quelles sont mes idées,
05:32voilà quelle est ma vision du monde, je suis un libéral, je suis un écologiste, je suis
05:35d'extrême droite, mais voilà mon ADN politique ». Les électeurs votent, on a une assemblée
05:40qui représente la diversité de la société française, et ensuite les élus discutent
05:45en fonction de leurs sensibilités respectives et essaient de construire un contrat de gouvernement.
05:50C'est exactement ce qui se passe au Parlement européen, par exemple les sociodémocrates
05:53défendent un projet, l'extrême droite défend un projet, la droite conservatrice défend
05:57un projet, mais ensuite on essaie de trouver une majorité pour gouverner les institutions
06:01européennes.
06:02C'est évident qu'un parti ne va pas retrouver l'intégralité de son projet dans le contrat
06:07de gouvernement.
06:08Au fond, c'est une pratique beaucoup plus honnête, parce qu'on dit aux électeurs
06:10« on ne renie rien de notre ADN et de notre identité politique, mais on essaie de se
06:14mettre d'accord sur 10 ou 15 points qui nous paraissent prioritaires et qui peuvent
06:18faire l'objet d'un compromis entre 3 ou 4 forces politiques ». Et voyez cette semaine,
06:22Nicolas, encore une fois Gabriel Attal à votre antenne il y a quelques instants, parle
06:26de construire un gouvernement de coalition, ou de construire une espèce de grande coalition
06:30qui irait des communistes aux républicains.
06:32Moi je trouve que ce serait beaucoup plus honnête de faire ça dans un système où
06:36on a la proportionnelle, parce qu'on sait que ce qui compte c'est la construction
06:39de cette coalition après les élections.
06:41Là on a des blocs…
06:42Mais si on la fait après, est-ce que le fait qu'elle intervienne justement a posteriori
06:50la dénature ?
06:52Ça ne la dénature pas, et c'est probablement, si le RN n'a pas de majorité absolue dimanche
06:56soir, c'est probablement ce vers quoi il faudra s'orienter, puisque de toute façon
06:59on ne va pas laisser la France, 7ème puissance mondiale, sans gouvernement pendant au moins
07:03un an.
07:04Donc je trouve que ce serait beaucoup plus transparent et sain d'avoir un système
07:08dans lequel les électeurs votent pour le parti de leur choix, et ensuite commencent
07:12un cycle de discussion pour élaborer un véritable programme de gouvernement.
07:16Chloé Morin, comment voyez-vous ce qui se dessine là ? A savoir s'il n'y a pas
07:21de majorité absolue pour le RN, la constitution de majorité, selon les uns les autres qui
07:27seraient tirés du centre-gauche au centre-droite, de la gauche, or, elle est fille, à la droite,
07:33enfin, ce type-là date l'âge ?
07:35C'est une dernière chance, moi je vois ça comme une dernière chance.
07:40Le propre d'un barrage c'est de faire monter l'eau qu'il y a derrière.
07:43L'expression n'est pas de moi mais elle est de David Lissnard et je la trouve très
07:46bonne.
07:47Le problème c'est que si le barrage tient cette fois-ci, on n'est pas sûr qu'il
07:50tienne la fois d'après.
07:51Ce qui comptera c'est ce qui aura été fait entre-temps.
07:54Ça veut dire que les forces qui vont se trouver, effectivement, des communistes jusqu'aux
08:00républicains, ou même des insoumis jusqu'aux républicains, vont devoir faire quelque chose.
08:05Ça ne pourra pas être un gouvernement à minima pendant un an parce qu'on sait qu'il
08:09y a quand même cette force qui pousse le RN toujours plus près du pouvoir et que cette
08:14force-là, il n'y a pas de raison, ça fait 20 ans que ça dure, il n'y a pas de raison
08:18qu'elle s'arrête.
08:19Donc, ça va être vraiment important que les uns et les autres qui seront élus dimanche
08:25soir soient capables de s'entendre, mais de s'entendre sur quelque chose qui n'est
08:29pas quelque chose à minima, mais qui correspond quand même aux aspirations de la majorité
08:35de Français qu'ils représenteront.
08:37Et ça, ça ne va pas être facile.
08:38Comment, à votre avis, réagit un électeur du RN dont le parti arrive en tête à l'Assemblée
08:45nationale et qui voit que c'est une autre coalition qui se met en place ? Alors, tout
08:51ça est légal, pour certains sans doute légitime, mais peut-il se dire qu'il y a un déni de
08:58démocratie ?
08:59D'abord, il y a 70% des électeurs qui ne votent pas pour le RN, donc ce qui compte
09:05c'est qu'à l'arrivée, on dégage une majorité politique et on voit bien que la
09:08majorité politique alternative au RN, elle va se faire sur un dénominateur commun extrêmement
09:13restreint.
09:14Donc le sujet, et c'est un peu ce que Chloé Morin disait, c'est est-ce que dans l'hypothèse
09:19où il n'y a pas de majorité absolue pour le RN, on peut arriver à construire un vrai
09:23gouvernement de transition républicaine ou de compromis sur des sujets qui sont hyper
09:29urgents, hyper importants pour le pays ?
09:31Lesquels ?
09:32Les services publics.
09:33Tout le monde dit que notre système scolaire est à terre, que notre système de santé
09:37se dégrade.
09:38Vous allez en zone rurale, l'accès aux soins, l'accès à un médecin, à la médecine
09:41de ville.
09:42C'est la préoccupation numéro un, loin devant la sécurité ou l'immigration.
09:46Est-ce qu'on ne peut pas trouver, même pour un euro d'argent qu'on dépense dans
09:49le service public, des meilleures configurations, une meilleure efficacité ?
09:52Ça je pense que c'est un sujet qui devrait réunir toute la classe politique.
09:55Deuxièmement, le sentiment du mépris.
09:57Je pense qu'il y a un vrai problème en France dans les rapports entre Paris et la
10:00province.
10:01Le sentiment d'être méprisé, surplombé par une élite politique, médiatique.
10:05Est-ce qu'on ne peut pas trouver des solutions rapides ?
10:07Moi, personnellement, je serais favorable à ce qu'on déménage les ministères dans
10:10une ville moyenne.
10:11Ça serait un symbole fort.
10:12Et ça marquerait vraiment l'idée qu'il n'y a pas une cassure entre Paris et la
10:17province.
10:18Et puis, il faut aussi quand même qu'on apaise notre démocratie.
10:21Et là, la réforme du mode de scrutin, le passage à la proportionnelle, ce n'est
10:24pas juste un gadget électoral, c'est une façon de reconstruire de la paix civile
10:29dans le pays et une culture du compromis.
10:31Mais Macron avait promis une réforme du mode de scrutin, mais ça n'a pas abouti.
10:39On n'y échappera pas, Chloé Morin ?
10:42Je pense qu'on n'y échappera pas.
10:43Le problème, c'est que ceux qui sont au pouvoir sont toujours les bénéficiaires
10:46du mode de scrutin.
10:47C'est pour ça qu'ils ne veulent pas le changer.
10:48Et qu'il est possible que même le Rassemblement National, qui propose une proportionnelle
10:54avec une prime à celui qui arrive en tête, que même le Rassemblement National y renonce.
11:00Parce qu'aujourd'hui, en tant que première force politique, il est avantagé par ce
11:05mode de scrutin.
11:06Mais je suis frappée de ce que, depuis dix ans, dans l'esprit des différents responsables
11:13politiques, même les plus attachés à la Ve République, progresse l'idée que ces
11:17institutions sont obsolètes, qu'elles sont à bout de souffle et qu'il va falloir en
11:22changer.
11:23Pas pour une VIe République ou pour tout rénover du sol au plafond, mais sur certains
11:28éléments clés.
11:29Et un point qui fait de plus en plus consensus, c'est la question de la concentration des
11:34pouvoirs.
11:35C'est la question du partage du pouvoir entre l'exécutif et le législatif, au sein
11:39du législatif, entre les oppositions et la majorité.
11:42Un mot, David Jaïs, de conclusion ?
11:44L'avantage de la proportionnelle, c'est que c'est une loi simple, donc ce n'est
11:47pas une réforme de la Constitution.
11:49Emmanuel Macron l'avait proposée en 2017.
11:52Marine Le Pen l'a demandé en 2017 et en 2022.
11:55Et c'est dans le programme du nouveau Front populaire.
11:57Il y a encore trois blocs dans la vie politique française.
12:01Moi je dis chiche.
12:02Mesdames et Messieurs les futurs députés, faites-en le premier projet de loi, la première
12:06proposition de loi, puisque ça peut émaner des parlementaires, à l'ordre du jour de
12:11l'Assemblée Nationale en juillet.
12:12Merci à tous les deux, Chloé Morin, David Jaïs, merci d'avoir été au micro d'Inter.

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