Nos débatteurs sont Denis Olivennes, chef d'entreprise et essayiste auteur de "La France doit travailler plus" (Albin Michel, 15 janvier 2025), et Dominique Meda, professeure de sociologie à l'Université Paris-Dauphine, autrice d' "Une société désirable" (Flammarion, 2 janvier 2025). Plus d'info : https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/le-debat-du-7-10/le-debat-du-7-10-du-lundi-20-janvier-2025-6070211
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01:00travail ? Question simple, que disent les chiffres par rapport à des pays comparables, par rapport à la moyenne des pays européens ?
01:08Travaillons-nous autant, plus, moins ? Si nous travaillons moins, comment l'expliquer ? Est-ce propre à la France à cause de la fiscalité
01:18du travail dans notre pays, à cause de la qualité des emplois ? Voilà quelques-unes des nombreuses questions que je vais soumettre
01:26à nos deux débatteurs ce matin. Dominique Méda, bonjour, vous êtes professeur de sociologie à l'Université Paris-Dauphine,
01:34auteur d'une société désirable, chez Flammarion. Denis Oliven, bonjour, vous êtes chef d'entreprise, essayiste, auteur de
01:44« La France doit travailler plus », ça c'est chez Albin Michel, merci à tous les deux d'être au micro d'Inter.
01:51Alors, on entre dans le vif du sujet, Denis Oliven, vous citez les chiffres suivants. Nous travaillons en France
01:58664 heures par an et par habitant. La moyenne européenne est de 770 heures. Les Etats-Unis sont à 803 heures.
02:09On pourrait s'arrêter là, mais commentaire, explication, que disent selon vous ces statistiques ?
02:16Que nous sommes vraiment moins travailleurs que nos voisins ou qu'ils vont regarder les choses autrement ?
02:23D'abord, je pense que c'est le problème numéro un de la France, celui qui explique, en tout cas l'un des deux problèmes
02:28majeurs de la France, celui qui explique que depuis une trentaine d'années, nous nous enfoncions dans les difficultés,
02:35la détresse et même la colère des Français. C'est ce qui explique à mes yeux les Gilets jaunes, la crise de la retraite,
02:42le blues des fonctionnaires, la montée des radicalismes en politique, la crise politique que nous traversons aujourd'hui.
02:47Quand les chiffres que vous avez cités sont très importants. Nous travaillons moins, en effet, mais c'est des heures par habitant.
02:54Le problème n'est pas, comme on le dit trop souvent, la durée individuelle du travail. Certes, on travaille un peu moins
03:01que nos voisins, mais ce n'est pas le problème majeur. Le problème majeur, c'est que nous sommes moins nombreux à travailler
03:06que nos voisins. Six Français sur dix ne travaillent pas. Ça veut dire que…
03:12Six Français sur dix ?
03:14Oui, absolument.
03:15Il n'y a que quatre Français sur dix ?
03:17Oui, ça veut dire que la charrette France, c'est quatre personnes qui travaillent et qui traînent, qui tirent un véhicule sur lequel sont assis six Français.
03:25Alors évidemment, il y a des situations naturelles, les personnes très âgées, les enfants en bas âge, mais il y a surtout trois sujets majeurs
03:33qui sont les jeunes en formation, parce qu'il y a moins d'alternance qu'en Allemagne, les personnes au foyer, notamment les femmes,
03:40parce qu'il y a moins de temps partiel qu'en Allemagne et l'âge de départ très plus précoce chez nous qu'ailleurs.
03:46Ça, pour moi, une explication clé, je m'arrête là, sinon je vais être trop long, c'est que nous n'incitons pas, nous ne payons pas assez les Français.
03:53La rémunération du travail est trop faible. Il n'y a pas d'incitation à travailler parce que, notamment, la part des cotisations et des impôts
04:02sur les revenus du travail sont plus élevés chez nous qu'ailleurs.
04:05Voilà donc pour le tableau esquissé par Denis Oliven. Comment le contemplez-vous, Dominique Méda ?
04:12Est-ce que vous partagez déjà ces chiffres-là et l'analyse que Denis Oliven en fait ?
04:21Non. D'abord, Denis Oliven prend ce chiffre de 664 heures par habitant.
04:27Franchement, ce n'est pas intéressant. L'OCDE elle-même dit que ce n'est pas ça qu'il faut regarder.
04:31Il faut rapporter le nombre d'heures travaillées aux personnes en emploi.
04:37Et là, surprise, on travaille plus que les Allemands, que les Hollandais, que les Finlandais, que les Norvégiens, que les Suédois, que les Islandais.
04:44Et si on regarde les pays où il y a les plus longues heures de travail, alors de qui s'agit-il ?
04:50Du Mexique, du Pérou, du Costa Rica, du Chili et de la Grèce.
04:53Donc, le nombre d'heures de travail, ce n'est pas le problème.
04:56Le problème, c'est sans doute, alors là je peux rejoindre Denis Oliven, on sait qu'on a un problème pour le taux d'emploi des seniors qui n'est pas assez élevé.
05:06Et je dirais aussi peut-être le taux d'emploi des femmes.
05:09Donc oui, on peut mettre plus de personnes sur le marché du travail, on peut mettre plus de femmes.
05:13Par exemple, on a encore une différence de taux d'activité et d'emploi de 8 points.
05:18Et on peut mettre aussi plus de seniors.
05:21Mais je voudrais revenir sur un point.
05:22En fait, Denis Oliven nous dit, il nous ramène à Sarkozy, il faut travailler plus pour gagner plus.
05:27Et il nous dit quelque chose avec quoi je suis en profond désaccord, c'est qu'on pourrait s'en tirer en mettant plus de femmes à temps partiel.
05:33Alors là franchement, moi mon sang n'a fait qu'un tour en lisant ça.
05:36Il nous dit, faisons comme l'Allemagne, mais en Allemagne, 40% des femmes travaillent à temps partiel sur des petits temps partiels.
05:43En France, on a la chance que seulement 27% des femmes travaillent à temps partiel sur de longs temps partiels.
05:48Moi, je n'ai pas envie d'un modèle où les femmes portent les valises et font des petites quantités de travail à côté des hommes qui sont à temps plein.
05:56Alors, travaillez plus pour gagner plus.
05:59Faites-vous du sarkozisme, Denis Oliven, puisque c'était l'une de ses phrases les plus fameuses.
06:07Et sur le point concernant le travail partiel des femmes.
06:10Je vais revenir sur ces points.
06:12Non, j'ai l'impression d'avoir écrit un livre de gauche, mais je vais y revenir.
06:18Quand Dominique dit qu'il faut regarder les heures de travail par gens qui travaillent,
06:24ça me paraît être l'erreur qu'on fait depuis de nombreuses années et qui nous empêche de régler la question française.
06:31Parce qu'en effet, quel est le problème numéro un de la France aujourd'hui ?
06:34Nous ne gagnons pas assez d'argent. Je vais vous en prendre deux exemples.
06:38Notre richesse nationale n'est pas suffisante pour notre population.
06:43Ça explique les deux problèmes majeurs que connaissent les Français.
06:47Le pouvoir d'achat et le financement des services publics.
06:50Le pouvoir d'achat. En 1960, il fallait à peu près 20 ans pour doubler son niveau de vie par la distribution du pouvoir d'achat.
06:57Aujourd'hui, il nous faut 90 ans de vie.
07:00Et pourquoi est-ce que nous ne distribuons pas assez de pouvoir d'achat ?
07:03Parce que nous n'avons pas assez de richesse. Nous ne produisons pas assez de richesse.
07:06Deuxième question. Le service public, on voit bien que notre problème majeur, c'est les embouteillages aux urgences.
07:13Les profs nous ont remplacés. Il n'y a pas assez de policiers dans la rue. Les infirmières mal payées.
07:17Et cette question-là du financement du service public est principalement aussi une question de richesse gagnée par les Français.
07:24Quand vous regardez les dépenses publiques par habitant des Français, en valeur, en nombre d'euros, nous ne dépensons pas plus que les Allemands.
07:31C'est la même valeur qu'eux. Donc le problème de la France n'est pas que nous dépensions plus.
07:35Simplement, le PIB allemand, la richesse allemande est 10 points au-dessus de la nôtre.
07:39Donc si nous gagnions plus d'argent, si nous avions, pour le dire, c'est le calcul que je fais dans mon livre,
07:45si toutes choses égalent par ailleurs, nous avions le même niveau d'activité que les Allemands,
07:49le même nombre de gens employés, nous aurions 150 milliards de plus de recettes publiques.
07:55On pourrait faire x3 sur le budget de l'éducation nationale.
07:58Et nous distribuerions de l'ordre de 300 euros par mois et par actif occupé.
08:04Donc on aurait réglé nos deux problèmes, celui du pouvoir d'achat et celui du financement des services publics.
08:08Alors est-ce que le temps partiel, je reviens sur le point de Dominique,
08:13je ne suis évidemment pas du tout favorable au temps partiel imposé et qui paupérise et précarise la population.
08:21Je veux qu'on fasse ça évidemment dans le cadre du droit du travail français.
08:24Simplement c'est vrai qu'il y a une vingtaine d'années, les Allemands ont pris des mesures pour favoriser sur le plan fiscal et social le temps partiel.
08:31Aujourd'hui le temps partiel choisi en France c'est 8% des salariés, en Allemagne c'est 20%.
08:36Et quand vous interrogez les salariés à temps partiel allemands, 90% de ces salariés sont heureux de leur tâche.
08:45Moi je ne veux pas créer un lumpenproletariat de gens mal payés,
08:49mais je veux que les gens qui ont envie d'une vie plus flexible et d'emploi complémentaire soient bien rémunérés pour le faire.
08:56La question idéologique au politique, on se la garde pour le prochain tour de parole.
09:02Dominique Méda.
09:03Alors, vous faites comme si les gens, notre problème c'était que les gens ne voulaient pas travailler.
09:10Là si, chômage volontaire.
09:12Or, moi je pense que le problème c'est qu'on n'a pas assez d'emplois en France.
09:17Après vous dites, il faut regarder vers l'Allemagne, ils sont beaucoup plus forts que nous, etc.
09:21Souvenons-nous, c'était notre propos dans un ouvrage précédent qu'on avait écrit avec Éric Ayer et Pascal Lokiek.
09:26Une autre voie est possible.
09:28Souvenons-nous que si l'Allemagne, qui était l'homme malade de l'Europe en 2002, a redémarré, c'est grâce à une extraordinaire modération salariale.
09:36Donc est-ce que c'est ça que vous voulez ?
09:38Moi je m'interroge sur votre objectif finalement.
09:42Parce que si on veut sauver nos classes populaires et augmenter le pouvoir d'achat comme vous le dites,
09:48il y a un moyen très simple, c'est en effet d'augmenter les salaires.
09:51C'est possible ou pas ?
09:53Oui, par exemple d'augmenter les salaires des travailleuses et travailleurs essentiels.
09:574 600 000 personnes, on les a découvert pendant le Covid.
10:00Vous savez combien ils gagnaient ? Quel était le revenu salarial net de ces gens ?
10:0411 000 euros par an.
10:06Donc oui, il faut augmenter leur salaire.
10:08Et vous nous dites, il faut d'abord augmenter le PIB et ensuite ça sera mieux.
10:13Mais encore faudrait-il que la plus grande part du PIB ne soit pas captée par une certaine classe
10:20et que ça puisse ruisseler en effet jusqu'aux classes populaires, vous voyez ?
10:24Denis Oliven ?
10:26C'est parce que moi je me suis intéressé, j'ai fait une comparaison pour essayer de comprendre
10:32ce qui distinguait la France d'autres pays parce que c'est le plus intéressant.
10:36Et ce qui distingue la France, ça n'est pas par exemple la part des salaires dans ce qu'on appelle la valeur ajoutée.
10:42On ne distribue pas moins de salaires que nos voisins allemands.
10:45On en distribue plus en part de la valeur ajoutée.
10:48Mais simplement une part conséquente de ce salaire est socialisée,
10:52enfin elle est prise à travers les impôts et les cotisations qui pèsent sur les travailleurs.
10:56Moi je trouve que c'est formidable que ça soit socialisé.
10:58Ce n'est pas formidable au sens où ça réduit le salaire net des salariés.
11:01Si on avait d'autres sources de financement et qu'on diminuait l'impact de ces charges et de ces impôts sur les salaires...
11:08Ils ne sont pas utiles selon vous ?
11:09Ils sont très utiles, mais c'est en France qu'on choisit de taxer par priorité le travail et donc qu'on désincite le travail.
11:16Le résultat de ça, je voudrais revenir là-dessus, il y a 40 ans nous avions la même richesse nationale par habitant que les Allemands.
11:22Aujourd'hui nous sommes 15% en dessous d'eux, 15% en dessous d'eux, c'est énorme.
11:28Et c'est ça qui explique notre problème.
11:30Si on avait 15% de plus de richesse nationale par habitant, on pourrait verser plus de salaire, on pourrait mieux financer nos services publics.
11:38Et la raison principale, l'une des deux raisons pour lesquelles nous sommes en dessous en termes de richesse, c'est que nous ne travaillons pas assez.
11:45Et pourquoi est-ce qu'on ne travaille pas assez ? Parce qu'on n'incite pas assez.
11:48Pas la rémunération, les salariés...
11:49Voilà, vous avez dit inciter, vous voyez, vous avez dit inciter comme si les gens ne voulaient pas travailler.
11:54Mais donc attendez, sur la protection sociale, on est passé, il y a 20 ans, il y avait 80, le financement de la protection sociale, 80% de cotisations, aujourd'hui 54%.
12:02Donc voilà, on a tout fait en effet pour alléger le fameux coût du travail.
12:07Deuxième point, quelle est la différence entre la France et l'Allemagne ? Grosse grosse différence, la co-détermination.
12:12Là-bas, les salariés, les représentants des salariés ont plus de pouvoir.
12:16Moi je pense que c'est quelque chose que nous pourrions imiter, donner plus la part à nos salariés.
12:20Quand on regarde la manière dont la France, puisque vous aimez les comparaisons européennes et qu'on doit en faire, vous avez parfaitement raison,
12:28quand on regarde la situation de la France en matière de conditions de travail, on est en queue de peloton.
12:33Les pénibilités physiques sont plus importantes, les pénibilités psychiques également.
12:38Les Français qui travaillent n'ont pas voix au chapitre.
12:41Ils disent que, alors regardez un chiffre très intéressant...
12:44Vous êtes à l'aise avec l'expression « mal travail » ?
12:47Oui, tout à fait. Je pense qu'il y a un grave malaise au travail.
12:50Regardez la dernière stat de la Dares, 37% des actifs en emploi disent que leur travail est insoutenable.
12:57C'est-à-dire, qu'est-ce que ça veut dire ? Ils ne pourront pas tenir jusqu'à la retraite.
13:01C'est pour ça que la réforme des retraites a été aussi mal accueillie, a suscité une explosion de colère.
13:06Il aurait d'abord fallu traiter le malaise au travail.
13:09Je suis d'accord avec ça, je suis d'accord avec le fait qu'on a un problème de qualité de bien-être au travail.
13:16Je pense que c'est complémentaire avec mon propos.
13:20Simplement, aujourd'hui, quand vous interrogez les salariés français, quel est le premier problème,
13:25pour 65% d'entre eux, qui expliquent leur désintérêt ou leur désengagement du travail ?
13:31Pour 65% d'entre eux, c'est la rémunération.
13:34Et moi je dis que si on déplaçait 10-15% aujourd'hui des taxes et des cotisations
13:41qui pèsent sur les revenus du travail vers d'autres ressources,
13:44et qu'on augmentait immédiatement de 10 à 15% la rémunération des salariés.
13:49D'ailleurs, je demande à nos auditeurs ce qu'ils en pensent.
13:52Si demain matin, leurs feuilles de paie voyaient leur salaire net progresser de 10 ou 15%,
13:57je pense que leur rapport avec le travail serait différent.
13:59Ça n'empêche pas qu'il faut régler tout le reste.
14:01Mais si par exemple, on avait dit au moment de la réforme des retraites,
14:04aux gens à qui on va proposer de travailler plus longtemps,
14:06votre rémunération sera améliorée de 10 ou 15%, ce qui est le cas des salariés allemands.
14:11Si on leur avait dit que votre rémunération sera augmentée de 15 ou 20% ou de 10 à 20%,
14:18leur consentement à accepter cette réforme des retraites aurait été tout différent.
14:23Sur ce point, Dominique Méda, vous avez le mot de la fin.
14:27Vous dites « désengager du travail », mais les gens ne sont absolument pas désengagés du travail.
14:32Les Français sont les plus attachés au travail de toute l'Europe.
14:36Et deuxièmement, vous faites la même proposition que Valérie Pécresse,
14:38qui disait qu'il n'y a qu'à enlever une partie du financement de la protection sociale qui passe sur le travail.
14:47Mais on le met où ? On le met sur la CSG, comme a fait Emmanuel Macron en 2017.
14:51Souvenez-vous la révolte que ça a faite.
14:54Moi, bien sûr, je veux bien qu'on transfère sur la CSG, mais il faut le mettre quelque part.
14:58Par exemple, sur le foncier bâti.
15:00Le foncier bâti, aujourd'hui, c'est 9000 milliards d'euros de valeur.
15:05Si vous prenez 1% de ce foncier bâti, ça fait 90 milliards d'euros.
15:09Si vous déplacez 90 milliards d'euros des revenus du travail vers le foncier bâti,
15:14vous améliorez immédiatement de 10% la rémunération de l'aide des salariés.
15:17Donc on finance la protection sociale par d'autres ressources.
15:22Merci à tous les deux.
15:24Dominique Méda, professeur de sociologie à Paris-Dauphine, une société désirable chez Flammarion.
15:30Merci Denis Oliven, chef d'entreprise essayiste « La France doit travailler plus »
15:36publié chez Albain Michel.