Vendredi 7 juin 2024, ART & MARCHÉ reçoit Cécile Colleville (directrice des acquisitions, Matis) et Julie Hugues (Responsable marché de l’art et clientèle privée, Hiscox)
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00:00 [Générique]
00:08 Bonjour à toutes et à tous, bienvenue dans Art et Marché,
00:10 votre émission hebdomadaire consacrée au marché de l'art.
00:13 Tendance marché, garantie, nouveaux frais,
00:16 nous revenons sur les grands assainiements des ventes du mois de mai
00:18 qui ont eu lieu à New York avec l'analyse de Cécile Colville
00:22 qui est directrice des acquisitions chez Matisse,
00:24 une plateforme d'investissement et d'acquisition d'œuvres d'art.
00:28 Et puis pour l'interview de la semaine, Julie Hugues,
00:30 responsable marché de l'art et clientèle privée chez l'assureur East Cox
00:34 est notre invitée.
00:35 De nombreux collectionneurs n'assurent toujours pas leur collection
00:38 et nous expliquera donc comment bien estimer ces œuvres d'art
00:42 et quelle offre choisir pour les protéger.
00:44 Plus de détails dans un instant dans Art et Marché.
00:47 [Générique]
00:51 Les ventes du mois de mai ont été suivies avec attention
00:54 et nous faisons le bilan avec Cécile Colville,
00:57 directrice des acquisitions de Matisse,
00:59 une plateforme d'investissement et d'acquisition d'œuvres d'art.
01:02 Merci beaucoup d'être avec nous.
01:03 Alors est-ce que vous pouvez nous dire quels sont les enseignements
01:05 de ces résultats de vente du mois de mai
01:08 des trois grandes maisons de vente aux enchères ?
01:11 Bonjour Sybille, merci beaucoup pour cette invitation.
01:16 Effectivement, les ventes qui se sont déroulées en mai à New York
01:19 sont une partie du marché puisqu'il s'agit d'un cycle de vente aux enchères
01:24 qui commence à partir de mai et se termine fin juin
01:28 et qui parcourt le monde entre New York, Hong Kong, Paris et Londres.
01:32 Les ventes d'art contemporain, de manière générale,
01:37 regroupent quelques catégories du marché de l'art,
01:39 celles de l'art impressionniste, moderne, après-guerre et contemporain
01:45 et pourtant elles représentent et ont un impact très important
01:48 sur le marché de l'art de manière générale.
01:50 En 2023, dans le rapport d'UBS Art Basel,
01:53 on voyait qu'elles représentaient 91% de la valeur du marché
01:58 et 92% du volume.
02:00 Donc effectivement, les ventes de New York donnent le coup
02:04 de ce premier semestre 2024.
02:07 On a vu des résultats plutôt mitigés
02:10 avec des résultats qui ne sont pas exceptionnels
02:14 comme on pouvait avoir connu en 2021 et 2022,
02:18 mais des résultats qui se maintiennent
02:20 plutôt vers l'estimation basse des lots
02:24 avec des résultats tout de même et des œuvres historiques,
02:28 notamment on peut citer l'œuvre et le portrait de Georges Dyer
02:33 de Francis Bacon qui a atteint tout de même les 30 millions
02:37 chez Sotheby's en vente du soir
02:40 et une œuvre exceptionnelle de Jean-Michel Basquiat
02:43 qui a été vendue chez Philips pour 46,5 millions de dollars.
02:48 Et ces ventes d'ailleurs étaient en majorité garanties
02:51 donc par un acteur tiers.
02:53 Est-ce que ça change la dynamique des ventes, ces garanties ?
02:57 Le mécanisme des garanties est un mécanisme extrêmement intéressant.
03:03 Il a été mis en place depuis quelques années
03:05 par ces maisons de vente aux enchères
03:07 et permettent de rajouter de la fluidité
03:10 et d'enlever un risque intéressant pour le vendeur des œuvres d'art.
03:15 En effet, il s'agit d'un mécanisme, si je peux le préciser,
03:22 mettant en place un contrat tripartite
03:25 entre un garantisseur qui amène à un prix minimum
03:29 auquel il est d'accord d'acheter le lot proposé
03:33 et également un vendeur qui accepte de partager
03:37 la marge réalisée au-delà du prix garanti avec ce garantisseur.
03:42 Donc si je donne un exemple extrêmement simple,
03:45 un lot qui serait estimé entre 100 et 150,
03:49 le garantisseur pourrait faire une proposition à 120 en prix garanti.
03:54 Si le lot est vendu à 100, le garantisseur s'est tout de même engagé à payer 120.
04:02 Et si le lot est vendu à 150 à une tiers personne,
04:06 ça veut dire que le vendeur a accepté de partager sa marge
04:09 entre les 120 et les 150, le prix garanti
04:12 et le résultat de la vente aux enchères.
04:15 Ce mécanisme est extrêmement utilisé,
04:17 surtout sur les lots qui sont proposés à des montants élevés,
04:22 surtout en vente du soir, effectivement dans les ventes aux enchères,
04:26 et permet de fluidifier le marché.
04:29 On en a notamment vu la pratique chez Christie's.
04:34 Vous avez sûrement dû voir la cyberattaque
04:37 qui a eu lieu il y a quelques jours avant les ventes Christie's
04:41 et qui n'a pas permis d'utiliser le site internet
04:43 pendant plusieurs jours juste avant la vente.
04:45 Pour rassurer les vendeurs et pour permettre que la vente
04:48 ait un résultat intéressant pour le vendeur et pour les acheteurs,
04:53 les garanties ont joué un rôle important, comme vous le disiez.
04:56 Ça représente environ entre 40 et 45% des lots proposés
05:01 lors de ces ventes du soir.
05:02 Merci beaucoup Cécile Colville.
05:04 Je rappelle que vous êtes directrice des acquisitions de Matisse,
05:07 une plateforme d'investissement et d'acquisition d'œuvres d'art.
05:09 Et tout de suite, on passe à l'interview de la semaine.
05:11 [Musique]
05:16 Il y a encore de la pédagogie à faire
05:17 puisque de nombreux collectionneurs n'assurent pas leurs collections.
05:21 Pourtant, certaines collections sont estimées à plusieurs millions d'euros.
05:24 Julie Hugues, responsable marché de l'art et clientèle privée
05:27 chez l'assureur Iscox va nous donner quelques clés
05:29 pour protéger ces œuvres d'art.
05:31 Le marché de l'assurance est un marché en croissance.
05:35 Ça veut dire qu'il y a encore des gens à convertir.
05:38 Est-ce qu'il y a effectivement de nombreux acteurs,
05:42 de nombreux collectionneurs qui ne sont pas assurés,
05:45 qui n'assurent pas leurs collections ?
05:46 Oui, exactement.
05:48 On estime qu'il y a à peu près 70 à 80% des collectionneurs
05:52 et des collections aujourd'hui qui ne sont pas assurés.
05:54 C'est énorme.
05:55 C'est énorme, effectivement.
05:56 C'est un vaste terrain de jeu.
05:58 C'est pour ça qu'on a l'habitude de dire
06:00 que notre plus grand concurrent chez Iscox,
06:02 ce n'est pas les compagnies d'assurance,
06:05 c'est la sous-assurance et également, je dirais,
06:07 la méconnaissance de l'assurance.
06:09 Parce qu'on a une image pas forcément très positive de l'assurance
06:14 et souvent on ne connaît pas les assurances spécialisées
06:16 comme les assurances pour les objets d'art.
06:18 Oui, parce que c'est particulièrement intéressant
06:21 de se tourner vers des assureurs qui sont spécifiques,
06:26 qui étudient justement un package pour les collections.
06:30 Exactement.
06:31 C'est vraiment l'intérêt de se tourner vers un assureur spécialisé,
06:33 un assureur spécialiste,
06:35 à la différence des assureurs généralistes
06:36 pour qui, dès qu'ils vont entendre le mot
06:38 "objet de valeur", "objet d'art", "bijoux-montres",
06:41 ils ont plutôt tendance à se dire
06:44 "c'est ce que je ne veux pas assurer, c'est ce que je veux limiter,
06:47 c'est ce qui sort de la norme, ce qui n'est pas standard,
06:50 et donc que je vais soulimiter".
06:51 Et en fait, si vous voulez, les assureurs spécialistes
06:53 entrent en jeu à ce moment-là, là où les assureurs standards s'arrêtent.
06:57 Quels sont les risques les plus importants,
06:59 les risques majeurs liés à une collection d'œuvres d'art ?
07:02 C'est intéressant cette question parce que très souvent,
07:05 quand on commence à parler d'objet d'art, en tout cas,
07:08 on parle de vol.
07:09 Or, le vol n'est pas du tout le risque principal
07:12 pour un objet d'art, pour une œuvre d'art.
07:14 Le risque principal, c'est le dommage accidentel,
07:17 c'est-à-dire la casse, en fait.
07:18 La casse pendant un transport,
07:20 une casse sur un tableau qui se décroche,
07:22 un vase qui tombe, etc.
07:24 C'est trois quarts, aujourd'hui, des sinistres
07:26 que nous payons chez Hiscox.
07:28 Et ce qui est intéressant, c'est que ces sinistres-là
07:30 ne sont pas couverts par un contrat standard,
07:33 un contrat d'un généraliste.
07:34 - Et alors, quelle est la première étape
07:36 pour faire assurer sa collection ?
07:37 J'imagine que c'est d'abord l'estimation
07:39 des œuvres présentes ?
07:41 - Oui, alors c'est une étape indispensable,
07:43 faire un état des lieux, en fait, de sa collection.
07:46 Surtout aussi de se dire
07:48 qu'est-ce qu'un objet d'art,
07:49 qu'est-ce qu'un objet de collection
07:50 qui mérite d'être assuré ?
07:52 On n'a pas de définition, par exemple,
07:54 chez Hiscox, et c'est une exception très large.
07:56 Ça peut être des meubles, des bouteilles de vin,
08:00 des collections de poupées.
08:01 Donc voilà, faire un état des lieux.
08:02 Et ensuite, réfléchir à l'estimation.
08:06 Donc retrouver tout ce qui est justificatif,
08:08 facture, inventaire.
08:09 Et si la facture, l'achat est ancien,
08:12 comme il y a une cote sur ces objets,
08:14 il faut impérativement la faire réactualiser.
08:16 - Ah oui, d'accord.
08:17 Et comment ça se passe au niveau de la collection ?
08:21 Est-ce qu'il faut avoir un document spécifique
08:25 par un expert qui va vous donner
08:27 l'évaluation de l'œuvre d'art ?
08:28 Ou est-ce que ça peut être différemment fait ?
08:32 - Oui, il y a plusieurs solutions.
08:33 C'est une pratique générale sur le marché,
08:36 sur le marché de l'assurance des objets d'art.
08:38 Soit on peut faire de l'assurance en valeur déclarée.
08:41 On déclare la valeur de l'objet,
08:43 charge ensuite à nos clients de trouver
08:46 et de prouver l'authenticité, la valeur
08:49 et l'appartenance de l'objet.
08:51 - Donc déclarée, c'est-à-dire moi, particulier,
08:53 je considère que cette œuvre-là vaut tant.
08:56 - Exactement.
08:57 - Qu'elle vaut un mois ou même un montant global
08:59 pour l'ensemble de la collection.
09:00 - Pour l'ensemble de la collection.
09:01 - Je voudrais assurer 150 000 euros, 1 million, 10 millions.
09:04 Et je reporte, si vous voulez, entre guillemets,
09:08 le problème au moment d'un sinistre.
09:09 Puisqu'au moment d'un sinistre,
09:10 même s'il y a un principe de bonne foi
09:11 et qu'on veut payer le sinistre,
09:12 il faut quand même un minimum de documents.
09:14 Donc il faut préparer ces documents-là.
09:16 Il y a une solution alternative
09:17 qui est ce qu'on appelle la valeur agréée.
09:19 L'assureur et l'assuré se mettent d'accord
09:22 avant un éventuel sinistre
09:24 sur une base de justificatifs qui seront produits
09:26 donc avant tout problème.
09:28 - Avec un expert assermenté par XCOX par exemple.
09:31 - Oui, alors un expert, ça peut être aussi une facture
09:34 suffisamment récente, pas une facture de particulier,
09:36 mais voilà une facture, un inventaire,
09:38 un expert pas forcément agréé.
09:41 Il y a aussi une exception très large de la notion d'expert,
09:44 mais il faut une liste avec ses objets et ses valeurs.
09:48 - Et dans ces cas-là,
09:50 est-ce qu'on peut refaire une estimation un peu plus tard ?
09:53 Parce que c'est vrai que c'est la question qui se pose.
09:55 J'imagine que parfois les collections prennent de la valeur.
09:57 Comment ça se passe ?
09:59 - Oui, très bonne question.
10:01 En général, ce qu'on conseille, ça va dépendre de la nature de l'objet.
10:04 On recommande en général aux collectionneurs
10:06 de mettre à jour leur capitaux, de vérifier tous les 5 ans.
10:10 On conseille que ce soit plus fréquent
10:13 de 1 à 3 ans pour tout ce qui est art contemporain
10:16 parce que ça bouge beaucoup à la hausse comme à la baisse.
10:19 On peut faire des bons ou des mauvais placements.
10:21 Tout ce qui est art plus ancien, même art moderne, mais art ancien,
10:27 comme c'est plus stable, on peut se permettre
10:29 de ne pas le faire forcément tous les 5 ans,
10:31 mais un peu moins régulièrement.
10:33 - Et une petite question de détail,
10:35 est-ce que cette déclaration, cette évaluation,
10:37 cette estimation peut être utilisée pour des successions ?
10:40 - Alors, non.
10:42 En fait, ce qu'on conseille, c'est de vraiment différencier
10:45 le sujet fiscal et le sujet succession du sujet assurance
10:48 parce que ce n'est pas du tout le même objectif.
10:51 La succession, ça va être une valeur plutôt résiduelle,
10:54 donc une valeur de vente, combien on récupérerait d'argent
10:58 si on vendait l'objet.
10:59 La valeur d'assurance, c'est une logique complètement différente.
11:02 C'est combien je devrais dépenser d'argent
11:05 pour récupérer cet objet, pour le racheter
11:07 et me retrouver dans la situation dans laquelle j'étais avant sinistre.
11:10 Donc on se positionne en acheteur.
11:12 Et souvent, la différence entre valeur d'achat et valeur de vente,
11:14 ça peut être x2.
11:16 - Très différente, oui.
11:17 Et est-ce qu'il y a un cas que vous rencontrez régulièrement ?
11:19 Je veux dire, quel est le collectionneur
11:21 avec lequel vous travaillez le plus régulièrement ?
11:25 La taille de la collection, les frais engendrés
11:28 pour assurer cette collection ?
11:30 Est-ce qu'il y a un cas pratique que vous pouvez nous donner
11:33 qui serait fréquent ?
11:35 - Un cas pratique ?
11:36 Alors nous, ce qu'on fait, c'est qu'on surveille régulièrement
11:39 les collections de nos collectionneurs.
11:41 On essaie de regarder ce qu'ils assurent pour les alerter
11:43 quand on sait qu'il peut y avoir des changements importants
11:47 dans le marché de l'art.
11:49 Typiquement, je vais vous donner un exemple qu'on suit.
11:53 C'est pas très gai, mais c'est important.
11:55 C'est les décès des artistes.
11:57 Quand Pierre Soulages est décédé,
11:59 on sait que la cote, mathématiquement, monte
12:02 parce que la production est terminée.
12:04 Et donc, tout prend de la valeur.
12:06 Donc voilà, un collectionneur qu'on sait,
12:08 qui a collectionné beaucoup de Soulages, etc.
12:10 On peut lui envoyer et lui proposer, même nous-mêmes,
12:13 une estimation, à titre gratuit, de ses plus belles pièces
12:17 pour revaloriser les oeuvres.
12:19 Alors pas dans les médias, mais souvent dans les six prochains mois,
12:22 il y a un impact.
12:24 - Mais combien ça pourrait coûter une assurance, justement,
12:26 si par exemple on a une collection de 100 000 euros ?
12:28 Est-ce que ça prend vraiment en considération dans son budget
12:32 ou c'est quand même à la marge comme frais ?
12:35 - Alors ça a la réputation d'être cher, mais en fait, cher par rapport à quoi ?
12:38 - L'art a une valeur souvent très importante.
12:40 Et on a fait le calcul, si vous décidez de ne pas assurer vos oeuvres d'art,
12:44 vous faites le pari audacieux,
12:47 que vous n'aurez pas de problème, pas de cynisme, pendant 500 ans.
12:50 Donc vous économisez pendant 500 ans de la prime,
12:52 vous la mettez de côté, pour pouvoir être votre propre assureur en cas de problème.
12:56 Donc vous, quelque sorte, vous mettez à risque l'héritage pour vos enfants,
12:59 vos petits-enfants. Donc il n'y a pas de débat.
13:01 Je peux vous donner un exemple de prime, parce que c'est important.
13:04 Nos primes, nous, elles débarquent à 250 euros pour 25 000 euros de sommes assurées.
13:09 Si un client ensuite, sa collection grossit, c'est un jeune collectionneur qui achète,
13:14 sa collection passe à 500 000 euros, donc x20.
13:17 La prime, elle fait seulement x4 et on passe à 1 000 euros.
13:20 Donc c'est vraiment, pour moi, indispensable de s'assurer,
13:25 surtout quand on voit la fréquence des sinistres en casse.
13:28 - Eh bien merci beaucoup Julie Hugues.
13:29 Je rappelle que vous êtes responsable marché de l'art et clientèle privée chez l'Assureur.
13:32 Iscox, merci d'avoir été avec nous.
13:34 Et quand à nous, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouveau numéro d'Art et Marché.
13:38 [Musique]